UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Berceau mondial de l’aviation

Chapitre V - Deux disparus

Epilogue

Le 15 septembre 1909, un dîner tout intime réunissait au nouveau Cercle de Reims, les membres du Comité d’Aviation de la Champagne. Nous recevions notre Président, qui revenait de prendre quelques jours d’un repos bien gagné, dans l’intervalle desquels nous avions appris sa nomination comme Chevalier de la Légion d’Honneur.
Au dessert furent prononcées les deux allocutions qui suivent. Je ne puis résister au désir de les reproduire à la fin de ce Livre d’Or, quoiqu’elles n’aient jamais été destinées à la publication, mais elles résument trop bien dans leur cordiale simplicité l’histoire de cette année d’efforts et de travaux, que je voulais essayer de retracer ici.

M. Demorgny, doyen d’âge, prit d’abord la parole en ces termes :

MON CHER PRESIDENT,

Vers la fin de 1908, nous décidions la formation de notre Comité d’Aviation et prononçant votre nom, tous nos amis furent unanimes pour vous en offrir la présidence et prier M. Raoul de Bary, en qualité de Vice-président, de mettre au service de notre cause, son expérience et son dévouement bien connu pour toutes les conceptions grandes et généreuses.
Puis ce fut la période de certaines complications nous rappelant que si nous voulions affirmer la conquête du ciel, le ciel lui-même n’existait pas sans nuages ; cependant, nous avions engagé notre nom, c’est-à-dire celui de la Champagne, on avait décidé, il fallait agir et organiser. Le monde sportif pris au dépourvu par les progrès rapides de la science et par l’audace de nos aviateurs, n’avait pas encore traduit en formules précises les bases d’une intervention qui nous était nécessaire, ainsi que les principes à adopter pour la réglementation d’un concours dans ce nouveau domaine que la France venait de conquérir.
Grâce à vos démarches et à votre influence, grâce à votre ferme conviction dans le succès de notre entreprise, ces difficultés disparaissaient et vous trouviez au milieu de vos collaborateurs, dont je voudrais citer tout particulièrement quelques noms, si je ne craignais de blesser leur modestie, un concours gracieux, actif et dévoué, un effort constant de travail et de volonté, s’inspirant tout à la fois de la grandeur du but à atteindre et de ce sentiment d’estime, de confiance et de sympathie que vous aviez fait naître autour de vous.
Ces collaborateurs de la première heure se sont révélés des organisateurs expérimentés, des administrateurs prévoyants, ils personnifient l’action intelligente et l’initiative hardie dans la création de ce remarquable concours ; nous tous, témoins passifs de leurs efforts, nous leur témoignons nos chaleureux sentiments de reconnaissance.
Sous de tels auspices, la Semaine d’aviation de la Champagne laissait entrevoir un succès ; ce succès fut un véritable triomphe, et dans l’histoire de l’Aviation, le meeting de Reims marquera la première et la glorieuse étape.
M. le Président de la République, les hommes d’Etat, les représentants les plus autorisés de la science, et, nous pouvons le dire aujourd’hui, le monde entier a suivi avec émotion et enthousiasme la grande manifestation sportive qui avait pris naissance dans les plaines de la Champagne.
M. le Ministre des Travaux Publics, comprenant que l’humanité était désormais en possession d’une puissance nouvelle, que la conquête de l’air était un fait accompli, nous témoignait une bienveillance toute particulière ; par lui, le Conseil des Ministres connaissait toute l’ampleur d’une manifestation qui démontrait la vitalité puissante de notre pays et la force de son génie. Nous avions dès lors le ferme espoir qu’un témoignage éclatant serait rendu à nos efforts et que celui qui nous avait présidé et qui avait dirigé le succès en recevrait la légitime récompense.
En vous décorant, MON CHER PRESIDENT, le Gouvernement a honoré l’initiative personnelle, l’énergie et le dévouement au service de la science et de l’humanité, il a honoré la Champagne et la Ville de Reims, il a rendu hommage au Comité d’Aviation, il s’est fait l’écho d’un sentiment toujours vrai et toujours sincère lorsqu’il est librement manifesté par la grande voix du public.
Jeune Rémois parmi nous, vous commencez dignement une carrière, vous vous inspirez des honorables traditions d’une Maison qui a toujours été à la tête du progrès et dont les généreux fondateurs furent les amis et les bienfaiteurs de la Ville de Reims.
Au nom du Comité d’Aviation, c’est à dire au nom de vos amis, je lève mon verre en l’honneur de M. de Polignac (Président de POMMERY), Chevalier de la Légion d’Honneur.

