UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Berceau mondial de l’aviation

Chapitre IV- Les enseignements du 1er meeting d’avions du Monde en Champagne

Nombreuses sont les remarques personnelles que j’ai pu faire touchant à l’organisation. Je crois bon d’en reproduire ici quelques unes, car elles me paraissent d’un intérêt général et elles caractérisent les besoins de l’aviation au moins dans son actuel.
D’après l’expérience que nous avons tentée, je suis porté à croire que la navigation aérienne ne se développera qu’en utilisant, de même que la navigation maritime, de véritables « ports ». Il est exact que l’océan aérien nous baigne et nous entoure de toute part, mais il paraît bien improbable que l’on puisse jamais s’élancer au sein de l’atmosphère en partant d’un point quelconque, – pas plus qu’on ne peut, avec un bateau, partir en, mer d’un point quelconque de la côte. J’ai vu de près tous les soucis que donnaient aux concurrents la préoccupation du départ. Les appareils Wright exigent soit l’antique pylône appelé à disparaître, soit plus simplement un rail de cent mètres comme celui qu’utilisait si bien le malheureux Lefebvre. Encore faut-il amener l’appareil sur ce rail au moyen d’un petit chariot, ce qui exige une manœuvre longue et fastidieuse et cinq ou six hommes. Mais quel que soit l’état du sol, l’appareil part. Au contraire, les aéroplanes munis de roues redoutent le mauvais terrain, surtout la boue. Malgré le soin avec lequel nous avions fait aplanir et rouler le sol devant les tribunes, la plupart des appareils devaient utiliser le champ de courses. Seuls le Curtiss et les petits Blériot de 25 chevaux semblaient assez légers et d’un essor assez prompt pour pouvoir s’enlever à peu près partout.
On m’objectera que dix fois, vingt fois, nous avons vu revenir aux hangars des appareils de toute nature qui s’étaient posés sur la piste et étaient repartis par leurs propres moyens. Encore faut-il ajouter que leurs mécaniciens, au nombre de quatre ou cinq, les avaient rejoints en automobile. Mais surtout cela prouve que la plaine de Reims-Bétheny est admirablement disposée pour servir d’aérodrome pendant les quelques semaines où le sol offre assez de fermeté dans les champs où l’on a fauché les moissons. En toute autre saison, je ne vois pas comment on pourrait s’élever au milieu des blés et des foins. Que dirai-je des pays comme la Normandie, la Bretagne, aux terres lourdes et grasses, aux champs morcelés, clos de haies ?
Si l’on réfléchit que dès qu’il y a du vent il faut partir à peu près contre sa direction, on voit que de toute nécessité l’aviation exigera des terrains de lancement spécialement aménagés, aplanis et tassés, recouverts de gazon pour ne pas devenir boueux, de quatre à cinq cents mètres de côté au moins, soit vingt-cinq hectares, et pris de préférence au milieu d’une plaine sans obstacles.

Enseignements du 1er meeting d’avions du Monde en Champagne

  • Hangars d’Avion
  • Monoplans ou Biplans ?
  • Moteurs
  • Hélices
  • Ballons Dirigeables
  • L’Avenir de l’Aéroplane
  • Les Abris

