UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Chocolat, Champagne, la Volupté de Dr Tran Ky

LE BAISER DE L’AURORE

Ces notes odorantes qui valsent au sein d’un mirage sorcier, combien sont-ils au juste ? Nul ne le sait. Sous la mélodie des bulles, les ballerines parfumées dansant avec leurs cavaliers d’esters échangent tour à tour leurs partenaires avec des aldéhydes, des glycérols. Souvent un galant proton bat la mesure dans la folle ronde des molécules endiablées.

Soudain quelques danseuses s’élèvent en un adorable allegro grâce à la complaisance de leurs cavaliers qui les propulsent dans la nuée. Soubresauts, pirouettes, arabesques… se succèdent dans une chorégraphie invisible. Les nymphes s’évanouissent en un clin d’œil, après avoir envoûté le palais de leurs admirateurs.

Tantôt d’autres ballerines surgissent de nulle part, des couples de molécules précurseurs voltigent allégrement, exécutent un pas de deux sous l’émerveillement des dégustateurs.

Tantôt éclatent une pluie de pétales dont les parfums irrésistibles embaument l’esprit et le corps réveillés.

Nul n’a besoin d’être biochimiste ou œnologue pour déceler en un éclair ce frisson de charme. Ces parfums générés par le chant des bulles disparaissent presque aussitôt. Tandis que d’autres ne se forment qu’en présence des enzymes de la salive. Leur impact, infime, s’avère cependant décisif. Ce sont ces molécules ensorcelantes qui bâtissent la noblesse d’un champagne de race anobli par le terroir, l’âge et l’art de vinification.

La genèse de la composition s’écrit au sein du moût, sans cesse retouchée par les enzymes des levures et des bactéries. Cependant, l’œuvre demeure une symphonie inachevée, avant de s’éclore devant ses admirateurs émerveillés.

L’habileté des levures consiste à exploiter les matières apparemment neutres et en soi inodores, pour les habiller ensuite de toute une gamme de parfums.

Les pinènes, citrals, dérivés d’éthylène… reçoivent un long traitement par hydrolyse sous l’action des enzymes à soufre qui les convertissent en terpènes, étape où commence la synthèse des esters, géraniols, nérols, héxénals… Ces molécules imbibent à leur tour le bois du fût, extraient son linalol et composent, selon leur improvisation, d’autres palettes magiques.

Au sein d’une bouteille, chaque variété de substances subit au fil des années une suite d’harmoniques. Tout dépend de la vocation du maître de chai qui le remue jour après jour.

En partant du bêta-pinène en tant que thème de base, les enzymes des levures le stylisent, ajoutant à son accord un collier d’hydrogène.

Pour la variation suivante, le myrcène se lie à l’alcool, le ligato donne le géraniol plus un nérol en dièse. Dans ce duo l’un n’est que l’image de l’autre dans un miroir.

Les deux molécules chantent la même mélodie de rose, accompagnée en contrebasse par un ester. Chaque marque de champagne émerveille à sa façon sous la baguette magique du géraniol. Quant au nérol, il entre dans la somptueuse variante de cinnamome.

Il arrive que le nérol des crus provenant des saisons bénies par le soleil se combine à un aldéhyde stable. Un néroli d’œillet en résulte, à la fois câlin et persistant.

Les exemples étudiés ici ne concernent qu’une seule catégorie de composants. En réalité, toute une batterie de senteurs interprète de concert. De l’ion à l’atome activé, de la molécule à l’élément dilué, la structure du bouquet va du plus simple au plus complexe.

Certaines de ces molécules ne sont que des fragments d’une longue chaîne d’atomes, d’autres présentent une arborescence touffue évoquant une vigne en pleine nouaison. D’où l’extrême difficulté à analyser avec précision la part exacte de chaque exécutant de l’orchestre, et encore plus son rôle dans le soulèvement des émotions.

L’extraordinaire pouvoir de séduction de la palette aromatique provient non seulement de sa grande volatilité, mais aussi de sa propriété pseudo-hydrosoluble. Elles surnagent entre les bulles, s’envolent en une fraction de seconde, franchisent avec une rapidité foudroyante la membrane lipidique des cellules sensorielles disposées sur la langue et dans la fosse nasale. On pourrait presque dire que ces parfums se propagent à la fois dans l’eau et dans la graisse.

Curieusement, la grappe de pinot noir en pleine maturité n’exhale que peu de senteur. Par rapport à une pomme, le pinot noir dégage 20 fois moins d’éthylène, et 4 fois moins d’arôme qu’un muscat gorgé de dérivés de pyrazine. Par contre, après la vinification, son répertoire dans la composition du champagne s’exprime par une exhalaison exaltante, et ce justement par la grâce des enzymes fermentaires qui maquillent les précurseurs en arômes volatils.

Par ce processus, les composés cystéinylés conférent au jeune vin des notes fruitées. Tandis que les molécules glycosylées du chardonnay se révéleront dans le bouquet en pleine évolution par un moelleux de truffe.

Bien que chaque personne réponde à sa manière au charme du champagne, le mécanisme sensoriel et psychique par lequel une senteur réveille les émois obéit à peu près aux mêmes circuits nerveux chez tout le monde.

En humant et en savourant le nectar qui gazouille, les molécules odorantes s’élèvent de la coupe, traversent la cavité buccale et nasale. Elles vont se fixer aux récepteurs accrochés sur les rameaux des cellules olfactives et gustatives.

Comme plusieurs catégories de récepteurs sont simultanément sollicitées, les diverses mélodies codées seront recomposées au niveau du cerveau du nez, le rhinencéphale, orchestrées par le système limbique qui les colore d’élégantes broderies, de divertissements plus ou moins émouvants susceptibles de faire éclore d’intenses émois, de provoquer des frissons sans que la conscience ne parvienne à les maîtriser.

Dans ce sens, ce vin de la tentation semble avoir deviné d’avance nos points faibles. Aussi déploie-t-il tout son charme pour nous séduire, par des bouffées de ravissantes exhalaisons.