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Trois méthodes pour exploiter ses vignes

Propos recueillis par Philippe Gaudin en 2001

Trois modes de faire-valoir

Chaque Maison propriétaire d’un Domaine de vignes cherche la méthode d’exploitation la mieux adaptée à ses besoins. Si la qualité des raisins produits reste (avant leur quantité) l’objectif premier, viennent se greffer des impératifs techniques et financiers, sans compter l’éthique de travail que cherche à développer chacune de ces Maisons. Si les 4 000 ha que représentent ces Domaines (11 % du vignoble de l’AOC) restent essentiellement exploités en faire valoir direct avec du personnel salarié, une diversité des méthodes de faire-valoir culturales cohabite. Les contrats de tâche, le métayage ou les prestations de service, sont trois méthodes différentes qui semblent toutes, à travers leurs diversités, combler les aspirations communes des Maisons et des vignerons qui réalisent les travaux du cycle viticole.

Taittinger transforme l’obligation de présence en objectif de résultat
Pour Vincent Collard, responsable des vignobles Taittinger, organiser la gestion d’une vigne relève d’une équation juste et équilibrée. C’est dans cette optique qu’en 1990, la Maison a travaillé avec ses salariés à la refonte du contrat de tâche dit classique, qui avait une coloration passéiste, avoue Vincent Collard. Une initiative portée par les salariés eux-mêmes, qui aspiraient à œuvrer avec plus d’autonomie que dans le travail en équipe, et qui souhaitaient parallèlement s’affranchir des contraintes liées aux anciens contrats. De ces réflexions collectives est ressorti un nouveau contrat de tâche, qui semble aujourd’hui réjouir employeur et salariés.

Les nouveaux tâcherons ont en charge trois hectares en moyenne, dont ils s’occupent suivant un programme de travail annuel établi par la direction.

La rémunération de chaque tâche est préétablie suivant un barème évalué préalablement. À titre d’exemple, on a chiffré ensemble le temps, hors vendange, nécessaire à l’entretien annuel d’un pied de vigne. À ce temps correspond une rémunération fixe, et le tâcheron, seul gestionnaire de son temps de travail, organise ses diverses roies à son gré. Seules obligations pour ce dernier : respecter un certain planning annuel et aboutir au final à la meilleure qualité possible des raisins (respect du cahier des charges, qualité du travail).

Être libre de ses horaires !

F. Hautcœur travaille chez Taittinger en toute autonomieLe tâcheron acquiert par ce système, une liberté plus grande dans la gestion de son temps. Francis Hautcœur, tâcheron depuis 1990, se félicite de pouvoir aller chercher ses enfants tous les soirs à la sortie de l’école. Et Vincent Collard de souligner le confort de vie que ce contrat peut procurer aux femmes salariées, qui peuvent opter pour un contrat à la carte : plein temps ou temps partiel.

Ce système constitue également pour le vigneron un moyen de s’engager plus personnellement dans son travail. Avec le contrat de tâche, affirme Francis Hautcœur, c’est mon honneur de vigneron qui est enjeu. je suis le responsable de la récolte. Si l’autonomie due à ce contrat est croissante, les responsabilités le sont aussi, puisqu’un tâcheron qui ne satisfait pas aux règles du contrat peut voir celui-ci remis en cause. Vincent Collard contrôle les évolutions et considère ce mode de faire-valoir comme l’assurance d’une meilleure qualité, puisqu’il s’agit bien de substituer une obligation de présence par une obligation de résultat. Aujourd’hui, la maison Taittinger compte plus d’une cinquantaine de tâcherons qui s’autodéterminent sur les deux tiers de son vignoble.

La maison Pol Roger : une certaine philosophie du travail
Pratiqué depuis 1960, le métayage est devenu une véritable institution chez Pol Roger. Aujourd’hui, soixante-dix métayers ont en charge les quatre-vingt-cinq hectares du vignoble. Maurice et Georges Pol-Roger estimaient que les négociants savaient faire de bons vins et les vignerons de très beaux raisins ; cette tradition perdure naturellement : ce choix de mode d’exploitation a permis à de jeunes viticulteurs de s’installer et la qualité des approvisionnements n’a jamais fait défaut.

