UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La Femme & le Champagne

Arts

Il y a un lien évident entre la création artistique, la femme, apothéose de la beauté, et le champagne, le plus raffiné des vins.

Pendant longtemps l’art de la sculpture est resté étranger à la merveilleuse alliance de la femme et du champagne, mais enfin arriva René de Saint-Marceaux qui s’en inspira dans ses œuvres. Ce sculpteur de renom (1845-1915) était rémois de naissance et appartenait à une famille de négociants en champagne. On lui doit une superbe statue en bronze, « La Vigne », représentant une nymphe nue, brandissant un sarment et en ayant d’autres enroulés autour de ses chevilles, sarments qui ne peuvent être que de la vigne champenoise car il s’agissait d’une commande de sa ville natale, dont elle orne depuis 1905 la cour de la mairie. Gaston Jolivet a écrit à cette occasion quelques vers :

Sur ce sol champenois où la cuve bouillonne
L’art dora Saint-Marceaux de ses rayons divins.
Salut à son berceau, Messieurs, puisqu’il nous donne
Le premier des sculpteurs et le premier des vins.

Le maître champenois exécuta des statues analogues, vouées plus précisément au champagne allié à la femme. L’une d’elles se trouve à Epernay dans la galerie de Pékin des caves de la maison Mercier. Une autre nymphe, moins déshabillée que celle de l’hôtel de ville de Reims et tenant d’une main une coupe et de l’autre une bouteille de champagne, est au restaurant rémois Le Vigneron ; elle appartient aux propriétaires de la maison, Hervé Liégent et son épouse, Chantal, l’aimable prototype de la femme mettant en valeur le champagne.

Dans les temps modernes, il faut citer de Berthe Ferraudy « La Vigneronne champenoise », qui a été exposée en 1933 au Salon des Artistes Français, et de Florence Enders, une artiste de talent dont l’atelier est à Reims, « La Danseuse », une ravissante statue de 1984, en bronze poli-or, haute de 68 cm, qui peut être considérée comme un symbole du champagne ; elle en a la finesse, la couleur, la vertu ascendante et par la minceur de sa silhouette elle évoque une flûte légèrement évasée à sa partie supérieure et dont les bras de la danseuse, les chaînes de l’amour, formeraient le calice.

De belles sculptures, traitées en hauts-reliefs ou en bas-reliefs, ont été faites dans la craie des caves des maisons de champagne, les mieux pourvues étant en l’espèce Pommery et Mercier.

A Reims, Madame Pommery a commandé à Gustave Navlet une série de panneaux sculptés de très grandes dimensions, qu’il a exécutés de 1881 à 1885. La « Fête de Bacchus » et « Silène », inspirés de l’antique, avec nymphes sans voiles, jarres et flûtes de Pan, n’a qu’un rapport lointain avec l’union du champagne et de la femme. Mais il en va tout autrement du panneau intitulé « Le Champagne au XVIIIe siècle ». Les marquises y boivent avec de jeunes seigneurs le vin de l’amour dans les flûtes qui lui conviennent ! En 1986, pour le 150e anniversaire de la maison, Jean Barat a sculpté un grand bas-relief représentant Madame Pommery dans la fleur de l’âge, coiffée de pampres, prenant appui sur une immense coupe, l’ensemble symbolisant l’alliance du champagne et de la femme célèbre qui en était la productrice.

A Epernay, Eugène Mercier, lui aussi, demanda à Navlet d’orner ses caves, ce qu’il fit vers 1870 avec de nombreux et superbes hauts-reliefs. On y voit peu de femmes ayant des liens directs avec le champagne, quelques vendangeuses tout de même. Dans le Caveau Bacchus Navlet a cependant sculpté deux hauts-reliefs aux proportions impressionnantes ayant pour motifs des allégories où trois femmes sont réunies symboliquement au champagne ; sur l’un d’eux Séléné allaite Bacchus, le dieu des vins, donc du champagne, le meilleur d’entre tous, et sur l’autre une belle dame personnifiant la Champagne offre une grappe de raisin à une non moins belle dame, l’Angleterre, dont les citoyens sont les meilleurs connaisseurs en matière de champagne.
C’est également chez Pommery et chez Mercier que l’on trouve de belles sculptures sur bois, ayant servi à orner des foudres volumineux, ornés de femmes, ambassadrices du champagne.

