UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Accueil > Encyclopédies > Anthologie du Champagne > Edmond et Jules de Goncourt

Edmond et Jules de Goncourt

Littérature générale (1887)

LA LORETTE

Celle-ci se lave les mains [...] dans du champagne à huit francs la bouteille, disant que c’est de la piquette. Celle-là [...].

1853

MANETTE SALOMON

A la mi-carême, Anatole, artiste peintre extravagant soupe en solitaire au restaurant Philippe et interpelle les arrivants.
Les tables peu à peu marchaient vers lui, se soudaient l’une à l’autre ; et tous les soupers, en se pressant, ne faisaient plus qu’un souper où les folies, débitées par Anatole, couraient à la ronde avec les bouteilles de champagne passant de mains en mains comme des seaux d’incendie. On mangeait, on pouffait. Les nappes buvaient de la mousse, des hommes pleuraient de rire, des femmes se tenaient le ventre, des pierrots se tordaient.
Le tout petit jour pointait, ce jour qui se lève comme la pâleur d’une orgie sur les nuits blanches de Paris. [...] Anatole sauta de la table, ouvrit la fenêtre : il y avait dessous des ombres de misère et de sommeil, des gens des halles, des. ouvriers de cinq heures, des silhouettes sans sexe qui balayaient, tout ce peuple du matin qui passe, au pied du plaisir encore allumé, avec la soif de ce qui se boit, la faim de ce qui se mange, l’envie de ce qui flambe là- haut !

-  Une deux trois ouvrez le bec, mes enfants ! cria e ; et saisissant deux bouteilles de champagne, il les vida sans vo des gosiers vagues qui buvaient comme des trous. Chaque table se mit à l’imiter, et des trois fenêtres du restaurant, le champagne ruissela quelque temps sans relâche, ainsi qu’un ruisseau d’orage perdu, à mesure, dans une bouche d’égout. La foule s’amassait, se bousculait, il en sortait des hourras, des cris, des têtes qui se disputaient une gorgée. La rue ivre se ruait à boire ; le jour montait.

1867

QUELQUES CRÉATURES DE CE TEMPS

On joue à Paris une nouvelle pièce, "Le Vampire "
CHARLES - Qui en rend compte ?
ALBERT - Moi. - Adolphe, raconte-moi la pièce.
ADOLPHE - Mon cher, - le Vampire, cadavre suceur, poursuit cruellement de son amour exsangue la jeune héritière de Tiffaugel, créature grasse et jolie. Il a le visage suffisamment vert, vert comme le serpent diabolique qui nous a volé le Paradis où paissaient les panthères, où le vin de Champagne, - miracle inouï, - se servait de luimême...