M. Prevost offrit ensuite au Marquis de Polignac (Président de POMMERY) une croix en brillants au nom du Comité, en l’accompagnant de quelques paroles émues.

Voici la réponse de notre Président :

MES CHERS COLLEGUES,

Je suis on ne peut plus ému et touché de ce que vous venez de me dire et je ne sais où trouver des mots pour vous remercier du si sympathique dîner que vous m’offrez ce soir. Soyez sûrs que l’intimité qui y règne, votre bon accueil et votre cordialité sont pour moi la plus douce des récompenses.
Comme vient de le dire M. Demorgny, la Semaine d’aviation de la Champagne qui promettait d’être un succès a été un véritable triomphe. Le Gouvernement a récompensé en ma personne les promoteurs de la remarquable manifestation à laquelle nous venons d’assister. Aussi mon premier mouvement a-t-il été de dire en recevant cette croix, chère au cœur de tout Français : « Ce n’est pas moi seulement que le Gouvernement a voulu honorer, mais tous mes collaborateurs ».
Messieurs, vous m’avez fait confiance dès le début, vous avez, sur ma parole, cru à l’Aviation alors qu’elle était à peine créée, vous y avez cru alors que des gens sensés riaient de votre enthousiasme et le trouvaient absurde. C’est à ce bel enthousiasme pour une science toute nouvelle qui avait tout promis et n’avait pour ainsi dire encore rien tenu, c’est à cette volonté forte de voir notre pays une fois de plus à l’avant-garde que nous devons d’avoir convaincu les plus incrédules, d’avoir accompli un véritable miracle.
Quelqu’un ne nous disait-il pas lors d’une de ces extraordinaires journées : « Ce qu’il y a de plus étonnant, voyez-vous, c’est que vous ayez exécuté votre programme ». Cela est vrai, notre programme, au dire de la plupart des gens compétents était fou, insensé ; jamais les aviateurs ne consentiraient à tourner tous dans le même sens, jamais il ne pourrait y avoir plusieurs appareils en piste en même temps, jamais les aéroplanes ne pourraient se dépasser à cause des remous, personne ne serait assez bête pour risquer de se tuer dans le prix de la hauteur, à la moindre brise les grands oiseaux replieraient leurs faibles ailes et le public allait mettre le feu aux tribunes, bref on pourrait peut être remplir cet ambitieux programme, mais pas avant une dizaine d’années et encore à condition que tout le monde ait été bien sage jusque-là.
Est-ce que parmi nous-mêmes il n’y a pas bien longtemps, un certain flottement, est-ce que le découragement n’a pas failli se glisser parmi nous ? Est-ce que jusqu’au bout, jusqu’au jour même de l’ouverture, nous n’avons pas scruté l’horizon avec inquiétude, en nous interrogeant avec angoisse sur les ouragans que le ciel tenait en réserve à notre intention ?
Il y a eu au cours du 1er meeting d’avions du Monde en Champagne une minute inoubliable, qui restera pour moi comme le symbole de toute notre œuvre. C’était vers la fin de l’après-midi du premier dimanche, tous les éléments semblaient conjurés entre nous, le public était accouru en grand nombre, certes, et il attendait stoïque en se disant peut être qu’il avait encore huit jours à attendre de cette façon et que le mieux était de prendre patience. Il y eut un moment où les rafales et l’averse redoublant, on pouvait craindre de voir la Grande Semaine mériter vraiment son titre de « Grande », surtout pour avoir paru beaucoup plus longue que les autres aux organisateurs. Ceux qui étaient avec moi au secrétariat, près de l’entrée, se rappellent ces pénibles instants.
Subitement, comme à la suite d’un coup de baguette, magique, la pluie cessa, le vent tomba et dans l’air, adorablement pur et tranquille, montèrent un, deux, trois, quatre, jusqu’à huit appareils gracieux, évoluant dans tous les sens, s’élevant de tous côtés comme des fusées, tandis que les spectateurs massés dans les tribunes s’élevait la rumeur grandissante de l’enthousiasme et de l’émerveillement.
J’ai eu à cette minute, Messieurs, le sentiment que l’Aviation venait d’être révélée à l’humanité, et que l’humanité criait merci aux hommes hardis qui venaient lui offrir le spectacle encore inédit d’un sport et d’un plaisir tout nouveaux.
Je voudrais donc vous dire ma reconnaissance à tous. Notre collaboration restera comme un précieux souvenir de travail fait en commun où chacun trouva l’application de ses facultés suivant son génie et son goût. Je ne puis, hélas ! Citer tous ceux dont j’ai les noms sur les lèvres et qui ont plus particulièrement donné de leurs personnes. J’en ai pourtant bien envie, ce serait presque un devoir pour moi, mais petit à petit, presque tout le Comité y passerait et toute ma soirée serait absorbée par l’énumération de tant de mérites.
Mais il y a un nom que vous allez tous prononcer en même temps que moi, auquel nous devons une reconnaissance toute spéciale, c’est celui de notre ami Oriolle. Mon cher ami, grâce au merveilleux don d’organisation que vous possédez, joint à un dévouement peut-être plus grand encore, c’est vous qui avez été le plus précieux collaborateur de notre entreprise et il n’est pas possible de joindre à plus d’intelligence et plus d’activité, plus de belle humeur, d’entrain et de joyeuse camaraderie. Donc merci tout spécialement, mon cher Oriolle, c’est d’un cœur profondément reconnaissant que je vous rends cet hommage.
Et maintenant, Messieurs, en terminant, merci, encore une fois pour la charmante idée que vous avez eue de m’inviter ce soir en nous réunissant tous, merci pour tout ce que vous avez fait et merci surtout pour la façon si empressée et si amicale dont vous m’avez donné votre collaboration.
Combien de fois au cours de nos labeurs et de nos tribulations ai-je été attendri par les mille attentions délicates que certains que je n’oublierai pas, ont eues pour moi.
C’est grâce au sentiment d’estime, de confiance et de sympathie qui existait entre nous tous que nous avons pu mener à bien cette entreprise hardie. En nous jugeant à la peine, nous nous sommes appréciés davantage et nous avons pu donner à l’œuvre commune toute notre activité avec désintéressement, comme ne pouvaient le faire que des amis.
On prétend, et je le crois, que les souvenirs communs constituent un grand lien d’amitié.
Je souhaite donc que nous ayons souvent l’occasion de nous rencontrer pour parler de nos efforts qui furent couronnés de succès et je bois au sentiment de sympathie qui subsistera, je l’espère, entre tous les membres du Comité d’organisation du 1er meeting d’avions du Monde en Champagne.