Chez Pommery un foudre d’une contenance d’environ 750 hectolitres a été décoré par le Nancéen Emile Gallé. Sur la suggestion de Madame Pommery, qui visait le marché américain, il a sculpté sur un des fonds une jeune femme représentant la France qui, en présence d’un sphinx à tête d’Indien emplumée, tend à une jeune femme personnifiant l’Amérique une coupe de champagne qu’elle est supposée boire avec.., une paille ! Ce foudre fut présenté à l”Exposition Universelle de Saint-Louis, dans le Missouri, en 1904.

Le foudre de la maison Mercier a été sculpté en 1889 par Navlet et le motif choisi fut le même que celui qui mettait en présence la Champagne et l’Angleterre dans le Caveau Bacchus. D’une contenance supérieure à 1 600 hectolitres et d’un poids de 20 tonnes, c’était un géant ! Ne doutant de rien, Eugène Mercier avait décidé de s’en servir pour assurer sa publicité à l’Exposition Universelle de Paris de cette année-là. Equipé de roues robustes tiré par 12 paires de boeufs, avec 18 chevaux en renfort pour les montées, il gagna en 8 jours, non sans quelques dégâts infligés aux arbres de la route et même à certains bâtiments dans les passages étroits. Toute la presse en parlait et c’est ainsi que les deux jolies ambassadrices du champagne sculptées par Navlet firent le voyage de Paris sous les acclamations des habitants des localités traversées et des Parisiens.

L’enseigne en fer forgé n’a pas la noblesse des compression du sculpteur César mais elle a plus de charme. On la considère comme un art en Alsace, en Bavière, en Autriche, pourquoi n’en serait-il pas de même en Champagne ? Les premières enseignes, dessinées par Yves Jondiou, artiste parisien, et forgées par Jean Ruhlmann, ferronnier d’Epernay, furent mises en place en 1949. Elles se sont multipliées depuis, à Hautvillers principalement, mais aussi dans d’autres villages. Il y a un rapport évident entre le champagne et la femme avec celles, souvent fort belles, où l’on voit la vigneronne, coiffée de son bagnolet, palissant la vigne ou récoltant les raisins qui donneront le roi des vins.

Dans le domaine de la sculpture, sur un plan plus modeste, on peut noter aussi, réunissant femme et champagne, des objets décoratifs en terre cuite ou en porcelaine de plus ou moins bon goût, comme cette représentation d’un escarpin sur lequel est étendue une femme tenant une bouteille de champagne.

Les peintres ont pris conscience plus tôt que les sculpteurs des sujets aimables que leur offrait l’alliance heureuse du champagne et de la femme mais ils les ont traités de façon trop parcimonieuse. C’est ainsi que sur la fameuse toile de Jean-François de Troy, « Le Déjeuner d’huîtres », exécutée pour Louis XV en 1734 pour la salle à manger des petits appartement de Versailles, sur laquelle on peut voir le bouchon d’une bouteille de champagne s’envoler vers le plafond, il n’y a que des hommes, de même que sur son pendant de Lancret, « Le Déjeuner de jambon », lui aussi au champagne. Au XVIIe siècle, ce n’est que dans la représentation des réunions mondaines que celui-ci est en présence des femmes, encadrées d’ailleurs par leurs chevaliers servants. Il en est ainsi dans la belle toile de Barthelemy Ollivier du Musée National du Château de Versailles, « Le Souper du prince Louis-François de Conti dans sa résidence parisienne du Temple avec sa compagnie particulière ».

Sur les œuvres des peintres des XIXe et XXe siècles ; le champagne et la femme sont également rarement réunis. Dans « Le Déjeuner des canotiers » de 1881, qui est à la Phillips Collection à Washington, Renoir a cependant représenté au premier plan, posées sur une table, deux flûtes dont l’une, destinée à une main féminine, est celle de sa future épouse, Aime Charigot.

