UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Avenue de Champagne - Epernay

Patrimoine artictectural

Négoce-Négociants

C’est au XVIIIe siècle que furent créées, principalement à Reims et à Epernay, les premières « maisons de Champagne », tenues par des négociants dont l’activité ne se limitait plus, contrairement aux marchands, dans l’achat et la vente du vin de Champagne.

Après l’installation des maisons Moët & Chandon et Perrier-Jouet, l’arrivée de nouveaux négociants contribua à l’essor du commerce du vin de Champagne tout au long du XIXe siècle.

Lorsque Raphaël Bonnedame dépeint, en 1900, l’avenue de Champagne, alors appelée rue du Commerce, il ne manque pas de faire référence à ces deux établissements : ... c’est là que les plus anciennes maisons de commerce des vins de Champagne se sont installées, la maison Moët & Chandon qui date de plus d’un siècle et la maison Perrier-Jouët qui a plus de 80 ans d’existence.... Il signale également, sans toutefois les énumérer, la présence ... d’autres maisons qui suivirent cet exemple...

Parmi ces maisons, dont la longévité et la notoriété seront plus ou moins importantes, on peut citer grâce à de nombreux recoupements effectués à partir de plans de la rue du Commerce, de listes de négociants contenues dans « l’annuaire de la Marne » ou encore d’actes notariés : Abelé de Müller, Bumiller, Chanoine Frères, Chausson Frères, Deullin, de Venoge, François-Wachter, Godart-Roger, Jolly, Mercier, Papelard, Piper, Plomb-Cornet, Pougnier, Roussillon, Salmon, Thiercelin, Thomas-Wachter. Les seules traces qui restent aujourd’hui de la quasi totalité de ces sociétés, qui ont occupé parfois le même lieu en raison de reprises successives ou d’alliances entre les familles, sont les bâtiments, regroupés au sein de maisons anciennes qui se sont développées, ou occupés par de nouvelles marques ainsi que des particuliers, et le nom que les propriétaires ont conservé afin d’identifier les caves.

Les appellations données aux maisons de Champagne correspondent en général au nom de famille de leur fondateur, lorsque ces noms sont composés ; ils comprennent le nom de l’époux situé en première position et le nom de jeune fille de sa femme. On peut citer également le cas de la maison Pol-Roger ; Charles-Maurice Roger et son frère, Jules Georges, obtinrent le droit en 1901, par décret du Président de la République, de s’appeler Pol-Roger, nom formé par le prénom et le nom de famille de leur père, fondateur de la maison.

Organisation socio-professionnelle et socio-économique

Dans l’annuaire de la Marne de 1864, quelques négociants implantés rue du Commerce, tels que Chausson, Godart, Moët & Chandon, Papelard, Plomb, Pougniet ainsi que Salmon étaient regroupés sous la dénomination « propriétaires-spéculateurs ». Ces négociants, tout comme Eugène Mercier qui n’était pas encore installé dans cette partie de la ville, avaient une activité commerciale supplémentaire qui consistait en la constitution de stocks de vin de qualité qu’ils revendaient aux négociants les plus offrants pour leur complément de stock. Le terme « vin en gros » était utilisé pour désigner les autres négociants ; ils furent ensuite tous réunis sous le vocable négociants en vins de Champagne dans l’annuaire de 1875. Parmi les Maisons qui composaient à la fin du XIXe siècle, le « Syndicat du Commerce des Vins de Champagne », on peut citer pour l’avenue de Champagne, Albert Chausson, Moët & Chandon, Perrier-Jouët, Pol-Roger et Cie ainsi que Wachter et Cie.

En 1898, les principales maisons de Champagne créèrent également, suite au fléau du phylloxéra qui détruisit les vignes, l’A.V.C., « l’Association Viticole Champenoise », destinée à reconstituer le vignoble et à lutter contre les ennemis de la vigne. Et c’est en 1941 que les négociants et les vignerons se regroupèrent au sein du C.I.V.C., le « Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne », organisme dont le siège fut installé au début de sa création, à Epernay, au n° 41 avenue de Champagne. Peu à peu, le schéma groupant d’un côté les vignerons fournisseurs de raisin et d’un autre côté les négociants qui sélectionnent, achètent les différents crus et effectuent les assemblages, disparut avec la multiplication des récoltants-manipulants et le développement du mouvement coopératif.

Avenue de Champagne, Madame Elizabeth Vollereaux, qui réside depuis 1987 au n° 37, fait partie de ces récoltants-manipulants, c’est-à dire des vignerons qui élaborent et commercialisent eux-mêmes le produit de leurs vignes. Elle appartient à la quatrième génération d’une famille de vignerons et exploite un vignoble de 6 hectares situé à Pierry.

Au n° 25, sont accueillis les visiteurs du Champagne Esterlin, mais les caves de cette coopérative viticole, qui existent depuis 1948, sont à Mancy. Le fait d’être regroupés en coopérative permet aux viticulteurs d’obtenir des moyens financiers, des moyens techniques et des installations satisfaisantes pour la conservation et l’élevage de leurs vins.

A l’occasion d’un congrès de la C.N.V.S., « Confédération Nationale des Vins et Spiritueux », Alexandre Mérand, PDG du Champagne de Castellane, fit un exposé en 1954 sur les « négociants-éleveurs » dont le rôle ne se limite pas à de simples opérations d’achat et de revente et parmi lesquels, les uns achètent non le vin mais le raisin dès sa cueillette et effectuent eux-mêmes la vinification, les autres possèdent des vignobles.

De fait, certaines maisons achètent en totalité le raisin ; c’est le cas de Besserat de Bellefon, Boizel ou de Castellane, alors que d’autres complètent l’achat de raisin avec le produit de leur propre vignoble, 20 hectares pour de Venoge, 218 hectares pour Mercier, 553 hectares pour Moët & Chandon, 108 hectares pour Perrier-Jouet ou encore 85 hectares pour Pol-Roger.