Deux Disparus

Une de nos plus grandes satisfactions avait été de voir notre Semaine s’écouler sans qu’un seul accident de personne ne vint y jeter la tristesse. Grâce à un service d’ordre parfait il n’y avait eu ni sur les routes, ni sur les voies ferrées, la moindre collision. Fort heureusement aussi les quelques chutes d’aéroplanes n’entraînèrent que des dégâts matériels. J’avoue que le contraire nous aurait paru surprenant, tant nous étions gagnés par une admiration égale pour les hommes et les machines que nous avions sous les yeux. Jusqu’à la fin d’août, aucun accident sérieux n’avait encore endeuillé le monde de l’aviation Française. Jamais les innombrables chutes de tous ces hardis chercheurs n’avaient eu d’autre conséquence qu’un léger étourdissement, une foulure, une brûlure.
Il paraissait logique de supposer que la période des débuts étant close sans catastrophes, celle des applications pratiques ne serait pas plus meurtrière.
Deux morts bien cruelles sont venues, hélas, dans le mois suivant, nous prouver qu’il n’en était rien. Pauvre Lefebvre ! Pauvre Ferber ! Tous deux ont été tués de la même façon et pourtant avec des appareils aussi différents que possible, aussi opposés qu’eux mêmes l’étaient dans leur caractère et leur manière de conduire.

