UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

L’emploi thérapeutique du champagne

Pour ses qualités médicales, qui ne se trouvent réunies dans aucun autre vin et qui sont associées à une parfaite salubrité, le champagne doit incontestablement faire partie de la pharmacopée moderne où il est considéré, sinon comme un médicament, tout au moins comme un remède, et un remède sain et sans artifice. Ce n’est pas sans raison qu’un article de janvier 1981 de thérapeutiques naturelles était illustré d’une bouteille de champagne étiquetée : Champagne — remède naturel — produit de France.

Le champagne a en outre l’avantage de pouvoir être pris sans précaution particulière, et à toute heure du jour et de la nuit, comme le font bien des gens lorsqu’ils en éprouvent le besoin. Il peut être, à ce titre, considéré comme un remède domestique et l’usage qu’en faisait cette aimable dame dont parlait Marcel Lebouille, journaliste belge, dans le numéro de septembre 1966 de la revue U.D.E.P.A.C. en est un exemple : Ma chère marraine l’employait presque contre tous les petits maux de l’existence. Sentait-elle venir la grippe ou quelque autre malaise, elle ne faisait ni une ni deux et allait à la cave quérir son quart de champagne. Elle le buvait aussi comme un remontant de l’organisme ou pour lutter contre la fatigue de longues journées de travail. Elle disait encore que cela noyait le microbe. En somme, transposant le proverbe anglais An apple a day keeps the doctor away (Une pomme par jour tient éloigné le médecin), on pourrait dire : Un verre de champagne par jour remplace le docteur.

En réalité, c’est le corps médical lui-même qui use du champagne pour sa clientèle, avec un champ d’application très vaste qui englobe notamment le maintien et l’amélioration de l’état général des malades et des opérés, le traitement des fièvres infectieuses et des affections d’origine inflammatoire et circulatoire, l’appareil respiratoire, l’appareil digestif, les affections rénales, le champagne étant aussi utilisé en gérontologie et pour les femmes enceintes.

L’ACTION DU CHAMPAGNE SUR L’ÉTAT GÉNÉRAL

Certes, on lit dans la Bible (Psaume 904) que le vin réjouit le cœur de l’homme, et dans les Odes d’Horace que sage est celui qui bannit la tristesse et les chagrins de la vie par les charmes du vin, mais dès le moment où les vins de Champagne ont commencé à mousser, on leur a reconnu un caractère euphorisant particulièrement développé, et bienfaisant dans ses actions sur l’état général. Le docteur Eylaud a écrit fort justement dans le numéro de décembre 1957 de Cuisine et vins de France : Par le fait même que le vin de Champagne est un vin de fête, il évoque toujours la joie, donc il devient un facteur primordial de la bonne humeur qu’un médecin doit entretenir chez le client que des circonstances pathologiques lui ont conduit. Seul, Brillat-Savarin, pour une fois mal inspiré, a cru s’apercevoir que cet effet aurait une contrepartie regrettable. Voici ce qu’il a écrit à ce sujet dans la Physiologie du goût à propos du médecin favori de Napoléon : Le docteur Corvisart, qui était fort aimable quand il voulait, ne buvait que du vin de Champagne frappé de glace. Aussi, dès le commencement du repas et pendant que les autres convives s’occupaient à manger, il était bruyant, conteur, anecdotier. Au dessert, au contraire, et quand la conversation commençait à s’animer, il devenait sérieux, taciturne et quelquefois morose. De cette observation et de plusieurs autres conformes, j’ai déduit le théorème suivant : Le vin de Champagne, qui est excitant dans ses premiers effets (ab initio), est stupéfiant dans ceux qui suivent (in recessu) ; ce qui est au surplus un effet notoire du gaz acide carbonique qu’il contient.

La Physiologie du vin de Champagne voit au contraire dans cet exemple les regrets d’un buveur qui voudrait en être à son premier verre [1] et Constantin-Weyer estime, en se basant sur ses expériences personnelles, que Brillat-Savarin se trouve en défaut, ajoutant :

Voilà qui prouve que les hommes les plus éminents peuvent se tromper, car personne ne peut admettre cette proposition [2]. En effet, à l’inverse des affirmations du célèbre gastronome, le gaz carbonique augmente l’effet euphorique de l’alcool. Attribuer la force enivrante du vin à sa richesse alcoolique seule, c’est commettre une grave erreur, écrivait Maumené [3]. Quant à l’ ARERS (Asociation régionale pour l’étude et la recherche scientifique de l’Université de Reims), elle a publié ce qui suit dans son Bulletin de 1970 : L’action euphorisante de l’alcool éthylique est bien connue, mais si dans le champagne la proportion d’éthanol semble particulièrement favorable pour délier les langues, il faut également tenir compte du rôle du gaz carbonique présent. Cette heureuse combinaison, pour le professeur Trémolières, provoque chez le malade comme chez le bienportant un état de bien-être, un affaiblissement des perceptions pénibles, une libération de la peur et de l’angoisse, un sentiment d’évasion vers un monde sans souffrance (Colloque de Tours).

Il faut aussi noter que l’euphorie apportée par le champagne est particulièrement rapide, non seulement à cause du rôle joué par le gaz carbonique, mais aussi en raison de l’absence des tanins qui dans d’autres vins, rouges tout particulièrement, tempèrent l’action de l’éthanol sur le système nerveux. On observera cependant que la rapidité de l’action du champagne, comme c’est le cas pour tous les vins, varie selon le tempérament de l’individu et les phases pathologiques d’un même tempérament, ainsi que l’importance des résultats : une petite quantité peut agir très fortement sur un sujet qui n’y est pas habitué et ne produire aucun effet sur celui qui y est accoutumé. Et si l’ivresse survient, on a vu qu’elle est de bonne compagnie et toujours brève avec les vins de Champagne : vifs, pétillants, ils excitent le système nerveux et ils enivrent facilement, mais cette ivresse est passagère, elle ne dure pas [4].