Lorsque Manet a peint en 1882 « Un Bar aux Folies-Bergère » aujourd’hui au Courtauld Institute de Londres, il a bien mis sur le comptoir six bouteilles encapuchonnées d’or à la disposition de la tenancière du bar, à l’air sévère, mais il n’y a pas vraiment association entre elle et le breuvage pétillant. Et quelques années pius tôt en composant « Chez le père Lathuile », qui est au musée de Tournai, dans un tête-à-tête d’amoureux il s’était limité à une seule coupe de champagne, qu’il avait attribuée.., au jeune homme !

Parmi les artistes moins connus on peut citer Henri de Montaud, de l’Ecole Française, pour « Souper de Carnaval » dans lequel, comme il est de rigueur, le champagne est la boisson des femmes, qu’il rend aussi pétillantes que lui, Marchetti, pour « En cabinet particulier » où l’on peut noter que selon l’usage encore en vigueur à l’époque c’est une des femmes qui verse le champagne, pour Madrazo, une représentante de la Belle Epoque costumée en marquise du siècle des lumière, avec une robe à panier, jetant un regard amoureux sur la coupe qu’elle élève d’un bras dont la manche est ornée de dentelles, coupe qui au XVIIIe siècle aurait été une flûte.

Un peintre de réputation modeste, M. C. Schloesser, a peint un tableau émouvant, connu par la gravure qui en a été tirée sous le titre « Une bouteille de champagne ». On y voit dans une salle de café d’un autre âge un groupe de paysans s’extasiant à la vue d’une bouteille de champagne ; un vieil homme en a versé à une jeune femme qui tient d’une main un bébé têtant son biberon et de l’autre une flûte mousseuse.

En 1889, Toulouse-Lautrec a peint un « En cabinet particulier », plus célèbre que celui cité ci-dessus ; il est au dourtauld Institute de Londres. Sur la toile la femme, comme d’ailleurs son compagnon, a devant elle un flûte bien pleine. De Chéret on peut voir au musée des Beaux-Arts de Nice « Le déjeuner sur l’herbe » qui ne comporte que des femmes et du champagne.

Vers 1900, Hippolyte Lucas a fait avec « La Pierrette », appartenant à la maison Deutz, le premier portrait en buste d’une femme tenant une coupe de champagne, en l’espèce une colombine coiffée d’un bicorne blanc, au sourire aguicheur. On peut aussi citer de Léon Galand un tableau exposé au Salon de 1904, représentant une femme apparemment ivre allongée sur un canapé, la coupe vide tenue par une main tombante, et de J. B. Weeninex une scène imitée des orgies du XVIIIe siècle, les flûtes de champagne des femmes mélangées avec les sabres des gentilshommes.

Gino Severini, fer de lance du groupe futuriste, a peint vers 1910 « Pan Pan au Monico » (Musée National d’Art Moderne de Paris) où les femmes qui ne dansent pas sont accoudées, flûtes en main, à des guéridons illuminés par les taches rouges des goulots des bouteilles de champagne sortant de seaux à glace de couleur grise, traités à la manière cubiste. Quant à Armand Berton, il a exécuté sous le titre « La coupe d’oubli » (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux) le portrait d’une femme fixant du regard une coupe de champagne qu’elle tient dans la main. A Londres, à la Tate Gallery, on peut voir une toile de 1939 du Néo-Zélandais James Boswell « Le Sphinx », avec les filles de cette maison close, nues, la coupe de champagne à la main. Peut-être avait-il abreuvé de champagne ses modèles pour les animer comme ce peintre qui, selon Alphonse Allais (« Nouvelles à se tordre »), ayant à peindre une « Bacchante » lui offrit un déjeuner où « le champagne coula avec la même abondance que si c’eût été l’eau du ciel », ce qui en fit « une bacchante allumée ». Dans le domaine de l’art pictural mettant en jeu la femme et le champagne l’œuvre la plus séduisant du siècle est due à Corbassière. Il l’a peinte dans les années quatre-vingt-dix pour le grand restaurateur Lasserre, qui l’a utilisée pour sa carte de vœux de l’an 2000. Une élégante jeune femme, représentée en buste, est assise à un guéridon qui supporte un seau à champagne avec sa bouteille. Elle tient dans une main gantée de noir une minuscule cassolette où une colombe, en volant, vient s’abreuver de champagne.