La question des abris n’est pas moins grave. Certains appareils sont évidemment peu encombrants, comme le Blériot XI, type Traversée de la Manche, qui ne demande que 50 mètres carrés de surface abritée. Ses ailes sont facilement démontables, c’est un oiseau auquel il est facile de fabriquer un nid. Mais le Blériot XI est aux autres ce qu’est la bicyclette à l’automobile. Les biplans de Voisin, de Farman, l’Antoinette, exigent des hangars de 15 à 16 mètres de côté.
Ce sont là des constructions peu courantes. J’appelle l’attention des intéressés sur la nécessité absolue de renoncer à l’usage des bâches plus ou moins imperméables, qui ne nous ont valu que des déboires. Les parois doivent être en bois et la porte orientée vers l’est. Nous avions à Reims, pour les premiers construits de nos hangars, un système de portes en panneaux se rabattant par pivotement autour de charnières inférieures dont nous avons eu toute satisfaction. En égalisant bien le sol devant le hangar on obtenait ainsi une plate-forme de montage placée en plein air et en pleine lumière. Cette disposition est très recommandable.
Les terrains spécialement aménagés pour le départ et l’atterrissage des aéroplanes devront être bordés de hangars abris. Il sera nécessaire d’avoir là un petit atelier, car les menues réparations seront fréquentes. J’ai du reste été étonné de la rapidité et de la facilité avec laquelle les équipes amenées à Reims par Blériot, Antoinette, Voisin, arrivaient à réparer les avaries, même graves, comme celles du n° 22 (Blériot lourd), après son accident du jeudi. Les constructeurs de monoplans s’étaient d’ailleurs munis d’avance d’ailes de rechange qu’ils substituaient à celles avariées et il ne restait plus qu’à raidir à nouveau les tendeurs métalliques. En somme, l’impression que j’ai gardée des nombreuses réparations effectuées sous mes yeux pendant les essais et pendant la semaine, c’est qu’elles sont en général de peu d’importance et vivement faites. On peut, selon l’expression consacrée, se permettre de « casser du bois », sans immobiliser longtemps son appareil et sans trop faire souffrir sa bourse, considération qui n’a pas grande importance actuellement, mais qui en prendra beaucoup par la suite quand le public moyen utilisera l’aéroplane. C’est là qu’éclate la supériorité des matériaux faciles à travailler comme le bois et la toile sur les aciers rebelles que l’on « gratte » en automobile. Mais, par contre, il faut des ouvriers beaucoup plus habiles et plus spécialisés. Rien n’est difficile, paraît-il, comme de construire un aéroplane en série, rigoureusement conforme au modèle, alors que dans la construction mécanique le 1/100 de millimètre est une approximation courante. C’est en particulier ce qui a retardé quelque temps la livraison des biplans Wright.
L’atelier affecté au port aérien sera donc encore plus indispensable par son personnel exercé que par son outillage et ses pièces de rechange…
De telles considérations semblent devoir jeter un froid sur les acheteurs de demain. Il n’en sera rien, car à Reims-Bétheny tout le monde a senti que l’aviation était lancée et bien lancée. C’est un sport qui plaira pour toutes sortes de raisons plus ou moins vagues. On y cherchera des sensations neuves, l’attrait du danger, ce suprême piment sportif, la beauté des visions du voyage, la joie de faire fonctionner et de mettre au point une mécanique compliquée et capricieuse, plaisir que ne donne plus guère l’automobile d’aujourd’hui, solide et docile comme une locomotive.
M. Loreau, Président de la C.A.M., a eu un mot très heureux dans son discours au banquet d’adieu du 30 août : « Les femmes sont avec vous, » disait-il. C’est bien vrai. Les femmes sont pour l’aéroplane, d’instinct, parce que c’est une copie de l’oiseau, cette merveille, parce que c’est joli, poétique. Aussi, vous verrez comme leur heure viendra vite. C’est pour elles qu’aujourd’hui nous construisons nos voitures. Nul doute ! Et bientôt dans l’air aussi nous transporterons leurs précieuses personnes en de coquettes carrosseries et nos moteurs jugulés par d’énergiques silencieux ne feront plus qu’un frou-frou de robe.
En attendant, on va voler de plus en plus un peu partout, car au point de vue pratique, on peut croire, après Reims, que c’est beaucoup plus facile qu’on le supposait. Tous ceux que la question intéresse se réjouissaient de cette première occasion de comparer des appareils différents dans des conditions identiques. Nous nous apprêtions à en tirer des conclusions formelles qui condamneraient peut-être tel ou tel type. Il n’en a rien été. Je crois intéresser mes lecteurs en résumant brièvement les principales études parues à ce sujet et qui concordent avec les remarques que nous avons tous pu faire du 22 au 29 août.

