UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Chocolat, Champagne, la Volupté de Dr Tran Ky

Afin que la grappe ne meure…

Chaque champagne se distingue par sa typicité, fille du terroir, du climat local, des cépages et de l’art du vigneron.

Différent du rustre qui ingurgite sans discernement, l’homme raffiné savoure avec élégance. Ainsi découvre-t-on la poésie d’un bouquet, les nuances de la palette des cépages pour l’initié.

Mais la typicité ne s’exprime pleinement que si le vin est élevé à partir des raisins d’un clos déterminé, surveillé, limité dans l’espace et dans le temps. Ces cuvées appartiennent à des propriétés homogènes, peu morcelées dont les vignes ont bénéficiés des soins méticuleux, travaillées par les mêmes viticulteurs expérimentés.

Etant un nectar vivant enfanté par la grappe, les levures et le vigneron, les techniques de fermentation et l’art d’élevage occupent naturellement une place capitale,

C’est à ce maître du lieu en effet qu’il incombe d’orchestrer cette lente genèse du champagne pour notre plus grand plaisir sans cesse réitéré. Lui seul, créateur du bouquet et des flaveurs, sait faire vibrer la personnalité d’un cépage dont la mélodie s’élèvera en solo au milieu d’un chœur d’accompagnement.

A plus forte raison, un vin aussi prestigieux, élaboré selon les règles de l’art, doit, outre sa valeur biologique, se distinguer par ses arômes délicats, naturels, capables de séduire les sens sans nuire au cœur, tout comme un cru de noble origine ne doit en aucun cas tolérer la moindre fausse note.

Les goûts ont certes évolué d’une génération à l’autre, jadis nos pères ne juraient que par les flacons jeunes de couleur claire qu’il qualifiait de « couleur d’or ». Nous préférons plutôt les millésimes délectables aux « bulles de lumière », sans oublier la quête de leur sève, de la rondeur de leur corps, du velouté de leur robe…

En fait, nous savons fort peu de chose sur l’influence du terroir (pierrosité de la texture géologique) et du climat (variation de la température et de la pluviosité). Nous ignorons également les subtilités concernant la genèse des essences de parfums et des pigments de couleurs. Les concrétions à manganèse de la Montagne de Reims, les chailles à silex de la Marne, les dérivés chlorés à potassium des veines de Chernay, Cligny-les-Roses, Chantemerle…, chaque côte comme chaque vignoble façonne à sa manière la personnalité de ses cépages.

A ce propos, l’exemple du pinot noir est édifiant. Ce cépage s’exprime différemment selon qu’il se situe sur les terrains granitiques acides ou sur les sols calcaires basiques. Dans la première région, le vin chante par sa légèreté et son allégresse. Tandis qu’il acquiert une palette concentrée et profonde dans la seconde.

Même remarque pour le chardonnay qui donne un champagne sec de longue garde en terrain marneux. Sur des sols caillouteux à faible teneur en argile, ce cépage ne génère que des vins primeurs, assortis d’une fraîcheur tantôt fruitée, tantôt flamboyante.

Pourquoi un cépage apparemment identique et stable arrive-t-il à changer sa typicité jusqu’à devenir méconnaissable ? La raison est que la vigne ignore la fidélité vis-à-vis de son cépage idyllique !

Quand on observe un vignoble planté de pinots noirs, on a l’impression que tous les plants appartiennent à la même espèce. C’est vrai sur la morphologie générale. Si l’observateur les examine de plus près, il découvrira de multiples nuances différentes entre les feuilles, les baies…

Chaque vigne cache en réalité sa personnalité au sein d’un patrimoine génétique n’appartenant qu’à elle. Comment parvient-on à mettre en évidence cette spécificité intrinsèque ?

Il suffit simplement de féconder la fleur de l’une des vignes, dont on a au préalable supprimé les étamines (organes sexuels mâles), avec les pollens issus d’un plant voisin. La vigne fille qui en résulte diffère souvent de ses parents par certains de ses caractères morphologiques. Ses feuilles peuvent présenter des nervures dissemblables, des échancrures plus ou moins larges…

Tous ces traits trahissent le cœur de leurs parents, prouvent qu’ils sont bien à l’origine des vignes hétérozygotes. Cela signifie qu’ils portent déjà en eux des caractères différents issus des ancêtres eux-mêmes différents.

