Mathilde Lemaire
La Champagne Viticole n° 699 - Février 2005
Depuis la création de l’AVC en 1889, Vignerons et Maisons de Champagne entretiennent un fructueux partenariat au service de l’AOC.
Les domaines-maisons produisent des raisins mais sont aussi un laboratoire pour toute la champagne
Face aux ravages du phylloxera en fin du 19ème siècle, la Maison Moët & Chandon mit tous ses moyens à la disposition des vignerons de Champagne pour organiser la lutte. Mais ils restèrent insuffisants. L’insecte maudit, sème la terreur chez tous les viticulteurs de France et il faut réagir très vite ! Le roi des vins lui-même est en péril. Le Comte Raoul Chandon de Briailles comprit rapidement l’intérêt de rechercher une meilleure solution au problème du phylloxera. Les travaux de l’Ecole Nationale d’Agriculture de Montpellier, sur l’emploi des porte-greffes américains résistant au phylloxera retinrent son attention. Il devint alors un des promoteurs de la technique du greffage des cépages français sur des porte-greffes résultant du croisement de cépages français et américains. Le greffage réussit à concilier la présence de l’insecte et la culture des cépages champenois.
Pour éviter les dégâts causés par cet insecte, le marcottage est abandonné et les vignerons champenois décident d’aligner les pieds de vigne pour faciliter le passage des hommes et des chevaux. Apparaissent alors les routes de vignes ordonnancées comme un jardin telles que nous les connaissons aujourd’hui. Les Anciens ont su "innover" en prenant en compte les contraintes d’alors, ne l’oublions pas confie François Lhotte, responsable du Domaine Moët & Chandon.
Depuis cette époque, l’amélioration des techniques culturales anime toujours inlassablement l’équipe dirigeante de la Grande Maison. Dans les années 50, les chevaux font place aux tracteurs, et dix ans plus tard la machine libèrera le vigneron des travaux de rognage. Restent parmi les tâches manuelles les plus fastidieuses, la taille, le liage et le fichage ou implantation des piquets. Les sécateurs et pincer à lier électriques enlèvent de la pénibilité. Pour le fichage, là encore, on peut réduire la pénibilité de l’utilisation de la "massette" : certains fabricants utilisent des vérins hydrauliques. Chez Moët & Chandon, la collaboration avec un constructeur a permis de mettre au point une ficheuse 4 rangs
Nous cherchons toujours à libérer l’homme de contraintes physiques inutiles. C’est avec cet état d’esprit qu’ont été organisées les activités du récent centre de pressurage de Oiry. Ultra moderne, et surtout tellement moins fatigant pour ceux qui y œuvrent ! Les caisses de 40 à 50 kilos sont déposées mécaniquement sur un tapis roulant et sont retournées automatiquement pour déverser les raisins dans le pressoir. Cette organisation innovante assure confort aux utilisateurs et soins apportés au pressurage : c’est une innovation de plus qui renforce la chaîne qualitative des galipes à la table du consommateur.
Depuis le début de l’aventure Roederer en 1827, la Maison reste guidée par l’esprit de famille, avec l’ambition de ne développer les techniques que dans l’intérêt des générations futures. Chef de caves, également en charge du Domaine, Jean-Baptiste Lécaillon résume cet idéal par une citation de Saint-Exupéry : On n’hérite pas la terre de ses ancêtres, on l’emprunte à ses enfants.
Il gère le Domaine avec l’attention d’un bon père de famille pour son patrimoine, même s’il s’efforce de se projeter dans l’avenir. A ce titre, l’environnement est une priorité ayant justifié, il y a plus de vingt ans déjà, de renoncer aux gadoues urbaines pour fertiliser les sols. Puis ce fût les débuts de la viticulture raisonnée. La Maison est alors l’une des premières à multiplier des analyses de ses sols et des feuilles de ses vignes. Très vite, les hommes et femmes qui travaillent sur le domaine comprennent alors que le sol champenois cache un formidable trésor naturel, et abandonnent progressivement depuis dix ans les fertilisants chimiques.