Au XIXe siècle, les maisons occupaient un nombre important d’ouvriers et d’employés : 300 en 1889 pour la maison Mercier, 1150 pour la maison Moët & Chandon, en 1880, répartis de la manière suivante : 12 personnes au service comptabilité, 218 hommes et femmes au service des caves, 46 personnes au service de l’emballage, 74 personnes au service du matériel, et 800 personnes au service des vignes. A ces chiffres, s’ajoutait le personnel supplémentaire recruté au moment de la mise en bouteilles.

A partir de 1960, les salariés ont diminué en nombre en raison des progrès techniques constants qui ont conduits à l’automatisation d’un certain nombre de tâches, pressoirs hydrauliques, remuage automatique par "gyros" (automates de gyrotechnique réalisant le remuage des bouteilles par caisse entière avant leur dégorgement), chaînes de dégorgement...

La maison Pol-Roger, qui employait jusqu’à 150 personnes, a ainsi réduit son effectif de plus de la moitié.

Dès le dernier quart du XIXe siècle, ces ouvriers et employés bénéficièrent d’un certain nombre d’avancées sociales. On peut citer par exemple, l’intérêt annuel sur les salaires versé par la maison Kunkelmann, intérêt calculé ainsi qu’il suit : ... la 1ere année, 5 % : cet intérêt subit une augmentation de 1 % par an jusqu’à 10 ans de présence, de 10 à 20 ans, cette augmentation est de 2% par an. A partir de 20 ans jusqu’à 30 ans, où s’arrête l’augmentation, l’intérêt est de 3 % par an...

De même, en vue de l’obtention du grade de chevalier de la légion d’honneur pour Gaston Chandon, associé gérant de la maison Moët & Chandon, à partir de 1882, les institutions, créées en faveur du personnel, furent mises en valeur dans un courrier en date du 16 octobre 1912 : caisse de retraite sans versement des employés, prêts d’argent pour la construction de maisons ou l’achat de jardins ouvriers, service médical gratuit. De nombreux négociants se consacrèrent non seulement à leurs affaires industrielles mais aussi aux affaires publiques en occupant, notamment, des fonctions d’élus comme Charles Perrier, maire d’Epernay et député, Eugène Mercier, membre du Conseil Municipal de même que Maurice Pol-Roger, maire de 1912 à 1918. Pour la maison Moët & Chandon, Jean Remy et son fils Victor Moët de Romont furent tous les deux maire, et les fils de Paul Chandon : Gaston, conseiller général de la Marne ; Raoul, conseiller municipal ; Jean Remy Chandon-Moët, maire et juge au tribunal de commerce.

Châteaux/hôtels particuliers

Le vignoble de Champagne n’est pas un vignoble de châteaux, comme c’est le cas des régions de Bordeaux ou de Béziers. On trouve quelques châteaux dans la région d’Epernay, celui de Boursault, dont les propriétaires produisent le seul Champagne à appellation de château, le château de Saran, qui appartient à la maison de Champagne Moët & Chandon et la Marquetterie à Pierry, qui appartient à la maison Taittinger. Ces deux derniers servent à recevoir les invités de marque des firmes.

Les châteaux bordelais se situent près des vignobles et abritent les chais et les caves servant à la fabrication du vin de Bordeaux. Les locaux industriels et les résidences sont liées, même si bien souvent les propriétaires possèdent également des résidences en ville, à Bordeaux, ou même à Paris. A Bordeaux, de nombreux négociants ont fait construire leurs hôtels particuliers sur le Pavé des Chartrons, à quelques rues du quai des Chartrons où se trouvent les entrepôts et les quais d’expédition du vin. Les châteaux sur les vignobles doivent témoigner de la prospérité des propriétaires. Le château, comme la villa, "est le miroir non pas de (la) personnalité profonde, mais de (l’)être social (du propriétaire)". Ils sont la résurgence d’un passé féodal et la marque d’une puissance sur les terres et les gens.

La fabrication du Champagne ne se fait pas sur les lieux de la récolte. Les négociants ne sont d’ailleurs pas toujours propriétaires de vignobles et achètent leurs raisins à des récoltants. Ils amènent le raisin et le jus pressé dans leurs établissements, en ville, afin de le travailler et d’en faire le Champagne. La partie noble de la fabrication du Champagne, celle qui fait sa différence par rapport aux autres vins, ne se fait pas près des vignobles, elle est faite par les négociants. Le fait que le Champagne soit un assemblage de plusieurs crus et plusieurs cépages, et non le produit d’un seul terroir, en rend difficile la production sur le lieu de la récolte, et entraîne la centralisation urbaine de cette production.

A Epernay, les maisons de Champagne ont peu à peu, au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, installé leurs bâtiments d’exploitation sur cette avenue, pour différentes raisons pratiques : possibilité de creuser de grandes surfaces de caves, sur plusieurs niveaux, du fait de la déclivité du terrain ; accès et expéditions facilités par le passage de la route de Paris à Strasbourg tout d’abord, puis par le passage de la voie ferrée à quelques pas de l’avenue ; faible urbanisation au moment où les premiers négociants s’installent, leur permettant, non seulement de s’étendre sous terre, mais aussi d’étendre leurs bâtiments d’exploitation.

Les négociants des XVIIIe et XIXe siècles font construire leurs résidences près de leurs maisons de négoce. Ce sont donc des résidences urbaines, qui n’ont plus la même symbolique que les châteaux. L’hôtel particulier a une fonction résidentielle en priorité. Il peut également avoir une fonction de symbole de prospérité de son propriétaire. Mais il n’a, en général, pas de décor ostentatoire, il est préférable d’avoir des façades simples. A partir du 19ème siècle, afficher sa richesse serait plutôt une faute de goût. Le luxe et le foisonnement du décor est réservé à l’aménagement intérieur. C’est là que se manifeste la prospérité des propriétaires, par le nombre de pièces, la richesse des matériaux de décor, les surfaces des pièces, en particulier des pièces de réception. La volonté de paraître se retrouve dans les escaliers monumentaux, les halls et les grandes pièces de réception, décorés de marbre, de boiseries, de tissus soyeux, de meubles de prix.