Scandale ! Semblables aux humains donc, les cépages, si purs soient-ils, sont génétiquement des bâtards… Mais, comme les femmes, notre noble vigne a un grand cœur !

Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités

. Ces louanges de François de la Rochefoucauld honorent aussi la vigne diva de Champagne.

Inutile de chercher à innocenter ces adorables créatures. Elles sont par nature infidèles ! Et pourtant quelques ampélographes puritains s’acharnent à obtenir des cépages purs en faisant croiser successivement les vignes descendant de la même souche.

Un tel mariage, contre nature à cause de la fidélité forcée, finit tout de même par créer des cépages de plus en plus purs.
Curieusement, ces individus perdent leur vigueur et meurent rapidement.

C’est à croire que nous survivons grâce à l’adultère de nos ancêtres. Néanmoins, du point de vue œnologique, il serait intéressant de pouvoir définir la typicité d’un cépage relativement homogène et stable. Cela semble impossible, sinon illusoire, puisque la vigne est par essence changeante, capricieuse et par-dessus le marché née infidèle.

La vie intime de la vigne est aujourd’hui étalée au grand jour, depuis que des biologistes indiscrets se sont penchés sur sa généalogie peu flatteuse. Car notre vigne frivole adore nouer des liaisons dangereuses avec les virus et bien d’autres micro-organismes.

Ces phytovirus sont exclusivement des rétrovirus à ARN. Ce sont eux les amants les plus fougueux qui pénètrent jusqu’au noyau des cellules de la plante. Ils s’insèrent au sein même de son ADN, le patrimoine génétique de la vigne. Quant aux bactéries, elles violent le cépage en lui injectant des fragments d’ADN (les plasmides).

Ces aventures sentimentales expliquent l’étonnante fluidité des caractères de la vigne. Mais ce n’est pas tout, la plante elle-même peut opérer des mutations sous l’influence des facteurs physico-chimiques de l’environnement (ensoleillement, composition du sol, pluviosité, technique culturale…), sans parler du vent et des insectes qui la visitent en permanence pour féconder ses fleurs. C’est alors que s’élèvent des senteurs de la floraison à l’appel du printemps :

A l’heure où la rosée au soleil s’évapore
Tous ces volets fermés s’ouvraient à sa chaleur,
Pour y laisser entrer, avec la tiède aurore,
Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur.
On eût dit que ces murs respiraient comme un être
Des pampres réjouis la jeune exhalaison ;
La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre,
Sous les traits d’enfants nichés dans la maison.
Lamartine, in « La vigne et la maison »

Sous le chant suave des effluves de ses fleurs, la vigne amoureuse nous dissimule en réalité ses aventures sentimentales fort inavouables. Avant d’éclore, son petit bourgeon floral savoure déjà une longue expérience voluptueuse qui aboutira à sa rencontre avec le pollen, ce valeureux chevalier tant attendu.

A l’appel du printemps, vers fin mai ou début juin, ses fleurs en boutons réunis en panicule d’un vert tendre évoquent étrangement la chrysalide d’un papillon, sous un même aspect de coque étanche obstinément replié sur son secret de jeune fille.

Au sein de chaque bourgeon floral, les ébauches des minuscules pétales restent étroitement soudées. La petite mariée ne se révélera qu’en présence de son invité princier. L’éclosion se fera à l’invitation du soleil, de la base vers le sommet du bouquet.

Sous les caresses de la lumière, les sépales exaltés cèdent les premiers. Timidement, les cinq pétales de la corolle se soulèvent lentement, de bas en haut, laissant entrevoir la jarretière de la pucelle frémissant sous sa jupette. Ce sont en fait les fines tiges de ses étamines. La mariée déploie aussitôt ses charmes et ses parfums envoûtants.

Alors ces fleurs miniatures pointeront dans tous les azimuts pour attirer les insectes. Sobres et discrètes, ce ne sont donc pas nos yeux que les fleurs cherchent à séduire. Elles racolent plutôt ses amants fidèles, les butineurs chargés de leur amener les pollens.

Malgré la ténuité de son sexe, la vigne obtient auprès de ses courtisans un succès fou en adoptant une « astuce de montage ». Elle groupe en bouquets ses fleurs naines. Par ce biais, elle présente à l’insecte, qui vient sucer son nectar, une sorte de super fleur.

