UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

La défense de l’appellation

1. NATURE ET DANGER DES USURPATIONS D’APPELLATION

L’appellation Champagne représente un capital important, graduellement édifié depuis trois siècles. Propriété individuelle et collective, elle doit être protégée contre ceux qui sont tentés de se l’approprier. Ils sont nombreux car le mot magique de champagne étant une sorte d’aimant qui attire le consommateur, les producteurs non seulement de vins mousseux, mais même de liquides divers, ont toujours cherché à utiliser cette force d’attraction pour la vente de leurs produits, tantôt directement, tantôt par d’adroits subterfuges ou des déformations de mots qui leur Permettent parfois d’éviter de tomber sous le coup de la loi [1]. Une appellation d’une telle valeur doit être défendue contre ceux qui ne veulent pas reconnaître qu’elle est, non pas un mot générique, mais bien la définition d’un vin d’exception, produit selon des règles qui lui sont propres, issu de la Champagne viticole, seule région au monde où se trouvent réunies les conditions de son unicité et de sa qualité inégalable, le sous-sol, le climat et le savoir-faire.

La concurrence déloyale est avant tout le fait des autres vins mousseux qui, se parant des plumes du paon, profitent abusivement du prestige du champagne et de son succès en tentant de se faire passer pour lui auprès du public. Il est déjà regrettable qu’ils puissent faire usage de la bouteille champenoise qui, malheureusement, n’a pas fait l’objet d’une protection légale quand il en était encore temps. Il est plus grave encore qu’ils s’appellent tout simplement champagne lorsque la législation des pays de production ou de vente le permet. Le bénéfice qu’ils en retirent est immense. Ainsi, alors qu’aux Etats-Unis 80 millions d’habitants consommaient en 1912 environ 4 millions de bouteilles de champagne, pour 200 millions d’habitants il n’en a été importé en 1979 que 7 800 000 bouteilles en raison d’une production locale de 112 millions de bouteilles de mousseux, étiquetées champagne bien qu’elles soient originaires de Californie ou de l’Etat de New York.

Les lois fédérales prescrivent que la provenance doit être indiquée sur l’étiquette : american ou californian, par exemple. Mais les mots ainsi ajoutés sont le plus souvent écrits en très petits caractères ; seul champagne attire le regard.

L’usurpation de l’appellation est tellement entrée dans les mœurs aux Etats-Unis que l’on y vend, notamment sur les lignes aériennes intérieures, un kit pour faire le champagne à domicile. Il se compose d’un petit bidon de jus de raisin concentré, d’un sachet de levures, du mode d’emploi avec deux procédés dont un rapide pour gens pressés, et d’une étiquette libellée en français, Champagne. Production et mise en bouteille par la famille pour votre plaisir, complétée par la mention suivante en anglais : Ingredients : grape juice - citric acid - permitted preservatives !

Dans le cas, heureusement le plus fréquent, où l’usurpation pure et simple de l’appellation n’est pas possible, tous les moyens sont bons pour induire en erreur le consommateur ; on en a vu maints exemples à propos de l’histoire du commerce du champagne au XIXe siècle. On imite celui-ci en copiant son habillage, et on sait que depuis que les vins mousseux se fabriquent partout, il y en a qui portent, textuellement ou à une ou deux lettres près, les noms des plus grandes familles du champagne.

Toutes les ressources de l’étiquette sont utilisées et on y trouve souvent des lieux fictifs de production qui rappellent la géographie champenoise. Dans certains cas, ils peuvent être réels et avoir été choisis à dessein. C’est ainsi qu’au XIXe siècle des Américains plantaient des vignes dans l’Etat de New York et donnaient aux villages sur les territoires desquels elles étaient situées des noms de localités de la Champagne viticole, que l’on retrouve encore sur leurs étiquettes de vin mousseux. Au début de ce siècle, Emile Roche écrivait : On a fondé une ville aux U.S.A. que l’on a appelée Rheims. On a trouvé une veuve Pommery, cuisinière, on l’a fait venir pour créer une marque de mousseux [2]. Il y a aussi dans l’Illinois une ville appelée Champaign. Il existe en Europe plusieurs localités nommées Champagne, en Belgique dans les Hautes Fagnes, mais aussi dans des pays de vignobles, comme en Italie, dans le Val d’Aoste, ou en Suisse, au bord du Lac de Neuchâtel, sans que l’usurpation de l’appellation soit à craindre, en raison des règlements communautaires et, pour la Suisse, d’une loyauté commerciale éprouvée.