Deux résidences de l’avenue de Champagne ont, malgré cela, gardé l’appellation de château, le château Perrier et le château de Pékin. Le château de Pékin, propriété de la maison Mercier, est au bout de l’avenue de Champagne et bénéficie d’une implantation assez proche du château : sur un terrain étendu, en dehors de la ville. Cependant, ses dimensions le rattachent plutôt à la villa qu’au château et les matériaux utilisés pour sa construction ne sont pas réellement des matériaux nobles (craie et carreau de terre, sorte de brique crue).

Le château Perrier a sans doute reçu cette appellation à cause de sa taille et du caractère ostentatoire de son décor extérieur. Mais sa position ne justifie pas cette appellation. Même si le terrain était plus étendu à l’époque de sa construction que maintenant, il n’est pas très vaste et se trouve entièrement en zone urbaine, entre deux résidences particulières, ce qui correspond plus à une typologie d’hôtel particulier. L’appellation est en rapport avec les façades et leur côté présomptueux.

La particularité la plus importante de l’avenue de Champagne est cette concentration des maisons de Champagne, mais aussi la juxtaposition des bâtiments commerciaux et des résidences des négociants. Cependant rien ne nécessitait la résidence des négociants à cet endroit. Or, tous les négociants installés au cours du XIXe siècle et avant se sont fait construire une résidence sur cette même avenue, à quelques pas de leur négoce. S’il est normal qu’ils aient eu une résidence dans la même ville que leur commerce, le fait qu’elle ait été sur cette même avenue est un cas particulier. On retrouve en partie ce phénomène à Bordeaux. Si l’on a vu que la région bordelaise est une région de châteaux et est, en cela, très différente de la région d’Epernay, il faut noter la concentration des entrepôts de stockage et d’expédition des vins sur le quai des Chartrons au XVIIIe siècle, qui transitaient par bateau jusqu’au Royaume-Uni, principal client à l’export des vins de Bordeaux. Et à Bordeaux, comme à Epernay, les négociants ont fait construire leurs résidences à proximité de ces quais, à proximité de leurs activités. Une sorte de quartier du vin à l’intérieur de la ville. Les Chartrons sont conçus comme une sorte de ville à côté de la ville qui (sur une soixantaine d’hectares) regroupe, en un grand quartier polyvalent et très dense, ses activités économiques vinicoles (disposées très logiquement le long des quais d’embarquement fluvial) mais aussi les résidences des négociants, l’habitat d’une importante population (12 000 habitants vers 1900) impliquée dans les activités vinicoles et tous les bâtiments publics de cette communauté".

A Epernay, le principe est similaire dans une moindre mesure. Les activités économiques sont concentrées sur la partie sud de l’avenue jusqu’à la rue Croix de Bussy, en raison d’une possibilité d’extension et d’une profondeur de caves plus importantes. Après cette rue, les maisons de Champagne moins anciennes se sont implantées au nord, pour bénéficier des facilités du chemin de fer. Les résidences sont par contre relativement disséminées. La partie nord de l’avenue était, au XIXe siècle, uniquement composée de résidences. Sur le côté sud, des résidences s’intercalent entre des bâtiments industriels et commerciaux (hôtels Moët, Papelard et diverses maisons appartenant à Pol-Roger).

En se référant au château Perrier, construit en 1854, et aux gravures qui le montrent tel qu’il était alors, on remarque que le grand parc du château descendait jusqu’à la voie ferrée. On peut imaginer qu’il en était ainsi pour toutes les maisons de ce côté. Les jardins de l’hôtel Gallice, encore visibles de nos jours, descendant jusqu’à la rue de Verdun, ancienne rue du Port, en sont un bon exemple.

Ce propos est conforté par les rares indications que nous ayons sur les hôtels des frères de Maigret - actuel emplacement de la résidence « avenue de Champagne » -détruits lors de la première guerre et dont les parcs, ainsi que celui dit « de Maigret » donné à la Ville d’Epernay, avaient été conçus par l’architecte-paysagiste rémois Edouard Redont.

Hormis le château Perrier, les résidences visibles de la voie ferrée sont cependant singulièrement sobres. Ces différents hôtels sont construits au XIXe siècle, souvent dans la seconde partie du siècle. Ce siècle est marqué par l’essor de la bourgeoisie et, en architecture, par la naissance de la notion de confort, parallèlement à un mouvement hygiéniste. L’aménagement intérieur devient la priorité pour les propriétaires et les architectes. Les façades ont un côté modeste.

Mais si l’on est amené à pénétrer dans la demeure, la prospérité est flagrante. Tout doit participer à l’agrément de l’occupant et de ses visiteurs, qui doivent se considérer privilégiés de se trouver dans un tel écrin. L’implantation au bord de l’avenue de Champagne participe au plaisir du propriétaire, non seulement parce qu’elle lui apporte un certain prestige, dès le XIX" siècle, mais parce que les maisons implantées du côté nord bénéficient d’un panorama exceptionnel sur la vallée de la Marne et sur la montagne de Reims.

