UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Stéphane Hoffmann

Littérature du vin et de la table (2011)

Les autos tamponneuses (extrait)

[...] Vite, pendant qu’on s’occupe de nos bagages, nous nous retrouvons dans une stalle des anciennes écuries où on a installé le bar. Lorsqu’on apporte le champagne, je fais signe de présenter la bouteille à Hélène : c’est un vin qu’elle comprend très bien.

« Billecart-Salmon 2006, Madame.

-  Très bien, mais dans des verres à bordeaux.

-  Pardon, Madame ? »
Sursaut d’Hélène, agacée qu’on ne lui obéisse pas en silence. Ce ton sec, méprisant et las - que j’adore, je l’avais presque oublié - de prof de piano, d’adjudant-chef ou de chroniqueur télé :
« Servez dans des verres à bordeaux, je vous prie. »
Le frissonnement du champagne la réveille. Elle ne résiste pas à une bouchée d’andouille de Guémené, bien onctueuse et poivrée, porte le verre à ses lèvres. Mais, à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes de charcuterie touche son palais, elle tressaille, attentive à ce qui se passe d’extraordinaire en elle. Un plaisir délicieux l’a envahie, isolé, sans la notion de sa cause. Il lui a aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en la remplissant d’une essence précieuse... Allons, calmons-nous, reprenons-nous, descendons quelques étages et disons plus platement qu’Hélène, après ce premier verre, semble se sentir si bien qu’elle en reste là, et muette.

Nous nous taisons : entrée du champagne, vin de préludes et de victoires, vin des froides terres blanches, des vendanges vertes, des cuves cerclées, des caves profondes et des épais flacons ; vin qui ne voit le jour que dans nos verres, où il ne reste pas longtemps, ce qui lui suffit pourtant pour nous éclairer et, parfois, nous illuminer.

Hélène a raison : le champagne, c’est mieux dans des verres à bordeaux. Les flûtes sont guindées, rigides, souvent mal essuyées : le vin s’y ennuie sans pouvoir s’y épanouir. Des coupes, il s’évade, c’est la part des anges, merci bien. Tandis que dans les verres à bordeaux, il danse, se retient puis se donne tout entier. [...]

[...] Je réussis une seule chose, au cours de ces semaines, un rituel : dix-neuf heures, champagne. Tous les jours. Tous les jours une bouteille nouvelle, une seule, au gré de notre cave. II y a des gens qui visitent les châteaux de la Loire, nous visitons la Champagne par ce qu’elle fait de mieux : ses vins. Et nous buvons en silence, seul le pétillement, sans nous permettre de ces commentaires que les amateurs se croient tenus de faire, ce qui m’a toujours paru aussi grossier que de parler pendant un concert. Hélène et moi nous livrons au vin de Champagne, qu’un seul mot transformerait en infecte bibine. J’aimerais alors lui parler des enfants, mais je n’ose pas. Pas encore. C’est trop tôt. Notre façon de nous retrouver, désormais : nous griser en silence. Voilà le mariage : des roses par douzaines, puis cirrhose ? [...]
...] Pour me ressaisir, je me dis que, autant le champagne, cette légèreté qui électrise, va bien à Hélène, autant l’engourdissement du rhum semble convenir à Natalie, abandonnée à l’humeur du moment et n’y accordant pas plus d’importance qu’à celle qui va suivre. « Qu’est-ce donc que des jours pour valoir qu’on les pleure ? Un soleil, un soleil. Une heure, et puis une heure. » Ces vers de Lamartine, version 1830 de l’Ecclésiaste, ont toujours été ma pratique. Voilà pourquoi, sans doute, je ne ferai rien de ma vie. J’y ai juste tenu ma place, comme Natalie parmi les yachtmen, tout à l’heure, à la demande de son mari.

- Votre mari, c’est Lawton, c’est ça ? Jean-Charles Lawton ? Le pharmacien ?

Ce brave Dédé, toujours lourdingue. Le visage de Natalie se défait comme un pare-brise qui se fendille. C’est assez marrant à voir, on voudrait un ralenti. Elle approche la main du verre que je remplis en hâte, boit une longue gorgée. [...]

[...] - Eh bien, nous y cultivons pas mal de chose.
Légumes, fruits, fleurs. En ce moment, tiens, nous avons des framboises merveilleuses. Charline, ma chérie, va chercher le panier de framboises - elle vous en a préparé un plein panier : en ce moment, c’est un vrai feu d’artifice -, nous allons en mettre dans le champagne. C’est délicieux, les framboises, dans le champagne. Ça porte bonheur. [...]

[...] Un homme plaqué, c’est un champagne sans bulles. [...]

[...] Le premier soir, pour les séduire et les épater, il avait voulu leur préparer son fameux 333 (1/3 gin, 1/3 jus d’orange, 1/3 champagne) qui lui avait valu tant de succès jadis. Ils y avaient goûté poliment avant de retourner à la vodka, qui fut leur boisson cet été-là. [...]

08/2011