Les imitateurs cherchent aussi à faire prendre leur produit pour du champagne au moyen de publicités tendancieuses. Ils jouent sur les expressions dérivées du mot champagne, comme méthode champenoise, affirmant qu’il se boit comme le champagne, ou l’associant, dans le texte ou sur l’image, avec des pinces à champagne, flûtes à champagne, etc. En Italie, des mousseux sont qualifiés dans la presse de champenois par référence à la méthode champenoise... qu’ils ont abandonnée depuis longtemps pour la fabrication industrielle, et on a pu lire dans une annonce de la revue allemande Quick du 13 novembre 1980 : Notre champagne français d’Osaka est garanti semblable, à la dégustation, au champagne d’origine. Or, il s’agit parfois à l’étranger de boissons mousseuses de basse qualité, éventuellement présentées en boîtes de conserve ! leurs producteurs n’hésitant pas à préciser dans leurs annonces qu’il convient de se méfier des imitations françaises ! Ces pratiques, que le développement des médias rend de plus en plus opérantes, peuvent créer la confusion dans l’esprit du public et dégrader peu à peu l’exclusivité attachée à l’appellation Champagne, qui risquerait de devenir un jour générique on n’y prenait garde.

Les Champenois ne pourront jamais produire suffisamment pour satisfaire la soif mondiale de vin effervescent. Ils n’ont donc aucune raison de s’insurger contre le succès des mousseux, dont certains sont d’ailleurs parfaitement estimables. Ils acceptent la concurrence, et peuvent même penser que ce marché de bulles dispose une certaine partie de la clientèle à accéder au champagne, mais encore faut-il que le débat soit loyal et que chaque produit se fasse valoir en fonction de ses propres mérites.

S’efforcer de faire prendre des vins mousseux pour du champagne est regrettable, mais que penser des produits qui sans avoir rien de commun avec lui en usurpent le nom ou s’en servent pour des fins commerciales en le détournant de sa signification première ? D’aucuns s’en emparent sans aucun artifice, pour baptiser un liquide mousseux qui n’est même pas du vin ou, comme cela s’est vu au Canada, une marque de soutien-gorge, ou encore, comme l’a fait en France la régie des tabacs, pour lancer en association avec des pays étrangers une cigarette contenant une sélection des meilleurs crus de Virginie ! Certains espèrent profiter de l’aura du champagne en se faisant connaître comme le champagne des eaux de table ou de tout autre chose, ou en accolant le mot champagne à leur produit, comme champagne cider pour le cidre britannique. D’autres utilisent même le champagne dans la composition de leur produit, dentifrice au champagne par exemple, à seule fin d’en rehausser le prestige. Et dans tous les cas, comme pour les mousseux, la publicité et la presse multiplient l’effet recherché d’assimilation au champagne, à tel point que dans un journal belge on a pu lire, à propos du vin de pissenlit produit dans le Hainaut, que plus il vieillit, plus son goût se rapproche de celui du champagne.

Certes, il s’agit souvent d’un hommage qui lui est rendu indirectement. Dans une publicité parue dans la presse internationale pour le Mohair, on a pu lire : Champagne fibre. Le Mohair est une fibre textile qui ressemble au champagne. Comme lui, sa vie commence en plein air sur des coteaux ensoleillés. Pour le filer, le tisser, le transformer en couverture, il requiert également les soins vigilants d’une main-d’œuvre qualifiée. Du champagne, les couvertures de Mohair ont le chic, l’élégance, la légèreté, la chaleur et la vivacité.

Un si beau compliment est en quelque sorte une publicité pour le champagne, de même que lorsque dans la presse on lui compare un match effervescent de rugby ou une pièce de théâtre pétillante. Mais il y a toujours le risque que son image se trouve diluée, que sa notoriété soit victime d’un transfert sur d’autres produits.

Lorsque ceux-ci sont de sa classe et ont une renommée flatteuse, comme un parfum ou une robe de grand couturier, ce n’est pas encore très grave. Cela le devient bien davantage avec certains objets qui le dévaluent par le simple fait du rapprochement des identités.

Dans Le Journal du vin de mars 1979, Joseph Dargent, qui a été de 1947 à 1981 le délégué à l’information du C.I.V.C. et en même temps le défenseur de l’appellation, raconte qu’un fabricant de faïence lui a présenté un de ses articles ayant la forme d’un bouchon de champagne. Le mot champagne y apparaissait en toutes lettres. « C’est une poubelle de table je suis fier de vous la présenter parce qu’elle va être une magnifique publicité pour le champagne ». Et Joseph Dargent de conclure : Nous avons évidemment levé les bras au ciel à l’idée qu’on puisse mettre le mot champagne sur une poubelle de table.