Ce panorama est ensuite amélioré par la création d’un jardin qui fait ainsi un cheminement pour l’oeil, du jardin à la Marne, sans coupure à l’époque de leurs créations. Les propriétaires de ce côté de l’avenue ont voulu bénéficier de ce panorama. Les pièces dites nobles sont la plupart du temps du côté nord : salon, salle à manger, chambres de maître. Au château de Pékin, par exemple, les tourelles se trouvant sur rue n’abritent pas les pièces principales, mais la cuisine et l’office. Les salons se trouvent dans l’aile nord du bâtiment et la salle à manger et sa terrasse se trouvent sur le côté ouest, en raison de la position excentrée de la propriété qui lui permet de bénéficier d’une vue intéressante sur la vallée de ce côté aussi. L’hôtel Gallice, en raison de sa position entre deux propriétés et de sa faible largeur n’a réellement que deux façades ouvertes. Les pièces nobles de la maison se trouvent toutes sur la façade nord : au rez-de-chaussée, les petits et grands salons et la salle à manger ; au 1er étage, les chambres de Monsieur, de Madame et des enfants, ainsi que leur salle de jeux ; au 2e étage, les chambres d’amis, mansardées. La vue a été privilégiée par rapport à l’ensoleillement pour toutes les pièces principales, mais pour compenser, les surfaces vitrées sont importantes (grandes fenêtres et portes-fenêtres, avant-corps sur la façade arrière).

Au château Perrier, les pièces nobles se trouvaient aussi sur la façade nord.

Par contre, l’hôtel Auban-Moët, situé lui aussi sur le côté nord de l’avenue, a ses pièces de réception regardant au sud, c’est à dire sur l’avenue. Il semble que ce soit le seul bâtiment dans ce cas. Il est implanté à l’envers par rapport aux autres édifices de l’avenue : son entrée ne se trouve pas sur l’avenue mais sur le jardin, qui possède une entrée rue Jean Moët. Les pièces de réception se trouvent, comme pour les autres, sur le côté opposé à l’entrée. On peut se demander pourquoi cette implantation. Il est à noter que la résidence, située en bas de l’avenue de Champagne, ne bénéficie pas de la même vue que celles situées plus haut. Elle a une vue très limitée sur la montagne de Reims, mais pas sur la vallée de la Marne, en raison également de bâtiments construits rue du Pont. Dans l’article de L’Encyclopédie d’Architecture consacré, en 1885, à la construction des dépendances par Alphonse Gosset en 1872, celui-ci explique qu’il avait pour mission de construire des bâtiments qui soient suffisamment hauts pour cacher les édifices de l’autre côté de la rue mais pas assez pour cacher la montagne. L’absence de vue peut être une raison du retournement de l’édifice par rapport à l’avenue. Il est cependant curieux que le jardin soit resté au nord de la propriété, ne permettant pas d’y accéder directement du salon par la terrasse.

L’essor de la rue du Commerce tint à la construction de nouveaux bâtiments au delà du croisement avec la rue Croix de Bussy, dans cette zone jardinière. Deux hommes y fondèrent les points d’ancrage, la pierre angulaire. Eugène Mercier qui, dès 1872, à la fin de l’occupation prussienne, commence à développer son empire souterrain, en étendant les caves d’Abelé de Müller et en en creusant de nouvelles. Un témoin oculaire, Louis-Modeste Petit, ancien secrétaire de la sous-préfecture, écrit dans son ouvrage sur l’histoire d’Epernay, à ce propos : A cette même époque (1872), M. Mercier, négociant en vins de Champagne, construisait ses immenses caves à l’Est de la ville et élevait les grands magasins, celliers, hall, etc... longeant le chemin de fer. Il demanda et obtint l’autorisation de prolonger vers l’Est, la rue du Port, qui n’était ouverte que sur une petite longueur, à partir du pont du chemin de fer. On l’autorisa également à ouvrir deux rues perpendiculaires allant de la rue prolongée à la route nationale. Il n’en ouvrit qu’une qui monte à l’Est de la brasserie Mosser. Alexandre Mosser, brasseur alsacien (né en 1840) installé à Epernay, en 1872, avec son frère Georges (né en 1842) au lieudit le Baignage -précisément là où François Abelé de Müller fonda une distillerie qui utilisait le procédé dit « du vide » ouvrit - en haut de la rue du Commerce, proche du château de Pékin une brasserie au lieudit « le pas du Roy », près de la route nationale, à droite, en allant vers Chouilly... Isolée à l’est de la ville, on a bientôt construit de belles maisons s’en rapprochant et formant le prolongement de la rue du Commerce.

Alexandre Mosser est mort le 30 juillet 1883 à l’âge de 41 ans en son domicile rue du Commerce prolongé ou Pékin. C’est sa veuve qui reprendra l’affaire, son frère étant décédé en 1877, âgé de 36 ans. Il semble que ce soit cette brasserie que reprendra et développera un autre brasseur alsacien, Victor Schiff, à la fin du siècle, sous la raison commerciale « La Champagne » , brasserie et malterie.

Louis-Modeste Petit nous apporte encore quelques indications intéressantes à l’occasion de la visite à Epernay du Président de la République, Sadi Carnot, le 19 septembre 1891. Hormis les arcs de triomphe élevés un peu partout dès l’entrée de la rue du Commerce, on note que Paul Chandon accompagne le Président dans sa visite du grandiose établissement : salle d’emballage, caves de dix-huit kilomètres de longueur avec dix millions de bouteilles de Champagne qui scintillent à la lumière électrique », établissement situé un peu plus haut que l’entrée de la rue. « ... Alors les voitures se mettent au trot dans cette belle rue du Commerce et arrivent aux caves Mercier ...M. Carnot admire de là (à l’entrée de l’établissement) les magnifiques coteaux champenois. Les immenses caves sont aussitôt visitées.... Et Sadi Carnot signe le premier livre d’or des visiteurs des caves d’Eugène Mercier. Le 8 avril 1898, ce sera au tour d’un autre Président, Casimir Périer.