A ces œuvres picturales il faut ajouter des fresques, des mosaïques et des céramiques dont les motifs font appel conjointement au champagne et à la femme.

A Reims, une fresque de Foujita, datant de 1959, représente sous le vocable « Notre-Dame des Vendanges » la Sainte Vierge tenant l’Enfant-Jésus dans ses bras, entourée de pampres et assise sur un fût qui ne peut être que de vin de Champagne, la cathédrale de Reims figurant à l’horizon. Cette fresque fait partie de l’ornementation de la chapelle Notre-Dame de la Paix que René Lalou, le président de la maison Mumm, avait fait construire pour l’artiste japonais après sa conversion au catholicisme et qui a été entièrement décorée par lui. Dans la seconde partie du XIXe siècle, des fresques viticoles, parfois de qualité, ont été peintes sur certains bâtiments de quelques villages champenois, la plus importante étant celle qui décore les murs entourés de vignes de la Coopérative Vinicole de Fleury-la-Rivière, sur la face sud de la Montagne de Reims. Elle est l’oeuvre de Greg Gaura, artiste d’origine ukrainienne, et elle représente tous les travailleurs de la coopérative, dont plusieurs femmes.

Reims a la particularité d’avoir, 6 rue de Mars, un immeuble qui, construit par l’architecte Kalas en 1898 pour la maison de champagne Jules Mumm et Cie, est orné extérieurement de mosaïques importantes, œuvres de Blanc et Guillonnet, auteurs des cartons, et de Guilbert-Martin mosaïste. Elles représentent, grandeur nature, le travail de la vigne et du vin et comportent quelques femmes.

C’est une femme qui personnifie le champagne sur une céramique de grandes dimensions des faïenceries de Sarreguemines. Œuvre de Maurice Simas, elle a pour titre « Le Champagne » et elle synthétise à la manière de Mucha l’art pictural de la Belle Epoque, avec sa haute stature aux formes ondulantes, élevant avec fierté une coupe d’où s’échappe un geyser de mousse, vêtements souples ornés de guirlandes, rubans bouclés dans la chevelure, le tout dans un décor de plantes vertes. On en connaît au moins trois exemplaires, avec quelques variantes, l’un à Reims au restaurant Le Vigneron, un autre à Nantes à la brasserie La Cigale, un autre à Paris au restaurant L’Assiette au Beurre.

Plus modestes dans leurs œuvres que les sculpteurs et les peintres, les dessinateurs peuvent être des artistes et ils ont donné en tout temps des estampes de qualité réunissant le champagne et la femme, objet essentiel de leur intérêt. Elles furent très nombreuses à l’époque romantique et sous le second Empire, d’autant que beaucoup de ces artistes étaient des humoristes, travaillant en particulier pour les journaux satiriques. Le champagne était alors le vin des jeunes gens de la bohème. Une estampe en couleur, non signée, représentant une grisette en costume de carnaval, une flûte vide à la main, était légendée : « Je m’évanouis... du champagne !!! »

Pleur tombé du soleil, source de belles fièvres,
Vient nous dorer le coeur, vient fondre nos cerveaux !
Les femmes, par ton onde, ont des frissons nouveaux.