E. de Billy perpétue avec Céline et Franck une vivace tradition du métayageActuellement, ce sont vingt-deux jeunes d’une trentaine d’années qui travaillent en métayage avec Pol Roger. Pour Céline Meunier et Franck Chesnel, jeune couple de métayers, n’ayant pas les moyens de financer une plantation, ce système s’est révélé être une chance de pouvoir s’installer et travailler la vigne. C’est en effet Pol Roger qui finance tous les frais d’installation et les plants nécessaires. Franck insiste sur le fait que cette pratique leur permet de travailler avec une totale autonomie, tout en sachant qu’en cas de problème, la Maison Pol Roger est présente pour les conseiller sur le choix d’un traitement ou d’un achat quelconque. Jusqu’à la troisième feuille, précise Franck, nous travaillons vraiment de concert, pour optimiser au maximum nos parcelles. L’aide de la maison reste très précieuse.

Les baux signés avec la Maison Pol Roger sont souvent d’une durée de trente ans et concernent des terres pouvant atteindre deux hectares. Pour Évelyne de Billy, responsable du vignoble, ce système permet d’unir des intérêts communs.
Les métayers livrent le tiers de leur récolte à la Maison Pol Roger et vendent à celle-ci les deux autres tiers ainsi qu’une partie de la production de leurs vignes personnelles. Ils intègrent leur métayage dans leur exploitation et le cultivent avec le même soin. Cette vigne est presque la nôtre, souligne Céline qui a repris les baux de ses parents, et apprécie de pouvoir travailler ces vignes comme elle le désire. La reprise fréquente de baux par des enfants de métayers permet de maintenir une tradition et de conserver l’atmosphère familiale de ces exploitations. Pour la Maison Pol Roger, la pratique du tiers franc assure de surcroît, une rentrée de raisins de vingt crus différents et confère donc une grande potentialité d’arômes et de vins. Partageant un objectif commun avec ses métayers, Évelyne de Billy définit ainsi une véritable philosophie du travail reposant sur la confiance, la communication, le travail d’équipe, dans une grande estime et une amitié réciproques.

La maison Delahaie : un pacte pour l’avenir
Pour l’exploitation de son vignoble, Jacky Brochet, responsable de la Maison Delahaie, a choisi, depuis huit ans, de recourir aux services de Christian Herbay, prestataire de services. Pour Jacky Brochet, ce choix relève d’une volonté de travailler différemment. Partant du constat qu’aujourd’hui on ne peut plus être spécialiste et polyvalent dans tous les domaines, recourir à un prestataire de services spécialisé permet de faire appel à un vrai professionnel du travail des vignes. Pour s’installer comme prestataire de services de travaux viticoles, il convient en effet de faire enregistrer son entreprise auprès de la direction régionale de l’agriculture et de la forêt.

Même si Jacky Brochet reste le gestionnaire de ses vignes, il a constitué avec son unique prestataire de services, Christian Herbay, une équipe de travail soudée qui choisit ensemble le meilleur soin à apporter au vignoble. Pour la Maison Delahaie, cette pratique a évité un investissement très lourd en matériel et la place en même temps à l’abri de tous soucis techniques. II s’agit de surcroît d’appréhender sans crainte l’arrivée des 35 heures et tous les conflits sociaux pouvant survenir dans une entreprise. Ce choix pour Jacky Brochet est résolument tourné vers l’avenir et est appelé à se développer de plus en plus dans les maisons de Champagne, comme il s’est développé chez les agriculteurs.

Ce système permet également au négociant de consacrer plus de temps à d’autres tâches, telle que la commercialisation vers l’international et toutes les activités de gestion de la maison. C’est également un gain pour ma vie privée que je peux organiser plus librement, insiste Jacky Brochet.

Risquer pour avancer...

Toutefois, ce choix n’est pas sans risque, et Jacky Brochet souligne bien que le rendement final de la récolte dépend pour une très grande partie du prestataire de services. Et c’est justement ce jeu du risque comme le qualifie Christian Herbay, qui a poussé celui-ci à quitter son poste de salarié pour s’installer à son compte. Pour ce dernier ce choix relevait de deux envies : être plus indépendant dans son travail et développer une relation plus personnelle avec ses clients. Travaillant avec son seul fils, Christian Herbay s’occupe à peu près d’une trentaine de clients, propriétaires de vignes, de manière ponctuelle ou plus régulière comme avec la Maison Delahaie, avec laquelle il signe un contrat annuel depuis huit ans. Véritable "contrat moral", la prestation de services constitue pour Jacky Brochet un engagement risqué, mais face au temps qui évolue, il faut savoir faire le choix de la confiance et de la modernité.