Le XIXe siècle, surtout dans sa deuxième moitié, est le "siècle de l’éclectisme", selon le titre d’un ouvrage de l’historien d’architecture, François Loyer. Le début du siècle voit cohabiter le style néo-classique, dont les hôtels Moët, Trianon et Chandon (qui a été entièrement rasé et refait en béton,sur le même modèle dans les années 1980) sont des exemples, et le style néo-gothique, utilisé principalement, mais pas uniquement, pour les églises et les châteaux.

La seconde partie du siècle voit les sources d’inspiration se multiplier, aussi bien dans le temps (époques romaine, gothique, renaissance), que dans l’espace (architecture extrême-orientale, maure). L’éclectisme, appelé aussi historicisme, est favorisé par une meilleure connaissance des styles anciens, grâce à l’essor de l’archéologie. Les architectes les plus talentueux ne se contentent pas de copier un style, mais multiplient et combinent les diverses sources d’inspiration. Mais, en général, l’éclectisme est caractérisé par son manque d’innovation et les architectes se contentent de reprendre des formes anciennes, sans s’inquiéter d’une quelconque cohérence avec le lieu et la fonction.

Le château Perrier en est un exemple typique. En brique et en pierre, il reprend les éléments principaux du style Louis XIII, reconnaissable par l’association de murs de brique et d’encadrements de pierre de taille, mais il y associe des éléments sans lien avec ce style, comme les rambardes sculptées au niveau de la toiture, que l’on retrouve, à l’intérieur, dans le grand escalier d’honneur. Une halle à marchandise, d’aspect très simple, fut également réalisée pour la maison de Champagne Perrier-Jouet. Les architectes de cette époque étaient capables de construire un édifice néo-gothique, puis un édifice néo-baroque ou néo-classique et de revenir à du néogothique. Ils montraient cependant une certaine méfiance vis-à-vis des nouveaux matériaux. Ainsi, la charpente de cette halle, datant de 1877, est en sapin, alors qu’à l’époque, on commençait à utiliser très souvent la fonte ou le fer pour construire des halles, nécessitant des espaces internes vastes, comme, par exemple, pour les Halles de Paris, dessinées par l’architecte Victor Baltard.

L’ensemble architectural que forme une maison de Champagne est composé de bâtiments dont l’organisation et les caractéristiques sont conçues de manière à remplir les diverses fonctions inhérentes à ce type d’établissement, à savoir, une fonction résidentielle, commerciale et industrielle.

Le plan général des bâtiments de la maison Perrier-Jouet, contenu dans un état des lieux établi en 1879, donne une représentation de la distribution des locaux d’une maison de Champagne au XIXe siècle, place du corps de logis dans la parcelle, place des bureaux et des locaux industriels.

Aujourd’hui, on assiste à un changement de destination de certains bâtiments. C’est ainsi que la fonction résidentielle est devenue quasi inexistante alors qu’un nouveau secteur, lié à l’accueil des touristes, s’est considérablement développé.

Fonction résidentielle

Jean Remy Moët fut probablement un des premiers négociants qui choisit de résider faubourg de la Folie, l’actuelle avenue de Champagne, en faisant construire l’Hôtel Moët à la fin du XVIIIe siècle près des locaux de l’activité de négoce fondée par son grand-père.

A partir de 1850, les négociants les plus aisés se firent établir de luxueux hôtels particuliers à proximité du lieu de leur activité professionnelle, mais la fonction résidentielle reste inscrite dans le schéma de construction des maisons de Champagne plus modestes : maison de maître avec cour devant, fermée par une grille, communs et dépendances placés dans des bâtiments distincts et jardin se trouvant derrière l’habitation.

Un plan de la maison François-Wachter, datant de 1909, montre qu’un logement pouvait être attribué au chef de cave ; pour cet exemple précis, une aile des bâtiments donnant sur l’avenue de Champagne était réservée pour son bureau et son habitation ; au début du siècle, le chef de cave de la maison Moët, Monsieur Goubault, bénéficia quant à lui d’une vaste demeure, actuel siège de la Sécurité Sociale, située près des locaux industriels, rue de Bernon. Quelques maisons de Champagne abritaient également des employés, chefs de service et personnel de maîtrise, à 1’exemple de la maison de Castellane où une dizaine de logements construits en enfilade près du pavillon d’entrée des bureaux font partie intégrante des locaux de la société.

Seul l’habitat ouvrier est absent de ces structures, même si l’on note la présence d’une « chambre des ouvriers » dans le bâtiment d’habitation B de la maison Perrier-Jouët. Lorsque des maisons de Champagne telle que la maison Moët & Chandon possédaient des cités ouvrières, celles-ci se trouvaient, de même que les bâtiments à usage de dortoirs pour les vendangeurs, dans des localités avoisinantes, Ay, Cumières, Rilly la Montagne, près des vignobles.

Fonction symbolique

Comment d’un mot désignant la campagne a-t-on fait un vocable, qui pétille dans toutes les têtes ? Comment le produit d’un terroir s’est-il substitué au terroir lui-même ? La qualité du travail viticole, le savoir-faire vinicole mis en traités par Dom Pérignon, dit-on, et d’autres magiciens de l’effervescence vineuse, la communication des négociants en vins de Champagne et tout le système de distribution, édifié depuis deux siècles, devaient se traduire, dans les demeures où était élaboré ce vin prestigieux mais aussi dans l’accompagnement d’événements, de manifestations et de cérémonies diverses.

Le fondement du symbolisme du Champagne tient aux bulles de ce produit, et accessoirement à sa mousse, au bruit qui se produit quand on fait sauter les bouchons pour ouvrir les bouteilles. Les bulles de Champagne représentent quelque chose d’aérien, de dynamique, de positif, - montée du bas vers le haut de la coupe-, de léger, de rare aussi.