Monoplans et Biplans

La foule simpliste divise les aéroplanes en monoplans et en biplans. Mon Dieu, il y a bien des gens, même des acheteurs, qui classent les automobiles en voitures à carrosseries fermées et voitures à carrosseries ouvertes ! Il me semble que la division de la voiture d’un aéroplane en un plusieurs plans a à peu près l’importance de la division de la voilure d’un bateau qui peut être gréé en côtre, ketch, goëlette, trois-mâts, etc. Le problème est le même, du reste, mêlant la question de surface active à celle d’équilibre. Quoi qu’il en soit, nous voici définitivement débarrassés des vieux clichés sur la vitesse des monoplans opposée à la stabilité des biplans. Nous avons vu, en effet, le biplan de Curtiss battre, sinon le monoplan de Blériot, du moins celui de Latham et ce dernier par contre a donné une magnifique impression de sécurité.
Il faut espérer que les nombreux meetings qui vont suivre le nôtre auront pour résultat de former un peu le jugement du public au point de vue technique en matière d’aviation. Je crains que l’immense majorité des spectateurs de Reims n’en soient partis aussi ignorants qu’à l’arrivée, mais on ne peut espérer faire l’éducation d’une foule en huit jours. Notre but a été atteint si nous avons révélé l’aéroplane à un public qui a désormais tout le temps d’apprendre à le connaître et à le comprendre. Il ne faut donc pas trop sourire si les seules appréciations entendues çà et là s’adressaient à l’aspect plus ou moins gracieux et séduisant de chaque appareil. Ces considérations d’esthétique conserveront toujours malheureusement une importance exagérée, là et ailleurs. Or, tout le succès de ce côté a été aux monoplans. Je m’incline et je re connais que seuls ils ont la silhouette d’un oiseau et semblent vraiment voler. Voilà qui est entendu, mais voudra-t-on maintenant me permettre de donner quelques explications un peu moins sentimentales !
Une des caractéristiques d’un aéroplane, c’est la charge de sa voiture par mètre carré. Le Voisin normal a 50 mètres carrés de surface alaire, il pèse environ 550 kilos en ordre de marche ; il porte donc 11 kilos par mètre carré.
Les petits Blériot, avec le 3 cylindres Anzani, ont 14 mètres carrés de surface. Ils pèsent environ 350 kilos, ils portent donc 25 kilos par mètre.
Curtiss a réalisé un biplan à grande vitesse parce qu’il l’a chargé à 15 kilos par mètre et a réduit l’angle d’attaque. Il a obtenu ainsi un appareil rapide s’enlevant vite, mais planant mal.
La seule différence entre le biplan et le monoplan conçus pour la même vitesse et la même puissance n’intéresse que les hommes d’atelier. Il s’agit de savoir s’il est plus simple, plus économique, plus facile de diviser ou non la voilure. On a dit que dans le biplan les montants verticaux créaient une résistance supplémentaire à l’avancement, c’est vrai, mais par contre la forme cellulaire donne une grande rigidité à l’ensemble. Sans entrer dans des considérations scientifiques qui, pour le coup, mettraient mes lecteurs en fuite, je leur rappellerai la comparaison entre la résistance d’un pont en treillis métallique et celle d’une simple barre de fer. D’ailleurs, même dans les monoplans, on trouve une application de cette résistance extraordinaire d’une poutre en treillis composée de montants en bois et tendeurs métalliques : voyez sur la photographie d’un Blériot le corps ou fuselage de l’appareil.
Les adversaires du monoplan insistent donc sur la fragilité de ses ailes qui ne peuvent être maintenues que par un système de haubans et de poinçons. Un autre obstacle, ce sont les dimensions exagérées qu’atteindraient les grands appareils de l’avenir si on ne divisait leurs surfaces portantes. L’Antoinette, qui a 50 mètres de surface, a 15 mètres d’envergure et des ailes bien fragiles, nous l’avons vu. On peut donc raisonnablement conclure que le monoplan restera utilisé pour les appareils de petite dimension, à charge élevée par mètre carré de voilure et rapides. On m’entend bien : monoplans parce que rapides, et non pas rapides parce que monoplans. Ce sera le cotre de course avec son immense voile unique, le biplan étant la goélette à deux mâts et tous les multiplans que nous verrons apparaître peut-être plus tôt qu’on ne pense, correspondront aux grands voiliers à trois, quatre et cinq mâts.
Après le vieux cliché sur la vitesse des monoplans, l’autre idée fausse que tous les intéressés voudraient voir disparaître le plus tôt possible, c’est, je le disais tantôt, la prétention exclusive des biplans à la stabilité. Cette légende provient uniquement de ce que les premiers biplans expérimentés en France étaient les biplans Voisin où la stabilité est automatique ou à peu près automatique. Lorsqu’un appareil de cette catégorie prend une inclinaison transversale inquiétante, le pilote n’a qu’à redoubler de confiance dans l’efficacité des cloisons verticales et à donner un petit coup de gouvernail à droite ou à gauche pour aider au redressement.
Dans tous les autres appareils, au contraire, il faut faire une manœuvre spéciale de gauchissement ou d’ailerons qui modifie légèrement la résultante des forces sur la voilure. Mais ces appareils ont déjà par eux-mêmes une stabilité transversale par la forme de V ouvert donnée aux ailes – et qui n’a pas pour but comme se l’imaginait la partie féminine de l’assistance, d’obtenir la ressemblance avec un oiseau – ou bien par l’abaissement du centre de gravité. Par exemple, le Blériot n° 22, type lourd de 50 chevaux, a les ailes absolument droites, mais tout le poids du moteur et du pilote est placé très bas.
Nous avons tous pu constater que les deux systèmes avaient du bon. Là comme ailleurs, il y a plusieurs manières de résoudre le problème et c’est fort heureux, et c’est cela précisément qui nous remplit d’espoir pour l’avenir. Supposez qu’il n’y ait eu à Reims-Bétheny qu’une sorte d’appareil fonctionnant, c’est terrible, car il n’y avait plus rien à chercher, aucun progrès à espérer. Au contraire nous voyons les constructeurs dessiner leurs voilures un peu au petit bonheur…et ça vole ! Ca vole admirablement… avec queue et sans queue… avec ailerons ou gauchissement et sans gauchissement… avec ailes en V et avec ailes planes. Mais c’est parfait, voilà ce qu’il pouvait nous arriver de mieux !