Parmi les plus célèbres de ces artistes il faut d’abord citer Gavarni, avec sa série « Les lorettes », très riche en champagne, dont par exemple une gravure représente une jeune femme prenant son bain une flûte à la main. De Gavarni aussi une gravure en couleur « Le Champagne » où dans une réunion amicale et animée de jeunes romantiques les grisettes font preuve pour le champagne d’un goût évident, pour ne pas dire immodéré. Daumier assemble aussi les femmes et le champagne dans ses séries « Les beaux jours de la vie » et « Paris qui boit ». Langlumé, dans sa série « Mœurs parisiennes » montre, entre autres, une femme à l’air épanoui, la flûte à la main, avec comme légende : « Elle aime à vivre, elle aime à boire... » A Célestin NANTEUIL on doit une superbe bacchante, poitrine à l’air, débouchant au profit de jeune dandys une bouteille de champagne dont trois sœurs encapuchonnées, baignant dans un rafraîchissoir, sont prêtes à prendre la relève. Quant à Steinlen, peintre et dessinateur d’origine suisse, il a dessiné pour « Gil Blas », sous le titre « L’Idole », une femme ravissante portant la coupe à ses lèvres sous le regard extasié de son compagnon, le champagne ayant sa part dans l’adoration qu’il exprime ainsi. Des gravures de la même veine ont eu pour auteurs Devéria, Traviès, Gustave Doré, dessinateur mais également peintre, à qui l’on doit, tirée d’une de ses toiles, une gravure « Le Vin de Champagne » sur laquelle on voit un fou ailé assis sur un croissant de lune, regardant s’échapper d’un immense flacon de champagne une fumée dont les volutes évoquent des formes féminines, Grandville, dont les femmes boivent le champagne dans de longues flûtes appelées « impossibles », Delpech et autres, sans oublier Edouard de Beaumont et ses adorables jeunes femmes en partie de plaisir. Dans « Le Charivari » du 2 juillet 1853 deux d’entre elles se laissent descendre au fil du courant d’une rivière sur laquelle flotte un seau à glace d’où émergent bouteille de champagne et flûtes et dans celui du 5 août 1865 un dessin représente deux jeunes personnes s’ébattant dans un étang au bord duquel reposent à l’ombre une bouteille de champagne et deux flûtes, la légende faisant déclarer à l’une d’elles : « On a beau dire vois-tu.., il n’y a encore que le champagne qui vous rafraîchisse pendant l’été... va me chercher la bouteille ». Beaumont aussi illustré un recueil, « L’Opéra au XIXe siècle », dont une gravure légendée « Rats en train de grignoter un héritage dans un cabinet du Café de Paris » montre des danseuses de l’Opéra se faisant remplir leur flûte par leurs amoureux. Dans le même journal, dont les dessins sont particulièrement riches en champagne, dans un numéro spécial de décembre 1898, « Réveillons », on en trouve un de Michel intitulé « La Grande Noce ! » : des fêtards et, debout sur la table, une jeune écervelée qui verse du champagne sur la tête d’un vieux beau soutenu par un serveur. Beaucoup plus calme, la pleine page de Ballurian qui, dans le numéro du 5 août 1854, représente des femmes, une flûte dans une main, enlaçant de l’autre des jeunes gens élégants, le dessin étant accompagné d’un poème d’Edmond Char, « Champagne ! », dont voici des vers de la troisième strophe qui illustrent parfaitement les relations entre la femme et son vin favori :

Sur les gravures du XIXe siècle, le champagne n’est pas toujours le vin de la joie. Dans une série « Actualités », de grand format, de V. Lejeune on trouve une caricature, irrespectueuse ou... politique, figurant Napoléon III assis dans un fauteuil et s’efforçant de dénuder une jeune beauté, déjà fort dévêtue ; celle-ci, indignée, menace de frapper l’empereur avec la bouteille de champagne qu’elle tient dans la main ! Et dans un numéro du journal « Le Courrier Français » Steinlen représente une femme agressant avec une bouteille de champagne... la Mort.

Au XXe siècle, et surtout à la Belle Epoque, des dessinateurs de renom ont, comme leurs prédécesseurs, fait se rencontrer le champagne et la femme dans de fort belles estampes, parfois colorées, souvent quelque peu polissonnes. Le plus célèbre est dans ce domaine l’humoriste champenois Adolphe Willette dont tout l’œuvre gravé est pétillant et joyeux, à qui on doit notamment « Le Champagne », symbolisé par une jeune personne vêtue de ses seuls bas noirs et dont l’immense chapeau s’envole sous la poussée irrésistible d’un bouchon de champagne. Pour un numéro de 1905 de « L’Assiette au beurre » Galanis a dessiné en couleur une scène orgiaque intitulée « La Gueule de Bois » dans un cabinet particulier on voit un couple dont la femme, ivre et à moitié déshabillée, a une de ses jambes sur la table, garnie d’une bouteille de champagne et de deux coupes. Par contre un dessin semblable de Cardona représente, aussi dans un cabinet, un couple très sage, dont la femme, le chef orné d’un superbe chapeau, hume religieusement le champagne de sa coupe. Mais dans un numéro de « L’Indiscret » de 1902, sur un dessin de Baroni, une cocotte arrose de champagne un mari dormant dans son lit à côté de son épouse !