Cette aimable ivresse peut même être une thérapeutique si on en croit Réal qui racontait en 1839 qu’ayant eu à soigner un garçon sujet à des crises de folie, un certain professeur Hahnemann aurait déclaré : Une douce ivresse, produite par un vin gazeux, tel que le champagne mousseux, me semblait de nature à guérir cette folie. Mon ordonnance se résumait à ceci : « Dix minutes avant la crise, le malade doit être dans un état complet d’ivresse. » Mon ordonnance au vin de Champagne parut un peu bizarre mais elle a été suivie. Aujourd’hui le fils de M. de W... est en pleine convalescence
 [5].

La Physiologie du vin de Champagne distinguait l’ivresse physique et l’ivresse spirituelle : — Où prenez-vous l’ivresse physique ? Dans tous les vins du monde, un seul excepté. — Où prenez-vous l’ivresse spirituelle ? — Dans le vin de Champagne, qui est la seule exception dont je parle. Ce qui semble une boutade reflète, en fait, assez bien la réalité.

Avec le champagne l’ivresse, si ivresse il y a, n’est ni triste, ni grossière, ni vindicative.

On a dit que le vin est probablement l’euphorisant, le tranquillisant qui a joué le plus grand rôle dans l’Occident. Le champagne, depuis qu’il existe, est sans aucun doute le vin qui répond le mieux à cette vocation, à cause non seulement de la part que prennent à son effet euphorisant l’alcool et le gaz carbonique, mais aussi de la fonction que jouent sur le plan psychologique son effervescence, et même son habillage. Le docteur Roques en donnait un bon exemple lorsqu’en 1821 il écrivait ce qui suit dans sa Phytographie médicale, à propos des vins de Champagne : Ils rompent la monotonie et quelquefois l’ennui des repas qui se prolongent ; leur couleur ambrée, leur éclat, leur mousse pétillante, leur parfum, tout cela excite les sens, donne une sorte d’hilarité qui se communique rapidement comme l’étincelle électrique. À ce mot magique de champagne, les convives engourdis, blasés par la bonne chère, se réveillent : cette liqueur vive, éthérée, charmante, agite tous les esprits ; les hommes froids, graves, savants, sont étonnés de se trouver aimables.

Quelques années plus tard, la Physiologie du vin de Champagne donnait à son tour le témoignage suivant des prolongements bénéfiques de l’euphorie occasionnée par le champagne : Qui ne se souvient de l’affreux hiver 1829-1830 ? Une nuit de ce rigoureux hiver, un de nos plus ingénieux feuilletonnistes s’en allait à l’issue d’un véritable souper-régence dans un étal de toilette dont la légèreté semblait peu compatible avec la rigueur de la saison. — Avez-vous froid ? lui demande un passant. — Non, répondit M.E.B., mes précautions sont prises contre la gelée, j’ai revêtu un carrick intérieur. — Parbleu donnez-moi donc l’adresse de celui qui vous habille... intérieurement ? ­M.N...,fabriquant de vin de Champagne, à Reims.

LES PROPRIÉTÉS RECONSTITUANTES DU CHAMPAGNE

Le champagne est un reconstituant d’une valeur indubitable. Il compense par son effet euphorisant la tonicité qui lui manque et qui est le propre des vins rouges plus riches en tanin. Comme le disait Mennesson : Le pétillant champagne, en égayant nos sens, / Ranime de nos corps les ressorts languissants [6], ou encore Maurice Constantin-Weyer : Une coupe de Pommery doux ou brut, ou de Clicquot, ou de Goulet, chasse instantanément la fatigue. Le contenu d’un verre de champagne est le meilleur des stimulants et peut suffire pour rendre roses des idées noires. Mais le champagne est aussi employé efficacement dans les traitements de longue durée qui ont pour objet de combattre la fatigue et de rendre la santé. Dans ce cas, avec le demi-sec les sucres relèvent la glycémie, et dans tous les cas les sels de potassium portent leurs effets sur les fibres musculaires dont ils favorisent la contraction et la tonicité. Quant au C02, il tend à s’opposer à l’alcalose. La résultante de cette synergie n’est pas un coup de fouet brutal et passager mais un puissant ensemble qui viendra au secours des défaillances physiologiques de toute nature [7].

D’où l’emploi du champagne lorsqu’il faut redonner des forces à une personne affaiblie. Dans Old Men forget, Sir Duff Cooper, le politicien britannique, a rappelé que son père, qui était médecin, disait lorsqu’il le voyait fatigué : Ce dont le garçon a réellement besoin, c’est d’une pinte de champagne et d’une côtelette de mouton. Et on cite des cas de déportés de la dernière guerre qui n’ont recouvré leur santé que grâce au champagne.

Les neurasthéniques constituent aussi un terrain d’élection pour ses propriétés analeptiques et euphorisantes, ainsi que les gens qui souffrent d’un manque d’appétit, manifestation d’un état de ralentissement fonctionnel contre lequel il lutte avec succès. Les vins de champagne, secs ou demi-secs, selon les goûts, sont également conseillés dans les cas de phosphaturie, accompagnée de fatigue et de dépression psychique  [8].

LE CHAMPAGNE DES OPÉRÉS ET DES MALADES

En tant que reconstituant et euphorisant le champagne est fréquemment employé dans les hôpitaux et cliniques. Pour les malades il a des vertus calmantes indiscutables. Dans les années 1960, une expérience a été faite dans les hôpitaux américains sur 3 000 d’entre eux. Ceux à qui on donnait le soir du champagne dérangeaient trois fois moins dans la nuit les infirmières que ceux à qui on n’en avait pas donné.