Les Moteurs

Et les moteurs donc ! Tous bons ! Les lourds, les légers, les rotatifs, les verticaux, tout cela a tourné pendant une semaine. C’est bien simple. Prenons les résultats du GRAND PRIX DE CHAMPAGNE de la distance.

En tête, avec trois heures un quart, Farman, qui s’arrête volontairement à cause de la nuit. Il avait un Gnome rotatif à 7 cylindres qui, au dernier Salon de l’automobile, faisait rire toutes les compétences.
Deuxième, Latham, s’arrête faute d’essence après deux heures un quart de fonctionnement. Il y avait cinq ans que l’on plaisantait Levavasseur sur ses 8 cylindres, qui devaient caler fatalement au bout d’un quart d’heure.
Troisième, Paulhan, s’arrête faute d’essence après deux heures trois quarts avec un Gnome, – déjà nommé.
Quatrième, de Lambert, même panne d’essence après que son 4 cylindres Wright eut tourné près de deux heures avec une superbe régularité.
Par ailleurs, le 8 cylindres Curtiss et le 8 cylindres E.N.V. du Blériot n° 22 remportent les succès dans le Prix Heidsieck & Louis Roederer de vitesse. Au fond, c’est un peu la revanche des moteurs spéciaux contre tous les brocarts dont on les accablait depuis deux ans. Je persiste pourtant à croire, avec de plus autorisés que moi, que rien ne vaudra jamais pour les modèles de série à lancer dans le grand public les 4, 3 ou même 2 cylindres, qui seront toujours infiniment moins coûteux, moins compliqués, moins fragiles. Du reste, l’éclatant succès de notre Semaine a convaincu plusieurs grandes Maisons d’automobiles, comme Panhard et Renault, de tout l’intérêt qu’il y avait pour elles à se lancer sans retard dans la construction des moteurs d’aviation. Et comme elles ont tout pour réussir, l’argent, l’expérience, le personnel, l’outillage, je ne doute pas qu’elles nous présenteront d’ici peu des choses très intéressantes.