Et cela devient réellement dangereux avec un produit de grande consommation car l’appellation court le risque de se banaliser, à la limite de se vider de son sens originel et de tomber dans le domaine public, ruinant ainsi la politique de défense de ceux qui le protègent. Et c’est bien de cela en définitive qu’il s’agit. L’appellation Champagne est fragile, elle doit être défendue. Par qui et comment l’est-elle ?

2. MODALITÉS DE LA DÉFENSE DE L’APPELLATION

Les premiers défenseurs de l’appellation sont les producteurs et les fidèles du champagne. En outre, deux organismes s’y emploient en permanence, l’Institut national des appellations d’origine et, agissant au nom de ses ressortissants, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne. L’un et l’autre œuvrent de concert, soutenus à l’étranger par les conseillers commerciaux des ambassades. La défense est menée dans deux secteurs d’activité différents, destinés l’un à prévenir les usurpations, l’autre à les combattre.

Dans le domaine de la prévention, le champagne est d’abord défendu par les soins que prennent les producteurs pour lui conférer de manière incontestable un caractère sincère et véritable qui, joint à l’exclusivité de l’origine et à la garantie des contrôles, est de nature à décourager la contrefaçon. Il l’est aussi dans la mesure où les amateurs de champagne et les formateurs d’opinion, pour ne pas donner des armes à l’adversaire, s’interdisent formellement d’employer des expressions telles que champagne américain, champagne russe. Joseph Dargent avait l’habitude de dire que chaque fois que l’on accole au mot champagne un adjectif le qualifiant comme étranger on tue un vigneron champenois. Dans le même esprit, il convient d’observer une grande prudence dans l’emploi des mots dérivés de champagne, comme champagnisé, champagnisation, exclus de la législation française, mais que l’on utilise à l’étranger et... même parfois en France. Si Maurice Chevalier pouvait écrire d’une manière plaisante que lorsqu’il était un peu champagnisé, la vie était belle  [3], il est regrettable que l’un des dictionnaires modernes les plus répandus, que la charité empêche de nommer, définisse le cidre bouché comme du cidre champagnisé ! Il convient, enfin, d’informer et d’éduquer le public, puis de lui faire prendre conscience des bienfaits de l’appellation d’origine Champagne.

En ce qui concerne les actions à mener contre les usurpations, la persuasion et la négociation à l’amiable sont employées chaque fois que c’est possible, en particulier pour faire corriger les erreurs relevées dans la presse et qui, en France tout au moins, sont le plus souvent le fait de journalistes dont la bonne foi a été surprise. Lorsqu’il faut combattre une usurpation manifeste, il arrive que l’on puisse opérer de même et on fait alors valoir différents arguments, dont les vols de nom et de réputation, les différences des produits, les habitudes de consommation et même, dans certains cas, l’intérêt bien compris de la partie adverse. Mais le plus souvent le champ clos est le tribunal. Les procès durent des années et coûtent extrêmement cher mais le résultat, lorsqu’il est positif, a un grand retentissement et constitue à la fois une propagande pour le champagne et une arme qui prend place dans l’arsenal juridique et législatif de la protection de l’appellation Champagne.

3. HISTORIQUE DE LA DÉFENSE DE L’APPELLATION DANS CERTAINS PAYS ÉTRANGERS

La panoplie des moyens de défense est complète et efficace en ce qui concerne la France (notamment avec la Loi du 26 mars 1930, réprimant les fausses indications de provenance) et, par le biais de la réglementation communautaire, les pays d’Europe occidentale, si bien que les usurpations y sont très rares. Ailleurs, par contre, surtout dans les pays producteurs de mousseux, on éprouve le plus souvent une grande difficulté à faire respecter l’appellation Champagne. Le langage courant s’en est souvent emparé et les textes qui permettraient de réagir sont rares et interprétés dans un sens favorable au commerce indigène d’imitation.

Il existe pourtant une base législative. Ce sont 87 Etats qui maintenant adhèrent à la Convention d’union de Paris, complétée par l’Arrangement de Madrid, accords qui ont pour but de réprimer sur le plan international les fausses indications de provenance et de protéger et enregistrer les appellations d’origine reconnues. Malheureusement, certains pays ne les ont pas signés ou les ont signés mais ne les ont pas ratifiés. Il en est qui les interprètent de façon restrictive, comme l’Espagne, dont les tribunaux ont admis pendant longtemps l’expression champagne espagnol, sinon sur les étiquettes, tout au moins dans la publicité, facilité qui n’a été supprimée sur le territoire espagnol que depuis 1983, en application d’une convention franco-espagnole du 27 juin 1973.