Edmond Lefebvre

Le 7 septembre, Lefebvre essayait à Juvisy un appareil Wright du modèle courant, mais qui sortait de l’atelier. Il s’enleva, prit une ligne droite à une dizaine de mètres de hauteur, puis on vit l’appareil piquer du nez subitement et venir s’écrouler sur le sol. Il pivota autour du gouvernail de profondeur qui s’était brisé et le malheureux aviateur fut tué net. On n’a jamais donné d’explications satisfaisantes de la catastrophe qui eut pour origine évidente un manque de fonctionnent de la commande du gouvernail de profondeur, soit que celle-ci se soit brisée, soit qu’elle se soit bloquée sur un coup trop brusque. Ainsi ce merveilleux pilote qui avait fait l’admiration de tous les spectateurs par sa virtuosité, sa témérité même, périt misérablement au cours d’un essai de recette, pour un défaut de matière dans une tringle de bois. Et pourtant comment éviter ce risque à l’avenir ? Cela paraît impossible.
Lefebvre avec qui j’avais eu tout le temps de faire ample connaissance à Reims-Bétheny réalisait à mes yeux le type du conducteur d’aéroplane.
Il avait fait de bonnes études d’ingénieur à l’Institut Polytechnique de Lille. Excellent mécanicien, travaillant toujours avec ses hommes qui l’adoraient, il avait tout pour réussir : la force et la souplesse physique, un imperturbable sang-froid, le goût des luttes sportives, car il avait déjà couru à bicyclette pour son seul plaisir.
Il avait appris seul à se servir de l’appareil Wright. De plus il avait réussi à se passer de l’aide d’un pylône en se lançant uniquement au moyen de ses hélices sur un rail de cent mètres. J’ai rappelé ses performances à Reims dans les pages précédentes. Il nous avait tous séduits et nous avions tenu à lui offrir un cadeau personnel, de même qu’à Paulhan, en témoignage d’admiration pour son courage et sa virtuosité et comme remerciement pour ses efforts en vue d’assurer notre succès.

