Propos recueillis par Johanne Collot en 2000
Œuvres d’art et couleurs insolites, les flacons se jouent des convenances. Les Maisons transgressent les normes établies pour mieux sublimer le marché.
Pendant que le petit Pop surgit de la Maison Pommery, Jean-Paul Gaultier chez Piper-Heidsieck et Paco Rabanne, chez Lanson, exercent le raffinement de leurs doigts de fée. Si ces flacons originaux peuvent déranger quelques esprits traditionnels, ils témoignent d’une créativité ouverte vers le nouveau millénaire.
Portée aux nues par une main de maître, la noble cuvée Lanson, fait son entrée dans le troisième millénaire comme une véritable œuvre d’art, parée d’un habit de lumière qui révèle son élégance et son raffinement. Élaborée à partir des meilleurs crus des années exceptionnelles 88 et 89, elle a reçu la médaille d’or 1999 à l’international Wine Challenge de Londres, distinction qui justifiât un sacre dont la mise en scène fut confiée à Paco Rabanne.
Cet orfèvre de la haute couture, lui tisse une toile de fil d’argent. Une robe de soirée moulante souligne les lignes majestueuses du flacon. Un flacon né au XVIIIe siècle qui n’en finit pas de se sublimer revêtant cette fois une robe de métal en cotte de mailles ou plus extrême encore, en cotte de mailles dorée à l’or fin.
Une amitié solide entre le grand couturier et François-Xavier Mora, Président de la Maison Lanson, débouche sur cette ambition d’excellence. Cette idée résulte d’une réflexion de fond entre deux amis, d’une complicité naturelle qui déboucha sur une création spontanée. Noble cuvée entre ainsi dans le millénaire avec une véritable création négligeant les facilités des "coups événementiels". François-Xavier voulait élever sa cuvée au-delà des limites temporelles et le goût de Paco pour le métal a permis de transformer le flacon en une œuvre d’art.
Un bijou intemporel
Ce bijou marie à la fois l’ancien et le moderne. Il véhicule les valeurs de la noblesse tout en regardant vers le futur. La cotte de maille offre quelques souvenirs moyenâgeux et le métal suggère les années futures. Dans le pur respect de la tradition, le créateur transcende la valeur de ce flacon, né en même temps que la maison, il y a plusieurs siècles, en corps de charme et de sensualité par un habit de raffinement. Paco Rabanne a laissé libre cours à la puissance de son esprit créatif pour aboutir à la quintessence d’élégance et de distinction qu’incarne ce flacon. Noble cuvée conservée au moins cinq ans en cave offre alors un moment d’exception. Dans sa robe d’un jaune paille éclatant, aux multiples bulles fines et persistantes, elle délivre de délicieux arômes aux accents de raisins mûrs du millésime mêlés aux dominantes florales typiques des vins issus du chardonnay. Ainsi revêtue, la Noble cuvée peut s’associer aux événements festifs et prestigieux. Son étincelante robe lui donne un tel élan qu’elle se projette dans les temps futurs à la manière du plus grand vin dont elle est issue. Jean-Paul Gandon lui-même, pourtant rigoureux chef de caves de la maison, ne peut cacher son émotion : "De l’élan vertical d’ensemble se dégage plus d’élégance que de puissance, plus de raffinement que d’abondance. Les lignes pures et rayonnantes évoquent l’architecture gothique". Ainsi vêtue, Noble Cuvée n’est plus seulement séduisante, elle est devenue envoûtante.
Corsetés de rouge sang et de latex, les flacons provocateurs de la "Cuvée spéciale Piper-Heidsieck habillée par Jean-Paul Gaultier" font sensation. Cette bouteille surgit au comble de l’impertinence dotée d’une sensualité à toute épreuve, que l’on décrit avec gourmandise. "Elle est aussi sensuelle que le corps d’une femme et méritait donc d’être gainée". L’enthousiasme est bien compréhensif, lorsqu’on évoque les formes généreuses du flacon, flattées par un corset lacé au plus près du corps. Un corps qui se laisse légèrement dévêtir avant que n’en découle la liqueur céleste.
"Très légèrement délacée seulement car le flacon n’a pas vocation à être servi dénudé, on desserre à peine le lacet pour baisser la partie supérieure du corset". Une façon de dégager la gorge en quelque sorte. Et là, ô miracle, elle laisse apercevoir un tatouage, comme un signe, une marque que l’œil saisirait sur l’épaule dénudée d’une femme : "l’empreinte de Jean-Paul Gaultier". Monsieur Gaultier, comme il aime à se nommer, a charmé la Maison Piper : "un génie, un vrai créateur, bluffant, ouvert sans coquetteries de star", d’autant que ce grand homme adhère, on ne peut mieux, aux valeurs traditionnelles de la Maison. Le corset rouge l’emporte avec tous ses vecteurs d’émotion (souvenir d’enfance, souvenir d’une grand-mère qui ne se doutait pas qu’en s’étranglant dans son propre corset, elle inspirait déjà son petit-fils), ses symboles d’excitation ou encore de séduction". Le couturier de génie et la non moins célèbre marque Piper-Heidsieck se fondent dans des valeurs communes : la mode (tissus et accessoires pour l’un, établissements de nuit branchés pour l’autre), le luxe (la haute couture, le haut de gamme), l’urbanité, la sensualité, la passion. Jean-Paul Gaultier fut charmé d’exporter les valeurs de la haute couture vers un autre univers tout aussi luxueux. Un renforcement de la griffe pour les uns comme pour les autres dans un univers de luxe.