Bien que sa renommée fût déjà forte au XVIIIe siècle, grâce à l’engouement de la Cour, toujours avide de goûts et de sensations nouveaux - ce qui lui affectait une noble, voire une aristocratique référence - l’image même du Champagne l’associa aux diverses fêtes quotidiennes ou collectives (baptêmes, mariages, anniversaires...) renforcée d’ailleurs par les manifestations régionales du Champagne et/ou des vins. Celles-ci, initiées vers la fin du XIXe siècle, s’épanouirent dans l’entre-deux-guerres, associant les traditions folkloriques et le produit-phare de ce terroir. Des foules immenses, venues de divers horizons géographiques, célébraient avec ferveur, ce rituel bacchique, résurgence de fêtes ancestrales du vin, mais avec a touch of class que lui conférait ce vin étincelant, prestigieux, comme le traduit si bien la désignation anglaise sparkling wine. De tous temps, on a associé la boisson à des rituels, des agapes - songeons au Banquet grec ou encore aux Noces de Cana et à la Cène christique - des victoires, des orgies même, mais le Champagne y apporte un raffinement, une élégance et en même temps la joie, la vie, la fertilité, la créativité, la spiritualité... C’est en pure logique que les vainqueurs reçoivent leur magnum ou que les vaisseaux sont "baptisés" au Champagne : chaque bouteille qui se répand sur un podium ou qui se brise sur la coque neuve d’un navire consacre la réussite, de la même façon que les Anciens recevaient des lauriers ou des trophées.

La plus belle action commerciale pour le Champagne ne fut-elle pas celle d’Eugène Mercier qui popularisa le Champagne et ouvrit ainsi des créneaux multiples à la vente de ce produit singulier ! On peut le comparer à Henri IV "seigneur d’Ay" qui fit de même avec la poule !

Mais, cette effervescence fascinante s’est-elle traduite dans le système de production ? Il suffît de se référer aux ouvrages de François Bonal pour mesurer sa dimension artistique, littéraire ou de rappeler les oeuvres de peintres (tel Mucha), d’affichistes (tel Capiello) ou de photo-graphes pour en avoir l’évidence, pour se rendre compte que pour certains artistes , leur Muse s’appelle Champagne. Le Champagne de Castellane perdure encore cette déclinaison.

L’image du Champagne est le raisin, avec son dérivé agraire, les vendanges, qui sont aussi symboliques (cf. la Bible). De nombreuses églises (comme l’église d’Ay et la cathédrale de Reims avec ses scènes de la vie de Saint-Remy au tympan du portail nord) l’ont illustré sur les chapiteaux, dans les voussures, les porches... De même, pour les vitraux (telles la verrière de Noé (XVIe siècle) offerte par la confrérie des vignerons d’alors et qui se trouve dans l’église Notre-Dame d’Epernay et celle dite "du Champagne" de la cathédrale de Reims). Mais d’autres monuments plus civils, particulièrement le théâtre Gabrielle Dorziat d’Epernay, dans ses peintures (au foyer) et ses sculptures (frontons extérieurs et de la scène) et, bien sûr, le fronton du Centre Interprofessionnel du Vin de Champagne ) manifestent ainsi cette inspiration qui se poursuit de siècle en siècle.

Pourtant, hormis quelques témoignages d’architecture au sein des maisons de Venoge et Perrier-Jouet et la statue de Dom Pérignon, oeuvre du sculpteur rémois Chavailliaud qui orne la cour de Moët & Chandon, on ne voit point de tels éléments signifiants dans les demeures des maisons de Champagne actuelles ou passées, du moins en façade extérieure.
Fonction commerciale

Cette fonction fait, bien entendu, partie intégrante de l’activité de négoce ; la recherche de clientèle et la promotion étant primordiales pour le bon écoulement des produits fabriqués, d’où la présence de nombreux bureaux affectés à ce service.

Quelques maisons de Champagne de l’avenue de Champagne ont une démarche commerciale principalement axée sur l’export telles que Moët & Chandon et Perrier-Jouet dont les ventes à l’étranger représentent environ 80 % de leur marché, contrairement à de Castellane ou Mercier, pour lesquelles ce chiffre correspond aux ventes effectuées sur le territoire français. Pour d’autres, les ventes sont plus équilibrées comme Boizel et de Venoge avec 60 % pour la France et 40 % pour l’étranger ou encore Pol-Roger, qui travaille beaucoup avec l’Angleterre, 40 % pour la France, 60 % pour l’extérieur.

Depuis quelques années, la recherche d’un autre type de clientèle s’est développée avec l’ouverture des sites de production aux touristes, comprenant une visite commentée des caves qui s’achève par une dégustation et la vente éventuelle des champagnes présentés dans une boutique, située le plus souvent au sortir des caves. Les premières caves ouvertes ponctuellement au public furent probablement celles de la maison Moët & Chandon, également visitées par des personnalités telles que Napoléon en 1807, Charles X ou encore Louis-Philippe en 1832, qui ne cessèrent ...de manifester le vif intérêt qu’ils prenaient à une branche d’industrie qui s’exploite dans ces souterrains...

Chez Mercier, du personnel fut affecté dès 1885 aux visites des caves, parcourues par le président Sadi-Carnot en 1891.

La description de certaines maisons, au XIXe siècle, permet de voir que, près des bureaux, une pièce était réservée à la dégustation ; ainsi, chez de Venoge, rue Lochet, un des bâtiments était occupé au rez-de-chaussée par la comptabilité et la correspondance et, au premier étage, par le bureau du chef de la maison et une salle de dégustation.

De même, l’organisation d’une maison, conçue par l’architecte Cordier et ... réservée au commerce si productif des propriétaires d’Epernay... était sensiblement identique : au rez-de-chaussée : bureaux des employés, magasins et entrée des caves ; au premier étage : bureau des chefs et salon de dégustation.