Les Hélices

Quant aux hélices, je commence par déclarer que dans la construction navale où on en fait une certaine consommation, tout le monde déclare franchement que les plus malins n’y connaissent pas grand chose après 30 ans d’expérience ! On s’en tient aux enseignements donnés par les essais et l’usage, et on tâtonne. Cependant en principe on donne aux hélices marines mues par des machines à vapeur du type courant le plus grand diamètre possible, compatible avec la nécessité de les laisser immergées. Elles tournent à 200 ou 300 tours par minute environ. On sait que depuis plusieurs années on utilise les turbines à vapeur qui tournent à des milliers de tours et là on s’est trouvé en face de difficultés terribles, car on ne pouvait songer à un démultiplicateur. On en est à peu près sorti. Ces hélices sont naturellement beaucoup plus petites.
Dans la construction aérienne on peut fixer directement l’hélice sur l’arbre du moteur et tourner à 1 300 ou 1 400 tours, c’est ce que font presque tous les constructeurs. C’est le plus simple d’abord et des compétences très éminentes affirment que c’est bien préférable. Moi, je veux bien !
On peut aussi démultiplier, au moyen d’une transmission par chaînes, c’est ce que firent les Wright. Quand on vit, à Auvours, Wilbur voler avec une force notablement inférieure à celle des biplans Voisin, seuls connus alors, chacun cria au miracle et de non moins éminentes compétences affirmèrent que cela tenait à ce que ses deux grandes hélices s’appuyaient sur une masse d’air beaucoup plus considérable et avaient un meilleur rendement. C’est bien possible ! Tout de même, il y a de telles différences entre les deux types d’appareils que la comparaison ne signifie pas grande chose. Blériot nous tirera peut être un jour d’embarras puisqu’il a adopté les deux systèmes.

En résumé, le mot de la fin à adresser à tous les constructeurs, après nos épreuves, ce serait : « Bravo ! Continuez ! ».
Continuez chacun à étudier et à perfectionner votre type. Quel qu’il soit de ceux que nous avons vu perfectionner, il est intéressant avec ses avantages particuliers que vous développerez, malgré ses quelques défauts que vous arriverez à réduire encore, sans toutefois pouvoir les supprimer totalement, parce qu’en mécanique il n’y a rien de parfait et que chacune de nos créations est un compromis entre des qualités contradictoires.
Si vous, vous avez appris peu de chose, il n’en a pas été de même du grand public. Là a été l’enseignement capital de notre 1er meeting d’avions du Monde en Champagne. Comme ce philosophe qui prouvait l’existence du mouvement en marchant, vous avez prouvé celle de l’aéroplane en volant. Chaque jour pendant huit jours, et presque à toute heure, vous êtes sortis malgré la pluie, malgré le vent. Vous avez forcé l’admiration du monde entier et rempli de joie le cœur des organisateurs qui vous avaient fait confiance en travaillant à la gloire de leur Cité. Plus tard, dans les petits manuels d’histoire on lira :

Au 1er meeting d’avions du Monde en Champagne de Reims, en août 1909, l’on pu constater que l’ère de la navigation aérienne était pratiquement ouverte.