Pour fêter la victoire de 1919 Georges Redon a conçu une charmante estampe en couleur. Autour d’une grande table où a été servi un repas de fête aux soldats alliés, dont les casques sont encore par terre, des bambins tout nus débouchent les bouteilles qui sont restées et en boivent avec allégresse le champagne, les fillettes étant de beaucoup les plus assoiffées ; une inscription dans un coin de la feuille « Vive la paix ! ».

En 1927, pour le chapitre « Champagne » de « Monseigneur le Vin » édité pour les établissements Nicolas, Carlègle a fait d’élégants dessins en couleur représentant, la coupe à la main, des couples célèbres des différentes périodes de l’Histoire. Audacieux anachronisme, Jupiter partage même un magnum avec les déesses de l’Olympe, qui en paraissent très satisfaites ; le chapitre se termine par la jolie figurine d’une mascotte brandissant une bouteille de champagne et une coupe.

En 1966, Touchagues a illustré avec de magnifiques estampes en couleur le livre collectif « La Route du vin de Champagne ». L’une d’elles représente une jeune vendangeuse cueillant sur les pentes du moulin de Verzenay les raisins qui donneront la liqueur pétillante aimée de la femme amoureuse, comme l’a symbolisé Trémois par une gravure superbe de 1972 représentant sous le titre « Etreinte champagne » un couple tendrement enlacé. - René Gruau, le maître du dessin de la mode parisienne, a couronné cette longue suite d’estampes par celle qu’il a faite pour le numéro de « Vogue » de décembre 1986 : deux rideaux rouges, occupant la moitié du dessin, s’entrouvent pour laisser apparaître une élégante en robe noire, goûtant le champagne dans une flûte que lui tend un homme dont on ne voit que l’avant-bras et la main.

On ne peut passer sous silence les belles estampes en couleur unissant les femmes et leur vin préféré pour des besoins publicitaires ou promotionnels. Il en est qui font la réclame de produits du commerce comme par exemple, pour l’extrait de viande Liebig, celle sur laquelle des femmes lèvent leur coupe dans une réunion mondaine. Mais la plupart font la promotion des maisons de champagne. C’est le cas entre autres pour Moët & Chandon. Sur la couverture de la « Vie Parisienne » du
2 janvier 1909 on pouvait voir un biplan survolant Paris. L’élégant pilote, qui le dirigeait avec les pieds, d’une main brandissait une bouteille de champagne et de l’autre trinquait avec sa voisine, qui semblait fort heureuse de commencer l’année au champagne. La légende était la suivante « Volons, planons, glissons au-dessus des brumes du souçi ! Hip ! Hip ! Hurrah ! Le Moët & Chandon est de l’essence de joie donnant des ailes à la gaieté ». Belle publicité dans une revue à la mode dans les milieux amateurs de champagne. Pour la même maison l’Allemand F. de Bayros a fait pour un journal de son pays une très belle gravure, « Judith und Holophernes », avec Judith essuyant de sa robe le sabre qui a servi non pas à décapiter Holopherne mais à faire sauter le bouchon d’une bouteille de champagne !