La lutte est donc difficile. Il pourrait être tentant de recourir à la marque collective pour assurer de façon indirecte la protection de l’appellation dans certains pays étrangers, mais ce serait probablement peu efficace, et même dangereux car ils pourraient en tirer argument pour refuser leur protection à l’appellation Champagne, sous prétexte qu’étant devenue une sorte de marque commerciale, elle serait tombée dans le domaine public. On risquerait en outre de compromettre l’action entreprise au niveau international pour une reconnaissance généralisée de la notion d’appellation. En attendant, il faut tirer le meilleur parti possible de la jurisprudence et de la législation existantes, mais aussi des accords bilatéraux, ou de certaines dispositions prises à l’initiative des Etats, ayant pour effet la protection des appellations d’origine ou de l’appellation Champagne elle-même.

Il ne peut être question de traiter ici de cette protection telle qu’elle est ou non assurée dans chaque pays, mais les cas concrets ci-après aideront à bien faire comprendre la difficulté et la portée du problème. Deux affaires, de poids différents, ont eu lieu en Grande-Bretagne au cours du siècle. La première, connue comme le Champagne case, a été d’une extrême importance, car son heureux dénouement a interdit définitivement l’accès du marché britannique aux faux champagnes, et fait jurisprudence dans des pays de droit anglais. En 1958, un tribunal britannique avait admis que le mousseux catalan Peralda pouvait se faire appeler en Grande-Bretagne champagne espagnol. Le C.I.V.C. (Vignerons et Maisons de Champagne) a engagé une action judiciaire pour faire annuler cette décision, qui avait provoqué un émoi considérable en Grande-Bretagne aussi bien qu’en Champagne.

Le 16 décembre 1960, la High Court of England a annulé le jugement de 1958 et condamné toute usurpation de l’appellation Champagne en Angleterre, par la voix du juge Danckwerts, qui a déclaré : Le vin des défendeurs n’est pas du champagne et c’est un mensonge de le présenter comme tel ; non seulement c’est un mensonge, mais si la présentation qui a été ainsi faite de ce produit a eu un caractère délibéré dans le but de profiter de la renommée du champagne authentique, mondialement connu, pour promouvoir la vente dudit produit, j’estime qu’il est malhonnête de donner le nom de champagne à ce vin espagnol.

Le retentissement de cette décision a été très grand comme on peut s’en convaincre à la lecture d’articles de presse de l’époque, accompagnés de caricatures, célébrant la victoire du champagne, et cela dans de nombreux pays. Quant au défendeur, il dut rebaptiser ses bouteilles Spanish sparkling usine et leur prix s’en trouva ramené du jour au lendemain de 22 à 11 shillings !

La deuxième affaire britannique mettait en cause non pas un vin mousseux, mais des boissons gazeuses à base de jus de pomme ou de poire, étiquetées champagne cider et champagne perry. Leurs producteurs s’appuyaient pour ce faire sur un texte britannique de 1953, le Labelling of food order, mais se trouvaient cependant en contradiction avec la décision du juge Danckwerts. Le 13 mai 1975, la High Court of England, par la voix du juge Whitford, a fait interdiction aux firmes en cause d’utiliser à l’avenir les expressions litigieuses.

Au Canada, les vins mousseux sont vendus sous le nom de champagne canadien, bien qu’un accord commercial ait été conclu le mai 1933 entre le Canada et la France, selon lequel chacune des hautes parties contractantes s’engage à protéger sur son territoire les produits de l’autre contre toutes les formes de la concurrence déloyale, notamment les appellations de lieu d’origine des produits vinicoles. En avril 1964, dix-sept maisons de champagne, à l’instigation du C.I.V.C. (Vignerons et Maisons de Champagne) et représentées par lui, avec appui de l’ I.N.A.O., avaient entamé une action judiciaire contre le mousseux Château-Gai, avec l’intention de faire étendre ensuite à tous les producteurs de mousseux canadien les résultats d’un procès dont le dénouement semblait devoir servir les intérêts des Champenois. En effet, un premier jugement entièrement favorable au champagne était rendu en décembre 1968 par la Cour supérieure du Québec et confirmé en appel le 2 novembre 1972. Parallèlement, la validité de l’accord commercial franco-canadien avait bien été contestée devant la Cour de l’Échiquier à Ottawa par l’adversaire, mais avait été débouté de ses prétentions par jugement du 16 avril 1970. Enfin le 2 avril 1974, la Cour fédérale suprême du Canada, après les tribunaux du Québec, confirmait les jugements de 1968 et 1970. Il semblait donc que cette décision avait mis un terme à l’affaire. Château-Gai s’était vu interdire de désigner ses vins mousseux sous nom de champagne et tout donnait à penser que toutes les firmes canadiennes seraient obligées de faire de même. Or, celles-ci ont contre-attaqué en faisant pression sur le gouvernement fédéral qui a dénoncé le 15 décembre 1977, avec effet au 15 mars 1978, l’accord franco-canadien de 1933, pourtant ratifié au Canada où il était devenu une loi d’Etat par un vote du Parlement d’Ottawa !