La philosophie est la même quand il s’agit de vendanges. La vigne est un élément vivant conçu pour porter une certaine quantité de fruits, sachant qu’une production excessive forcée serait un traumatisme commente Jean-Baptiste Lécaillon. La Maison reste motivée pour toute recherche ou expérimentation visant à une meilleure maîtrise des rendements, et ce, bien avant l’arrivée du clonage.
Pour ne pas fatiguer inutilement la vigne, les vignerons du domaine ont eu l’audace très tôt de tailler plus court ou encore de procéder à des vendanges “en vert” en juillet. Bien avant le clonage également, il y a près d’un siècle, Louis Roederer a tout misé sur la “sélection massale”. Un travail de longue haleine. Pendant plusieurs années successives, il s’agissait d’observer attentivement l’évolution de chacun des pieds de vignes, de repérer les plus beaux. Puis de procéder à des greffes avec les plus prometteurs des bourgeons. Un travail d’orfèvre au plus près de la vigne, au plus près du terroir.
Ensuite, il y eut bien sûr la sélection génétique, mais la maison Roederer n’oublie pas que la sélection “traditionnelle” de la première heure a permis la transition vers les premières expérimentations clonales.
Actuellement l’enherbement des routes de vignes est un nouveau défit pour lutter contre le ruissellement des eaux de pluie qui accentuent l’érosion des sols et la concentration des rejets. Cette technique expérimentée, il y a longtemps chez Roederer, pourrait-elle aussi se généraliser progressivement en Champagne.
Dans les années 1930-1940, le réchauffement climatique est encore lointain. Nombre d’hivers sont rudes, avec d’importantes gelées de printemps. Par milliers les jeunes bourgeons sont foudroyés par les froids tardifs et des récoltes entières décimées avant l’heure.
Au domaine-Mumm, les agronomes refusent cette fatalité et expérimentent, dès 1947, les premières chaufferettes : des feux dans des petits chaudrons pour réchauffer la vigne, protéger les fruits à venir des frimas. Le système fait ses preuves, mais suppose une meilleure réactivité retardée par un temps d’allumage toujours laborieux. Mumm invente alors, dans les années 70, une technique d’allumage automatique, et dès que le thermomètre frôle le zéro degré, telle une guirlande de Noël, ce sont des centaines de chaufferettes qui s’allument en une seconde sur les parcelles du domaine. Bien des vignerons sont vite séduits par l’efficacité de ce système qui se généralise.
Dans les années suivantes, pour éviter la consommation de fuel, la Maison imagine de remplacer (quand c’est possible) le feu par l’eau ! Elle protège les jeunes pousses par aspersion d’eau pulvérisée. Au printemps, à partir de - 0.5 degré, des gouttelettes d’eau sont aspergées sur la vigne sans discontinuer. Une pépite de glace enveloppe le bourgeon. Un phénomène physique très heureux se produit avec la production de calories autour de la fleur en devenir. La gouttelette glacée sert alors de cocon et le bourgeon ne gèle plus. Des centaines d’hectares de récolte furent ainsi préservés.
Depuis, le réchauffement climatique et le niveau des rendements ont diminué l’intérêt de ces protections mais Marc Gandon, directeur du vignoble, entretient toujours d’étroites relations avec les professionnels de la météo avec lesquels ont été mis au point les premiers modèles de prévision de date de la vendange. La Maison Mumm concentre aussi ses efforts sur la sélection clonale des meilleurs ceps de vigne dont la technique a été mise au point conjointement avec l’INRA. Les plants issus de la Greffe Bouture Herbacée semblent de meilleure qualité et donner satisfaction aux vignerons qui les ont choisis.
Quant aux plantations nouvelles, la Maison a mis au point une technique permettant à la fois de marcher droit et de planter au pas cadencé. Une machine à guidage laser inventée par la Maison, permet de dresser des carrés parfaitement rectilignes avec des espacements de plants réguliers.
Le Domaine de chaque Maison est un laboratoire de recherche qui rivalise d’ingéniosité pour imaginer et expérimenter des inventions utiles à la Champagne.