« L’espace Mercier », bâtiment moderne construit en 1987, symbolise parfaitement cette nouvelle politique commerciale tournée vers le tourisme, décoré par le fameux foudre de 23 tonnes qui fut présenté à l’exposition universelle de 1889, par des cadres contenant les multiples médailles obtenues à diverses expositions ou encore le portrait du fondateur de la maison. Il est relié aux caves par deux ascenseurs vitrés qui permettent aux visiteurs d’observer au cours de la descente des animations ayant trait aux travaux effectués dans les vignes et les caves. La maison de Castellane propose, quant à elle, la découverte d’un musée de la tradition champenoise et d’un jardin exotique où évoluent des papillons du monde entier ; des expositions d’oeuvres d’artistes contemporains y sont aussi organisées.

Cette alliance entre tradition et modernité est également mise en exergue chez Moët & Chandon et Mercier par l’évocation de leur participation à des événements tels que des courses automobiles ou des courses en ballon.

Des maisons de Champagne occupent depuis peu des bâtiments situés sur l’avenue de Champagne en raison de leur localisation sur cet axe principal ; pour quelques-unes, comme Besserat de Bellefon qui possède des structures hors d’Epernay, ce ne sont que des vitrines commerciales et touristiques, pour d’autres comme Boizel, ils vont leur permettre de s’ouvrir au public, les locaux et les caves de la rue de Bernon étant trop petits ; les notions de fête et de luxe sont souvent associées au Champagne ; c’est pourquoi des maisons louent leurs caves et celliers pour des réceptions et réservent des bâtiments somptueusement décorés pour l’accueil de leurs hôtes privilégiés comme la « maison Belle Epoque », chez Perrier-Jouet, véritable musée de l’art nouveau.

Fonction industrielle

Elaboration du vin de Champagne
Les principaux procédés mis en oeuvre pour effectuer la transformation du raisin en vin sont le pressurage, la fermentation, l’assemblage, le tirage, le remuage et l’embouteillage.

Ces diverses étapes de la vinification se déroulent sous terre dans des caves qui, à Epernay, ont été spécialement creusées à cet effet, et dans de vastes bâtiments édifiés au-dessus, les celliers. Espaces à destination industrielle qui pourtant portent des noms qui ... comme le nom même de maison de Champagne sont des références directes à l’architecture domestique... Toutefois, afin de les différencier les celliers ont souvent une autre appellation qui correspond à leur fonction propre.

Les Pressoirs
Les raisins de chaque cru sont pressurés séparément immédiatement après leur récolte, afin d’obtenir la matière première de la vinification : le moût, jus de raisin qui n’a pas encore fermenté. Cette opération se déroule aujourd’hui sur le heu même des vendanges, dans des pressoirs ou vendangeoirs. Seule la maison Moët & Chandon continue à recevoir une partie des raisins sur son site d’Epernay, comme le faisaient la plupart des maisons de Champagne , au XIXe siècle notamment.

C’est ainsi que l’établissement du négociant Plomb possédait une « place à pressoir » et que deux celliers de la maison Perrier-Jouet contenaient, en 1879, un pressoir à syste, dit châtillonnais, à pression horizontale, et un pressoir à étiquet, à pression verticale.

De même, il y avait parmi les bâtiments de la maison de Venoge alors située rue Lochet ...un cellier, où se trouvent trois grands pressoirs qui sert au moment des vendanges... et, en 1874, Monsieur Kunkelmann fit édifier pour le maison Piper, au n° 30 de la rue du Commerce ... un immense vendangeoir au lieu et place d’un jardin où se trouvaient des arbres séculaires...

Les cuveries
Une fois clarifiés par l’action du débourbage, les moûts ou « vins de cuvée » sont conduits à l’aide de camions-citernes vers les cuveries où ils vont être soutirés dans des cuves en acier inoxydable qui ont, pour une grande part, remplacé les tonneaux ou « pièces ». C’est dans ces celliers de réserve que vont avoir lieu, à une température de 18 à 20°, une première fermentation alcoolique où les moûts se transforment en vin sous l’action de levures sélectionnées et, simultanément ou non selon les maisons, une fermentation malo-lactique, qui élimine l’acidité naturelle, puisque les vins sont débarrassés de leur lie. Jusque-là, ces opérations sont comparables à celles pratiquées dans toutes les régions viticoles ; viennent ensuite les manipulations propres au vin de Champagne avec, en premier lieu, au printemps, la constitution des assemblages ou cuvées, c’est-à dire le mélange de différents cépages, différents crus et différentes années suivant la décision des chefs de cave et oenologues. La cuverie ou « cercle » est un des services les plus prestigieux d’une maison de Champagne en raison du travail direct du personnel avec le produit vin. Le terme « tonnelerie » qui désignait aussi l’atelier où l’on réparait les tonneaux et les foudres, était parfois utilisé pour nommer ces bâtiments.

Les celliers de tirage
Après collage du mélange obtenu, le vin va être mis en bouteilles dans les celliers du tirage après qu’il ait été additionné d’une liqueur de tirage composée de sucre de canne et de levure. Dans les descriptions anciennes des maisons de Champagne , ces celliers jouxtent d’autres bâtiments appelés « rincerie ».

En 1894, la « rincerie » de la maison Moët & Chandon est décrite comme étant ... un vaste cellier de 90 mètres de long sur 20 mètres de large, où 150 femmes sont occupées à rincer les bouteilles sur des machines spéciales... aussitôt les bouteilles rincées, elles sont conduites dans un cellier contigù appelé « cellier de tirage »... A proximité se trouvaient également des aires de stockage. La nomenclature des bâtiments du n° 38-40 avenue de Champagne contenue dans un acte notarié comprend ... à côté d’une cour couverte à usage de rincerie, un hangar divisé en caves pour le placement des bouteilles et un cellier avec un magasin à bouchons au-dessus...

Les caves
L’abondance de la craise s’est avérée être bénéfique au Champagne. En effet, foisonneuse, elle constitue le sous-sol idéal des vignobles et compacte à quelques mètres du sol, elle permit de creuser les caves, qui jouent un rôle important ...lors de l’élevage du vin en assurant la température et l’humidité constantes nécessaires à la vinification...