Chef de caves de Piper-Heidsieck, Daniel Thibault, n’est pas étranger à cette création qui a déjà conquis plusieurs continents. C’est lui qui a élaboré la cuvée spéciale Piper-Heidsieck habillée par Jean-Paul Gaultier, en assemblant des vins qu’il a jugé appropriés. Cette cuvée spéciale a été réalisée pour l’occasion, et constituera un vrai lancement, s’installant dans la durée et non pas comme un simple clin d’œil éphémère aux premières heures d’un nouveau millénaire.
Les réactions n’ont pas tardé, tandis que les plus classiques s’étonnent ou s’insurgent, avant de craquer définitivement, d’autres se réjouissent d’emblée : "comme la vie serait triste sans créativité !". Parmi les adeptes inconditionnels, les patrons d’établissements de nuit n’en croient pas leurs yeux : de Paris à Londres en passant par New-York, les clients exigent de l’emporter chez eux. D’autres en achètent chacun une par désir de possession. Appelée à être consommée et non collectionnée cette bouteille n’en est pas moins un objet d’art, habillé et lacé à la main. Ce qui génère peut-être cet effet vampirisant, cette capacité à mettre du piment à la fête. Une volonté signée Piper-Heidsieck qui poursuit sur sa lancée et a sorti le 1er mars un magnum tout aussi flamboyant et corseté. La maison veut sortir des codes et redonner de l’intensité et de l’impulsion au moment de consommation pour que le moment soit choisi et non plus subi. L’association des champagnes à la fête et au plaisir est ainsi confortée.
Fidèle à sa tradition novatrice, Pommery tente de créer un nouveau moment de consommation avec un petit quart de bouteille de couleur bleue. Il est adapté au plaisir particulier des dégustations à la paille, voire directement à la bouteille. Pop permet des rencontres inespérées, des retrouvailles inattendues, le coup de foudre aussi parfois. Pourquoi ? Parce que Pop porte un nom de fête évocateur d’euphorie, de spontanéité. II éveille les sens et permet la contemplation du monde dans ses couleurs de fête, la plénitude au sein d’une belle fugue nocturne. Non seulement, il transgresse tous les codes de références de l’univers champenois mais en plus s’inscrit dans le monde de la nuit. Un monde qui jusqu’à présent ignorait le champagne au profit d’alcools forts pourtant un peu désuets.
Pour faire évoluer les choses Pommery agit. Pop se traduit de la même façon dans toutes les langues et évoque dans le monde entier le son universel d’une bouteille de champagne que l’on débouche. Pop est né, sa destinée commence. Curieux pour un champagne qui cultive aussi sans complexe un égoïsme de bon aloi. "C’est un moment inhabituel de consommation individuelle. Pop se consomme seul ou en partage d’amoureux. Pas de méticulosités ringardes ! Pop s’emporte partout avec soi et se savoure n’importe quand. Ce petit quart habillé de verre bleuté et orné d’une étiquette blanche capsule argent, fait l’effet d’une bombe au milieu de ses traditionnelles grandes sœurs. Le bleu, pourtant souvent symbole de froid, suggère la fête, la vie, la nuit. Pop est un concept de consommation totalement à part. Pop n’est pas une provocation, c’est la découverte d’une cuvée lors d’instants inhabituels de consommation. Ce champagne extra-dry en mini bouteille de 20 cl peut se boire au goulot ou à la paille. II détonne dans l’univers parfois compassé qui entoure d’ordinaire nos fines bulles.
Séduire une nouvelle clientèle
"Nous regrettions l’absence des champagnes dans certains endroits élégants où il doit faire sa place, et en particulier en "after dinner" entre 12 heures et 4 heures du matin", explique Jean-Marc Lacave. "Pour Pommery, il ne s’agit pas d’un coup médiatique pour l’an 2000 mais d’une vraie cuvée de qualité respectueuse des règles d’élaboration de la Maison avec une ambition à long terme". Heureux sont les habitants de Paris, Londres et New-York qui pour l’instant sont les seuls à pouvoir se désaltérer grâce à Pop. "Nous avons d’autres projets, cette année, la petite bouteille révolutionnaire devrait conquérir une dizaine de pays mais je ne vous en dirais pas plus". La Maison reste discrète car Pop est une innovation originale. Conçu pour plaire à la génération des 25/35 ans, il se distingue radicalement de ses aînés par sa mobilité, son humeur nomade, sa nature fantasque et enjouée. Pommery se révèle être le précurseur d’un produit qui fait sensation auprès de ceux qui apprécient la convivialité des cocktails fun ou des bières latinos. "II répond à une vraie tendance, celle d’un temps où tout bouge, où l’univers traditionnel des champagnes transporte le consommateur vers le futur et des sensations inédites. Par l’imagination des uns et les idées originales d’autres, les maisons s’emploient à sauvegarder la place royale des champagnes pour qu’ils couronnent le troisième millénaire, comme le second".