Le Capitaine Ferber

Quinze jours après la mort de Lefebvre, j’apprenais celle plus horrible de Ferber. Vraiment je frissonne encore en songeant à cette longue agonie dont tous les journaux nous narraient abondamment les cruels détails. Il me semblait revoir ce doux et calme visage de rêveur scientifique toujours durci sur les photographies qu’on a reproduites. Quoi ! Cet homme pondéré, prudent, méticuleux, périr ainsi ! dans un accident « si bête », comme il le murmurait en mourant ! L’œuvre de Ferber a été considérable, et s’il n’avait été devancé par les Wright, c’est certainement à lui et à travers ses travaux que nous devrions la solution du vol par le plus lourd que l’air.
Je me souviens du jour de son arrivée à Reims-Bétheny, où je n’avais à lui donner qu’un des plus mauvais hangars. Toujours un peu ironiste à froid, il m’en plaisanta doucement, puis il sut trouver des mots charmants pour me remercier de ce que j’avais dit de lui dans mon petit Guide et pour louer notre commune manière de juger : à savoir, selon sa propre paraphrase, d’une idée de Lilienthal : « Concevoir une machine volante n’est rien ; la construire est peu ; l’essayer est tout ». Voilà où j’ai toujours admiré cette belle et claire intelligence respectueuse seulement des faits positifs et de la pratique. Ferber avait non seulement la culture scientifique élevée de tout polytechnicien et de tout officier d’artillerie, mais il avait eu la coquetterie de passer une licence ès sciences trois ans après sa nomination au grade de capitaine.
Pourtant voici en quels termes modestes il a lui-même raconté sa vie et son œuvre dans la préface de son dernier volume l’Aviation, par un 1908, et que devraient posséder tous ceux qui s’intéressent à la question :
« C’est en 1988, que, les expériences de Lilienthal m’ayant frappé, il devint évident pour moi que cet homme avait découvert une méthode pour apprendre à voler, et avait que l’aviation devait résulter fatalement de l’application de cette méthode par la possibilité qu’elle donnait de faire des expériences personnelles et de les recommencer à volonté.
« A cette époque, il faut rappeler que Lilienthal était considéré par ses compatriotes comme un acrobate et par les Français comme un parachutiste. Mon seul mérite a consisté à voir clair dans la question et à considérer comme un devoir de recommencer ses expériences, afin de faire profiter la France du mouvement qui devait en résulter.
« Cette idée est d’ailleurs bientôt devenue maîtresse de mon esprit, et c’est pourquoi je n’ai jamais pris attitude d’inventeur, « mais bien de vulgarisateur ».
« La marche de l’automobilisme a été d’ailleurs pour moi un puissant exemple, et mon but, depuis dix ans, a toujours été la création d’une industrie parallèle, par les mêmes moyens qui avaient réussi une fois. Pour réaliser cette conception qui paraissait un rêve à mon entourage, il n’y avait qu’à utiliser un procédé vieux comme le monde, et qui réussit toujours. Il fallait faire des faits, puis parler et écrire sur ces faits. Les premiers faits se firent attendre trois ans et ce n’est qu’avec mon quatrième aéroplane que je pus exécuter un parcours le 7 décembre 1901. Il m’avait fallu tout ce temps pour découvrir une chose que Lilienthal n’avait pas mentionnée : c’est qu’il s’était servi de vents ascendants pour faire ses vols planés et que sans vent ascendant il est impossible d’en faire.
« Ce premier parcours suffisait pour montrer que le coefficient de résistance de l’air à appliquer aux aéroplanes était beaucoup plus grand qu’on ne pensait, et c’était là un précieux encouragement.
« Vers la même époque (février 1902), grâce à M.O. Chanute, je reçus la communication des brochures et photographies des travaux des frères Wright de 1900 et 1901, et ils étaient si probants et si remarquables qu’il n’était pas difficile de prévoir qu’ils arriveraient facilement à la machine à voler complète. Mais tel était à ce moment l’état de discrédit dans lequel se trouvait auprès du public l’idée de l’aviation, que le contenu de ces brochures ne parvint à son entendement, à la suite de ma campagne de vulgarisation, que trois ans après !