Le champagne a son utilisation normale pour les opérés, au début de la période postopératoire. Cela a fait l’objet d’études menées à l’hôpital Bichat dans les années 1950, ainsi que de nombreuses publications, dont Le vin de Champagne dans la diététique des opérés, par le docteur Monceaux, dans Diététique et nutrition de décembre 1951.

D’après le docteur Eylaud, c’est à ce moment que le vin de Champagne peut trouver sa place prépondérante à cause de l’ensemble de ses qualités depuis fort longtemps reconnues par les chirurgiens autant que par les opérés ; ces vins ont vraiment les vins anti-shock, irremplaçables bien souvent, surtout s’il y a nausées ou vomissements [9]. Il a d’ailleurs indiqué, dans Cuisine et vins de France de décembre 1957, qu’au 1er Congrès international des médecins amis des vins, qui s’est tenu à Lausanne en août 1937, un chirurgien d’Épernay, le docteur Guenard, a fait le point absolu de la question en fixant les indications du vin de Champagne dans les suites opératoires, pour lutter contre les états d’adynamie, d’hémorragies, de hoquets, pour compléter les effets du sérum physiologique, de l’huile camphrée et autres tonicardiaques. Et le docteur Eylaud précisait que ce praticien rigoureux en fixait les doses, mettant en valeur les effets cholagogues et diurétiques du vin de Champagne, ce qui ajoutait un pouvoir de désintoxication contre les produits anesthésiants ou résultant d’infections microbiennes. On peut rappeler que le 2 janvier 1980, la presse a annoncé que le greffé du cœur a pu boire du champagne à l’hôpital de Nice.

La glycémie étant en général abaissée chez les opérés, il convient de leur donner du champagne demi-sec, sauf aux diabétiques pour lesquels on réservera le brut. On se rappellera l’utilité, pour l’hôpital, de la demi-bouteille ou du quart, ou mieux du bouchon-stoppeur utilisé avec la bouteille laissée au frais.

Qu’il s’agisse d’opérés ou de malades, pour les estomacs fatigués par une intervention ou une diète prolongée, un réentraînement discret et progressif aux vins peut se faire par de petites doses de champagne avant de passer aux vins plus alcoolisés et plus riches en éléments nutritifs. Et dans tous les cas, l’apparition du champagne déclenche chez ceux qui ont côtoyé la mort un choc psychologique. Depuis des générations, on a constaté que le champagne rendait aux malades le goût de la vie, et chacun sait que c’est là un des principaux facteurs de guérison, a écrit le docteur Suzor, gynécologue-accoucheur des Hôpitaux de Paris, cité par Pierre Andrieu [10]. Boisson facile à digérer et riche de nombreuses calories, le champagne est particulièrement utile quand le malade ou l’opéré ne peut se nourrir qu’avec parcimonie.

Voici ce que dit à ce sujet un article médical intitulé Diététique — Le champagne, paru dans le numéro de mars 1977 de Modes de Paris : Au niveau du tube digestif il nettoie efficacement, par l’action de ses tartrates acides, la langue chargée, et combat la bouche pâteuse si fréquente chez les malades et les opérés. Sel de potassium et CO2, aident l’opéré à retrouver un transit gastrique et intestinal normal et tous ceux qui sont passés par la fameuse crise des gaz du 3e/4e jour savent à quel point elle peut être pénible. Agissant sur le débit cardiaque et la tension artérielle, il est bien évident que la circulation générale va s’en trouver renforcée et que le fonctionnement des divers organes va en être amélioré.

Le champagne est donc bien le breuvage idéal pour les opérés et les convalescents.

LES FIÈVRES ET LE POUVOIR BACTÉRICIDE DU CHAMPAGNE

La fièvre, dans bien des cas, détermine chez celui qui en est atteint une perte (énergie qu’il convient de compenser pour en éviter les conséquences fâcheuses. Le champagne sec ou brut doit aider le malade à retrouver une température normale parce que ce vin contient, entre autres, le soufre combiné sous la forme de sulfate de potassium dont l’action détoxicante sur l’organisme a été établie. Claude Bonjean a raconté dans le Point du 8 septembre 1980 que lors de la préparation à Newport de la Coupe America, son skipper étant malade avec près de 40° de fièvre, le baron Bich, au lieu de faire venir le médecin, lui a dit après avoir débouché deux bouteilles de champagne : « Bois ça. Demain, tu seras d’aplomb »
En Champagne, on combat la fièvre avec un remède traditionnel d’une efficacité reconnue, une demi-bouteille de champagne très sucré et brûlant. En Italie, le champagne est très recommandé contre la fièvre : Stato ebrile, cura energica : 1 bottiglia di champagne al giorno [11].
Le champagne est également ordonné dans les fières infectieuses contre lesquelles il est particulièrement efficace en tant que vin blanc à l’acidité élevée. C’est un bactéricide vrai, en ce sens qu’il ne se contente pas d’empêcher la reproduction des bactéries, comme les sulfamides par exemple. Comme les antibiotiques, mais sans avoir leurs inconvénients, il détruit aussi les cellules bactériennes parasitant ou infectant le milieu intestinal et il agit également sur les staphylocoques et pneumocoques. C’est ainsi que le champagne était utilisé contre le choléra alors qu’on ne disposait pas encore de remèdes efficaces. On en trouve des témoignages dans la revue Chine et Belgique de mars 1909. Aujourd’hui, il est recommandé dans la fièvre typhoïde. Le Larousse médical illustré de 1920 précisait déjà que d’après des travaux récents de M. Sabrazes et Mercandier, le vin de Champagne détruit le bacille de la fièvre typhoïde en dix minutes.
Le champagne est également utile pour prévenir la colibacillose, parce que, selon le docteur H. Galhinger, le vin blanc sec acidifie le milieu humoral et représente en outre un excellent bactéricide, il sera donc absorbé à titre préventif chez les sujets qui ont tendance à cultiver en excès leurs colibacilles (399). Quant à la thérapeutique de la tuberculose, selon certains médecins, contrairement à ce qui a été souvent avancé, elle utilise avec avantage le champagne.
Seul l’abus du vin est alors à incriminer. Son usage raisonnable, aux dires des pneumologistes, entre autres le docteur Mistal, de Montana, pour ne citer que ce dernier, serait loin d’être contre-indiqué et défendu chez les sujets porteurs de bacilles de Koch . Ce spécialiste suisse, au cours d’une communication faite en 1936 au 3e Congrès national des médecins amis des vins, a fait état de l’aide que lui apportait le champagne pour calmer la toux et diminuer les souffrances des tuberculeux dans les périodes terminales de leur maladie en créant une euphorie apaisante. Il a en outre précisé que si les vins sont formellement contre-indiqués dans les états hémoptoïques, il est cependant fait exception pour le champagne glacé.