1876

JOURNAL DES GONCOURT
MÉMOIRES DE LA VIE LITTERAIRE

Janvier 1853 - A la rédaction du Paris. Beauvoir se répandait souvent dans les bureaux comme une mousse de champagne, pétillant et débordant, et parlant de tuer les avoués de sa femme, et jetant en l’air de vagues invitations à des dîners chimériques.
Septembre 1858 - Les vendanges à Bar-sur-Seine, en Champagne. Partout, montant et descendant, des hommes qui portent la hotte, la tête inclinée en avant, les bras ballants, et partout, çà et là, dans le vignoble, et tout là-bas, où ils ne sont que des points rouges, des points bleus, des reins baissés de femmes, qui relèvent en plis puissants les courts cotillons. Tout bruit, chantonne et rit. Et la parole, et l’attaque, et la riposte soudaine, par des voix comme grisées, et que semble applaudir, à la cantonade, la batterie sonnant creux des marteaux sur les futailles vides...
Mai 1864 - Un souvenir de mon enfance m’est resté très net. En voyage avec notre mère à Neufchâteau, dans la salle d’auberge de Gondrecourt, devant moi qu’on tenait sur les genoux, un monsieur demanda une bouteille de champagne, une plume et de l’encre. J’ai longtemps pensé que l’homme de lettres était cela : un monsieur en voyage, écrivant sur une table d’auberge en buvant du champagne. C’est tout le contraire !
Juillet 1864 - Après de la bière, on écrirait un traité sur Hegel ; après du champagne, on monterait à l’assaut.
Juillet 1864 - A Trouville. Les femmes ici, des poupées nerveuses, un verre de champagne dans une robe.
Septembre 1877 - Ce soir, chez Sichel tombe Doré. Il est engraissé, épaissi. [...] II vient de modeler une bouteille, haute comme une chambre, une bouteille d’où s’échappent, dans une mousse pétillante, les hallucinations matérialistes de l’ivresse, enfin une "dive bouteille" grand format, et dont le bronzier lui demande, pour la fonte, 50.000 francs.
Août 1878 - Au cours d’un dîner près de Polisot, aux environs de Barsur-Seine. Mme de Senville, qui a bu trois grands verres de champagne [...] n’y tient plus. Il faut qu’elle chante.
Novembre 1888 - Daudet se met à parler des gens de valeur, que des circonstances, la paresse, n’ont jamais laissé se produire, et qui meurent tout entiers. [...] Le nom d’un ami lui vient à la bouche. [...]
Cet ami, il nous le montre assis en face de lui, en plein jour, devant une bouteille de champagne, chez Ledoyen. Et tout à coup déposant son verre, avec des larmes dans les yeux, en disant : « Ah ! c’est plus fort que moi, je ne peux pas ne pas toujours y penser ! » Daudet comprenait que c’était de son jeune enfant, mort il y avait deux ans, qu’il parlait. Alors le père lui racontait que l’entendant, une nuit, tout doucement pleurer de son lit, il lui demandait ce qu’il avait, et que l’enfant lui répondait : « Ça m’ennuie de mourir ! » Et l’ami retendait son verre, et continuait à boire avec des yeux aigus, regardant dans le vide.
Décembre 1889 - Savez-vous, me dit un Français de retour de Russie, comment est mort Skobeleff ? - Non. - Eh bien, voilà !
Une bouteille de champagne ! une femme ! Une bouteille de champagne ! une femme ! Une bouteille de champagne ! une femme ! A la troisième bouteille de champagne suivie de la troisième femme... rasé !... une congestion cérébrale !
Mars 1894 - Dîner chez Zola, dans sa belle et grande salle à manger nouvelle.
Un très beau et très fin dîner, au milieu duquel est servi un plat exquis des bécasses au vin de Champagne, dont la recette a été rapportée par Mme Zola de Belgique, et dans la sauce duquel salmis est écrasé du foie gras : ce qui fait un velouté sucré inénarrable.
Septembre 1894 - Le cousin Marin, qui vient de chasser chez Chandon. me parlait de la grandeur des affaires de cette maison, où arrivait un Anglais, fameux dégustateur de vin de Champagne, qui, après avoir dégusté un certain nombre de cuvées de vin de Champagne, s’arrêtait à une, disant

-  Combien avez-vous de cette cuvée’ ?
Je n’ose dire le chiffre de peur de me tromper.

-  A combien ? répondait l’Anglais.

-  Dix francs.

-  Je prends !
Et sans plus de paroles, ni de marchandages, était conclu l’achat de milliers de bouteilles, contre un certain nombre de cent mille francs.
Marin me disait que la qualité du vin de Champagne était due à la nature de la montagne de Reims ; un terrain à la couche de terre très mince, et audessous de laquelle se trouve de la craie, mais un terrain tout plein de pyrites sulfureuses. Le curieux, c’est que les Chandon, avec une composition de même nature que celle de la montagne (pyrites sulfureuses et fumier), n’ont pu, à un kilomètre de là, propager la vigne donnant le vrai champagne.
Sur cette montagne de Reims il y aurait des hectares de vignes valant 100.000 francs, et dont la culture coûte 4.000 francs, par an.

1887-1896
Édition intégrale posthume : 1956 et années ultérieures.