UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Vendanges de millésimes exceptionnels

1985 - Moins déficitaire que prévu

La profession du Champagne éprouve un réel soulagement au lendemain de ces vendanges. En effet, la récolte a été plus abondante qu’on ne l’avait présagé. Et la qualité, au surplus, remarquable.

Tout ceci grâce au temps magnifique qui a favorisé la Champagne en septembre et en octobre. Le soleil a fait gonfler les raisins et donné du poids aux grappes. En même temps il les a fait mûrir dans des conditions idéales.
Début septembre, on ne comptait guère que sur 400.000 pièces [1]. Or la récolte représente finalement 555.000 pièces.
Cela ne suffit pas, certes, pour couvrir les expéditions de 1985. Il en aurait fallu 180.000 de plus. Mais le déséquilibre demeure supportable, étant donné le niveau actuel des stocks.
Un déficit, cependant, reste un déficit. Si l’amélioration du résultat tempère les inquiétudes, elle ne modifie pas, sur le fond, la situation générale. L’après 1985 va demeurer sous le signe de l’incertitude.
C’est ce que voudrait montrer l’analyse qui va suivre et qui se veut un bilan avant tout économique.
Il restera à raconter ensuite cette vendange : les inégalités de rendement que recouvre le volume global, ce qui fait que la qualité est jugée exceptionnelle, la hausse importante du prix du raisin par rapport à l’année dernière, enfin les bonnes conditions dans lesquelles s’est déroulé, dans l’ensemble, l’approvisionnement en raisins du Négoce, malgré l’étroitesse relative du marché.

L’activité est couverte, globalement, à 75 %

Les 555.000 pièces que totalise la récolte 1985 représentent un potentiel d’expéditions de 150 millions de bouteilles. Or les expéditions de l’ensemble de la Champagne ont atteint le chiffre de 198 millions de bouteilles pour les douze derniers mois connus (période du 1er octobre 1984 au 30 septembre 1985). Le rapport entre 150 millions de bouteilles et 198 millions donne bien 75 pour cent.

Pourquoi, pensera-t-on, ne pas comparer plutôt la récolte à l’activité de la campagne, c’est-à-dire à la période qui sert de référence à la veille de la vendange ? Ce ne sont pas 198 millions de bouteilles qu’il faudrait considérer dans ce cas mais 192 millions seulement, total des douze mois écoulés entre le 1er juillet 1984 et le 30 juin 1985.
La couverture, avec ce calcul, ressortirait à 78. Par conséquent un peu plus des trois-quarts, ce qui est plus flatteur encore.

Mais que l’on prenne l’une ou l’autre de ces bases, ou encore l’année 1985 du calendrier, la différence n’est pas significative. Et il y a peu de chance de se tromper dans la mesure où l’on sait très bien que le courant de l’activité va marquer le pas pendant un temps en Champagne étant donné les circonstances.

Il est encore possible après tout que les expéditions approchent le chiffre fatidique des 200 millions de bouteilles à la fin de décembre. Dans ce cas un certain recul se produira ensuite presque à coup sûr. Un palier devrait s’établir autour de la barre des 190 millions de bouteilles. Peut-être plutôt en dessous qu’au-dessus.

La hausse des prix du Champagne ne sera pas étrangère à cette légère contraction — provisoire, espérons-le — du volume des ventes.

Déjà au cours du second trimestre de cette année, un frémissement avait été décelé dans l’indice des prix moyens de vente suivi par le C.I.V.C. Un mouvement s’est déjà largement dessiné depuis la vendange. Il prend compte l’augmentation du prix du raisin sans en répercuter cependant l’incidence.

Le problème consiste à ralentir le développement sans pour autant casser les marchés ni décourager les amateurs de Champagne, ce qui serait tout à fait désastreux.
Qui ne se souvient de l’année 1984 ? Les expéditions, d’un seul coup, avaient régressé de 20 millions de bouteilles.
Il importe, tout le monde en convient, que les hausses de prix demeurent raisonnables et soient mises en œuvre, autant que possible, d’une façon progressive.

Le renfort des vins bloqués va masquer, provisoirement, le déficit

Mais non le compenser, comme on va l’expliquer à présent.
Il faut rappeler ici que la Champagne avait réalisé en 1982 et 1983 des récoltes très abondantes : 1.080.000 pièces la première fois et 1.100.000 la seconde.

L’idée était venue alors de soumettre à un blocage une partie de ces deux récoltes :

  • 1.300 kilos à l’hectare pour la récolte 1982,
  • 4.000 kilos à l’hectare pour la récolte 1983.

Ces mesures ont eu pour conséquence une double interdiction :
1 - Les vins obtenus ne pouvaient pas être tirés en bouteilles (ils devaient donc rester en cuves) ;
2 - ils ne pouvaient pas non plus être commercialisés (ils devaient donc rester chez les vignerons ou dans les coopératives, ou encore être mis "en logement" dans les Maisons).