L’ACTION DU CHAMPAGNE SUR LA RESPIRATION

Le gaz carbonique est indispensable au fonctionnement des noyaux bulbaires, centres nerveux de la respiration. Sous l’influence du champagne, les mouvements sont plus amples, plus réguliers, plus fréquents. Il en résulte un plus grand apport d’oxygène au sang et aux tissus, ce qui aide puissamment à la transformation des déchets et à leur élimination . De 1966 à 1969, sous la direction des professeurs Dubois de Montreynaud et Choisy, un groupe de chercheurs de la faculté de médecine de Reims a étudié les effets du champagne sur la respiration, en collaboration avec le Comité interprofessionnel du vin de champagne. On constate, dans le rapport final, que l’équivalent respiratoire, qui mesure le volume d’air qui doit passer dans les poumons pour que le sujet absorbe un litre d’oxygène, diminue sous l’action du champagne. Cela revient à dire que l’on respire plus efficacement. Cela est dû au fait que les sujets consomment autant d’oxygène alors que le volume d’air ventilé par minute est plus petit.

On peut ajouter que les vins blancs riches en alcool, donc le champagne, sont utiles dans le traitement de la pneumonie et de la pleurésie, particulièrement dans la phase aiguë et fébrile de cette dernière . Proust s’en servait ainsi pour combattre les crises et il l’a raconté dans A l’Ombre des jeunes filles en fleurs : Depuis longtemps déjà j’étais sujet à des étouffements et notre médecin m’avait conseillé du champagne quand je sentais venir une crise.

LE CHAMPAGNE ET L’APPAREIL NUTRITIF

On l’a vu à plusieurs reprises, le champagne a toujours été considéré comme apte à faciliter le fonctionnement de l’appareil digestif. Ses acides contribuent à l’activité physiologique du chyme de l’estomac en augmentant les sécrétions biliaires et pancréatiques et par voie de conséquence accélèrent la digestion, que favorise en outre l’inositol dont il est très riche. Son gaz carbonique rend les suites faciles [12]. Il stimule l’activité musculaire et la sécrétion gastrique. Gault et Millau racontent dans le Guides Julliard du champagne que le célèbre restaurateur Lasserre prend un sachet de bicarbonate de soude après chaque repas. Mais il se le fait toujours verser dans une flûte remplie de champagne. « C’est le secret de ma constance à table », affirme-t-il. Quand il se trouve contraint de prendre sa potion digestive dans de l’eau, il éprouve dans les minutes qui suivent d’insupportables brûlures d’estomac.
Au repas, il convient cependant de boire le champagne dès le commencement plutôt qu’à la fin. Servi trop froid au dessert, il peut en effet avoir un effet de blocage de l’appareil nutritif ; pris dans de bonnes conditions, il combat au contraire la paresse d’estomac en agissant par ses vertus euphorisantes et en provoquant, par son contact avec la muqueuse buccale, la sécrétion salivaire. Celle-ci augmente environ dix minutes après l’ingestion du champagne et retourne à sa valeur normale une heure plus tard.
Le champagne est efficace dans la plupart des dyspepsies sauf lorsqu’elles prennent une forme très aiguë, qui rend les vins mousseux difficiles à supporter. Le docteur Maury conseille le champagne sec ou brut pour l’aérophagie, du fait de l’action mécanique produite par le gaz naturel sur la paroi gastrique qui favorise la remise en route de la contraction physiologique de l’estomac, permettant ainsi l’évacuation de l’excès d’air par la bouche. Il précise à ce sujet que les mousseux obtenus par gazéification artificielle sont, au contraire, contre-indiqués dans l’aérophagie.
Il prescrit aussi le champagne sec ou brut dans les cas de paresse d’estomac, parce que ce vin au pH favorable agit dans le sens de la tonicité et que de plus il contient du potassium sous forme de bitartrate dont on connaît les effets sur la conductibilité des fibres musculaires ; enfin, il accélère la sécrétion des ferments agissant sur la digestion des substances albuminoïdes ; d’où son avantage sur les eaux gazeuses le plus souvent pauvres en éléments chimiques.
Pour des raisons analogues, il préconise enfin aux personnes souffrant de descente d’estomac ou de paresse du foie de prendre deux flûtes de champagne au cours des repas, en précisant que le vin n’est contre-indiqué que si l’insuffisance hépatique est liée à l’existence d’une cirrhose, et que le champagne est particulièrement à conseiller parce que son sulfate de potassium joue un rôle de détoxication et que grâce à lui, le foie peut faire agir sa fonction antitoxique ; joue donc à la fois un rôle de nettoyage et de protection contre les poisons microbiens et organiques.
Aux troubles de l’appareil nutritif peut se rattacher arthritisme, diathèse caractérisée par un ralentissement des fonctions digestives susceptible d’entraîner divers ésordres. Parmi ceux-ci, selon certains médecins, il en est auxquels le champagne peut porter remède, en raison principalement de sa valeur diurétique, de sa richesse en bitartrate de potassium, et d’un pouvoir euphorisant très utile dans des maladies douloureuses et démoralisantes. On l’a vu à maintes reprises pour la goutte, depuis les vins de Champagne de la Bataille des vins, au XIVe siècle, jusqu’au Grand Vin sans sucre deLaurent-Perrier recommandé comme le meilleur champagne que l’on puisse trouver pour les goutteux, à la fois dans les intervalles entre les attaques et lors de la crise elle-même [13], en passant par la Querelle des vins des XVIIe et XVIIIe siècles. À noter qu’il est erroné de croire, comme on le fait souvent, que l’abus du vin est responsable de la goutte. Comme le constate le docteur Mauriac, les goutteux sont très nombreux dans les pays où on ne consomme que très peu de vin, tandis qu’ils sont rares dans les pays où on consomme à peu près exclusivement cette boisson [14].
Pour certains rhumatismes chroniques, le docteur Maury conseille les vins nature de Champagne . Lorsqu’ils ont effervescents, ils ne sont cependant pas contre-indiqués, d’autant plus que les malades étant soumis à des régimes alimentaires assez pauvres, en même temps qu’à des thérapeutiques chimiques souvent déprimantes, la douleur aidant cette dépression, ont besoin d’un élément physiotonique et neurotonique. Le champagne a eu dans cette utilisation un bon avocat, le célèbre économiste anglais Arthur Young ; il raconte que lors de son séjour à Épernay, en juillet 1889, il l’a totalement guéri de rhumatismes dont il souffrait avant d’arriver en Champagne.
Avant d’en terminer avec l’action du champagne sur les affections de l’appareil nutritif, il convient de faire justice des allégations selon lesquelles le champagne aurait la particularité de provoquer des spasmes digesifs, ce qui le fait désigner parfois par l’affreux mot de roteux. C’est une accusation sans aucun fondement et d’autant plus aberrante que le gaz carbonique est un antispasmodique. Ces accidents, qui arrivent aussi bien avec des vins non mousseux, ne peuvent se produire que chez des personnes atteintes de sténoses pyloriques. D’où il résulte que les spasmes qui pourraient survenir lors d’une ingestion de champagne seraient seulement un signe de mauvaise santé.
En ce qui concerne enfin le champagne accusé de causer des sensations d’acidité dans la région épigastrique, deux explications sont possibles. La première est qu’il s’agit d’un vin trop vert, dont l’acidité est excessive, ce qui est très rare, la seconde, et c’est le cas général, est que le sujet a l’estomac fatigué ou malade, et qu’il devrait s’abstenir de boire du vin, en tout cas en dehors des repas.

