UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Accueil > Encyclopédies > Anthologie du Champagne > Jean-Louis Bredin

Jean-Louis Bredin

Littérature générale (1986)

L’ABSENCE

Claude Hartmann, avec l’accord de sa soeur Thérèse, emmène à Venise sa mère, gravement atteinte d’un cancer. Ils s’installent à l’hôtel Gritti.

A huit heures précises, Claude et sa mère étaient descendus pour dîner. [...] Claude avait assis sa mère, avec d’infinies précautions, il s’était assis en face d’elle, ils se voyaient à peine entre les bougies trop hautes. Elle semblait écrasée entre son fauteuil et sa table, lui se penchait en avant pour mieux veiller sur elle, presque debout, il avait tout de suite commandé le meilleur champagne, il avait levé son verre, elle avait voulu lever le sien, le maître d’hôtel s’était précipité pour aider la main de la vieille dame, et le dîner avait commencé, les gestes d’un dîner. [...] Il avait insisté pour qu’elle prît du fromage, pour la convaincre il avait commandé une autre bouteille de champagne, le meilleur des meilleurs.

Claude et sa mère quittent 1 hôtel pour aller prendre possession d’un appartement dans une vieille demeure déserte.

Ainsi commença leur vie. [...] A midi il servait leur déjeuner, toujours le même, un potage qu’il avait préparé la veille au soir avec trois légumes, un poisson, [...] et toujours le champagne, le champagne ne les quittait plus.

La mère de Claude est au plus mal. Il dîne, seul, au Harry’s Bar.

Il avait commandé un rizotto aux fruits de mer, puis un autre, il mourait de faim, il avait bu toute une bouteille de champagne, et pour accompagner ses expresso, cinq l’un après l’autre, il avait encore pris une demibouteille.

Le lendemain soir. Claude prépare dans la chambre de sa mère mourante la table d’un dîner de gala ; il est en smoking.

Il servit solennellement le champagne, d’abord sa mère, puis lui, et il dit, d’une voix forte

- Madame est servie.

Elle semblait dormir. [...]

- Maman, vous êtes servie.

Rien. Toujours rien. Rien que le souffle, et le ventre qui bougeait. Alors il lui baisa les lèvres, les lèvres presque froides d’une poupée de porcelaine, il s’assit en face d’elle, il commença à dîner. Il remplit les deux verres de champagne, il trinqua, il les but, les deux ensemble, tant pis si ça débordait partout, il aimait l’odeur, la fraîcheur du champagne, [...] Il ouvrit une seconde bouteille à la russe, comme il disait, le bouchon au plafond, le

bouchon retomba sur le lit, elle ne bougea pas, il se leva, il leva les deux verres ensemble

- A Thérèse... à Venise... à nous deux.

1986