Les Dirigeables

Je ne sais si ce fut la comparaison avec les aéroplanes qui leur causa préjudice, mais les dirigeables n’ont pas eu à Reims autre chose qu’un vif succès de curiosité. L’épouvantable catastrophe de La République n’était pourtant pas encore venu semer le doute dans le public au sujet de la valeur de nos aéronats, mais ils ont paru, je crois, encombrants et peu maniables au regard des plus lourds que l’air. Je trouve pourtant fort intéressantes les nombreuses sorties qu’ils ont faites.
Il ne faut pas perdre de vue que notre piste n’avait jamais été conçue pour eux. Au fond, une exhibition de pareils engins sur un circuit de dix kilomètres est une épreuve du même ordre qu’une course de voiturettes sur la piste d’un vélodrome. Les dirigeables doivent être capables, non pas de prendre des virages à la corde, mais d’exécuter des ascensions de plusieurs heures et j’ai regretté que nous leur ayons involontairement imposé cette acrobatie d’un maigre intérêt. Il n’en est pas moins vrai que nous avons tous pu admirer leur stabilité, ce qui est en somme la seule qualité qu’ils aient pu tenter de démontrer. Tous deux, assez semblables l’un à l’autre, à la taille près, faisaient le plus grand honneur à leurs pilotes et à leurs constructeurs : l’un, le Colonel-Renard, MM. Kapférer et Surcouf, l’autre, le Zodiac, à MM. de La Vaulx et Mallet.
Le dirigeable de petit ou moyen cube semble être arrivé avec ce type à la perfection relative que ces engins ne peuvent jamais espérer. Leur très réelle utilité militaire est leur seule raison d’être actuelle, mais elle disparaîtra avec les progrès des aéroplanes. Il est bien regrettable que nous n’ayons jamais pu, en France, mettre à la disposition des constructeurs de valeur que nous possédons le million de francs qui représente le minimum de ce qu’il faille dépenser pour avoir un véritable croiseur aérien analogue au Zeppelin allemand, muni, bien entendu, de plusieurs moteurs, capable de tenir l’atmosphère pendant 24 heures au moins et de couvrir un millier de kilomètres. Il suffirait d’ailleurs, de le vouloir… et d’ouvrir les crédits nécessaires. Il ne faut pas nous leurrer : pour l’instant nous n’avons rien à opposer à nos rivaux allemands.