LE CHAMPAGNE ET LA GROSSESSE

Fréquemment observés durant les grossesses, les états nauséeux appellent les vins de Champagne demi-secs, froids, coupés ou non d’eau bicarbonatée, l’acide carbonique agissant comme antispasmodique et vaso-constricteur par l’intermédiaire, sans doute, de l’appareil vaso-sympathique. Leur effet tonique par l’alcool n’est pas à dédaigner ni pour le physique ni pour le moral . Il s’ensuit que le champagne est d’un grand secours pour combattre les nausées de la femme enceinte, contre lesquelles il constitue le meilleur et le plus agréable remède. Il est de toute façon recommandé à tous les stades de la maternité car les nécessités de l’alimentation, pour le fœtus avant l’accouchement comme pour le nouveau-né, provoquent un appel et une dépense de calories et de réserves chez la femme enceinte et la nourrice. Le champagne est parfois utilisé dans les accouchements difficiles en raison de ses effets euphorisants et remontants. On en donne aussi dans les jours qui suivent la naissance car son pouvoir antitoxique contribue à mettre la mère à l’abri d’une infection pathogène, telle la fièvre puerpérale.
Le docteur A. Siguret, ancien moniteur d’accouchement de la faculté de médecine de Paris, a publié une excellente plaquette médicale intitulée Effets du champagne après l’accouchement. Dans beaucoup de cliniques ou de maternités, le champagne est d’un emploi systématique, et il en est ainsi depuis fort longtemps. Dans le Charivari du 1er mai 1852, dans un article concernant une pénurie de champagne consécutive à une mauvaise récolte, on lisait : Plus d’un épicier ne consent à en vendre qu’une seule bouteille à une même personne ; pour en obtenir deux, il faut certifier que c’est pour un malade ou pour une dame dans une situation intéressante.

LE CHAMPAGNE ET LES AFFECTIONS DES VOIES URINAIRES

Tous les vins blancs ont une vertu diurétique qui les rend précieux dans quelques affections de l’appareil urinaire. Mais plus encore que pour les autres vins le pouvoir diurétique du champagne est bien connu, il est dû à tous ses éléments : alcools, sels de potassium, C02. Il découle également des effets de la circulation sanguine qui influe sur le débit urinaire. Déjà Jullien, au début du XIXe siècle, suivi par (Cyrus Redding->personne2011], notait les vertus des vins de Champagne apéritifs et ordonnés contre les maladies de la vessie. Il s’agissait de tisanes de Champagne, vins tranquilles, mais dès 1804, Ferey écrivait dans un Essai sur l’emploi médical du vin que les vins acidulés par l’acide carbonique conviennent dans le défaut de sécrétion de l’urine ; tels sont les vins mousseux de Champagne. À l’époque coloniale, on ne comptait plus les Européens qui, en Afrique ou en Indochine, les reins bloqués, étaient sauvés par le champagne.