« Partis avec M. Chanute sur la même idée que moi, c’est-à-dire que l’application de la méthode Lilienthal devait conduire à la machine volante, ils avaient adopté un mode de construction pratique et imaginé des gouvernails commodes qui constituaient un grand progrès. Pour ramener l’invention en France, il fallait donc les poursuivre sur la même piste et les rattraper. Je construisis mon aéroplane n° 5 sur leurs données, et mes parcours s’améliorèrent considérablement. Pendant les années 1902 et 1903, la presse spéciale en publia des photographies et l’Aéro-Club du Rhône demanda une conférence qui donna lieu à la première brochure des Progrès de l’aviation par le vol plané. Cette brochure servit à documenter une quantité d’articles de différents auteurs qui s’irradièrent dans le monde entier. L’agitation commençait. Elle fut appuyée avec véhémence par M. Archdeacon, qui fit à ce sujet des articles par centaines. En même temps, le lendemain de ma conférence, partait pour Paris un jeune Lyonnais décidé à faire fortune par l’aviation : M. Voisin.
« Il entra au service de M. Archdeacon et je me hâtai de lui apprendre la pratique du maniement des appareils. C’est lui qui a certainement le mieux acquis le concept que je voulais vulgariser.
« Entre temps, j’avais construit à Nice un gigantesque pylône et ajouté un moteur de 6 chevaux à mon aéroplane. Tous ces travaux firent que le Colonel Renard me demanda si je voulais lui être adjoint. J’acceptai, mais ce fut peut être un tort, car je perdis ainsi ma liberté d’action. Après sa mort, ne jouissant à Chalais d’aucune situation privilégiée, je n’eus à ma disposition aucun crédit spécial et je fus même obligé d’appointer un ouvrier pour pouvoir exécuter ce qu’il me fallait.
« J’appris ainsi à mes dépens que les progrès ne peuvent se faire par le bas d’une hiérarchie. Ils peuvent d’ailleurs se faire difficilement par le sommet, car, étant distribué à des subalternes par ordre, le travail est alors mal fait par des gens qui n’y prennent aucun goût. C’est ce qui explique en partie l’inertie des grandes administrations.
« Malgré tout, je pus, grâce à la Revue d’Artillerie, faire encore entendre ma voix et faire connaître mes progrès. J’avais perfectionné les gouvernails, adopté la longue queue qui stabilise automatiquement et placé des roues qui facilitent l’atterrissage. Enfin, pour me débarrasser de l’influence troublante du vent, j’avais établi un plan incliné de lancement au moyen de pylônes et de câbles qui lançaient l’aéroplane dans l’espace avec une vitesse de 10 mètres à la seconde environ.
« …Mes vols planés devenant de plus en plus stables et de plus en plus longs, il était urgent de trouver un moteur qui put me permettre de faire des vol horizontaux. J’avais essayé 6 chevaux, puis 12 chevaux, le 27 mai 1905, et cela était insuffisant encore. Il fallait pousser jusqu’à 24 chevaux. Aucun constructeur ne daignait s’occuper de la question d’aviation. C’est alors que je fis la connaissance de M. Levavasseur. Cet inventeur remarquable avait établi un moteur de 80 chevaux de 2 kilos par cheval, qui, placé dans un canot appelé Antoinette, lui faisait gagner toutes les courses.
« Je pressentis que j’avais trouvé l’inventeur qu’il me fallait, et, en effet, il voulut bien étudier pour moi un moteur de 24 chevaux de 2 kilos le cheval. Cela paraissait inouï à tous les constructeurs – et aussi à mes chefs – qui ne pouvaient engager une dépense de l’Etat et demander un crédit pour un moteur de 24 chevaux non encore commencé.
« Je l’essayai cependant et je fis rapport sur rapport, calcul sur calcul. Cela ne m’a pas servi pour obtenir un crédit, mais cela a empêché que l’on me traitât d’empirique. Il était temps, car n’ayant jamais voulu mêler l’analyse à une question d’aviation pratique, qui, pour moi n’en comportait pas, je risquais de passer pour un ignorant aux yeux des dogmatiques qui, en France, très nombreux, croient que la science dirige la pratique alors qu’elle ne fait que la suivre en l’éclairant.
« Cette brochure est la dernière d’une série qui a débuté en 1904 avec Les Progrès de l’Aviation par le Vol plané, les Calculs et Pas à Pas, Saut à Saut, Vol à Vol. Elle marque la fin du rôle que j’ai voulu jouer, et qui a été de faire passer de l’étranger en France des moyens qui, fatalement, devaient conduire à la conquête de l’air par le plus lourd. J’ai joué le rôle d’un ferment en renseignant à temps les chercheurs sur ce qui se faisait ou sur ce qui pouvait se faire. Je n’ai pas réussi aussi vite que je l’espérais et, personnellement j’ai été obligé de céder la place à d’autres pour des raisons matérielles ; mais, en somme, les choses se sont développées comme je l’ai annoncé. Cela m’encourage à faire de nouvelles prédictions nécessaires, car maintenant l’organisation de la victoire doit commencer.
« Par un sentiment d’amour-propre peut être excusable, j’ai retardé la publication de cette brochure, prête depuis le gain du Prix Deutsch-Archdeacon, jusqu’au jour où j’ai pu moi-même prouver ce que j’avançais en partant du sol dans mon aéroplane n° 9 et en exécutant un vol mécanique sur une trajectoire horizontale. »