Une telle stratégie de séduction suppose un certain partage de tâches. Les fleurs de la périphérie, à corolle pleinement ouverte et fortement parfumée, jouent le rôle d’entremetteuse. Elles dirigent les butineurs vers leurs sœurs situées au centre de l’inflorescence.

En fait, les bourgeons floraux de la vigne fonctionnent à l’économie. Leur métabolisme tourne au ralenti, avant la nuit de noces.

Quand vient le temps de fleurir, cette existence d’épargne se trouve brusquement contrariée. Fabriquer en quelques semaines la structure complexe de l’inflorescence engage la plante dans des dépenses folles. Peu importe, on ne compte pas quand on aime. La tendre mariée n’a en fait pas le choix. Etre enceinte est pour elle une question de vie ou de mort.

Car dans la société des vignes, les jeunes filles non fécondées par le pollen fanent rapidement.
Plus incroyable encore, la plante fixe le moment précis de rendez-vous à ses amants impatients. Elle ne commence à flirter qu’à l’aurore. Le stratagème l’oblige donc à préparer durant la nuit son stock de parfums prêts à être diffusés sous l’effet de la chaleur dès la première lueur de l’aube.
Alors la vigne, folle d’amour, innove, élève la chaleur de ses corolles de 3 à 4 degrés centigrades au-dessus de la température ambiante. Passionnée, elle se comporte à ce moment presque comme une « plante à sang chaud » ! Qui l’eût cru…

Son charme consiste à réaliser l’exhalaison des senteurs sous l’effet thermique, et cela afin d’attirer ses admirateurs. Mais d’où vient l’énergie nécessaire à cette explosion de chaleur pour faire danser les molécules odorantes, alors que le froid de la nuit printanière ne lui procure aucune chance de succès ?

C’est ignorer que l’amour peut faire jaillir des élans incommensurables. D’instinct, les bourgeons floraux concentrent leur dernière force viscérale. Les usines énergétiques (les mitochondries) de leurs pétales doublent alors leur production d’électrons. Ces corpuscules de charge positive seront suractivées, dirigées vers des enzymes spécialisées ( protéine UPC, oxydase alternative, ATPase… ) chargées de les convertir en chaleur. Même l’oxygène dissous dans la sève mute en superoxyde pour générer le surplus d’énergie.

Toute chétive, notre petite mariée s’offre corps et âme dans une attente fiévreuse de son prince charmant. Sa vie radieuse dépend absolument de ce dévouement émouvant, un don suprême afin que naisse la baie et que chante la vie.

Ainsi donc grâce à ces préparatifs somptueux et à ces incessantes retouches, la fleur et l’insecte butineur sont parvenus à échanger des caresses voluptueuses, voire à former un couple idyllique. Et cela avant même de connaître son propre fiancé, le pollen… Dans cette union contre nature, la fleur a tout tandis que l’insecte n’a rien. Bien que l’amant la lèche avec fougue, il ne peut se contenter qu’une pseudo-copulation, sans éjaculation ni orgasme.

Il arrive que des brutes affamées et de vulgaires vandales se vautrent carrément sur la délicate dentelle des corolles. Mais les fleurs restent stoïques, endurent patiemment toute sorte de brutalités et de grossièretés, dans l’intime espoir de rencontrer enfin le pollen de leur rêve.

Souvent, comme par un heureux hasard, le souffle d’une brise légère, vient au secours de la fiancée impatiente. En s’infiltrant entre les éléments de l’inflorescence, les tourbillons de l’air décrochent les pollens des pattes du visiteur et les font valser sur les pétales.

Chaque mariée reçoit ainsi un arrosage incessant de semences dès que se lève la moindre brise complice. Le stigmate, amoureusement, s’enduit d’un jus visqueux servant à retenir le prétendant tombé du ciel.

Mais la vigne sentimentale n’a pas oublié ses anciens amants pour autant. A tous, butineurs dévoués et brise frivole, elle offre sans façon son sexe parfumé. La nature dans toute sa volupté œuvre pour que le vin enchantera un jour nos cœurs.

