UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Dialogue entre Maisons de champagne et Maîtres verriers du XIXème siècle

Extrait d’une notice sur la casse du verre

Extrait d’une notice sur la casse des bouteilles de verre destinées à recevoir du vin de champagne mousseux : par M. Moët de Romont, propriétaire de vignobles, à Epernay
B.S.E. / Sept. 1829 / Arts Economiques p. 587-589

La Société d’encouragement, dans la vue d’exciter les fabricants de bouteilles de verre à perfectionner le urs produits, de manière à les rendre susceptibles de résister à la forte pression intérieure que leur fait subir le vin de champagne mousseux, avait demandé des renseignements sur les effets produits par la fermentation de ce vin dans les bouteilles. En conséquence, elle s’adressa à M. Moët de Romont, l’un des principaux propriétaires de vignobles de la Champagne. Les détails intéressants qu’il lui a transmis sont consignés dans une notice dont nous donnons ici un extrait.

"Les pertes que les propriétaires de vins mousseux éprouvent chaque année, par l’effet d’une trop grande fermentation sont dues, suivant l’auteur, à la mauvaise qualité des bouteilles, et particulièrement au défaut de cuisson. Une plus forte épaisseur du verre, un meilleur choix des matières qui les composent, une répartition plus égale au cou, au ventre, et au cul de la bouteille, seraient sans contredit les moyens d’obtenir, sinon l’absence de toute casse, du moins une grande amélioration dans ses déplorables effets. Il est certain que plus les bouteilles auraient de poids et d’épaisseur de matière dans le ventre ou les flancs, moins on éprouverait de casse. Il faudrait surtout que la bouteille fut bien recuite dans un second four, pendant un temps plus ou moins long et à un feu modéré. On ne serait pas pour cela affranchi de toute casse ; elle est plus ou moins forte, suivant les années, la D’autres causes sont aussi à rechercher dans l’exposition des coteaux et la nature du sol des vignobles de la Champagne.

"Il y a environ 35 ans que M. Colnet, propriétaire d’une verrerie à Quiquengrogne, près la Fère, voulant se distinguer par une bonne fabrication, offrit à M. Moët de lui livrer des bouteilles, dont il garantissait la casse au delà de 2 %. Cette offre ayant été acceptée, on expédia à M. Moët 6000 bouteilles qui pour la forme, la beauté du verre et pour la fabrication apparente, étaient les plus belles qu’il eut encore vues. Il s’empressa de les faire remplir de l’espèce de vin qui lui paraissait contenir le plus de principes de fermentation et dans la saison la plus propre à les développer. Il fit remplir également, du même vin et dans la même saison, 15 000 bouteilles d’autres verreries réputées les meilleures. Au bout d’un mois la fermentation agit avec une si grande fureur sur ces dernières bouteilles, que la casse fut de 30 à 40 %. On ne parvint à la ralentir qu’en mettant les bouteilles debout dans la cave. Opération qui altère singulièrement la qualité du vin, parce que le bouchon ne baignant plus dans le vin se dessèche, l’air entre dans la bouteille, calme la fermentation, souvent l’éteint presque entièrement, et communique qualité des vins et les principes de fermentation qu’ils peuvent contenir. au vin un mauvais goût, connu sous le vent de goût d’évent.

Les 6000 bouteilles de M. Colnet, au contraire, ne donnèrent pas 1 % de casse, quoique la mousse en fut tellement furieuse que dès qu’on avait ôté le fil de fer qui tenait le bouchon, il cassait la ficelle, et le vin sortait de la bouteille en gerbe, jusqu’à la dernière goutte.

D’après une épreuve aussi décisive, chacun s’empressa de faire à M. Colnet des demandes de bouteilles beaucoup plus considérables qu’il n’en pouvait en fournir. Son but était atteint, il avait acquis la réputation qu’il désirait : c’est alors sans doute que son intérêt lui commanda de sacrifier la qualité à la quantité. Dès la seconde année, ses bouteilles n’avaient plus la même force, et il finit par ne pas fabriquer mieux que ses confrères.

M. Colnet est convenu, depuis, que c’est avec des soudes d’Espagne, mêlées dans la matière vitrifiée, et par une double et longue cuisson, qu’il était parvenu à obtenir des bouteilles parfaites.

Indépendamment d’une double cuisson et d’une répartition plus égale du verre, il existe dans le choix de la matière vitrifiée, un autre secret, c’est celui de garantir les vins de toutes les variations de qualité qu’on éprouve journellement sans pouvoir y apporter de remède. Souvent, dans la même cuvée, après que le vin a été collé et mis en bouteille dans la même saison, on trouve, après le premier effet de la fermentation, des nuances de qualité très différentes. Les vins sont plus ou moins mousseux et parfois tout à fait non mousseux, suivant les années et la maturité des raisins ;d’autres fois on remarque dans la même cuvée, dans le même tas de bouteilles, des vins qui moussent plus ou moins fort et d’autres qui ne moussent pas du tout.

Il est probable que ces singuliers bouteille des vins, opération qui exige plusieurs jours, suivant le nombre de pièces composant chaque cuvée. Relativement à la régularité du cou de la bouteille, M. Moët observe que les bouchons dont il se sert, et qui sont du liège le plus fin et le plus souple de la Catalogne, ferment toujours hermétiquement la bouteille, lors même que l’embouchure aurait une légère irrégularité intérieure, ce qui est assez rare ; mais il y a deux causes qui occasionnent la perte ou la fuite du vin :

  • la première et la plus grave, c’est l’effet de la fermentation qui, en dégageant le gaz, lui fait exercer une pression sur le liquide. Si la bouteille n’est pas assez forte pour résister à cette pression, elle se brise en éclats ou, ce qui arrive souvent, le bouchon poussé violemment par le vin cède, en faisant effort sur la ficelle et le fil de fer, qui fléchissent à leur tour…
  • la seconde cause de fuite, appelées "coulage", provient de la mauvaise qualité du bouchon."

Source : Revue VERRE – Vol 6, n°5. Octobre 2000
André ORSINI
Ancien Directeur Logistique de Saint-Gobain Vitrage