L’Avenir de l’Aéroplane

Je ne satisferais certainement pas la majorité de mes lecteurs si je me refusais à exprimer ici une opinion sur l’avenir de l’aéroplane.
Il est du reste logique de rattacher l’idée des progrès de demain à l’éclatante démonstration réalisée pour la première fois à Reims-Bétheny devant des centaines de milliers de spectateurs. Aucun d’eux ne doute plus que le XXème siècle sera celui de la navigation aérienne, mais on peut se demander dans quelle voie vont se faire les grands progrès de demain.
Avant tout, je dois dire que l’optimisme que je vais montrer ne m’est nullement personnel. Il m’est commun avec tous ceux qui ont été plus ou moins mêlés au mouvement de ces deux dernières années et qui ont étudié la question, soit au point de vue pratique, soit au point de vue théorique. Je ne citerai que l’œuvre magistrale du savant M. Soreau, Président de la Commission d’aviation de l’Aéro-Club de France, Président de la Société Française de Navigation aérienne, qui a été publiée sous le titre : Etat actuel et avenir de l’Aviation. Ce mémoire, destiné à la Société des Ingénieurs civils de France, aborde, il est vrai, des questions scientifiques peu accessibles à la masse du public, mais la conclusion de cette étude, s’appuyant sur l’appareil mathématique des précédents chapitres, est une merveille de clarté et de bon sens. Il est à noter que ce travail date des premiers mois de 1908 et que tout ce que nous avons vu depuis n’a fait que le confirmer.
Lorsqu’on cherche à percer le mystère de l’avenir en matière de progrès industriel, on est toujours et forcément en dessous de ce que sera la réalité. Cela pour une raison bien simple : c’est que nous ignorons les perfectionnements qu’auront reçus dans un demi-siècle les procédés de construction mécanique. Beaucoup de gens sont tentés de croire que les merveilleuses machines actuelles sont dues à l’ingéniosité de quelques hommes, de quelques inventeurs qui n’ont eu qu’à remettre une liasse de dessins à un chef d’atelier pour réaliser… le moteur d’automobile, par exemple. Quelle illusion ! En réalité tous les progrès sont le fruit du travail et de la collaboration de milliers d’ingénieurs et de contremaîtres dans des centaines d’usines, – avant tout dans les aciéries, monde inconnu du public. C’est la mystérieuse « cuisine » des aciers actuels auxquels on incorpore du nickel, du chrome, du vanadium, qui a permis les premiers allègements de moteurs. Puis, les machines-outils ont fait d’immenses progrès. Pour travailler ces nouveaux métaux, il a fallu en inventer de plus durs encore, comme les aciers au tungstène qui tourne l’acier doux ordinaire presque comme du bois. Dans ces pièces, déjà plus légères grâce au métal plus résistant dont elles sont faites, on perce, on fouille, on sculpte pour enlever la matière là où elle travaillerait peu et arriver aux profils spéciaux que nous indique cette branche aujourd’hui si précise de la mécanique : la Résistance des matériaux.
Il est donc certain que les aéroplanes actuels sont destinés à se perfectionner, je dirai automatiquement, rien que du fait des progrès réalisés par la métallurgie et la construction mécanique. Peut-être recevront-ils aussi une impulsion inattendue et soudaine d’une découverte à côté, de même que sans la pneumatique la bicyclette et l’automobile seraient presque inutilisables. Mais, dès aujourd’hui, on peut affirmer que du jour où il y aura des pilotes capables de les conduire, on fera des aéroplanes atteignant et dépassant 150 à l’heure et pouvant couvrir des étapes de plusieurs heures avec une régularité comparable à celle de nos bonnes voitures actuelles. Il suffira de le vouloir… et de payer. La question du prix de revient et des terrains de départ et d’atterrissage limitera seule la puissance des appareils, comme la grandeur et la profondeur des ports limitent la taille des paquebots.
Ce que nous attendons impatiemment pour l’instant, ce sont des hommes. J’ai entendu critiquer à Reims-Bétheny certains concurrents qui paraissaient inférieurs à leur tâche. Je suis persuadé que leur heure viendra, mais on oublie que tout ce qui est habileté physique échappe à notre volonté et ne s’acquiert que par un lent entraînement. Ce n’est froisser personne que de faire remarquer que seul Latham sait conduire un Antoinette, et Dieu sait, avec quelle aisance, quelle facilité ! Lorsqu’il y aura plusieurs centaines de pilotes sachant manier indifféremment un Voisin, un Blériot, un Antoinette, comme le sera bientôt un Delagrange, ce jour-là nous serons prêts à entrer dans une période d’applications pratiques. C’est l’affaire de quelques années.
La question de la puissance massique du moteur, c’est à dire du poids par cheval semble presque résolue, car il est évident qu’au stade actuel de 2 kilos par cheval une amélioration de 20 à 25 % ne donnerait qu’un gain insignifiant. Il serait beaucoup plus intéressant d’arriver à réduire le poids du combustible enlevé et il y a là autant à espérer de la chimie que de la mécanique.
