UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Guy de Maupassant

Littérature générale (1880)

BOULE DE SUIF
Au cours d’un dîner sous l’occupation allemande de 1871.

Loiseau, lancé, se leva, un verre de champagne à la main. « Je bois à notre délivrance ! » Tout le monde fut debout : on l’acclamait. Les deux bonnes sueurs, elles-mêmes, sollicitées par ces dames, consentirent à tremper leurs lèvres dans ce vin mousseux dont elles n’avaient jamais goûté. Elles déclarèrent que cela ressemblait à de la limonade gazeuse, mais que c’était plus fin cependant.

1880
LA MAISON TELLIER

A la Maison Tellier, les habitués retrouvent les pensionnaires au retour de l’escapade qu’elles ont faite en Normandie pour la première communion de la petite.

Frédéric apporta le champagne. Le premier bouchon partit, et M. Philippe exécuta l’invitation d’un quadrille. Les quatre danseurs le marchèrent à la façon mondaine, convenablement, dignement, avec des manières, des inclinaisons et des saluts.

Après quoi l’on se mit à boire, et la polka ayant succédé au quadrille, de temps en temps un des couples s’arrêtait près de la cheminée pour lamper une flûte de vin mousseux.

1881
BEL-AMI

Au Café Riche, Mme de Marelle invite à dîner dans un petit salon Duroy et le ménage Forestier.

Puis on s’assit, et le maître d’hôtel ayant présenté à Forestier la carte des vins, Mme de Marelle s’écria : « Donnez à ces messieurs ce qu’ils voudront ; quant à nous, du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux par exemple, rien autre chose. » Et l’homme étant sorti, elle annonça avec un rire excité : « Je veux me pocharder ce soir, nous allons faire une noce, une vraie noce. »

Et comme la première entrée n’arrivait pas, ils buvaient de temps en temps une gorgée de champagne en grignotant des croûtes arrachées sur le dos des petits pains ronds. Et la pensée de l’amour, lente et envahissante, entrait en eux, enivrait peu à peu leur âme, comme le vin clair, tombé goutte à goutte en leur gorge, échauffait leur sang et troublait leur esprit.
1885
LE MOYEN DE ROGER

Au cours du dîner en tête-à-tête, le soir du mariage de Roger et Gabrielle.

Au dîner elle fut charmante. Et, pour m’enhardir, je renvoyai mon domestique qui me gênait. [...] Elle me dit : « Je voudrais un peu de champagne ».

J’avais oublié cette bouteille sur le dressoir. Je la pris, j’arrachai les cordes et je pressai le bouchon pour le faire partir. Il ne sauta pas. Gabrielle se mit à sourire et murmura : « Mauvais présage. » Je poussais avec mon pouce la tête enflée de liège, je l’inclinais à droite, je l’inclinais à gauche, mais en vain, et, tout à coup, je cassai le bouchon au ras du verre.

Gabrielle soupira : « Mon pauvre Roger. »
Je pris un tire-bouchon que je vissai dans la partie restée au fond du goulot. Il me fut impossible ensuite de l’arracher ! Je dus rappeler Prosper. Ma femme, à présent, riait de tout mon coeur et répétait : « Ah ! bien... ah ! bien... je vois que je peux compter sur vous. »

1885
Toine
MONSIEUR PARENT
Sa fureur brutale s’était répandue dans cet effort, comme la mousse d’un vin débouché.
IMPRUDENCE

Paul et Henriette sont des jeunes mariés. Henriette demande à son mari de l’emmener dîner dans un cabinet particulier, dans un cabaret où il est connu et où l’on puisse la prendre pour sa maîtresse.

Ils montaient, vers sept heures, l’escalier d’un grand café du boulevard, lui, souriant, l’air vainqueur, elle, timide, voilée, ravie. Dès qu’ils furent entrés dans un cabinet meublé de quatre fauteuils et d’un large canapé de velours rouge, le maître d’hôtel, en habit noir, entra et présenta la carte. Paul la tendit à sa femme.

- Qu’est-ce que tu veux manger ?

- Mais je ne sais quoi, moi, ce qu’on mange ici.

Alors il lut la litanie des plats tout en ôtant son pardessus qu’il remit aux mains du valet. Puis il dit :

- Menu corsé : potage bisque, poulet à la diable, râble de lièvre, homard à l’américaine, salade de légumes bien épicée et dessert. Nous boirons du champagne.

Le maître d’hôtel souriait en regardant la jeune femme. Il reprit la carte en murmurant

- Monsieur Paul veut-il de la tisane ou du champagne ?

- Du champagne, très sec. [...]

Henriette buvait coup sur coup pour s’animer, bien qu’elle se sentit étourdie dès les premiers verres. Paul, excité par des souvenirs, brisait à tous moments la main de sa femme. Ses yeux brillaient. Elle se sentait étrangement émue par ce lieu suspect, agitée, contente, un peu souillée mais vibrante. [...]

Vers le milieu du dîner, Henriette était grise, tout à fait grise, et Paul, en gaieté, lui pressait le genou de toute sa force. Elle bavardait maintenant, hardie, les joues rouges, le regard vif et noyé.

- Oh ! voyons, Paul, confesse-toi, tu sais, je voudrais tout savoir ? [...] As-tu eu des maîtresses... beaucoup... avant moi ?

II hésitait, un peu perplexe, ne sachant s’il devait cacher ses bonnes fortunes ou s’en vanter.

Elle reprit

- Oh ! je t’en prie, dis-moi, en as-tu eu beaucoup ?

Paul finit par avouer la centaine et Henriette veut tout savoir.

- Oh ! l’horreur ! Tu es abominable, sais-tu ? Dis donc, et ça t’amusait de passer comme ça de l’une à l’autre ?

- Mais oui. [...]

Elle resta pensive, son verre de champagne à la main. Il était plein, elle le but d’un trait ; puis, le reposant sur la table, elle jeta ses deux bras au cou de son mari, en lui murmurant dans la bouche

- Oh ! mon chéri, comme je t’aime !...

Il la saisit d’une étreinte emportée... Un garçon qui entrait recula en fermant la porte ; et le service fut interrompu pendant cinq minutes environ.

Quand le maître d’hôtel reparut, l’air grave et digne, apportant les fruits du dessert, elle tenait de nouveau un verre plein entre ses doigts, et, regardant au fond du liquide jaune et transparent, comme pour y voir des choses inconnues et rêvées, elle murmurait d’une voix songeuse

- Oh ! oui ! ça doit être amusant tout de même !
1886 Monsieur Parent