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L’exceptionnelle prospérité du champagne est-elle pérenne ?

A l’heure de la crise des AOC de France, le Champagne prospère.
Si le marché français est morose, les ventes à l’exportation progressent. Quels sont les fondements de ce succès et comment préserver son avenir ? Trois dirigeants de Maisons de Champagne, aussi propriétaires de Maisons dans d’autres régions viticoles françaises, nous livrent leur analyse.

Nadège Druzkowski
La Champagne Viticole n° 711, mars 2006

Symbole inaltérable de joie conviviale, de fête, de réussite mais aussi d’amitié, les vins de Champagne sont de tous les moments importants de la vie. Ils baptisent l’étrave des navires au moment de leur prise en mer, arrosent de leurs bulles les heureux vainqueurs d’une compétition sportive et font pétiller les rencontres d’exception… Cette image universelle de culture et de fête, créé par de grands personnages, a été patiemment construite et entretenue depuis le 18e siècle. Les créateurs des vins de Champagne se sont, en effet, très tôt associés aux milieux du luxe, de la célébration et des événements culturels. Les Maisons de Champagne ont pris en charge cette mission d’entretenir la célébrité du Champagne et de la porter dans le monde entier. Le rôle des Maisons a ainsi été déterminant pour faire du Champagne non pas un vin banal mais un symbole de rêve explique Joseph Henriot, président de sa Maison.

Succès d’un travail collectif
Joseph HenriotVéritable « vaisseau amiral » de la Champagne à l’étranger, les Maisons et leurs grandes Marques ont ainsi façonné la renommée de ce vin à fines bulles, aujourd’hui plébiscité par les consommateurs du monde entier. L’élan apporté par ces véritables locomotives de l’Appellation, n’aurait cependant pu trouver sa dynamique sans le second moteur qu’est le formidable travail qualitatif réalisé par les Vignerons, gardiens de la noblesse des raisins depuis de nombreuses générations. Un des moteurs ne fonctionne pas sans l’autre, souligne à ce propos Joseph Henriot. Chacun a besoin de comprendre qu’il existe un intérêt commun à défendre. Les vins de Champagne sont le résultat d’une culture collective où chacun apporte sa contribution.
Le souci de défendre une plate-forme d’intérêts communs constitue à ce jour l’atout majeur de la région. Cette dynamique privilégiant l’intérêt collectif, ne se retrouve pas au même niveau dans toutes les régions viticoles de France.

En Bourgogne, l’unité d’action au sein de la filière des vins est ainsi de moindre mesure. La Bourgogne est beaucoup plus partagée à l’intérieur d’elle-même. On y assiste davantage à des succès individuels, avec de beaux îlots de prospérité,plutôt qu’à un succès collectif » constate J. Henriot, également à la tête de la Maison Bouchard Père & Fils.

Choix des hommes et de l’histoire
Cette différence, liée à des choix de la profession, s’explique également par des raisons historiques. Jusqu’au 18e siècle, les terroirs bourguignons appartenaient à de grands propriétaires ou à l’Eglise qui diffusèrent la célébrité des vins de Bourgogne dans le monde entier. Durant la Révolution Française, les Moines furent expropriés et les grandes propriétés redistribuées à de petits exploitants. Par la suite, le Code Napoléon abolit le droit d’aînesse, contribuant aussi à diviser les héritages en une multitude de parcelles égales à la part de chaque enfant. Cet extrême morcellement – mais aussi la variété des terroirs – a favorisé la promotion d’une multiplicité d’appellations, de domaines et de maisons, au détriment de l’image collective des vins de Bourgogne complète Joseph Henriot.

Vignerons et Maisons solidaires
Si les différences entre la région Champagne et les autres régions viticoles françaises sont multiples, une appellation unique vigoureuse et une interprofession soudée constituent deux piliers solides pour promouvoir un vin d’avenir. L’interprofession en Champagne a permis de défendre la production, les rendements et de maîtriser la qualité des vins, analyse de son coté Alain Thiénot, président du Groupe Thiénot et par ailleurs propriétaire de plusieurs châteaux dans le Bordelais. Dans la région Bordeaux le développement peu et mal maîtrisé de nouvelles plantations au cours des dernières années a conduit à un glissement dont la région pâtit aujourd’hui. Les équilibres commerciaux et le qualitatif n’ont pas toujours été pris en compte. A ce phénomène se rajoute une interprofession bordelaise qui a davantage de mal à parler à l’unisson, du fait d’une cinquantaine d’Appellations différentes. Cela signifie autant de syndicats distincts dont les intérêts particuliers peuvent créer des divergences d’intérêt au sein de la région Bordeaux même. La problématique est différente en Champagne où une seule et unique appellation est défendue par l’ensemble de la profession, témoigne A. Thiénot.

Alain ThiénotAlain Thiénot, propriétaire de plusieurs châteaux
dans le Bordelais dont "Château de Ricaud".
Si Cette différence s’explique par le fait qu’en Terre de Bordeaux Marques, crus et Châteaux sont intimement liés. Les grands crus de Bordeaux, qui jouissent de la notoriété la plus forte, sont devenus des marques, mais des marques qui avant tout reflètent un cru. Ainsi, s’il existe une logique similaire entre les vins de Bordeaux haut de gamme et les vins de Champagne en termes de qualité et de positionnement du produit, la possibilité de promouvoir les vins est différente. A Bordeaux, on travaille avec un terroir et les vins vont exprimer le cru. En Champagne, c’est davantage un style de vin, une cuvée d’assemblage plutôt qu’un terroir, qu’une Maison va exprimer, note à ce propos A. Thiénot. Un style de vin dont les Maisons peuvent perpétuer la qualité et le goût d’année en année grâce à une subtile méthode d’assemblage de leurs cuvées avec l’apport complémentaire des vins de réserve

Une distribution parfaitement maîtrisée
La région Champagne a su créer une appellation forte, une qualité constante mais bénéficie également d’une distribution parfaitement maîtrisée. Les Maisons de Champagne, pilotées dès le 19e siècle par des dirigeants à la vision internationale, ont très tôt tissé un réseau de commercialisation tourné vers l’étranger. Très présentes à Paris, incontournable centre culturel à l’époque, les Maisons de Champagne ont essaimé vers Londres, Saint Petersbourg, New Orléans, etc. Les Maisons de Champagne ont ainsi créé un réseau exclusif de commercialisation mondiale, qui aujourd’hui passe le plus souvent par des filiales très bien implantées localement.
La région Champagne offre ainsi aujourd’hui une grande lisibilité de ses vins avec une qualité constante et une distribution parfaitement maîtrisée, caractéristiques qui la démarquent des autres régions productrices de vin. Sur ce socle solide, les Maisons de Champagne ont pu développer une communication forte autour du vin de luxe dont le prestige rejaillit sur tous les acteurs de la profession.

La notoriété mondiale fait la différence
La région Champagne présente trois différences majeures avec les autres régions viticoles françaises, à savoir une appellation Champagne unique dotée d’une image forte associée à la fête, une interprofession avec de solides acquis collectifs mais également la force de ses Marques, analyse de son coté Ghislain de Montgolfier, président de la Maison Bollinger, dont la famille est actionnaire de domaines viti-vinicoles en Bourgogne (Chanson Père & Fils) et Pays de Loire (Langlois Château). Une appellation générique forte tirée par des marques de renom a instillé une dynamique en Champagne qui n’existe pas dans des régions où les marques se présentent sous un jour plus technique ou plus expert. Ainsi, les vins de Bourgogne de la Loire ont dispersé leur message à travers une catégorie d’appellations parfois difficiles à appréhender pour le consommateur.

Aux explications d’ordre historique et au choix opéré par la profession, s’ajoute une raison d’ordre technique pour expliquer aussi la solide cohésion des vins de Champagne autour d’une même appellation. Dotée de cépages communs à la région de Bourgogne, la Champagne a commencé par produire des vins tranquilles. Au fil de différentes expérimentations, des producteurs se sont ensuite spécialisés dans le processus complexe d’une deuxième fermentation afin de créer un vin mousseux.
Cette étape cruciale dans l’élaboration d’un vin de Champagne, dont la maîtrise s’avère difficile pour de petites unités, a rapidement attiré dès la fin du 18ème siècle des entrepreneurs et des hommes à l’expertise plus technique qui ont instauré en Champagne une politique d’entreprise tournée vers le collectif. Grâce à un travail technique, doublé d’un effort marketing, les Maisons de Champagne ont progressivement produit des vins plus éloignés, note à ce propos le Président de l’AVC. S’est alors développée l’idée de créer un vin par assemblage pour obtenir une qualité constante d’année en année.

Ghislain de Montgolfier
Armées d’une qualité régulière et d’un nom, les Maisons de Champagne ont pu développer des politiques de marque. Une politique de marque, c’est une Maison avec des hommes chargés de véhiculer cette marque sur différents marchés, la représentent à l’étranger. La marque offre un véritable point d’ancrage, confie Ghislain de Montgolfier. Un avantage compétitif réel à l’heure où le consommateur manque souvent de lisibilité face à la multiplication de producteurs viticoles et à la création exponentielle de leurs marques de vin.
… dont bénéficie toute la filière
Le prestige des grandes marques, à la notoriété mondiale, rejaillit sur l’ensemble de la filière ; véritables locomotives, leurs investissements produisent un effet de levier bénéfique à toute la profession champenoise. En Champagne les habitudes de concertation ont conduit à une solidarité des acteurs qu’aujourd’hui chacun doit défendre. Pour rendre la prospérité du Champagne pérenne, la profession doit continuer à travailler ensemble, appréhender les problèmes techniques de front et partager son savoir afin de rendre le Champagne encore meilleur, conclut Ghislain de Montgolfier.