UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Qui t’as fait roi ?

La belle victoire d’Angers

Le bel escadron de champagne sait convaincre !

Le bel escadron de champagne sait convaincre !
L’épreuve aura probablement amené les Maisons champenoises à affiner leur argumentation et à conduire devant la Cour une offensive mieux maîtrisée que la verte et décevante charge de Saumur. Il n’est pas impossible non plus que les magistrats de carrière qui composent la Cour d’Appel aient su, mieux que leurs collègues du tribunal de Commerce élus par la boutique, être attentifs au sérieux juridique et à la lucidité, pour l’avenir, des vues du Syndicat du Champagne. Le 19 juillet 1887 en tout cas, la Cour d’Angers rend un arrêt remarquable qui infirme complètement le jugement de Saumur, formule clairement le difficile débat et le résout avec l’autorité indiscutable que donne la hauteur de vue.}}}

"Attendu que, contrairement à ce qu’ont admis les premiers juges, on ne saurait considérer la désignation des Vins de Champagne, ou celle de Champagne (la majuscule lui est rendue) comme s’appliquant à tous les vins mousseux en général, et par conséquent, aux vins mousseux fabriqués à Saumur ;"
"que cette désignation, appliquée à ces derniers vins, est aussi abusive et mensongère que si elle était donnée aux vins mousseux de l’Anjou, les modes de fabrication de divers vins mousseux fussent-ils partout les mêmes, ce qui est loin d’être démontré."

La leçon de justice donnée au passage aux juges consulaires du Saumurois par les magistrats de l’Anjou est discrète mais sévère. Et il est manifeste qu’un vinificateur expert d’une Maison de Champagne a impressionné la Cour en faveur du miracle technique de la "champagnisation" champenoise, la seule, la vraie. De leur vie, les magistrats ne pourront plus ouvrir une bouteille de Champagne sans imaginer cuves et caves, et sans penser à l’intéressant dossier. Conquis, ceux-ci poursuivent :
"que le mot Champagne, en effet, (avec la majuscule encore) est indicatif à la fois du lieu de production et de fabrication de certains vins spécialement connus sous cette qualification et non d’autres ; qu’il importe peu que les vins de Champagne ne soient pas des vins purement naturels, comme les vins de Bordeaux ou de Bourgogne, par exemple, et qu’ils ne tiennent pas leurs qualités uniquement du sol qui les a produits, pour les emprunter en partie d’un mode de préparation et de manutention spécial, puisque la loi du 28 juillet 1824 vise notamment l’indication mensongère du lieu de fabrication".
La collaboration des oenologues et des juristes des Maisons champenoises a fait merveille sur l’esprit de la Cour. Et sur le point très périlleux de la tricherie de certains négociants champenois nouveaux venus invoquée par ceux de Saumur, l’arrêt est souverain et formule à l’adresse des uns et des autres une leçon d’éthique commerciale que les Rémois et les Sparnaciens au moins n’oublieront pas :
"Attendu qu’il n’importe pas plus que certains fabricants, même de la Marne, puissent faire entrer dans leurs cuvées des vins par eux achetés ailleurs que dans l’ancienne province de Champagne, ni que des vins mousseux fabriqués à l’étranger soient vendus sous le nom de vins de Champagne ; qu’en effet, un abus ne saurait justifier un autre abus."
Et la Cour va jusqu’au bout d’une justice ce jour-là inspirée. Non seulement en effet, elle condamne le négociant de Saumur qui doit cesser de plastronner pour reprendre le profil lamentable et à dessein culpabilisant du bouc-émissaire, mais elle l’oblige à payer la réclame de sa honte :
"La Cour ordonne la publication du présent arrêt, savoir : au nombre de cent affiches en totalité à Saumur, à Angers, à Paris, dans le département de la Marne, et de l’étranger, aux frais de L... et, sauf au Syndicat à répartir ce nombre d’affiches dans les diverses localités, comme il avisera et au nombre de vingt-cinq insertions, également aux frais de L... et dans tels journaux des villes et départements sus désignés et de l’étranger, que choisira le Syndicat."

Cette décision raide ne ménage pas "les frais de L..." et elle inclut "l’étranger", c’est-à-dire le monde entier, dans une véritable croisade d’assainissement du marché des vins pétillants. De façon magistrale, elle place très haut la morale négociante sans cesse menacée de corruption par l’argent, à l’image d’une terre trop basse constamment inondée. L’arrêt est un triomphe pour les Maisons affiliées au Syndicat de Grandes Marques dont au passage il consacre la recevabilité à défendre noblement en justice les intérêts du métier champenois. On devine que les cavistes d’Épernay, de Reims et de Châlons-sur-Marne ont, en cette fin de juillet 1887, enregistré plus de sorties de bouteilles que d’habitude, et que les détonations ou les soupirs des goulots dorés ont dû saluer l’arrêt inespéré qui sauvait le Champagne, tout simplement.