Dans le reste du Commonwealth, la situation varie selon les pays. En Australie, les vins mousseux locaux ne portent le nom champagne que s’ils sont entièrement élaborés en bouteilles, ce qui n’est le fait que d’une petite minorité. La Nouvelle-Zélande, qui a signé les accords de Madrid et de Lisbonne, respecte l’appellation Champagne. Il y a quelques années, aux Bermudes, le C.I.V.C. (Vignerons et Maisons de Champagne) pu faire cesser l’usurpation qui y était faite du mot champagne, par les Américains notamment. L’ordonnance qui en a décidé lui permet ainsi d’intervenir, si nécessaire, ailleurs dans les Caraïbes.

Au Japon, l’appellation champagne était usurpée au profit d’une production annuelle d’un million de bouteilles de mousseux locaux, certains provenant des vignes japonaises, d’autres fabriqués avec différents produits d’origine incertaine. L’habillage s’inspirait des usages champenois et tous les efforts étaient faits pour faire passer le breuvage pour du champagne. Dès 1970, une action en justice avait été envisagée par les producteurs champenois. Mais la méthode de persuasion a été préférée et après de multiples démarches du C.I.V.C. et de l’ I.N.A.O. un accord a été signé à Tokyo le 21 décembre 1972 entre le C.I.V.C. et les maisons de champagne dont les marques sont vendues sur le marché japonais d’une part, et la Japan Spirits and Liquor Makers Association et les producteurs japonais de vins mousseux d’autre part. Ces derniers ont renoncé, à compter du 1er janvier 1973, à tout usage indu du mot champagne ou de termes dérivés de celui-ci cette décision s’appliquant aussi bien aux boissons de toute nature produites par les signataires japonais qu’à celles d’autres provenances dont ils assurent la commercialisation, à l’exception du champagne bien entendu.

Mais hélas ! combien de pays, et non des moindres, où les défenseurs de l’appellation Champagne se trouvent pratiquement sans moyens d’action ! C’est le cas de l’U.R.S.S., et si la plupart des autres pays de l’Est ont signé des accords leur interdisant d’appeler champagne leurs vins mousseux, on y prend toutes les libertés possibles sur l’étiquette, usage de noms français comme Pompadour Muskotalyos demi-doux, en Hongrie, fermenté selon la méthode du champagne (ce dernier mot en exergue) en Roumanie, etc. C’est le cas de l’Amérique du Sud, où on n’a généralement aucune notion du respect des appellations et dont les pays producteurs de vin n’ont ratifié aucune des conventions internationales sur la protection industrielle ou commerciale. C’est aussi le cas des Etats-Unis, où toute intervention serait assurée d’aboutir à un échec car si l’Encyclopedia Americana, édition de 1965, identifie le champagne comme un vin mousseux français, fait principalement dans le département de la Marne, dans une partie strictement délimitée de l’ancienne province de Champagne, la réglementation américaine le définit comme un vin blanc mousseux, léger, ayant les caractéristiques du vin auquel les Français donnent le nom de champagne. Les Américains ont donc leur « champagne » comme ils ont leur « chablis ». Certains de leurs producteurs cependant, parmi ceux dont les entreprises sont à l’échelle humaine et non industrielle, sont assez fiers de leurs vins pour renoncer à utiliser des dénominations étrangères usurpées. Ils leur donnent des noms de cépages, se contentant pour les vins mousseux de mettre sparkling wine, ce qui est également le cas pour les vins mousseux produits en Californie par des maisons de champagne, dont l’étiquetage, comme on peut s’en douter, ne prête en aucune manière à confusion. C’est le commencement de la sagesse, mais elle est encore bien mal partagée !

Il ne faut cependant pas désespérer. La protection de l’appellation Champagne est une œuvre de longue haleine et l’action persévérante de ses défenseurs permet de penser que des succès seront encore obtenus dans ce domaine.

Notes

[1HODEZ (Roger). La Protection des vins de Champagne par l’appellation d’origine. Paris, 1923.

[2ROCHE (Émile). Le Commerce des vins de Champagne sous l’ancien régime. Châlons-sur-Marne, 1908.

[3CHEVALIER (Maurice). Môme à cheveux blancs. Paris, 1969.