LE CHAMPAGNE ET L’APPAREIL CARDIO-VASCULAIRE

Dans l’article précité Diététique - Le champagne, on lit ce qui suit : Dans les conditions normales, l’organisme consomme de l’oxygène et rejette du C02 résultant des combustions ; si le taux de C02 augmente anormalement, un système d’une infinie délicatesse situé dans le bulbe rachidien va être excité et provoquer une accélération de la respiration et du débit cardiaque ; cela va introduire une plus grande quantité d’oxygène dans l’organisme et rétablir ainsi l’équilibre 0/C02 . Le C02 du champagne va donc se comporter comme un stimulant naturel, donc progressif et efficace, des centres cardio-respiratoires, chaque fois qu’il y a défaillance.

Indépendamment de son action bienfaisante sur l’appareil respiratoire, le champagne, en dehors des crises aiguës et fébriles, mieux que les autres vins se recommande aux malades atteints d’affections cardio-vasculaires. Comme l’ont noté le professeur Laubry et le docteur Lémant (Bulletin des médecins amis des vins, 1939), le vin n’est pas seulement pour eux le compagnon familier agréable dont on ne se sépare pas sans chagrin, il est encore un auxiliaire du traitement et souvent un agent de guérison, le champagne apportant en outre l’appoint de son gaz carbonique naturel.

Pauvre en calcium, diurétique, désintoxiquant, le champagne semble convenir particulièrement aux personnes atteintes d’artériosclérose, à celles qui souffrent d’affections coronariennes et sont menacées d’infarctus. Pour ces dernières, le docteur Maury conseille le champagne sec ou brut, à cause de la richesse de ce vin en bitartrate de potassium qui favorise la tonicité et la contractibilité des muscles ; ce vin agit donc sur le renforcement de la systole cardiaque. De plus, par les substances hypocholestérolémiantes qu’il contient, il s’oppose activement à la formation du cholestérol et à son dépôt dans les artères.
Quant à son usage dans l’hypertension, au dire de certains praticiens, il se justifie, en petite quantité, car en augmentant la sécrétion urinaire il provoque une décharge de chlorure, d’urée et d’acide urique et aide à l’élimination de l’excès de liquide organique qui favorise la pléthore sanguine qui représente un facteur important dans la tendance à l’hypertension
L’utilité du champagne dans les hémorragies est bien connue et s’explique facilement car, résultant d’une action pathologique lente ou subite, elles commandent de relever l’état général à la fois par un choc sur le système nerveux et par une action lente sur l’économie cellulaire et particulièrement sur l’appareil hématopoïétique, c’est-à-dire confectionneur de globules rouges. Au 3e Congrès national des médecins amis des vins, en 1936, le docteur Proby a mis en relief sur des bases rigoureusement physiologiques les raisons pour lesquelles le champagne répond au premier chef à la satisfaction de ces besoins, comme d’ailleurs certains vins rouges pour les actions continues et soutenues. Il peut notamment être donné dans les hémoptysies, forme spectaculaire des hémorragies, et même pour les saignements de nez. De toute évidence, en outre, le champagne peut être associé avec avantage à la transfusion sanguine. Il la précède chaque fois qu’elle ne peut pas être effectuée sur-le-champ, il en favorise l’attente et il la prolonge dans ses effets physiques.

LE CHAMPAGNE ET L’APPAREIL CUTANÉ

Le vin joue un rôle efficace dans les maladies de la peau. Dans le Bulletin des médecins amis des vins de 1937, le docteur Cazenave, médecin dermatologue des hôpitaux, a confirmé la valeur du vin dans certains traitements d’affections cutanées ou allergiques : herpès, dermatoses sèches ou suintantes, et il est prouvé que les porteurs d’eczéma peuvent en tirer bénéfice. Néanmoins, la prudence est de règle dans ce domaine ; plus encore que pour les autres utilisations thérapeutiques, pour toute affection de la peau le vin ne doit être donné que sur prescription médicale, car son effet varie suivant la nature de la maladie et selon le sujet traité. Cependant, lorsqu’il n’y a pas contre-indication, c’est surtout le champagne qui est à conseiller car son effet euphorisant rétablit l’équilibre psychologique compromis par ces désordres si préoccupants pour les malades. En tout cas, dans sa communication au 3e Congrès national des médecins amis des vins, le docteur Poudensan a montré que le vin ne peut être considéré comme responsable de certaines disgrâces physiques apparentes telles que la couperose et l’acné et, bien plus, que dans certains cas, il pouvait servir à les atténuer, voire à les guérir.
De ce qui précède on peut déduire que le vin en général, et le champagne en particulier, a une heureuse influence sur la beauté des femmes lorsqu’il est pris en quantité raisonnable. Nicolas-Abraham de La Framboisière écrivait à ce propos : Un petit vin délicat bien trempé d’eau, leur est convenable [15]. On a vu que si la marquise de Pompadour n’a probablement pas prononcé la fameuse phrase Le champagne est le seul vin qui laisse la femme belle après boire, elle aurait pu le faire, puisqu’elle était à fois jolie et buveuse de champagne.
On a dit aussi que Madame de Parabère, la célèbre maîtresse du Régent, aurait dit que le champagne fait briller le regard sans porter le feu au visage, observation parfaitement exacte comme on peut s’en rendre compte chaque fois qu’une femme boit du champagne, même en grande quantité, mais qui n’est pas vraie pour les autres vins. comme Madame de Pompadour, Madame de Parabère était belle, assez belle pour ne pas mettre de rouge sur son ravissant minois, ce qui était rare à l’époque. La Palatine disait de la sultane-reine de son fils : Elle a le visage brun et elle ne se farde pas ; une jolie bouche et de jolis yeux [16]. Madame de Parabère buvait beaucoup de champagne, comme on le sait. Elle était donc fondée à prononcer la phrase qu’on lui prête, mais il est peu probable qu’elle l’ait fait car aucun de ses biographes, aucun des historiens de la Régence ne l’a noté. Une fois encore on constate qu’une des forces du champagne est de rendre les légendes véridiques.
Comme le disait un jour une jeune et jolie journaliste en reportage à Épernay, le champagne est un des rares plaisirs qui n’altère pas la beauté de la femme. Et même s’il ne suffit pas toujours à la rendre belle, il fait en sorte que les hommes le croient lorsqu’ils en ont bu, comme l’avait bien compris l’hôtesse de Jacques le Fataliste qui s’écriait : Monsieur Jacques, mon vin de Champagne m’embellit vos yeux  [17] !

