UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Dialogue entre Maisons de champagne et Maîtres verriers du XIXème siècle

Evolution des formes de la Champenoise

…Mais M. nous sommes très fâchés d’être forcés de nous plaindre… et vous dire que vos bouteilles sont trop petites et manquent d’apparence. C’est une dérision, elles ressemblent pour ainsi dire à des demies-bouteilles. Sans vouloir des bouteilles trop grandes, nous les désirons d’une apparence qui ne fasse pas soupçonner leur petitesse
J.R. Moët – Verrerie de Belvaux aux Fours de Paris – mai 1790

Le bouge ne doit pas avoir plus de circonférence que le cul, ni moins ; il faut que la bouteille soit toute d’une venue jusqu’au bouge et de là, elle doit se rétrécir fortement jusqu’au cou, qui doit être tout d’une venue jusqu’à la bague et avoir au moins 18 lignes à 2 pouces du col, pour donner plus d’apparence aux bouteilles. Les culs peuvent être plus renfoncés et plus gros, sans toutefois porter préjudice à la contenance.
VCP – Verrerie Durant à Landrecies – janv. 1823

Votre deuxième lettre m’entretient de votre étonnement de ce que les deux bouteilles que je vous ai envoyées comme modèles ne proviennent pas de votre verrerie… mais je ne tenais pas à ce qu’elles ressemblent pour leurs formes à des clochers de village comme les vôtres.
VCP – Verrerie Darche à Hautmont – janv. 1827

Mon four ne travaillera que pour vous, et je m’engage à ne donner votre forme à aucune autre Maison. Verrerie Darche à Hautmont – VCP – oct. 1831

Verrerie de Quiquengrogne (Aisne) vers 1840Quant à la forme je vous dirai que les bouteilles de Maubeuge conservent toujours leur supériorité sur les vôtres. Cette verrerie fait les cols de ses bouteilles un peu plus long, d’abord en donnant à la bouteille deux lignes de plus en hauteur et surtout en faisant monter un peu moins le bouge qui, étant étranglé un peu plus fort que chez vous, donne beaucoup d’apparence à la bouteille, sans en augmenter la contenance. Je me permets d’entrer dans tous ces détails, persuadée que vous désirez rendre vos bouteilles aussi parfaites que possible, et faire attention que Trélon et Soissons se donnent beaucoup de peine pour imiter la forme de Maubeuge. VCP – Verrerie de Poilly à Folembray – 1833

…J’ai la satisfaction de vous annoncer que vos 1300 bouteilles imitent assez bien la forme Maubeuge… Mais le bouge monte un peu trop haut ; il ne faut pas qu’il monte en forme de poire ou de clocher, et vienne se perdre dans le col à 1 pouce de la bague. En étranglant le bouge un peu plus tôt, le col devient plus long, ce qui fait paraître la bouteille plus belle et plus grande, tandis qu’elle contient réellement moins de liquide.
VCP – Verrerie de Trélon – 1833

…Quant à la forme, nous vous prions d’adopter pour nous celle que vous donnez aux bouteilles de la Veuve Clicquot. Ruinart – Verrerie Hautmont – 1839

…Je vais d’abord vous parler de la forme : beaucoup de bouteilles font trop le clocher, c’est-à-dire que le col et l’épaulement, au lieu de s’unir par une ligne courbe, ne forment ensemble qu’une seule ligne droite, ce qui ôte toute élégance à la forme. Vous trouverez dans les trois bouteilles que je vous renvoie par cette voiture une qui doit vous servir de modèle pour la forme. Veuillez la mettre sous les yeux de vos ouvriers et de ceux qui sont chargés de faire le choix. VCP – Verrerie de Colnet à Quiquengrogne – nov. 1846

Cette série de documents concernant la forme de la Champenoise confirme bien les différentes hypothèses connues jusqu’ici sur :

  • la grande variété des formes données à la bouteille, à la fin du siècle précédent, comme nous le confirment aussi, les quelques catalogues de verrerie retrouvés (en particulier ceux de Dunkerque) ainsi que les collections de bouteilles heureusement conservées chez Moët et Perrier-Jouet en particulier.
  • l’évolution vers un modèle unique, d’abord la bouteille de Maubeuge (ou Hautmont), que dans les années 1830, VCP et les Verreries Darche à Hautmont et de Poilly à Folembray, arrivent à imposer à l’ensemble de leurs "commettants", sans doute assez proche du modèle reconstitué par la Maison Veuve-Clicquot, il y a quelques années (avec cachet 1811), c’est-à-dire avec un corps cylindrique, et un épaulement un peu plus bas qu’aujourd’hui.

Verrerie Quiquengrogne (Aisne) vers 1840La récupération d’un navire coulé au large du Cap-Corse en 1869, nous permet sans doute de fixer l’étape ultime d’évolution, par la forme très actuelle des bouteilles de type champenoises retrouvées dans le navire.
-  enfin ces nombreux litiges sur la forme jusque dans les années 1870 nous montrent bien la non-utilisation par les verreries spécialisées en Champenoise, des moules de métalliques fermés pourtant employés par d’autres bouteilleries depuis le milieu du siècle ; seuls les moules ouverts cylindriques sans doute en argile apparaissent sur les quelques gravures de l’époque.