On se souvient des détails de sa mort tragique. Ferber, qui courait sous le pseudonyme de Rue, venait de réussir brillamment plusieurs beaux vols pendant une Semaine à Boulogne. Le dernier jour il tenta un essai par un temps idéal. Dans un virage l’aile intérieure toucha le sol et se brisa. En même temps les roues d’avant butaient dans un petit fossé et, de même que le biplan de Lefebvre, celui de Ferber pivota autour de son gouvernail avant et fit le classique panache de l’automobile arrivant en vitesse sur un obstacle exagéré. Le malheureux eut l’énergie de se dégager seul et de remercier ceux qui accouraient à son secours : « Merci, vous êtes bien gentils, » dit-il, puis il ajouta : « C’est bête tout de même un accident comme cela. » On le transporta à l’infirmerie. Une demi-heure après il succomba à une hémorragie interne, en pleine connaissance, voyant venir la mort sans une plainte…
Ainsi finit cet homme qui, depuis dix ans, s’était dévoué à une idée, pendant longtemps malgré les railleries, sans les appuis moraux ou financiers que sa situation d’officier lui interdisait de chercher. Il révéla à la France Lilienthal, et comme lui paya de sa vie son amour de la science. Il crut aux Wright, à Voisin, à Levavasseur. Le petit capitaine des batteries alpines qui était tout heureux en 1901, à Nice, de parcourir 15 mètres et de planer 2 secondes ( !), aura eu au moins, avant de mourir, la satisfaction de voir à Reims-Bétheny son rêve réalisé et l’atmosphère définitivement conquise.
Ce fut seulement plusieurs semaines après sa mort que je lus avec émotion, dans un numéro de l’Aérophile oublié sur mon bureau, le compte-rendu de notre semaine qu’il avait écrit dans ce journal de son style si clair, si net, risquant ça et là au milieu des éloges, une critique justifiée. Oui, il dû être vraiment heureux.
« Les progrès étaient faits, disait-il, ils ont simplement été visibles de la foule et c’est en cela qu’il faut infiniment remercier les organisateurs de la Semaine de Champagne, parce qu’ils ont fait prendre au sérieux l’aviation dont, depuis dix ans, nous nous sommes, par tous les moyens, efforcés de montrer la facilité et la simplicité. »
Hélas ! « Tous ces moyens » devaient par une vraie fatalité, comprendre le sacrifice de sa vie.
Y a t-il des enseignements à tirer de ce deuxième accident ? Oui, sans doute. Tout d’abord qu’il est très imprudent de retirer la roue que Voisin place sous le stabilisateur. Ensuite, que placé à l’avant, le moteur est moins dangereux qu’au milieu de l’appareil. D’ailleurs, quelques jours avant, on nous annonçait les premières sorties d’un nouveau biplan de Voisin ainsi modifié.
Mais quelles que soient les précautions prises, l’aéroplane restera toujours un instrument sinon dangereux, au moins délicat, qu’il ne conviendra pas de mettre entre toutes les mains.
Je souhaite de voir se former pour la navigation aérienne une race de vrais professionnels équivalente à celle des gens de mer que j’ai appris à apprécier, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, sur tous les océans du monde.
Fatalistes à l’extrême, les marins savent que la mort vient à son heure, comme il lui plaît, mais s’ils ne songent guère au danger, ils le respectent toujours et donnent à l’ennemi le moins de prise possible. Ainsi on peut confier des richesses et des vies humaines à leur sagesse et à leur sang froid. D’une génération à l’autre ils se transmettent ces deux qualités en même temps que le trésor d’une expérience séculaire. Quiconque compromettrait la sécurité générale par son ignorance, son imprudence, son infériorité physique, ne serait d’ailleurs pas longtemps toléré dans cette grande famille. Aussi puis-je dire que du commandant de paquebot au plus humble pêcheur, fût-il de peau jaune ou noire, je n’ai jamais vu sur mer d’homme réellement inférieur à sa tâche quoiqu’elle atteignit souvent les dernières limites de la résistance physique. Puissent les équipages des futurs navires aériens prendre modèle sur cet état de choses et abandonner franchement les défauts opposés que l’on trouve trop souvent dans le monde de l’automobile !

Epilogue

Le Président de Polignac (Président de POMMERY), promu Chevalier de la Légion d’Honneur par le Gouvernement
Hommage aux disparus Edmond Lefebvre le 7/09/1909. Et Le Capitaine Ferber fin sept. 1909