UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Auguste Luchet

Littérature du vin et de la table (1861)

LA SCIENCE DU VIN

Le bouchon est parti, le vin a moussé : voici maintenant qu’il pétille dans le verre, amusant à voir, et à boire aussi quand il est vif et de bonne naissance. Il s’apaise : on dirait qu’il dort. Frappez un coup sec sur la bouteille ou sur le verre, il va se réveiller : le gaz, empêtré dans la glu sirupeuse du vin se dégagera et remontera par la secousse. [...]

Versez vivement leurs perles dans ce verre à fond pointu : toute pointe dans le liquide ou autour du liquide favorise le dégagement du gaz, dit la science ; c’est pourquoi la poudre de sucre mousse de la neige, et la poudre de corail mousse du sang : toutes les poussières sont pointues. N’avez-vous point de pointe en vos verres, cher et simple bourgeois pris au dépourvu par les Gibert, les Saint-Marceaux, les Jeannet et autres magiciens, rincez-les naïvement et essuyez-les ; le duvet qu’aura laissé la serviette suffira. Graveur, raye de ton burin le fond vulgaire de celui-ci : toute rayure est hérissée de pointes, etc. [...]

Les cuvées de Reims se composent en général de cinq ou six vins ayant chacun sa part de l’ensemble déclaré introuvable dans un seul. Un tiers de jus de raisins blancs, c’est la proportion nationale, et deux tiers de jus de raisins noirs. [...] On y ajoute un quart ou un tiers de vin d’un ou deux ans, lequel peut venir indifféremment de Champagne, d’Orléans, de Lorraine, d’Anjou, de Bourgogne, de la Moselle, du Languedoc ou du Jura z.

On sait que la mousse est prise quand l’explosion des bouteilles commence : vite alors, de cette chaude et vive température du tirage on descend le vin au calme et au frais. [...] Cela dure deux ou trois ans de craintes, de transes, de mécomptes et de dangers, à jouer avec son honneur, avec sa ruine, quelquefois avec la mort. Sans cause prévue, une bouteille fait explosion, et ses débris en cassent d’autres 3 : le vin répandu sur le sol

2. La réglementation, strictement observée, de l’appellation d’origine "Champagne" empêche définitivement depuis 1927 toute utilisation de raisins ou de vins étrangers à la Champagne viticole pour l’élaboration du champagne.
3. C’est le phénomène de la "casse" ; dû, dans des conditions de température données et avec des bouteilles de résistance insuffisante, à un excès de sucre dans le vin (voir, page 744, le "Traité sur le travail des vins blancs mousseux" de François).

expire aussitôt et se décompose, remplissant l’air ému de chaleur et d’acide carbonique. [...] Des hommes dévoués comme des fatalistes, descendent alors au milieu de ces émanations délétères ; ils arrosent de glace les bouteilles et les murailles. Les caves sont heureusement disposées à cet effet ; elles ont des rigoles et des cuvettes où l’eau des irrigations s’écoule avec le vin perdu. [...]

Maintenant, la morale de tout ceci. Le vin de Champagne est-il un bon vin et faut-il en boire ? Oui, parce que, pris aux bonnes sources, et bu en son vrai temps, à sa vraie place, c’est un vin charmant, fin, léger, gracieux, innocent. Oui, parce qu’il est mousseux et que mousse est synonyme de gaieté, de bienveillance et de bons mots. Oui encore, parce qu’il est admirablement digestif, à cause du gaz acide carbonique qui le sature, poison pour les poumons, bienfait pour l’estomac. Ce gaz ressemble à l’idée ; il est bon ou mauvais selon le chemin qu’il prend. Le vin mousseux arrête les vomissements par irritation nerveuses, surtout chez les jeunes femmes qui vont être mères : à mal d’amour, amoureux remède. On l’a trouvé excellent contre la fièvre jaune, en 1819, à la Nouvelle-Orléans.

1861