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Les vignes maisons servent aux expériences culturales innovantes

Propos recueillis par Johanne Collot en 1993

Travaux de vigne

Les vignes maisons servent aux expériences culturales innovantes
De l’enherbement aux cultures en terrasses, en passant par les vignes en lyre, les vignes maisons constituent d’utiles champs d’expérimentations au service de tous.

10 ans d’enherbement chez Ayala

Ayala cultive le sol de ses vignesL’érosion est un des fléaux de la Champagne viticole, et des écorces fraîches et robustes (le mulch) sont souvent répandues à même le sol en couches épaisses entre les vignes pour la combattre. Bien qu’écologique et naturelle cette technique ne suffit pas. Soucieuse de progrès, Ayala teste des semis de gazon entre les rangs de ceps, c’est l’enherbement.

Régisseur des vignobles, Frédéric Husson pèse ses mots. "Le gazon permet de lutter efficacement contre l’érosion, sous réserve d’éliminer de nombreuses espèces d’herbes inappropriées pour ne retenir que le paturin des prés". II a été sélectionné pour ses qualités pérennes mais aussi pour sa résistance au piétinement et à l’arrachage. Le paturin a des racines qui pénètrent et s’accrochent au terrain.

D’ailleurs, toutes les parcelles ne peuvent se permettre d’accueillir du gazon. Il faut un sol bien profond et riche en matière organique. "Le paturin des prés piège les nitrates, diminue la quantité d’azote et de phosphore des pétioles et fait baisser les taux de pourriture grise", ajoute le spécialiste.

Le gazon est planté entre les rangs sur une bande de 50 cm soit 50 % de la surface ce qui permet d’utiliser 50 % d’herbicides de moins. Mais le paturin des prés se révèle aussi responsable d’une baisse de vigueur de la vigne de l’ordre du tiers du poids de bois de taille et d’une diminution du rendement pouvant atteindre 20 % par rapport à une vigne traditionnelle pendant 3 à 4 ans, et 10 % par la suite.

Quant aux gelées de printemps, elles pourraient bien être plus fréquentes avec ce type de technique et la vigne plus fragile lors de périodes de sécheresse puisque l’herbe absorbe beaucoup d’eau. Mais c’est le prix à payer pour obtenir des moûts semble t-il, dotés d’une légère augmentation du degré entre 0,2 et 0,5 volume maximal. D’autre part, du fait d’un moindre taux d’azote, la fermentation est plus longue qu’à l’accoutumée. La prise de mousse aussi sera plus difficile, peut être en raison de teneurs en sucres résiduels conséquentes.

Un matériel spécifique

En 2004, l'écologie guide la culture des vignes en lyre du domaine MoëtLe désherbage des ceps et tonte de l’herbe sont délicats et exigent un matériel adapté car les tracteurs sont susceptibles de glisser. Chez Ayala, Alain Ducellier et Jean-Claude Boissel souhaitent prolonger les expérimentations avant tout verdict définitif bien que ces premiers essais remontent à plus de 10 ans déjà : "s’il est maintenant possible de bien connaître les effets de cette technique sur la vigne, cela ne fait que trois ans seulement que nos œnologues en testent les aspects qualitatifs du vin. Il faudra donc encore attendre 10 à 15 ans avant de pouvoir dresser un premier bilan".

Mumm joue de la lyre

Olivier Brun, directeur des vignobles, souligne les variations climatiques de la région champenoise. "1972 et 1984 ont été pour nous de mauvaises années à l’inverse de 1985 et 1990 qui restent ancrées dans les mémoires pour leurs excellentes récoltes même si l’hiver 1985 a enregistré des baisses de températures dignes de l’antarctique jusqu’à - 31,5° C par endroits".

Mumm teste les vignes en lyrePour faire en sorte que les années se suivent et se ressemblent au mieux, Mumm s’intéresse à de nouveaux systèmes culturaux et expérimente les vignes en lyre, qui déploient leurs deux bras à hauteur d’homme. Cette conduite de vigne, née au sein de l’INRA de Bordeaux, semble allier idéalement qualité et rendement. Les chercheurs mettent en évidence l’impact de la période végétative de la plante (afflux de sucre dans les feuilles) sur la période de maturation (installation de sucre dans les grappes). Ces vignes, au feuillage plus fourni, apportent plus de sucre et plus d’acidité dans les raisins. Sans parler du vieux bois, qui de par son abondance et son vieil âge, accumule les réserves telle la fourmi de la fable de La Fontaine, et stocke le surplus des années précédentes. Légalement, l’addition des écarts entre plants et entre rangs ne peut dépasser 2,50 m. Or la vigne en lyre demande une distance de 3,30 m entre les rangs et de 1,10 m entre les plants. L’INAO accorde une dérogation, et trois parcelles de vignes transformées, de 50 ares chacune, une en Chardonnay à Avize, une seconde de Pinot noir à Ambonnay et une dernière en Meunier à Savigny tendent leurs bras.