Il est probable que le nombre des moteurs et des hélices ira en croissant. Le moteur unique, difficilement admissible à bord d’un dirigeable, rendrait inutilisable pour tout service pratique l’aéroplane qui s’y fierait. Plus ce nombre de moteurs sera grand, moins sera sensible la suppression momentanée de l’un d’eux.
De même que les grands navires qui ont deux ou trois machines actionnant des hélices indépendants, les plus lourds que l’air de l’avenir ne seront plus à la merci de la première panne.
Leur surface de voilure sera certainement variable. Il serait pitoyable que le premier pêcheur venu pu « prendre un ris » dans sa toile et qu’un aéroplane en soit incapable. Nous avons vu comment Blériot avait résolu la question pour courir la Coupe Gordon-Bennett. Ce procédé rudimentaire prouve la nécessité de la manœuvre. Par là l’on en arrivera fatalement à faire varier aussi l’angle d’attaque des ailes et peut être le pas des hélices, ce dernier moyen a été utilisé pour les hélices marines. Et la conclusion est que dans un siècle nos descendants auront pour le Blériot qui a traversé la Manche, à la fois l’admiration et je dirai la pitié que nous inspirent la première voiture à vapeur de Cugnot ou les bicycles en bois de nos grands-pères !
Mais, dira-t-on, en admettant que les progrès de l’aviation ne soient, en effet, qu’une question de pilotes et une question d’argent, dans quel sens se feront ces progrès ? Peut-on prévoir ce que seront les appareils de l’avenir ?
Oui, sans doute, grossièrement et à condition de se souvenir que les quelques formules sur lesquelles on s’appuie ont l’inexactitude fatale de toute théorie. Il faut supposer que les résistances dues à la membrure, aux accessoires, à la charge utile sont négligeables par rapport à celle des ailes. Ceci posé, partons de l’appareil le plus rapide. C’est le Blériot, type n° XII, le n° 22 de Reims-Bétheny, qui fait du 80 à l’heure. Admettons qu’il pèse 620 kilos pour environ 25 mètres carrés de surface de voilure et 50 chevaux.
Pour obtenir une vitesse double, de 160 à l’heure, sans augmenter la surface, il faudrait, - il est entendu que ces chiffres sont donnés à titre de simples indications, - il faudrait, dis-je, une puissance 2.3, c’est à dire 8 fois plus grande, soit 400 chevaux et on pourrait arriver à un poids 2,2, c’est-à-dire 4 fois plus grand, soit 2,480 kilos.
Il est certain qu’on peut à l’heure actuelle réaliser 400 chevaux avec un poids de mille kilos. Il resterait donc près de 1,500 kilos pour le poids de la voiture et le poids utile. On voit donc qu’on peut dès maintenant concevoir un appareil marchant à 150 à l’heure et transportant 5 à 6 personnes.
Voici un autre exemple qui encore une fois n’a pas d’autre prétention que de guider l’imagination du lecteur.
Contentons-nous de la vitesse de 80 à l’heure et à vol d’oiseau, qui est déjà très supérieure à celles qu’on obtient par n’importe quel autre mode de transport. Nous pouvons dire que pour porter un poids double à la même vitesse il lui faudra une surface d’ailes doubles et un moteur de puissance double. Cette fois je parie bien qu’il suffirait de vouloir pour pouvoir.
Comme on voit, je crois à l’apparition prochaine d’appareils rapides et lourds. Quel que soit, en effet, l’intérêt de types légers et économiques, tels que le Blériot XI, la Demoiselle de Santos-Dumont, je ne pense pas que ces petits appareils puissent être jamais autre chose que des engins d’un sport très passionnant réservé à une élite d’amateurs. On ne pourra plus affronter la haute mer aérienne avec ses jouets qu’on ne peut faire une traversée avec un canot à pétrole ou un cotre de course de un tonneau. A l’heure actuelle les grands transatlantiques anglais ont 300 mètres de long, coûtent 15 ou 20 millions de francs, possèdent des machines de 50 000 chevaux et plus et transportent des milliers de passagers. Cependant, sans remonter aux troncs d’arbre creusés par le feu de la préhistoire, avec quels navires Christophe Colomb se risqua-t-il à se lancer sur un océan ignoré ? Avec des barques à peine pontées de 25 mètres de longueur !
Or, ces appareils futurs, ces navires aériens, notre région champenoise est admirablement placée pour les accueillir. Mes concitoyens auraient tort de ne pas chercher à prolonger ce beau mouvement en faveur de l’aviation auquel nous devons l’honneur de l’avoir triomphalement révélée à la foule. Les pâles exhibitions qui ont suivi notre 1er meeting d’avions du Monde en Champagne n’ont fait que prouver combien ces oiseaux artificiels, pourtant si médiocres encore, ont besoin des vastes espaces libres. Je souhaite que notre ville, placée en bordure de la grande plaine européenne devienne la tête de ligne des futurs services aériens, le principal centre français de construction et de réparation des appareils volants que verra l’avenir ; et j’espère que, dans quelques siècles, les Rémois d’alors garderont un souvenir reconnaissant pour les initiateurs de cette source de richesse.