UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Réserves éventuelles dans l’emploi du champagne

Traitant des contre-indications dans l’emploi du champagne, le docteur R.H. Monceaux écrivait dans le numéro de décembre 1951 de Diététique et Nutrition : Elles sont rares : les ictères, les grandes insuffisances hépatiques, les néphrites albuminuriques sont à peu près les seuls cas pour lesquels il vaut mieux s’abstenir.

Il y a des personnes allergiques au Champagne, mais en très petit nombre. Grimod de la Reynière devait en être, lui qui a écrit : On sait que tous les Vins de Champagne troublent presque toujours la digestion [1] alors que le corps médical a constamment affirmé le contraire, confirmant ainsi l’expérience des buveurs de bonne foi. Il est vrai que l’on sait par la duchesse d’Abrantès que pour ses contemporains M. de la Reynière, que personne n’aimait, était un cynique méchant et atrabilaire [2]. Peut-être avait-il mal déjeuné le jour de l’année 1807 où il a écrit cette attristante contre-vérité. Quoi qu’il en soit, l’allergie au champagne existe, mais elle peut être combattue. Pour ce faire, les médecins homéopathes utilisent la technique de l’isothérapie en administrant aux patients des dilutions, à doses infinitésimales, de... champagne, en vertu de la loi des semblables, principe de base de l’homéopathie.

Allergiques et grognons mis à part, il peut arriver que certaines personnes se plaignent des effets du champagne, car sa consommation pose un double problème de quantité et de qualité. Le titre alcoométrique du champagne est, comme on l’a vu, généralement plus élevé que celui des vins de table. Selon le professeur Ch. Fiessinger, de l’Académie de médecine, bien connu pour ses études sur les vins et l’alcoolisme, un homme sain peut boire sans danger, en mangeant, 1 gramme d’alcool-vin par kilo de poids du corps et par jour, soit bouteille de champagne pour un homme pesant 72kilos (ou une bouteille et demie pour un homme de 110 kilos). Si on dépasse très largement cette limite jouralière, ou si on boit beaucoup trop à la fois, on court risque de subir les effets nocifs que peut provoquer l’alcool, vaso-dilatateur et donc responsable de maux de tête s’il est ingéré en trop grande quantité [3], risque cependant atténué par la présence du gaz carbonique.

Certes, il peut arriver que l’on boive trop de champagne, mais il n’en résulte généralement que des effets bénins et sans suite. Françoise Sagan a écrit dans un de ses romans : Le lendemain matin fut pénible, sans doute à cause des whiskies de la veille. Il serait impensable d’écrire la même phrase en y remplaçant whisky par champagne. Il est frappant de constater que dans le vignoble champenois il n’y a pratiquement pas d’ivrognes, et que dans les œuvres littéraires et les chansons traitant de l’ivresse, et Dieu sait si elles sont nombreuses, le champagne n’est presque jamais mentionné. Ainsi, il n’est pas cité une seule fois dans les 16 strophes de l’Ode à l’ivresse de Charles Monselet qui pourtant en parle partout ailleurs. Autre exemple : l’Assiette au beurre, le journal satirique dont les nantis étaient la cible privilégiée, a publié le 6 octobre 1906 un numéro entièrement consacré à l’alcoolisme ; le champagne n’y figure ni dans les textes, ni dans les dessins. Le champagne pourra, a-t-on écrit dans la revue Brie et Champagne de 1894, bu avec excès, vous égayer plus que de coutume, mais son ivresse est fumée légère ; un vent frais la dissipe : elle laisse l’esprit dispos et la tête sans douleur.

Il est important de citer à ce propos Jullien, toujours objectif dans ses jugements : Les vins mousseux de Champagne sont à juste titre préférés à tous ceux de la même espèce que l’on prépare dans d’autres vignobles. Leur supériorité ne provient pas d’un haut degré de spiritueux, de corps et de parfum, mais de ce que ces qualités ne s’y rencontrent qu’en proportions convenables pour constituer des vins fins, légers, délicats et susceptibles d’être bus à haute dose sans être incommodés ; enfin ce sont des vins plutôt aimables que très-généreux, et dont l’ivresse se dissipe promptement  [4].

