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Frère Oudart

Frère Oudart, chef de la Maison de Pierry
Né à Dormans, le 5 novembre 1654, Jean Oudart eut pu devenir vigneron, comme ses ancêtres. Mais, à vingt ans, sa foi religieuse le pousse à entrer à l’abbaye bénédictine de Saint-Pierreaux-Monts à Châlons, où il devient frère convers le 18 juin 1679.

Ce statut était réservé aux laïcs "convertis", c’est-à-dire changeant de vie pour devenir religieux. Leurs voeux de pauvreté, d’humilité, et de chasteté étaient d’abord temporaires, pour devenir définitifs, lorsqu’ils le souhaitaient. Libérés des ordres sacrés ils étaient chargés des activités matérielles de la communauté.

Le Père Abbé remarque vite la passion de Frère Oudart pour la culture de la vigne et la vinification des vins de l’abbaye. II l’envoie en mission à Pierry, près d’Épernay, où la congrégation possède des vignes et un centre viticole. Ses responsabilités sont importantes car le domaine viticole s’étend sur le terroir des communes de Pierry, Chouilly, Avize, Cramant et Épernay. Nous savons ainsi qu’au cours d’une vendange il fait appel aux services de 130 femmes et hommes, aidés de 8 chevaux et de 2 ânes, que la récolte annuelle s’élève en moyenne à 40.000 litres.

Exportateur au nouveau-monde

Frère Oudart devient un véritable chef de Maison de Champagne et se préoccupe aussi du commerce de son vin mousseux à destination de la haute société parisienne par l’entremise du grand négociant du moment, Adam Bertin du Rocheret, et exporte jusqu’aux Amériques déjà, expédition signalée dans un document d’archives qui mentionne "La Mérique".

Dans une lettre en réponse au Comte d’Artagnan, lieutenant-général des armées du roi, en son hôtel de Vaugirard, datée du 13 novembre 1700, Adam Bertin du Rocheret écrit :

Les bons vins et plus excellents se vendent 400, 450, 500, 550 livres la queue (environ 400 litres). Les médiocrement bons qui sont pourtant bons se vendent 300 livres, ceux d’après se vendent 150 livres jusqu’à 200 livres

. Puis, plus loin :

J’omettois de vous dire qu’après ces grands prix de vins, ceux des religieux d’Oviller (Hautvillers) et de Saint-Pierre (Pierry) sont de 800 à 980 livres, aussi bien que les premières cuvées de l’abbé de Fourille

.

La comparaison de ces prix de vente est très instructive, car elle montre à quel haut degré de perfection et de faveur étaient parvenus les vins d’Hautvillers et de Pierry, puisqu’ils se vendaient presque le double des meilleurs vins de la région. A cet égard, la cuvée tirée d’une vigne appelée "le clos Saint-Pierre", qui existe encore de nos jours, était la plus recherchée.

Un oenologue empirique

Frère Oudart entretient des relations pendant trente-cinq ans avec les abbayes de la même famille bénédictine de Saint-Pierre-aux-Monts à Châlons et de Saint-Pierre à Hautvillers. Cela est d’autant moins contestable que la paroisse de Pierry dépend de l’abbaye d’Hautvillers et ses dépenses sont payées par son procureur Dom Pérignon. Vraisemblablement, les deux "confrères en sainteté" collaborèrent-ils avec le souci commun d’élaborer les meilleurs vins.

Un document d’archives précise que frère Oudart "a livré au R.P. d’Hautvillers, 50 poinçons et 3 cacques de vin (soit 10.600 litres), le 17 octobre 1712". Claude Taittinger, passionné d’histoire et Président de l’AVC, s’interroge : "Dans quelle mesure le vin de frère Oudart se distingue-t-il de celui de Dom Pérignon ? Comment faut-il interpréter cette commande de bon vin mousseux de Pierry, travaillé selon la méthode du frère Oudart ? Quelles innovations Frère Oudart a-t-il apportées à ses techniques d’élaboration durant les vingt-sept années qui s’écoulent entre la mort de Dom Pérignon, en 1715, et la sienne, en 1742 ?"

Un succès reconnu

Le mystère se dissipe avec les circonstances de son enterrement et la découverte de sa tombe en 1972, grâce aux recherches conjointes de l’abbé Mathieu, curé de Pierry, et de Claude Taittinger.

En dépit de la modestie de sa condition, le frère convers Jean Oudart a été enterré dans la nef de l’église de Pierry, ce qui était contraire aux usages du temps. II était également contraire aux usages qu’une délégation de l’abbaye d’Hautvillers (avec son procureur Dom Pierre Chedel, Frère Pierre successeur de Dom Pérignon, et le sous-prieur Dom Basile Michel), se déplace pour les obsèques d’un humble frère et signe l’acte d’inhumation.

Nous savons en outre par son squelette que Jean Oudart mesurait 1,80 m. Or, sa tombe est plus longue (2,45 m) et à ses pieds un espace de 0,40 m avait été réservé. Pour quel usage ? Seul un bouchon de terre cuite avec des traces de colle y a été retrouvé car la sépulture a été violée. Que bouchait-il ? Quels étaient les autres objets ou documents disparus ? Pourquoi avoir effacé les inscriptions marquant l’emplacement de cette tombe découverte grâce à l’acte d’inhumation "miraculeusement" conservé dans les archives de Pierry ?

Pour Claude Taittinger :

Quelles que soient les réponses à ces interrogations, l’hommage exceptionnel dont a été l’objet le frère Oudart à son décès implique qu’il ait rendu d’exceptionnels services à son Ordre. Ces services ont dépassé le cadre d’une bonne gestion

. Les travaux oenologiques de Frère Oudart concernaient-ils la prise de mousse ? Est-ce le frère convers qui a mis au point la liqueur de tirage ainsi que certains le supposent ? Ce mystère fait aussi partie de la riche histoire des vins de Champagne, mais le rôle éminent joué par frère Oudart pour les vins de Champagne est incontestable.