Le but de l’opération était clair : constituer, à l’intérieur des stocks de la Champagne, une réserve à part, pour pouvoir ensuite la mobiliser en cas de pénurie, c’est-à-dire de récolte déficitaire.
Cette année, au mois de janvier, il a été décidé de libérer déjà les vins soumis au blocage en 1982, soit 87.000 pièces.

Au lendemain de la récente vendange, il vient d’être décidé de faire la même chose pour les 280.000 pièces immobilisées en 1983.

La moitié de ce volume se trouve déjà logée dans les Maisons. L’autre moitié est demeurée au Vignoble, chez les récoltants ou dans leurs coopératives. Les Maisons vont pouvoir acheter et tirer en bouteilles ce qu’elles détiennent. Elles pourront également se porter acheteuses d’une partie de ce qui est resté au Vignoble.

Les transactions s’effectueront au même prix que les raisins de la vendange 1985, car il avait été prévu au départ que le prix serait "celui de la vendange la plus proche".

Au total ces 280.000 pièces de 1983 libérées du blocage vont dégager un potentiel de 75 millions de bouteilles pour les tirages du printemps prochain. Ce volant s’ajoutera aux 150 millions de bouteilles que vont permettre de tirer les 555.000 pièces de la récolte de cette année.

Ces volumes additionnés donneront une réelle aisance dans l’immédiat Une certaine continuité sera maintenue au niveau des moyens de production. Et pour demain au niveau des moyens d’expédition. Mais l’effet de la libération du blocage s’arrête évidemment là.

Car les 280.000 pièces libérées constituaient, on l’a dit, une réserve à l’intérieur des réserves, une fraction immobilisée à l’intérieur du stock global.

Ce stock global va donc se trouver tout de même amputé de 40 à 45 millions de bouteilles en fin de campagne. Exactement 42 millions de bouteilles si le niveau des expéditions d’ici la prochaine vendange devait être le même qu’entre la vendange 1984 et la vendange 1985.

Un stock ramené à fin juillet prochain aux environs de 620 millions de bouteilles devrait correspondre, sur le plan d’ensemble de la Champagne, à légèrement plus de trois années d’expéditions au rythme actuel des ventes.
La marge de sécurité va ainsi disparaître mais l’équilibre ne sera pas encore dans la zone rouge comme en 1980 et 1981.
Tout souci serait écarté si la nature pouvait se montrer généreuse l’année prochaine.

Cette hypothèse n’est pas à exclure, en dépit du handicap que va constituer l’arrachage des vignes les plus éprouvées par le gel de l’hiver dernier.

VOLUME : LA BELLE FIN DE SAISON A ETE DECISIVE

Si le soleil n’a pas quitté le ciel champenois en septembre, ni en octobre, ce fut un juste retour des choses après les mauvaises conditions qui avaient prévalu jusqu’au mois de juin.

En janvier et février, faut-il en effet le rappeler, le thermomètre était descendu largement en dessous de -20°, causant en maints endroits des dégâts en grande partie irréparables. De mémoire de vigneron, un accident de cette gravité ne s’était pas produit depuis plusieurs dizaines d’années.

Le printemps, à la suite, n’a pas été un vrai printemps. Le gel a sévi à nouveau, frappant cette fois les jeunes bourgeons.

La situation s’est améliorée au début de l’été. La floraison de la vigne, étape combien importante, s’est déroulée rapidement. Les grappes rescapées du froid se sont tout de suite bien développées. Le chiffre de 5.000 kilos de moyenne à l’hectare a même pu être mis en avant à la fin du mois de juillet, au niveau des prévisions d’ensemble.
Le mois d’août a été plutôt frais, donc moins favorable, mais les raisins n’en ont pas souffert.
Lorsque septembre est arrivé, cependant, l’incertitude était fort grande.
Quelques semaines devaient encore s’écouler avant la cueillette et deux scénarios étaient alors envisageables :

  • en cas de temps médiocre, il fallait s’attendre à un faible accroissement du poids des grappes et à un déclenchement, par contre, du phénomène de la pourriture, avec pour conséquence de possibles nouvelles pertes de volume.
  • en cas de beau temps, au contraire, on pouvait espérer à la fois un bon grossissement et un bon état sanitaire.

Si l’hypothèse pessimiste s’était réalisée le vignoble aurait plutôt obtenu 4.000 kilos de moyenne à l’hectare que 5.000 kilos.
Le décalage, fort heureusement, s’est produit dans l’autre sens, à la grande satisfaction de tous.

1 ° — Les deux tiers d’une récolte normale
Sur la base des déclarations de récolte, le rendement moyen ressort à 6.800 kilos à l’hectare sur l’ensemble des 25.000 hectares du vignoble. Ce chiffre est à rapprocher de la moyenne générale des quinze récoltes précédentes, soit 9.500 kilos à l’hectare.