Willette, pour sa part, a fait pour le champagne Doyen une estampe en couleur figurant des femmes qui dans une ambiance de carnaval tendent leur flûte à un polichinelle qui vient de déboucher une bouteille de la marque. A la même époque, le champagne Bulteaux Père a fait faire par Henry Morin des estampes en couleur de taille réduite, représentant des femmes en costume d’époque offrant du champagne, par une aimable anticipation historique, à Henri IV et à François Ier, entre autres monarques. Sur une belle gravure, une femme tend la main vers un seau à glace de champagne Saint-Marceaux dans lequel rafraîchit une bouteille de la marque. Pour la maison Pol Roger Ch. Thévenin a représenté, dans une série d’estampes en couleur, une scène du XVIIIe siècle, avec des marquises élevant des flûtes mousseuses, le nom de la marque figurant sur un panier en osier ; encore une sympathique anticipation puisque la maison Pol Roger date de 1849. Il sera parlé plus loin des affiches créées pour la promotion des maisons de champagne.
D’excellentes estampes, où la femme jouait son rôle, ont été faites pour l’interprofession du champagne. A l’occasion de la Foire de Reims de 1948 a été réalisée une petite brochure, répertoire des marques exposées au pavillon du champagne ; pour la couverture Pierre Simon a dessiné une jolie femme en buste, élégante avec de longs gants noirs, au sourire enjôleur, tenant une coupe et s’associant parfaitement avec la devise écrite au-dessous : « Champagne, sourire de la France ». Gruau, quant à lui, l’année suivante, pour les besoins promotionnels du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, a fait un élégante affichette sur le motif que l’on retrouvera en 1986 avec son estampe rouge et noire déjà citée, mais sans rideau et dans des tons jaune et noir. La légende en était « Champagne, irrésistible attrait » et l’image aurait pu faire penser qu’il était surtout apprécié de la femme puisqu’elle était seule à en boire. Des artistes, ou tout au moins d’habiles dessinateurs, ornaient les couvertures des innombrables chansons de boulevard du XIXe siècle et usaient souvent pour ce faire de l’union sacrée de la femme et du champagne, surtout lorsque celui-ci était en rapport avec la chanson, comme par exemple pour « Ca m’émoustille », une chansonnette créée aux Ambassadeurs par Mlle Violette et dont la couverture de Bert représente, dansant la gigue, une jeune personne portant un grand chapeau et des gants vénitiens, le poing gauche sur la hanche et la main droite tenant une flûte mousseuse. Il en était de même pour les partitions de musique populaire, comme « Fraises au champagne », valse pour piano de Jules Klein, sur laquelle une aimable personne arrose de champagne un compotier de fraises, ou « Verse le vin d’amour », avec une jeune femme, coupe en main, assise sur les genoux de son amoureux muni de sa bouteille de champagne, ce qui est aussi le motif de la couverture de la chanson « Vive le vin de l’amour ».

Sans s’attarder sur les nombreuses cartes de vœux champagnisés sur lesquelles figure une femme mais qui n’ont aucun caractère artistique, on peut dire un mot des cartes humoristiques, dont certaines sont assez bien dessinées, comme celle sur laquelle une femme seule, vêtue dans le style Belle Epoque, est assise à une table garnie de deux bouteilles de champagne et vide une coupe, la carte comportant l’inscription suivante : « 1er Avril — Avoues que tu fais la bombe ». Il y en a d’un goût douteux comme celle de 1904 qui montre sous le titre « Le carême de Sœur Gudule » une religieuse en cornette se versant un verre de champagne. Il y en a surtout beaucoup qui sont égrillardes ; ainsi celle joliment dessinée avec des couleurs vives par Xavier Sager représentant, perchée sur un gigantesque coupe ambrée, une femme à demi déshabillée, qui s’amuse à faire... des bulles. Il est vrai que cette iconographie libertine autour de la femme et du champagne rejoint celle des spectacles lestes de l’époque. On a vu par exemple un tableau d’une revue de music-hall où des sirènes peu vêtues venaient se baigner dans trois immenses coupes remplies d’un liquide gazeux couleur champagne.
La femme et le champagne figuraient aussi sur des menus. Des dessinateurs peu connus en étaient le plus souvent les auteurs, comme par exemple A. Caillet et sa mariée buvant dans une coupe qui lui est présentée par un ange. Mais des artistes célèbres en ont fait pour des maisons de champagne, en particulier Mucha pour Moët & Chandon, avec ses femmes longilignes qui présentent ou boivent le champagne de la marque, et Willette pour Mumm, avec des farandoles débridées de jeunes femmes vêtues d’un jupon ou d’un corset, parfois seulement de leur chapeau, avec flûtes et bouteilles étiquetées G. H. Mumm.

