L’effervescence des vins de Champagne connaît un rapide succès à Versailles et dans les grandes cours européennes dans la première moitié du XVIIIe siècle lorsque les premières Maisons se créent. Leur talent est aussi commercial : elles entreprennent de faire connaitre le champagne dans le monde entier auprès de l’élite aristocratique. Au XIXème siècle, leurs voyages sont de véritables aventures, périlleuses parfois, qui les mènent en Russie, aux Etats-Unis…
Le champagne représente la culture française, les idées libérales, l’esprit français. Le commerce s’organise et prospère. De 1811 à 1870, vingt-et-une Maisons se créent à Reims, Epernay, Châlons-sur-Marne, Aÿ, Mareuil-sur-Aÿ, Ludes, Vertus. D’une vente annuelle de quelques centaines de milliers de bouteilles en 1785, on en est déjà à 6,5 millions en 1845. L’exportation s’affirme et conquiert de nouveaux marchés, les Etats-Unis et la Russie en particulier. Elle absorbe les deux-tiers de la production. Les Grandes Maisons de champagne surmontent tous les obstacles, allant même sous l’Empire, jusqu’à se jouer du blocus continental ou à forcer les frontières de la Russie en guerre contre la France. Et si la guerre de sécession américaine entraine des faillites, la vente passe cependant de 11 millions de bouteilles en 1861 à 17 millions en 1870. A la fin du siècle, elle approche les 30 millions.
Le succès des vins de Champagne est le fruit d’investissements considérables des Maisons tant au plan de la qualité que du commerce. Ce succès fait surgir des imitateurs et usurpateurs. Les Maisons ont très vite réagi car elles ont pris conscience de la nécessité de protéger le mot « champagne » pour le réserver aux vins produits dans la région. Tout autre usage est un détournement de notoriété au profit de tiers qui n’ont pas contribué à la création de ce qui deviendra l’appellation « champagne ».
1844 : un groupe de Maisons de champagne fait condamner des Tourangeaux qui apposaient les noms d’Aÿ et Verzy sur le bouchon de leur vin et le vendaient comme champagne.
1882 : les Maisons se rassemblent au sein du Syndicat du Commerce des Vins de Champagne (qui deviendra l’UMC).
1885 : le Syndicat attaque un négociant de Saumur qui utilise les noms d’Aÿ, Sillery et Champagne.
1887 : la Cour d’appel d’Angers donne raison aux Champenois : « Le mot champagne est indicatif à la fois du lieu de production et de fabrication de certains vins spécialement connus sous cette qualification et non d’autres ». Quelques mois plus tard, la Cour confirme son arrêt de façon plus explicite : « On ne peut entendre par champagne ou vin de Champagne qu’un vin tout à la fois récolté et fabriqué en Champagne, ancienne province de France, géographiquement déterminée et dont les limites ne sauraient être étendues ni restreintes ».
1889 : la Cour de cassation confirme ces arrêts.
Sans ces actions très tôt intentées par les Maisons, le mot « champagne » serait devenu générique (et désignerait les vins mousseux en général), comme c’est le cas du savon de Marseille ou de l’eau de Cologne. De surcroît, ces succès judiciaires ont été obtenus bien avant la création des appellations d’origine contrôlée (AOC) en 1935, alors même que les bases juridiques sur lesquelles ces actions étaient fondées, étaient peu nombreuses et bien fragiles.
Le Syndicat du Commerce parvient également à faire protéger le mot « champagne » dans les principaux pays du monde. Il établit des contacts avec les ambassades et consulats français des divers pays importateurs de Champagne. Il obtient ainsi des informations rapides qui lui permettent d’entreprendre les actions diplomatiques ou contentieuses qui s’imposent.
Au début du XXème siècle, les Maisons, avec les Vignerons (qui commencent à se structurer en syndicats) ébauchent une réglementation viti-vinicole pour lutter contre les fraudes. Ils obtiennent également une première délimitation de l’aire géographique champagne. Cette concertation entre Vignerons et Maisons s’intensifie au fil des années jusqu’à obtenir la reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée champagne en 1936. Avec la création du CIVC en 1941, Vignerons et Maisons se dotent d’un outil efficace de protection de leur patrimoine commun. Les deux familles vont ainsi gérer de concert l’appellation champagne et la défendre contre toutes les usurpations qui sont encore nombreuses.
Pour en savoir plus :
La défense de l’appellation par le CIVC
Les procès remportés
Situation de la protection de l’appellation dans le monde
Histoire de la protection de l’appellation
Terre de Champagne : 01 - Historique et Appellation