En tant que vigne et mère de la baie, la fleur n’a guère le choix. Sa mission consiste à vivre dans la beauté et dans la passion partagée, pour enfin s’accomplir, atteindre la plénitude dans le meilleur de sa nature. Que ne ferait-elle pas au nom de l’amour ! D’où cette attente fiévreuse, ce déploiement à outrance de charme et de senteurs ne visant qu’un seul but : attirer l’autre quel que soit le sacrifice exigé. Parce que refuser l’autre signifie simplement s’éteindre.

Comment la vigne peut-elle rester insensible face à tant de sollicitations galantes ? Nos ancêtres n’avaient certes pas
attendu l’ère de la génétique pour savoir profiter du tempérament volage de la vigne.

Ainsi sont-ils parvenus à générer plus de 6,000 variétés de cépages, dont la plupart nous provient d’ailleurs du fervent travail acharné des moines du Moyen Age.

Il est curieux de constater que c’est à partir d’une seule espèce de vigne, le Vitis Vinifera, que dérivent ces milliers de cépages exploités partout dans le monde. Comment expliquer cette incroyable diversité ?

En effet, la vigne, sur le plan génétique, est fortement hétérozygote, dotée de 19 paires de chromosomes. Ses gènes sont issus des parents de souches variées qui ont tous vécu des aventures frivoles plus ou moins extravagantes. Passionnée et généreuse, notre vigne ne demande qu’à être enceinte avec n’importe lequel de ses amants, pourvu qu’il soit viril, rapide et efficace.

Par la grâce à ces métissages sans frontière, le brassage des gènes a fini par forger une grande faculté pour s’organiser en de multiples combinaisons.
Chaque pépin semé peut donc générer un individu différent doté de caractères qui lui sont propres. Nos cépages sont en fait des spécimens sélectionnés à partir des croisements opérés au sein d’une population sauvage.
Puis par bouturage, marcottage, greffage et division clonale, on parvient progressivement à obtenir des plants reproduits à l’identique.

Dès l’Antiquité, les Grecs pratiquaient déjà le bouturage et le marcottage pour fixer telle ou telle variété rentable. Pour identifier un cépage, l’ampélographie moderne recourt à un répertoire de plus de 160 caractères décrivant la feuille, la fleur, la baie, le port de la plante... On analyse ensuite l’échantillon sur le plan moléculaire afin de définir son ADN et ses microsatellites comprenant des fragments de gènes et de pseudogènes modelés par l’environnement ainsi que par les techniques culturales.

Certains de ces cultivars connaissent une gloire universelle. C’est bien le cas du pinot noir, du chardonnay et du pinot meunier, les trois artistes prestigieux qui composent la symphonie du champagne. Tous exigent de leur maître des soins constants et méticuleux, un dévouement sans faille que le cep saura récompenser par le sang de ses baies.

Ecoutons un instant ces murmures des pampres dansant là-haut sur le coteau, berçant ces vers emportés par le vent :

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant. »
……………..
En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare Fleur !
Baudelaire, in « Les Fleurs du Mal »

L’erreur serait de croire que les vignobles champenois n’habitent que ses trois cépages de classe. Par-ci par-là, on est surpris de découvrir encore quelques plants isolés de meslier, arbane, bachet, beaunoir, chasselas doré, sauvignon…, et même parfois un gamay timide, oublié dans petit coin du vignoble. Tous sont soigneusement préservés au pied de certains coteaux ; souvenir sentimental ou histoire d’assortir le décor avec quelques précieux héritages des anciens ?

Rappelons-nous que le patrimoine viticole de cette belle province exploitait jadis plus d’une trentaine de souches de vignes différentes.

En Champagne, le pinot noir, le chardonnay, le pinot meunier, ces cépages de race, y ont depuis longtemps dessiné un subtil paysage sensoriel, un jardin d’effluves indicibles à savourer les yeux fermés, à se laisser bercer par la lumière et la mélodie de ses notes florales.
Encore faut-il que la maturation des grappes ne soit ni interrompue ni trop brutale. Car elle aurait tendance à « brûler » les parfums du pinot.

Les gens du pays nous enseignent que, dans un climat trop chaud, « la vigne prend trop du soleil et pas assez du sol… »
Quant au chardonnay, on découvre son terroir sur l’illustre Côte des Blancs grâce à ses nuances de cerise ou de cassis qui diffère du tout au tout du soupçon de pétales d’églantine caché dans un cru de la Montagne de Reims. Une façon de rendre à Epernay ce qui appartient au Chardonnay.