La femme est aussi associée au champagne sur les photographies, et pas seulement sur celles prises lors de réunions mondaines. Des photographes de renom ont fait sur ce sujet des œuvres d’art. En novembre 1999, par exemple, le journal Le Figaro, pour annoncer un « encart Champagne » à paraître le lendemain a publié en première page une photographie en couleur de Van Der Broucke représentant une femme en buste buvant une flûte. Parmi les photographies que Pommery a publié en portefeuille sous le titre « Pommery Gallery » de 1985 à 1989 on admire de Catherine Charbonnier une femme partageant l’oreiller de son lit avec.., une bouteille de Champagne, de Bernard Galleron une femme rêveuse, un verre de champagne dans la main, de Frank Horvat une femme humant le liquide pétillant aux côtés de son compagnon, de Bill King une femme débouchant une bouteille avec une allégresse justifiant la légende du cliché, « La joie, le rire et le champagne s’entendent pour éclater ensemble », de Jeanloup Sieff une femme portant pour tout vêtement une voilette, le regard perdu au-delà de deux flûtes et d’une bouteille de champagne, de Francis Giacobetti une femme tenant une bouteille de Pommery près de son visage à demi éclairé, avec comme légende « Un grand champagne, comme certains regards, est source de lumière ».

Pour mémoire il faut évoquer les très nombreuses photos qui, éditées depuis les années dix-huit cent quatre-vingt-dix en cartes postales, représentent le travail de la vigne en Champagne, souvent féminin comme l’épluchage, et dont certaines ajoutent à leur intérêt historique une réelle valeur artistique.
Depuis que les affiches existent, les producteurs de champagne les ont utilisées pour la publicité de leur marque. Voici ce qu’a écrit à ce sujet dans son livre « Les Affiches du champagne d’hier et d’aujourd’hui » Simone Pagès de Rabaudy : « 

L’histoire du champagne s’illustre magnifiquement par les affiches. On découvre l’imagination des artistes, la vie mondaine culturelle et spirituelle d’une société ainsi que l’évolution du vin de Champagne ». Elle ajoute, ce qui s’inscrit fort bien dans le présent ouvrage, que « l’image que l’on retrouve le plus souvent sur les affiches est celle de la femme ». A la Belle Epoque, les Champenois se sont adressés sans lésiner aux meilleurs affichistes, notamment à Bonnard, Mucha, Cappiello, et quelques autres, qui tous avaient la femme pour modèle préféré. Si Chéret, leur maître, n’a pas travaillé directement pour les producteurs, associant lui aussi la femme et le champagne il a placé ostensiblement une bouteille de Mumm Cordon Rouge dans la fameuse affiche qu’il a faite en 1889 pour la Taverne Olympia, dont le premier plan est occupé par une jeune personne, robe et chapeau rouges, très décolletée, levant avec une allégresse triomphante une flûte pleine de champagne.

Dans le courant du XXe siècle, d’autres affichistes se sont révélés, œuvrant avec talent pour les marques de champagne, en particulier Mauzan, Stall, Falcucci, Fael, Hingre, Villemot, Oberlé, sans oublier Gruau, celui qui a le mieux mis en valeur la femme.

Les affiches associant le champagne et la femme peuvent être classées en deux catégories principales, celle où la femme est calme, sereine, parfois mutine mais toujours distinguée, et celle où elle est vive, gaie, éventuellement pétulante et même érotique.

Dans la première catégorie figure en premier la lithographie que Pierre Bonnard a faite en 1891 dans des tons jaune et bistre pour « France-Champagne » de la maison E. Debray, de Tinqueux ; la jeune femme exprime le bonheur d’avoir dans sa coupe un champagne dont la mousse est si abondante qu’elle envahit une partie de l’affiche. Très calme et presque recueillie est la femme rousse à la tournure rembourrée que Cappiello a montrée portant ses lèvres à une coupe du champagne De Rochegré, propriété de la maison J. B. Chamonard, d’Epernay. Quant aux femmes de Mucha qui ont fait la promotion de Ruinart Père & Fils en 1897 et de Moët & