Mme Bollinger (1899-1977), fille d’officier de cavalerie épouse en 1923 Jacques Bollinger qui dirige une Maison fondée en 1829 à Aÿ. Au décès de son mari en 1941, elle a 42 ans et prend les rênes de l’exploitation.
Les temps de l’Occupation sont difficiles. Les hommes sont aux armées ou prisonniers. Le commerce est anéanti. On manque de produits nécessaires à la culture de la vigne et à l’élaboration du champagne. Pourtant, Mme Bollinger fait face. Elle a l’oeil à tout : vignes, caves, expéditions. Sans jamais se départir de sa courtoisie, elle sait résister adroitement aux Allemands. Lors du bombardement d’Aÿ en 1944, elle secourt les blessés, recueille les sans-abri et réconforte les familles.
Après la Libération, elle reçoit l’aide de neveux pleins de mérites : Claude d’Hautefeuille, Christian Bizot et Yves Moret de Rocheprise. Ses journées de travail sont longues. Elle donne tous ses soins à l’important vignoble de famille. Elle le sillonne en toutes saisons à bicyclette, selon l’habitude prise pendant la guerre.
Mme Bollinger a toujours su choisir d’excellents chefs de caves (André Bergeot, Guy Adam, Gérard Liot), mais elle détermine elle même le style de son champagne qui allie avec bonheur corps, finesse et distinction. Fidèle aux techniques qui ont fait leurs preuves, elle conserve ses fûts : "Ce sont les méthodes traditionnelles qui comptent, même si elles paraissent démodées : la qualité de mes vins le prouve". Elle décide de millésimer les bonnes années et conserve pour son champagne la traditionnelle bouteille champenoise. Elle met sur le marché un Bollinger de son élaboration : le R.D. - "Récemment Dégorgé" -, champagne vieilli sur ses lies de longues années. C’est un grand succès. Fait exceptionnel dans l’ensemble des vignes champenoises (greffées sur des plants américains), la Maison Bollinger conserve deux petites parcelles miraculeusement épargnées par le phylloxera. Ces "Vieilles Vignes Françaises" sont un témoignage de fidélité aux spécificités traditionnelles.
Mme Bollinger reçoit ses meilleurs clients et entretient brillamment la conversation, servant elle-même avec grâce le café et le marc de Champagne.
Dès la fin de la guerre, elle se rend aux Etats-Unis avant ses principaux concurrents pour y faire flotter le drapeau de sa marque. Elle reçoit, assise selon l’usage, une "standing ovation", face à la vaste assemblée debout en son honneur. Aujourd’hui, sa mémoire est perpétuée outre-Manche par la "Mme Bollinger Foundation" qui contribue à faire connaître les vins de qualité.
Si Mme Bollinger sait recevoir avec apparat, sa vie privée est par contre d’une grande simplicité. Bonne et charitable, elle crée diverses institutions, dont un dispensaire et un jardin d’enfants. Elle partage le déjeuner des vendangeurs, connaît chaque vigneron, chaque caviste qui travaille pour sa Maison. Elle rend visite à leur famille, s’enquiert de leurs difficultés qu’elle s’attache à résoudre.
En hommage à cette grande dame, évoquons enfin son humour. A Londres en 1961 pour le lancement de son millésime 1955, elle répond à un journaliste qui lui demande si elle aime son propre champagne :
Je le bois quand je suis heureuse et quand je suis triste. Je le bois parfois quand je suis seule. Quand je ne le suis pas, je le considère comme obligatoire. Dans les autres circonstances, je n’y touche jamais sauf si j’ai soif.