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Christian Millau

Littérature du vin et de la table (1981)

LA BELLE ÉPOQUE À TABLE

La "haute noce" se précipite [...] chez Maxim’s qui, à partir de 1893, va rapidement donner à la Belle Epoque son label et créer, dans le pétillement des bulles de champagne, sa légende.

La fête du champagne

Encore un instant, Monsieur le bourreau... [...J Laissez-nous entendre encore une fois le claquement d’un bouchon de champagne et suivre des yeux la ronde des bulles dans une flûte de cristal. Une dernière gorgée en souvenir de la Belle Epoque... Dieu, que de bouteilles elle a décoiffées ! A ce propos, pardon d’avoir l’air savant, mais savezvous combien de bouteilles sont sorties des caves d’Épernay et de Reims en 1900 ? 30 millions. Et en 1909 ? 39 millions ! Contre 10 en 1853 et 300 000 seulement en 1785. Quelle soif ! Mais s’agit-il bien de cela ? Non, bien sûr. La Belle Epoque ne boit pas de champagne parce qu’elle a soif, mais bien parce que celui-ci est devenu le symbole de son plaisir de vivre. Qu’on soit noceur ou bourgeois. président de la République ou tribun de fin de banquet, il ne saurait y avoir de fête, si on ne lève pas sa coupe.

Les grands-ducs cassent les leurs (les mauvaises langues murmurent qu’une firme française de verrerie, installée en Russie, aurait discrètement lancé cette mode pour activer les ventes), Edouard VII se moque de l’Ordre du Bain en soupirant : « Si encore c’était un Bain de champagne... » (malgré la légende, lui-même n’en prendra jamais), Roederer envoie au Tsar, par wagons entiers, ses bouteilles de Cristal et Edouard Pailleron, l’auteur du "Monde où l’on s’ennuie", verse de l’Ayala par magnums dans les Playel ou les Gaveau des grands salons où l’on s’embête.

A Montmartre, Toulouse-Lautrec se déguise en barman pour réaliser, dans toutes sortes de lieux, de fracassants cocktails à base de champagne et, chez Maxim’s, créé en grande partie grâce aux fonds d’un agent du champagne Saint-Marceaux, on applaudit un fêtard qui enterre sa vie de garçon en se faisant apporter un jéroboam dans un cercueil ou le grandduc Ivan, qui boit, à la suite, huit bouteilles de Mumm avant de tomber raide comme un horse-guard.

1981