UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Henni Verneuil

Littérature générale (1985)

MAYRIG

Autobiographie. Chez des émigrés arméniens. Sa famille fête le narrateur qui vient d’être reçu à un concours.

Nous savions très bien qu’elle existait, cette bouteille que l’on gardait

pour une grande occasion, mais cela faisait si longtemps que l’on avait fini par oublier sa provenance...

Ce temps qui passait, pensions-nous, ne pouvait qu’être favorable à notre champagne puisque, comme chacun sait, les vins se bonifient en vieillissant.

Nous étions autour de mon père, lui soufflant mille conseils et surveillant ses gestes précautionneux pour atténuer l’effet de la déflagration. Il avait déplacé la bouteille de dessous la suspension, pour épargner nos lampes d’un éclatement éventuel. Il détachait délicatement le fil de fer torsadé qui maintenait solidement le bouchon à son goulot. Tante Kayané et Mayrig avaient déjà fermé les yeux pour les soustraire à la détonation imminente et aux projections qui s’ensuivraient. Nos verres étaient prêts à recueillir le liquide qui allait jaillir sous la pression des bulles qui devaient pétiller impatiemment en attendant leur libération.

Rien de tout cela ne se produisit. Le bouchon au diamètre réduit, ratatiné dans le col de la bouteille, ne retenait plus rien du tout.

Selon nos prévisions, le vin avait bien vieilli. Il avait même si bien vieilli qu’il ne restait plus de bulles ni le moindre pétillement, et mon père versa dans nos verres un sirop jaune et visqueux. En chevalier du taste-vin, d’un geste large, il nous arrêta dans nos "levées de verres" et se sacrifia au rôle de dégustateur. A peine avait-il trempé ses lèvres dans le breuvage que l’horrible grimace qui s’ensuivit décida définitivement de la suite à réserver à ce nectar. Mon père conclut que ce fameux "champagne" dont on parlait tant n’était qu’une imposture.

La bacchanale s’était limitée à la cérémonie d’ouverture et débouchait de piteuse façon dans nos verres, mais nous n’avions pas besoin des gaietés mousseuses du champagne, puisque la maison vibrait déjà de notre belle humeur.

1985