UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Chocolat, Champagne, la Volupté de Dr Tran Ky

Un diamant noir nomme pinot

Sur les quelques 200 cépages français, le pinot noir se distingue particulièrement par ses caprices et par sa personnalité indépendante, voire intraitable.

Cette vigne se comporte comme une véritable diva, à la fois séductrice et cruelle. Elle adore éprouver ses admirateurs, jusqu’à les faire souffrir, surtout s’ils se montrent incompétents, impatients. Elle déteste les courtisans qui manquent de persévérance.

En revanche, elle ne manque pas de récompenser ses fidèles serviteurs qui se dévouent entièrement à sa cause. Rien d’étonnant donc d’entendre le vieux vigneron vous affirmer que le pinot noir reconnaît toujours son maître.

Ce cépage ne règne pas uniquement sur la Montagne de Reims, sa dynastie s’étend jusqu’à l’Aube et bien au-delà. Evidemment on ne jure que par lui en Bourgogne, son pays natal. Il y bien longtemps que ce joyau de la Côte d’Or est devenu l’enfant chéri des Champenois.

Et pourtant, le pinot noir de Champagne ne ressemble guère à son frère bourguignon. On dirait qu’il avait l’air réservé, sinon contrarié. Souvent, devant le premier venu, il hésite à révéler sa vraie nature, et cela malgré les soins méticuleux que lui apportent les vignerons de son pays d’adoption. En fait, ce cépage ne se confie qu’à ses intimes.

Son blason de noblesse mérite d’être rappelé. Depuis plus de huit siècles en effet, son titre de « Pinot vermeil » que chantèrent les troubadours ne s’est jamais terni. Au cours des générations, l’orthographe du mot « pinot » varie de « pineau » à « pignol », on l’appelle parfois « noirien », « morillon », « auvernat ». Le dernier trahit plutôt son origine, lui rappelle qu’il n’est nullement un enfant du pays, mais un immigrant que la Champagne vénère comme un seigneur.

Ce cépage voyage beaucoup, bien qu’il souffre d’une grande nostalgie de sa Bourgogne natale, un royaume qui colle à sa peau comme une âme. Pour cette raison, il porte des noms différents selon les pays qui l’adoptent : on l’appelle « Burgunda » au Chili, « Burgundy » en Californie, « Burgundac » en Afrique du Sud…

Partout dans le monde, le fait de l’évoquer sur une carte de vins inspire le respect, fait retenir le souffle. Sans la résonance de ses arômes, le champagne n’aura ni corps, ni rondeur et il rendra l’âme.

Tout champagne millésimé exige sa participation à environ 2/3, composés à partir des baies inspirées de 25 crus, et ce pour en faire une véritable symphonie des sens.

La marque d’un célèbre champagne qui a l’extrême honneur de porter le nom de l’illustre moine bénédictin Dom Pérignon contient au moins 50% de pinot noir. La mélodie des senteurs de ce cépage est composée au cœur même de son patrimoine génétique dans la potentialité et la magie font tourner la tête à plus d’un œnologue. Inutile de dire que tous les ampélographes du monde entier aient toujours rêvé d’acclimater chez eux cette vigne incomparable.

Le botaniste anglais Anthony Hanson estime qu’il existe actuellement plus de mille variétés de pinot noir dont quelques descendants égarés vivent encore sous la protection de Sa très gracieuse Majesté la Reine. La plupart de ces mutants hybrides, bâtards et consorts sont souvent méconnaissables. Ils présentent à peine quelques unes des qualités requises de leur grand ancêtre dont ils prétendent tous être ses héritiers directs.

Certes, la transplantation de cette vigne plus au nord devrait exiger une somme de travail colossale. Il lui a fallu une très longue période d’acclimatation nécessitant de la part des Champenois une admirable patience qui décourage bien des amateurs.

Car ces vignobles calcaires, les plus septentrionaux de France, ne pardonnent pas les moindres faux pas. Trait de sa délicatesse, le débourrement de cette vigne se montre précoce. Ce qui la rend particulièrement sensible aux gelées printanières d’où la nécessité de localise sa culture aux coteaux bien exposés dans les vignobles de Champagne.

Le pinot noir donne par contre des vins assez peu colorés, mais de longue garde et d’une remarquable finesse au bout de quelques années. Ce cépage se prête à être vinifié en blanc, mais impose des conditions culturales à respecter scrupuleusement.

Une taille avare, des rangées trop serrées, un palissage insuffisamment élevé, un sol dur, non gréseux, peu profond, mal travaillé, mal drainé, maigrement ensoleillé ou riche en limon, des porte-greffes inappropriés, une pluviosité exagérée… feront de cette noble vigne la proie désignée du mildiou, de l’oïdium, du rot de la grappe, des virus, des parasites…. Même le botrytis manquera au rendez-vous, il pourrait dans ce cas faire volte-face, provoquant la pourriture grise qui rend le vin amer.

Rien ne doit donc laisser au hasard quand on se lance dans l’élevage d’une vigne de race princière. On la martyrise même afin qu’elle porte peu de baies, tout au plus pour une trentaine d’hectolitre à l’hectare.

Cet enfant prodige a une vie relativement courte, 25 ans en moyenne contre une quarantaine pour les autres cépages.

L’été du climat continental de Champagne fait épaissir la pellicule des raisins. Alors les baies se gorgent de substances tanniques, de flavones, de catéchines… Ces molécules sont les grands artisans du bouquet, tout en protégeant les grappes des prédateurs.

En général, ce cépage préfère un temps frais et sec. Plus la vendange est tardive, plus riche sera son jus et plus complexe sa maturation. Une saison anormalement pluvieuse oblige parfois à vendanger plus tôt par crainte des moisissures.

L’alchimie de la palette des senteurs du pinot noir est tout ce qu’il y a de plus ensorcelante. Tantôt, le jeune cru, d’une caressante douceur, exhale un parfum de framboise, tantôt il joue au cache-cache, demeure muet pour désespérer son maître qui lui a consacré tant d’efforts.

Patience, le vigneron averti sait attendre. Après le vieillissement, tout va soudain éclore sous la baguette magique des levures. Un bouquet de parfums, discrètement, s’épanouit, conjuguant la violette aux fleurs de coing.

Tous les pinots noirs ne composent pas la même symphonie des senteurs. Une gamme de champagnes variés, plus délicieux les uns que les autres, illustre justement cette incroyable diversité que nous offre le talent de chaque vigneron.
L’évolution œnologique a accompli un parcours prodigieux depuis un siècle. Jamais on n’a atteint un tel degré de finesse et de sélection.

Certaines « maisons » de marque, tels Bollinger et bien d’autres seigneurs de terroirs champenois, nous apprennent que leur pinot provient des vieilles souches vierges, non greffées, ayant jadis miraculeusement survécu au phylloxéra ! Vrai ou faux ? Peu importe, l’essentiel est que la palette soit délicate, lumineuse dans son style harmonique.

Paradoxalement, tout l’art consiste ici à élaborer un vin blanc avec le jus rouge du pinot noir ! Et c’est justement une telle prouesse qui procure à la cuvée son originalité et sa féérie.

On conçoit pourquoi chaque vigneron détient en la matière son secret élevé au rang de l’art, une création quasi magique, transmise au cours des générations, jalousement gardée au sein de chaque cellier du terroir, profondément ancrée dans le cœur de ces gardiens de la tradition qui savent si bien courtiser la vigne.