La proportion entre le rendement 1985 et celui des années antérieures se situe bien au niveau des deux tiers. Le rendement de 9.500 kilos qui est présenté ici comme une sorte de norme pour la Champagne ressort non seulement de la série complète des quinze dernières récoltes (1970 à 1984 inclus) mais aussi des résultats des dix premières considérées séparément et des cinq suivantes considérées elles aussi séparément.
Et pourtant les hauts et les bas n’ont pas manqué au cours de cette dernière phase.
Entre les deux extrêmes, la récolte de 1981 et celle de 1983, le rapport est de 1 à 3.
Cette très grande irrégularité est caractéristique de la Champagne, vignoble à haut risque s’il en est, parce que le plus septentrional de tous.

2° — Des inégalités de rendement très importantes d’un terroir à l’autre
Ces inégalités existaient au départ. Elles correspondaient essentiellement à la façon dont les gelées avaient frappé le vignoble. Certaines régions ont été éprouvées plus que d’autres et, à l’intérieur de ces régions, des crus et des parties de crus l’ont été à des degrés très différents.
Or ces inégalités se sont retrouvées à l’arrivée, au moment de la cueillette. Tout le monde, ou presque, a fait mieux (ou moins mal) que prévu, mais les écarts ont subsisté.
Certaines parcelles dont on n’attendait rien du tout ont produit quand même quelques centaines de kilos à l’hectare, celles qui n’en promettaient que 2.000 en ont apporté souvent 3.000 à 3.500 et celles qui étaient estimées 8.000 kilos en ont donné plus de 10.000.
L’éventail est donc resté très large, créant des différences de situation parfois mal ressenties. Mais tel est le lot, cruel, des productions liées à la nature.
Le vignoble de l’Aube figure parmi les régions spécialement défavorisées (surtout le Bar-sur-Aubois), ainsi que les coteaux Ouest de Reims et la face Nord de la Grande Montagne de Reims.
Sur les trois cépages le chardonnay est celui qui s’est le mieux comporté. C’est le pinot noir qui a donné les volumes les plus décevants cette année. Les résultats du meunier, quant à eux, ont été relativement honorables.

3° — Les récoltes dans les autres régions
Les autres vignobles français ont connu, dans l’ensemble, des péripéties analogues à celles de la Champagne : un très mauvais début de saison et des conditions plus favorables en fin de campagne. Mais les gelées les ont beaucoup moins éprouvés au départ.
Les rendements sont bien meilleurs, un peu partout, que ne le laissaient prévoir les estimations du milieu de l’été.
La sécheresse a cependant handicapé, à la fin, les vignobles les plus méridionaux.

QUALITE : L’ASSURANCE D’UN BEAU MILLESIME

Les raisins, on l’a déjà dit, se sont présentés dans un état parfait à l’heure de la cueillette.

La tâche des vendangeurs s’en est trouvée facilitée. Les opérations ont donc été menées plus rondement que d’habitude. Surtout, bien sûr, dans les crus où les grappes étaient peu nombreuses.

La vendange a débuté le lundi 30 septembre dans les secteurs les plus hâtifs. Les jours suivants, le mouvement s’est étendu progressivement aux autres régions. Le vendredi 11 octobre, tout était déjà terminé dans la plupart des crus.

Dix jours plus tard un second passage a été effectué dans beaucoup de vignes pour recueillir soit des grappes oubliées la première fois, soit des raisins dits de seconde génération que le beau temps persistant avait réussi à faire mûrir dans d’excellentes conditions, ce qui a été une chance supplémentaire.

Les services de la météorologie régionale ont relevé 226 heures d’ensoleillement en septembre et 175 en octobre. Pour septembre, la moyenne normale s’est trouvée dépassée de 62 heures et pour octobre de 70 heures. Comment s’étonner, dans ces conditions, que les raisins aient pu atteindre un état de maturité aussi remarquable.

Les degrés sont plus que satisfaisants pour une région comme la Champagne, où l’on ne recherche pas la richesse alcoolique mais la finesse et l’élégance. Bien sûr, les moyennes citées impliquent que beaucoup de mises en œuvre aient accusé des moyennes dépassant allègrement la barre des dix degrés.
L’acidité, gage de fraîcheur et de bonne conservation, est considérée comme fort convenable.
D’une manière générale, l’équilibre entre les deux facteurs, l’alcool en puissance et l’acidité, satisfait pleinement les vinificateurs. Les éléments sont réunis pour réaliser un beau millésime.
A quelle autre année les vins de 1985 vont-ils pouvoir se comparer ? A ceux de 1975, semble-t-il. Mais il ne faut pas se presser de porter des jugements. Les premiers tests de dégustation, au printemps, fourniront déjà quelques réponses intéressantes.

Bulletin CIVC 4ème trimestre 1985 n° 155
Analyses réalisées par les Ingénieurs & Œnologues des services techniques de l’AVC - CIVC

Notes

[1La pièce champenoise vaut 205 litres, soit 2,05 hectolitres.