A l’inverse des négociants de Reims, qui réaménagèrent d’anciennes crayères datant de l’époque gallo-romaine, ceux d’Epernay durent créer de toutes pièces l’immense réseau souterrain formé par les caves des différentes maisons, situées principalement sous l’avenue de Champagne et quelques rues voisines : rue de Bernon, rue Lochet, rue Croix de Bussy... Ces caves n’ont pas été créées d’un seul tenant. Elles ont été agrandies au fur et à mesure de l’essor des maisons de Champagne, par de nouveaux creusements, mais aussi par le rachat d’établissement concurrents avec, pour conséquence, une situation géographique qui ne correspond pas toujours à l’emplacement de chaque maison en surface. Les premières caves furent faites dès le XVIII’ siècle en plusieurs étages de berceaux se surperposant et reliés par des escaliers comme les "caves anciennes" de chez Moët & Chandon, d’autres, plus récentes, dernier quart du XIXe siècle, furent forées horizontalement au pied des coteaux dans la masse de craie comme les caves Mercier ou de Castellane, accessibles directement des bâtiments. Elles sont toutes constituées de galeries destinées à la circulation et de caveaux, creusés de part et d’autre de ces galeries, utilisés pour le stockage des bouteilles, la durée de stockage en cave étant de 2 à 3 ans pour les cuvées courantes, 4 à 5 ans pour les millésimes et 6 ans et plus pour les cuvées spéciales. Aux caves basses et aux caves hautes s’ajoutent les bas-celliers aménagés sous le sol des celliers et dont la fonction n’est pas clairement définie. A la maison Pol-Roger, on y entrepose par exemple les vins de réserve mais, dans d’autres maisons, ils peuvent aussi servir ...de niveau intermédiaire pour les bouteilles provenant de tirage ou remontant au dégorgement...

Les bouteilles pleines, une fois bouchées, sont descendues en caves, immenses réseaux souterrains taillés dans la craie où elles sont, dans un premier temps, entreposées en tas « sur lattes ». Le vin va subir une seconde fermentation à une température constante de 10 à 11°. Durant cette « prise de mousse », le sucre se transforme en alcool et en gaz carbonique qui va donner naissance aux bulles.

Les bouteilles sont ensuite installées sur des pupitres pour l’opération de remuage, qui a pour but de conduire vers le bouchon le dépôt qui s’est formé, dépôt qui sera expulsé lors de la phase finale du processus de fabrication du Champagne, le dégorgeage ou dégorgement. On observe, dans certaines maisons, une différence de niveaux de caves. A la maison Pol-Roger, la prise de mousse se fait en basses caves, qui sont plus fraîches, d’où une fermentation plus lente qui permet d’obtenir des bulles plus fines. Les caves sont, quant à elles, utilisées pour le remuage et le stockage.

Les celliers d’expédition
Avant de boucher les bouteilles avec un bouchon de liège, surmonté d’une plaque et entouré d’une agrafe en fil de fer (le muselet), on ajoute au vin une liqueur d’expédition faite de sucre et de vins vieux qui, selon le dosage, donnera différents types de Champagne (brut, extra dry, sec, demi-sec, doux). Les bouteilles sont ensuite lavées et confiées à une main-d’oeuvre, le plus souvent féminine, pour recevoir leur habillage.

Ces bâtiments portaient autrefois le nom d’empaillage. La maison Moët & Chandon inaugura le sien vers 1860 : « .. il y a eu 3 ans au mois d’avril qu’on inaugura le cellier monumental appelé empaillage, c’est un immense parallélogramme où viennent se réfugier ces millions de bouteilles enlevées à la cave qui, pendant plusieurs années, a servi de berceau pour venir recevoir leur chaperon doré, leur étiquette splendide, leur enveloppe et la ceinture de paille qui les protège contre tous les chocs. On les couche ensuite dans des caisses de peuplier ou dans des paniers d’osier que le commerce emporte... Aujourd’hui, les bouteilles sont enveloppées dans un papier de mousseline et emballées par 6 ou 12 dans des caisses en carton.

Bien que quelques maisons de Champagne possédaient leur propre atelier de fabrication de muselets, il existait des entreprises spécialisées dans la fabrication d’agrafes, muselets et plaques comme la société Lemaire, installée jusqu’en 1978 au n° 50 avenue de Champagne . L’immeuble qui porte des inscriptions en céramique émaillée fut construit en 1909. Auparavant, l’usine créée par Victor Lemaire, également inventeur de machines à boucher, à agrafer et à museler, et dirigée après sa mort en 1897 par ses fils René et Roger puis son petit-fils Jean Lemaire, se trouvait dans un autre quartier de la ville ; des maisons de Champagne voisines étaient clientes de l’entreprise Lemaire ; ainsi, la maison de Venoge possède dans ses archives divers bons de commande dont un en date du 30 septembre 1930 qui fait état de l’achat de 13 000 muselets et 10 000 plaques unies à la maison Lemaire Frères et Cie, L’autre lien de cette société avec les maisons de Champagne est que René Lemaire fut également à l’origine de la création en 1904 d’une caisse ouvrière qui accordait des crédits pour le logement et dont les bénéficiaires étaient outre les employés de la Compagnie de l’Est, les cavistes ou des personnes travaillant dans des entreprises liées au Champagne.

Il fut également président de la société « Le Logement Familial »,... oeuvre d’intérêt général pour remédier à la crise du logement et aussi à la disparition des logements insalubres... grâce à laquelle un groupe d’une trentaine de maisons ouvrières fut construit à partir de 1921 derrière l’usine Lemaire, à proximité de l’avenue de Champagne.

Textes C. Durepaire, S. Limoges et F. Leroy publiés par l’ORCCA et présentés avec leur aimable autorisation