UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Denis Diderot

Littérature générale (1772)

LES BIJOUX INDISCRETS

Le sultan Mangogul reçoit du génie Cucufa un anneau dont le chaton, lorsqu’il est tourné vers la partie la plus intime de la femme, le « bijou », lui donne la parole.
On servit, on soupa, on s’amusa d’abord aux dépens de Monima : toutes les femmes accusoient unanimement son Bijou d’avoir parlé le premier ; [...] ces propos conduisirent au Vin de Champagne ; on s’y livra, on se mit en pointe, et les Bijoux s’échauffèrent.
Le bijou de l’épouse de Husseim, un des assistants, se livre à des révélations sur les amants qu’elle a eus et qu’elle voudrait avoir.
Le souper fini, chacun reprit la route de son hôtel, excepté Husseim, qui conduisit sa femme dans une Maison de filles voilées, et l’y renferma. Mangogul instruit de sa disgrâce, la visita. Il trouva toute la Maison occupée à la consoler, mais plus encore à lui tirer le sujet de son exil. « C’est pour une vétille, leur disoit-elle, que je suis ici. Hier à souper, chez le Sultan, on avoit fouetté le champagne, sablé le tocay, on ne savoit plus guère ce que l’on faisoit, lorsque mon Bijou s’est avisé de babiller. Je ne sais quels ont été ses propos ; mais mon époux en a pris de l’humeur. »

1772

JACQUES LE FATALISTE ET SON MAÎTRE

Jacques et son maître se sont arrêtés dans une auberge dont la patronne les a rejoints dans leur chambre.
La voilà remontée, et je vous préviens, lecteur, qu’il n’est plus en mon pouvoir de la renvoyer. — Pourquoi donc ? — C’est qu’elle se présente avec deux bouteilles de champagne, une dans chaque main, et qu’il est écrit là-haut que tout orateur qui s’adressera à Jacques avec cet exorde s’en fera nécessairement écouter. [...]
« Monsieur, dit-elle au maître, est-ce que vous nous laisserez aller tout seuls ? Voyez, eussiez-vous encore cent lieues à faire, vous n’en boirez pas de meilleur de toute la route. » En parlant ainsi elle avait placé une des deux bouteilles entre ses genoux, et elle en tirait le bouchon ; ce fut avec une adresse singulière qu’elle en couvrit le goulot avec le pouce, sans laisser échapper une goutte de vin. « Allons, dit-elle à Jacques ; vite, vite, votre verre. » Jacques approche son verre ; l’hôtesse, en écartant son pouce un peu de côté, donne vent à la bouteille, et voilà le visage de Jacques tout couvert de mousse. Jacques s’était prêté à cette espièglerie, et l’hôtesse de rire, et Jacques et son maître de rire. On but quelques rasades les unes sur les autres pour s’assurer de la sagesse de la bouteille. [...] Jacques, en la regardant avec des yeux dont le vin de Champagne avait augmenté la vivacité naturelle, lui dit ou à son maître : « Notre hôtesse a été belle comme un ange, qu’en pensez-vous, monsieur ? —A été ! Pardieu, Jacques, c’est qu’elle l’est encore !... »
La patronne narre les aventures d’une certaine Mme de La Pommeraye et comme les bouteilles de champagne sont vides, elle en fait apporter deux autres, ce qui fera pour la soirée une honnête proportion de quatre bouteilles pour trois. Le maître s’en inquiète.
LE MAÎTRE —Jacques, Jacques, mon ami, tu te presses beaucoup.
L’HÔTESSE — Ne craignez rien, monsieur, il est loyal ; et demain il n’y paraîtra pas.
Le maître donne son opinion sur Mme de La Pommeraye.
LE MAÎTRE — Voilà une terrible tête de femme ! Dieu me garde d’en rencontrer une pareille.
L’HÔTESSE — Patience, patience, vous ne la connaissez pas encore.
JACQUES — En attendant, ma belle, notre charmante hôtesse, si nous disions un mot à la bouteille ?
L’HÔTESSE — Monsieur Jacques, mon vin de Champagne m’embellit à vos yeux.
L’histoire terminée, l’hôtesse souhaite bonne nuit à ses hôtes. Le maître se couche et s’endort.
Jacques, à qui les muscles des jambes refusaient le service, rôde dans la chambre, en chemise et pieds nus, culbute tout ce qu’il rencontre et réveille son maître qui lui dit d’entre ses rideaux :

— Jacques, tu es ivre.

— Ou peu s’en faut.

— À quelle heure as-tu résolu de te coucher ?

— Tout à l’heure, monsieur ; c’est qu’il y a... c’est qu’il y a...

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Dans cette bouteille un reste qui s’éventerait. J’ai en horreur les bouteilles en vidange ; cela me reviendrait en tête, quand je serais couché ; et il n’en faudrait pas davantage pour m’empêcher de fermer l’œil. Notre hôtesse est, par ma foi, une excellente femme ; et son vin de Champagne un excellent vin ; ce serait dommage de le laisser éventer... Le voilà bientôt à couvert... et il ne s’éventera plus...
Et tout en balbutiant, Jacques, en chemise et pieds nus, avait sablé deux ou trois rasades sans ponctuation, comme il s’exprimait, c’est-à-dire de la bouteille au verre, du verre à la bouche.

1796

Correspondance


À Sophie Volland
20 octobre 1760

Notre dîner a été gai. [...] Vous comprenez tout ce que cela doit devenir à table, au dessert, entre douze ou quatorze personnes, avec du vin de Champagne, de la gaîté, de l’esprit et toute la liberté des champs.


À la même
26 octobre 1760


Dans cette lettre figure la copie d’une lettre destinée à arranger un « rendez-vous mystérieux », dont voici un extrait
.
Nous avons soupé jusqu’à deux heures du matin. Je n’ai pas bu une goutte d’eau. Ils chanceloient tous, et j’étois ferme sur mes piés. Dix bouteilles de champagne rouge, trois de champagne mousseux blanc, une bouteille des Canaries, des liqueurs de deux ou trois sortes et du caffé ; sans la moindre insomnie, le plus léger mal de tête.