UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Accueil > Encyclopédies > Anthologie du Champagne > Lucien Bodard

Lucien Bodard

Littérature générale (1973)

MONSIEUR LE CONSUL
(Prix Interallié 1973)

Le 14 juillet en Chine, entre les deux guerres mondiales.
D’aussi loin qu’il m’en souvienne le jour de gloire de mon père c’est le 14 juillet. [...] Chaque fois le tout Tcheng Tu est là. Une cinquantaine de personnes jaunes et blanches. [...] Le pasteur britannique arrive avec son silence d’ivrogne congestionné et de tout petits yeux pétillants. Puis soudain tapotant sans façon mon père dans le dos [...] se met à lui demander : « Est-ce que le champagne sera aussi bon que l’année dernière ? Vive la France ! » Sa femme, une bonne éléphante à chair de porridge rosé, lui crie : « Tenez-vous correctement. » [...]

Depuis la victoire de 1918 le prestige de la France est très haut au Sseu Tchouan. Chaque 14 juillet est le sommet de la saison internationale de Tchang-Tu. Tous se passe bien. Après le rituel des speaches, des congratulations, c’est la mer des petits fours et des sandwiches, l’océan des coupes, les détonations des bouteilles de champagne. Le maréchal, après avoir bu à la santé de la France, s’en va. Les autres célestes s’en vont. Le consul du Japon part aussi. C’est alors l’heure de la "colonie française". C’est-à-dire des curés, des bonnes sueurs et des trois médecins. La famille, en somme.

Après le discours vibrant du consul, ce que les bons pères peuvent s’enfourner comme champagne par le trou camouflé de barbe qui est leur bouche ! C’est le cercle complet des vieux visages bien gais, gaillardement émaciés sous leur crinière poivre et sel.

1973