André Simon a cependant écrit fort justement : C’est une erreur de prendre trop de champagne, de le boire trop doux ou trop froid : on en retire un mal de tête et une soif désagréable le matin suivant [5]. Trop de champagne, on vient de voir pourquoi ce peut être dangereux. Trop doux n’est plus guère à craindre, car même le demi-sec est relativement peu dosé, ce qui, entre parenthèses, n’est pas toujours le cas avec certains vins mousseux, mais il est de fait que le sucre ajouté au vin et non transformé fait souvent avec ce dernier mauvais ménage. Quant à trop froid, c’est un danger réel qui guette les estomacs délicats, avec le champagne comme avec tout autre aliment ; aux Entretiens de Bichat de 1980, les boissons glacées ont été citées dans les causes possibles du mal de tête. André Simon aurait pu ajouter trop jeune, car un vin dont le vieillissement est insuffisant peut irriter l’organisme.

Quoi qu’il en soit, le champagne, qui ne doit pas être servi trop froid, est rarement trop doux et, compte tenu des règles de vieillissement, encore plus exceptionnellement trop jeune. Lorsqu’il est accusé de causer des maux de tête, mis à part un excès caractérisé, c’est le plus souvent que son ingestion a été précédée, accompagnée ou suivie de celle d’aliments solides ou d’autres boissons, apéritifs, vins, liqueurs, eaux-de-vie, et qu’il en est résulté un mélange fâcheux pour l’organisme. Cela a été parfaitement exposé par Thomas Valker qui a écrit : Moins il est mélangé avec d’autres vins, mieux il s’accorde avec chacun, et les effets blâmables qui lui sont attribués sont souvent en réalité le résultat d’une combinaison excessive avec d’autres liquides. S’il était pris seul et en quantité convenable, je pense qu’il y a peu de constitutions auxquelles il ne serait pas bénéfique [6]. Aragon avait raison de dire : C’est méchant sur le Pernod, le champagne [7] ; mais ce n’est pas le champagne qui est coupable, pas plus d’ailleurs que le Pernod, mais la combinaison des deux, surtout s’il y a excès. C’est ainsi, notamment, que certains cocktails au champagne peuvent être mal reçus, et même des cups où le champagne domine, si on y a ajouté trop de sucre.

Une anecdote contée par Saint-Simon fait état d’un mariage particulièrement nocif : vin de Champagne et... tabac. Il écrit à propos du chanoine J.B. de Santeul et du duc de Bourbon : Un soir que Monsieur le Duc soupait chez lui, il se divertit à pousser Santeul de vin de Champagne, et, de gaîté en gaîté, il trouva plaisant de verser sa tabatière pleine de tabac d’Espagne dans un grand verre de vin et de le faire boire à Santeul, pour voir ce qui en arriverait [8]. J.B. de Santeul en mourut en deux jours, mais d’après les notes du père Léonard Santeul, qui se trouvait à Dijon, serait mort en buvant... du vin de Bourgogne (A 11).

Notes

[1GRIMOD de la REYNIERE (Laurent). Almanach des gourmands. Paris, 1803-1812.

[2ABRANTÈS (Duchesse d’). Histoire de Paris. Paris, s.d.

[3GOULD (Heywood). Headaches and Health. New York, 1973. Le Mal de tête. Paris, 1974.

[4JULLIEN (André). Topographie de tous les vignobles connus. Paris, 1816, 1822, 1832, 1866 (5e édition, revue et corrigée et augmenlée par C.E. Jullien).

[5SIMON (André). The History of champagne. Londres, 1962.

[6WALKER (Thomas). The Original, publié par Henry Morley. Londres, 1887 (paru en 1835 sous forme de livraisons périodiques).

[7ARAGON. font-family:Les Beaux Quartiers.

[8SAINT-SIMON. Mémoires, ed. A. de Boisisle, Paris, 1879-1918.