UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La protection des vins de champagne par l’appellation Roger Hodez

Conclusion

Nous avons examiné la situation faite à l’appellation « Champagne » dans le monde, entier, juridiquement et pratiquement.

En France, le caractère de l’appellation a été nettement défini par les tribunaux et par les lois, conformément aux usages ; en fait, il y a eu des abus, et la guerre a permis la survie de certains d’entre eux que l’on croyait disparus à jamais ; des usurpations effrontées se sont produites, des confusions dans l’étiquetage et la présentation du produit ont été recherchées. Mais maintenant, la loi du 6 mai 1919 venant accroître le faisceau protecteur de la réglementation française facilitera aux producteurs de vins de Champagne la défense du nom de leur vin. Néanmoins il sera tout d’abord nécessaire de compléter l’éducation du public français et de lui rappeler que seul a droit au nom de « Champagne » le vin récolté et fabriqué en Champagne, afin que nous ne nous attirions plus de leçons du genre de celle qui nous fut donnée récemment par un négociant étranger à qui nous signalons un emploi abusif du mot « Champagne », émanant d’un de ses compatriotes : « Je n’entends presque jamais, nous écrivait-il, commander ici un vin mousseux indigène par les militaires de votre armée, autrement que sous la désignation de « Champagne ». Pour eux, tout ce qui mousse est Champagne ». Nous voulons espérer qu’il y a peut-être quelque exagération dans cette remarque, mais elle n’en est pas moins malheureusement fondée, et il faut que cette façon de parler vicieuse disparaisse ; il est vrai que beaucoup de ceux qui s’expriment ainsi savent parfaitement que ce n’est pas du vrai Champagne qu’on leur donnera, mais il n’y a pas de vrai Champagne ni de Champagne français, il n’y a que le Vin de Champagne, et celui qui n’en est pas. Il fout faire taire ce sentiment de vanité qui pousse tant de personnes à désigner faussement un produit par le nom d’un produit supérieur. Il est évident que c’est à nous Français, qu’il incombe de nous surveiller plus particulièrement en matière d’appellations vinicoles, car l’étranger auquel nous cherchons à faire partager notre manière de voir, sera toujours à l’affût des moindres défaillances et les exploitera contre nous, Toute inscription, toute locution qui semble impliquer, de près ou de loin, le caractère générique de nos appellations de crus, soit par l’emploi abusif de ces noms, soit par celui de leurs racines, doit donc être sévèrement proscrite.

La situation à l’étranger est en effet très grave ; une infime minorité de pays protègent réellement l’appellation « Champagne » ; beaucoup devraient le faire pour se conformer aux prescriptions des traités et conventions, mais ils n’accordent qu’une protection incomplète et illusoire, soit parce qu’ils interprètent mal le texte de l’arrangement qui les lie, soit parce que l’opinion publique ne s’est pas encore suffisamment formée pour accepter une législation intérieure conforme à la réglementation de l’accord international. Comme le disait M. Chabaud, rapporteur pour l’Amérique à la Semaine du Vin, il faut conclure à la nécessité d’un effort soutenu et méthodique en vue d’arriver à la protection de nos vins dans les divers pays étrangers :

« A l’égard de ceux qui sont déjà liés à la France par des conventions spéciales relatives aux vins, il devra tendre à perfectionner ces conventions et à obtenir que les Etats signataires mettent leur législation en complète harmonie avec elle. A l’égard de ceux qui, sans être dans de tels liens, ont cependant des traités ou des législations prévoyant la répression des fausses indications de provenance, il devra se donner principalement pour objet, de faire admettre que les appellations régionales vinicoles ne doivent en aucun cas être considérées comme génériques. Vis à vis des autres, enfin, il aura à poursuivre l’édification d’un système complet de protection ». [1]

En poursuivant cette protection de l’appellation Champagne et des autres appellations vinicoles, nous ne nous livrons pas à de simples manifestations platoniques destinées à satisfaire le légitime amour-propre de nos producteurs. C’est une œuvre nationale qui est entreprise, car le vin est une des monnaies d’échange dont nous sommes abondamment pourvus et, de même que nous luttons contre la dépréciation de notre franc, nous devons aussi empêcher que les appellations significatives de la valeur de nos grands crus soient avilies par l’extension de leur emploi à d’autres vins.
Le vin de Champagne traverse une crise sérieuse : les deux tiers de sa production allaient autrefois à l’exportation ; aujourd’hui ses principaux débouchés lui sont fermés : l’effondrement de la Russie et de l’Europe centrale, l’application des mesures de prohibition, totale aux Etats-Unis et en Turquie, partielle au Canada et dans les pays Scandinaves notamment, ont atteint des marchés de premier ordre pour le commerce des Vins, de Champagne ; d’autres pays dans lesquels la fabrication des vins mousseux indigènes s’est développée pendant ces dernières années, frappent nos vins de droits formidables (dépassant parfois le triple de leur valeur) pour satisfaire aux exigences d’un protectionnisme outrancier ; des pays voisins, toujours en quête de ressources fiscales (comme le monde entier), profitent de cet exemple pour élever aussi démesurément leurs tarifs. Les commerçants indigènes ont alors un intérêt pécuniaire si important à présenter leurs vins locaux au public comme « Champagne » que beaucoup d’entre eux cèdent à la tentation, d’autant plus que la loi le tolère souvent.

Il y a là un danger très menaçant pour la France ; les intéressés l’ont bien compris : après que chacun a eu réparé de son mieux les traces de la guerre, reconstitué ses vignes, reconstruit ses celliers, vigneron et négociant champenois se sont unis pour propager la vente du produit issu de leur effort commun et pour défendre son nom, symbole de renommée ; d’accord avec les producteurs des autres vins, ils ont résumé leur programme dans les vœux adoptés à la Semaine du Vin en faveur d’une politique économique favorable au vin de Champagne et aux autres grands crus [2]. - « En un temps où rien ne doit être négligé de ce qui peut servir au relèvement de la France, ajoutait M. Poincaré, Président du Conseil, dans son discours de clôture de la Semaine du Vin, un Gouvernement, tout Gouvernement, a une obligation d’autant plus impérieuse de protéger cette part si importante de la fortune nationale ». [3]

Notes

[1Compte-rendu de la Semaine du Vin, p. 126.

[2Vœux adoptés à la Semaine du Vin, Paris 1922 :Les cinq premiers vœux ont trait à la suppression des taxes intérieur en France et à la politique qu’il conviendrait d’adopter avec les nations étrangères pour favoriser l’exportation de nos vins.
6° Que soient défendues énergiquement en France, conformément à la Convention de Madrid et au Traité de Versailles, les appellations d’origine pour les vins étrangers comme pour les vins français.
7° Que les démarches les plus pressantes soient faites auprès des nations qui se refusent à appliquer les mesures propres à la défense des appellations d’origine, portant ainsi un préjudice considérable a tous les vins.
8° Que les concessions les plus larges soient accordées, dans les accords commerciaux en cours, aux vins de grands crus d’origine étrangère, à charge de réciprocité par les nations intéressées, afin de favoriser l’exportation de nos grands vins.
9° ...... (Compte rendu de la Semaine du Vin, p. 145)

[3Ibid., p.378.