Grand Prix de l’Académie française 1969
LE CHINOIS D’AFRIQUE
Les mains d’Alain-Jacques sont longues et soignées.
- Nous dînons, bien sûr, dit-il. caviar, poulet froid et champagne brut ?
- Excellent. Vous dites cela comme le sourire de Reims.
Alain-Jacques saisit son ami par les bras. Ses mains glissent jusqu’aux poignets. Il passe son index sous les manchettes de Thomas et le caresse un peu. (...1
Un maître d’hôtel vient accompagné d’un garçon qui pousse une table roulante. Ils rient, ils s’exclament devant la nappe ou le seau à glace. [...]
Le maître d’hôtel surveille, donne des ordres inutiles. Les dîners dans les chambres sont devenus peu habituels. II s’en réjouit, il retourne vers quelque passé plein de faste. Ce dîner d’homosexuels... [...]
Les lèvres fines d’Alain-Jacques sont étonnamment souples. Il les humecte de champagne. [...)
- Du champagne, Thomas ? Vous ne buvez guère... [...]
Thomas Pezner lève sa flûte, salue un toast qu’il n’a pas entendu, boit, parle. [...]
Le rire d’Alain-Jacques pétille trop. Il le grise comme du champagne. [...]
- Je vous aime, Thomas.
II s’approche de lui, tente de l’entourer de son bras. [...] Thomas Pezner se dégage brutalement. Il tient son ami par les bras, le maintient en face de lui, regarde sa bouche gourmande, ses yeux pâmés. Il dit
- Partez, partez, ou je vais vous tuer !
Il se retrouvera seul dans sa chambre. [...] Il prend la bouteille de champagne et boit à même le goulot. Il lui semble qu’il avale du poison.
1966