LE CHAMPAGNE EN GÉRONTOLOGIE

Avant d’examiner l’usage thérapeutique que l’on peut faire du champagne en gérontologie, il est bon rappeler que c’est un véritable élixir de longue vie. En Champagne, ils sont très nombreux les négociants, les vignerons, les courtiers, qui après avoir abondamment usé du champagne toute leur vie par nécessité professionnelle, et aussi par plaisir, s’éteignent à un âge avancé, ayant souvent gardé jusqu’au bout l’essentiel de leurs facultés. En 1804 déjà, Fercy écrivait : On y voit beaucoup de vieillards, malgré l’usage presqu’immodéré du vin, conserver toute la force de leur esprit et un enjouement particulier qui se joint à la rigueur de leur existence [18]. Faute de pouvoir énumérer tous les cas de longévité champenoise, on peut en donner quelques exemples et citer, après les improbables 118 ans du Rémois de la Querelle des vins [19], les 89 ans de Mme Clicquot, et parmi les contemporains, les 93 ans de Remi Couvreur-Périn, les 92 ans d’Henri Soullié, les 90 ans de Georges Couvreur, les 82 ans de Léon de Tassigny, les 93 ans du marquis Bertrand de Mun, les 98 ans de Joseph Krug qui, deux semaines avant sa mort en 1967, buvait une bouteille de Krug 1955 avec André Simon, lui-même décédé à 92 ans, les 87 ans de Louis Budin, les 96 ans de René Lalou, les 85 ans de Maurice Doyard, les 89 ans de Marcel Berthelot et de Maurice Pol-Roger, les 80 ans du comte Robert-Jean de Vogüé, les 87 ans d’Emile Moreau, les 86 ans de Victor Lanson.
À l’extérieur de la Champagne, on a rencontré et on trouve encore des cas très instructifs. L’un d’eux est littéraire, mais symptomatique des vertus que l’on a toujours prêtées au champagne. Il est dû à Regnard et date de 1704. Dans Les Folies amoureuses, à l’acte III, Agathe affirme : Je vide gentiment mes deux bouteilles, et comme Crispin s’étonne, elle confirme : Oui vraiment, du champagne encor, sans qu’il en reste. / On peut voir dans ma bouche encore toutes mes dents. / J’ai pourtant, voyez-vous quatre-vingt-dix-huit ans. Un autre est historique. En 1707 Saint-Simon écrit dans ses Mémoires ce qui sui : Du Chesne, fort bon médecin, charitable et homme de bien et d’honneur, qui avoit succédé auprès des fils de France à Fagon lorsque celui-ci devint premier médecin du Roi, mourut à Versailles à quatre-vingt-onze ans. J’en fais la remarque parce qu’il conserva jusqu’au bout une santé parfaite et sa tête entiere en soupant tous les soirs avec une salade et ne buvant que du vin de Champagne. Il conseilloit ce régime. Il n’étoit ni gourmand ni ivrogne ; mais aussi il n’avoit pas la forfanterie de la plupart des médecins. On peut aussi citer l’abbé Bignon, ami de Philippe-Valentin Bertin du Rocheret et déjà rencontré, ne buvant que du vin blanc de Champagne et octogénaire (B 32). Même ayant trait à des vins tranquilles, ces trois exemples se devaient de figurer dans une étude sur le champagne et la santé.

Pour en revenir au vin effervescent, on a déjà parlé de Welby Jourdan, mort à 94 ans après avoir vidé 40 000 bouteilles. Mais point n’est besoin de battre des records de ce genre pour avoir la palme de la longévité des buveurs de champagne. Au début des années 1980, elle revenait probablement à une Autrichienne, Frau Rosa Albach-Retty. Selon la presse allemande et autrichienne de septembre 1980, encore merveilleusement alerte à 106 ans, et priée d’indiquer le secret de sa longévité, elle a répondu : « La discipline, une bouteille de champagne quotidienne qui me conserve sereine. »
En gériatrie, le champagne a la faveur des patients, bien entendu, mais aussi des médecins pour lesquels il est un précieux auxiliaire grâce à sa salubrité, à son effet bénéfique pour la respiration et la circulation du sang, à sa capacité énergétique et euphorisante. Le sujet âgé a d’autant plus besoin de calories qu’il souffre, même s’il se trouve en bonne santé, d’un ralentissement de son métabolisme ; il lui faut donc suppléer à une carence évidente, d’autant que le jus fermenté de la treille lui apporte en outre des éléments minéraux qui lui sont indispensables. Le champagne est donc encore plus utile lorsque les vieillards ont de la difficulté à s’alimenter normalement, ou qu’ils ont des ennuis de santé rentrant dans la catégorie de ceux pour lesquels le champagne est recommandé ou tout au moins autorisé, d’autant plus qu’il est un des rares plaisirs qui leur restent.
Le Sunday Telegraph du 30 mai 1976 a raconté l’histoire de McMillan qui, se trouvant à l’âge de 82 ans au King Edward VII Hospital, s’était emporté contre les infirmières car elles s’opposaient à ce qu’il prenne plus d’un verre de champagne à la fois. En Belgique, on appelle couramment le champagne de wijn der stervenden, le vin des mourants, dont il est même courant d’humecter les lèvres avec des compresses imbibées de champagne. Il est de règle d’en faire boire chaque jour aux personnes âgées pour lesquelles le médecin ne peut plus rien. Il arrive qu’il leur soit tellement salutaire qu’elles en prennent ainsi plusieurs jours ou plusieurs semaines avant de mourir, et on cite même des vieillards pour lesquels ce régime a duré des années, semblant démontrer le bien-fondé du conseil de Rabelais : Beuvez toujours, vous ne mourrez jamais. À un chapitre anniversaire de la Vlaamse Wijngilde, la ligue flamande des amis du vin, qui s’es t tenu à Aalst en 1980, le ministre de la Communauté néerlandaise et de la Région flamande a rappelé dans son allocution qu’à 84 ans l’écrivain Herman Teirlinch s’était vu interdire le bourgogne mais autoriser le champagne jusqu’à la fin de sa vie. Il est mort à 88 ans.
Et lorsque est venu le temps de franchir le pas, le champagne peut aider le mourant dans ses derniers moments. C’est ainsi qu’à l’hôpital de Montauban, pour ne citer que celui-là, on donne à tout mourant une demi-bouteille de champagne.