Les bourgeons échappent au gel
"Nous avons demandé en 1988 à planter des parcelles plus importantes, pour savoir comment se comporte la vigne dès la plantation et créer des groupes plus homogènes en matière de travaux et de vinification". Trois parcelles de 8o ares sont alors plantées, une à Cramant en Chardonnay, une autre à Verzenay en Pinot noir et une dernière à Marzilly en Meunier. Les résultats sont mitigés. "Nous n’obtenons pas systématiquement un rendement équivalent à l’appellation en particulier pour le Pinot noir et Meunier. Cependant, les vignes en lyre ayant des bourgeons situés plus loin du sol, ils échappent aux gelées de printemps.

Compte tenu du niveau d’appellation, il est important d’avoir un certain nombre de bourgeons à l’hectare. La faiblesse de la densité (trois fois moins de plants à l’hectare qu’une vigne traditionnelle), limite cette possibilité. Si on ne maîtrise pas la fertilité et le poids des grappes, on a bien montré par ailleurs qu’avec la lyre, la surface solaire était augmentée. La vigne en lyre permet également d’obtenir des moûts plus acides qui confèrent de la fraîcheur au vin. En tout cas, cette expérience permet de mener une bonne réflexion sur d’autres modes de conduite.

Nous devons donc toujours garder le poids décisionnel de l’homme qui sera à même d’utiliser l’évolution technologique et de s’interroger sur les effets positifs ou négatifs en terme qualitatif. Les connaissances scientifiques et techniques nous permettent d’expliquer le choix de nos ancêtres et ensuite seulement nous effectuons nos propres choix conditionnés évidemment par la qualité au service du consommateur". En vrai Champenois Mumm ne cherche qu’à améliorer la qualité.

Moët & Chandon ne néglige aucun coteau

La loi de 1927 ayant minutieusement répertorié les terrains d’AOC qui étaient en exploitation viticole à l’époque, certains terroirs ont un dénivellement de 30 à 40 %. Héritier de quelques-uns de ces hectares à flanc de coteaux, Moët & Chandon, tente d’en optimiser l’exploitation par la mise en place depuis 1990 de "culture en terrasses".
La contrainte de pente se révèle un excellent atout d’exposition avec un sous-sol crayeux très poreux, favorisant infiltration d’eau et stockage d’humidité. Il restait à travailler le coteau dans le respect des courbes naturelles du paysage car la culture en terrasses contribue aussi à l’environnement. Les tracto-pelles ont progressivement dessiné une succession d’escaliers majestueux aux marches d’une largeur d’1,60 m maximum, parfaitement horizontales, les vignes se fondent dans le paysage. L’été, le coteau revêt son habit vert et, vignes et talus, ne se discernent plus. De 1990 à 1993, 2 hectares sont plantés à Sainte-Hélène, sur la commune d’Hautvillers, 50 ares sur la commune de Moussy et 10 hectares dans la vallée de la Marne. "L’inconvénient majeur, reconnaît François hotte, reste l’implantation du vignoble lui-même. La surface au sol exposée est plus importante et se dessèche plus vite.

Les terrasses de Moët & Chandon s'adaptent à l'environnementLes banquettes (ou encore les flancs) sont plantées d’herbes et les racines de la vigne viennent puiser leur eau dans la terre déjà asséchée par la pelouse. Les racines des herbes et plantes ne sont réellement développées qu’après quatre ans : le terrain y trouve alors une stabilité". La production, elle-même, parvient à un rendement satisfaisant au bout de 6 ans, soit de deux à trois ans de plus que pour une vigne traditionnelle, car la densité de plantation est plus faible, 3 000 à 4 000 plants l’hectare soit près de 50 % de moins. Pour cette technique particulière l’INAO a accordé une dérogation sur la densité de plantation tout en maintenant 90 cm d’écart entre les pieds, distance pratique, difficilement compressible.

"Afin que la production soit la plus proche possible de la normale, il faut que les pieds soient rapprochés suffisamment. C’est un compromis entre le minimum, pour permettre une taille "à fruit ", et l’idéal visant une production de 10 à 12 000 kg/ha" assure François Lhotte. L’exploitation du terrain requiert aussi un doigté particulier. "Les largeurs de circulation d’1,10 m nous obligent à acquérir du matériel spécialisé étant donné l’impossible utilisation de l’enjambent traditionnel. L’acquisition de tracteurs articulés, au départ, malgré une certaine instabilité s’est avérée incontournable.
Nous devons aussi adapter notre matériel pour l’opération de rognage et nous organiser différemment lors de vendanges qui s’effectuent obligatoirement à la main".
Les traitements de la vigne se font par ailleurs en hélicoptère. Des traitements qui sont heureusement moindres qu’ailleurs car la culture en terrasses génère une forte aération des plants, une humidité ambiante bien moindre et donc une sensibilité à la pourriture moins importante avant la vendange.

Un coût d’exploitation important
"Le coût d’une telle mise en place est supérieur d’environ 30 % mais, justifie François Lhotte, l’exploitation de ces terroirs particuliers en vaut la peine, car elle est pleine d’enseignements utiles. La culture en terrasses permet un rendement à 70 % environ d’une récolte traditionnelle au bout d’une dizaine d’années. La dernière a atteint cet objectif en produisant 10 000 kilos de raisin et nous acceptons de servir de champs d’expérimentation à toute la Champagne".