On peut citer l’exemple de Paul Huf, célèbre acteur hollandais, tel que l’a raconté sa fille la journaliste Emmy Huf dans Wijn & Spijs de juin 1981. Sur son lit de mort il demandait du champagne. Je lui en trouvais bien que ce fût au milieu de la nuit. Après qu’on lui en eût versé un verre, dans une flûte car il n’aurait pas supporté de le prendre dans un gobelet de l’hôpital, il a dit : « Boire du champagne, c’est goûter et écouter en même temps », puis il a prononcé une phrase de Schiller « Nobel soll der Mensch zu Grande geh’n » (« L’être humain doit avoir une fin honorable »). Tels furent les derniers mots d’un acteur qui avait toujours intensément apprécié les nourritures terrestres.

Un autre exemple émouvant, que l’auteur du présent ouvrage tient de la nièce de l’intéressée qui l’assistait à ses derniers moments, est celui d’une dame belge de 92 ans. Sur son lit de mort, ne pouvant plus se nourrir, ne pouvant plus parler, elle a fait comprendre par gestes qu’elle avait soif. On lui a apporté de l’eau : signe négatif, puis de la bière qui a suscité la même réaction. On a eu alors l’idée de lui proposer du champagne. Elle a acquiescé de la tête et lorsque le verre est arrivé avec son liquide pétillant, elle l’a bu doucement... et elle a rendu l’esprit.

Comme l’a écrit Pierre Andrieu, le regretté et éminent gastronome et œnophile : Il faut bien mourir un jour. Soit ! C’est là une éventualité que les sages considèrent sans angoisse, surtout s’ils ont atteint un âge respectable. Mais que ce soit calmement, en toute quiétude, en tout contentement des actes passés, avec sereine philosophie, et verre en main, sur une dernière gorgée d’un fameux millésime  [20].

Notes

[1LURINE et BOUVIER. Physiologie du vin de Champagne par Deux buveurs d’eau. Paris, 1841.

[2CONSTANTIN-WEYER. L’Âme du vin. Paris, 1932.

[3MAUMENÉ (E. ;J.). Traité théorique et pratique du travail des vins, leur fabrication, leurs maladies. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1873.

[4Le Cuisinier et le Médecin par une société de médecins, de chimistes, de cuisiniers et d’officiers de bouche, sous la direction de Mr. L.M. Lombard. Paris, 1855.

[5RÉAI. (Antony). Ce qu’il y a dans une bouteille de vin. Paris, 1867.

[6MENNESSON (J.B.A.). Observateur rural de la Marne. Épernay, 1806.

[7MONCEAUX (Dr R.H.). Le Vin de Champagne dans la diététique des opérés, dans Diététique et nutrition, décembre 1951.

[8MAURY (Dr E.-A.). Soignez-vous par le vin. Paris, 1974.

[9EYLAUD (Dr Jean-Max). Vin et santé. Vertus hygiéniques el thérapeutiques du vin. Soissons, 1960.

[10ANDRIEU (Pierre). Petite histoire du champagne et de sa province. Paris, 1965.

[11GUAGNINI (Enrico). Lo Champagne. Florence, 1979.

[12MAUMENÉ (E. J.). Catalogue des instruments et appareils pour le travail des vins mousseux inventés par MM. E. Maumené et L. Jaunay. Corbeil, 1873.

[13GRANVILLE (D’ Joseph Mortimer). Goul in ils clinical aspects. Londres, 1885. GRÉGOIRE. VOIT 0. de SERRES.

[14MAURIAC (Dr E.). Le vin du point de vue médical. Bordeaux, 1903.

[15FRAMBOISIÈRE (Nicolas-Abraham de). Gouvernement nécessaire à chacun pour vivre longtemps en santé. Paris, 1601.

[16PALATINE (Princesse Elizabeth-Charlotte, la). Correspondance complète de Madame, duchesse d’Orléans, par M.G. Brunet. Paris, 1857.

[17DIDEROT. Jacques le Fataliste.

[18FEREY (J.G.F.). Essai sur l’emploi médical du vin. Paris, 1804.

[19Journal des savants pour l’année MDCCVI. Paris, 1706.

[20ANDRIEU (Pierre). Petite histoire du champagne et de sa province. Paris, 1965.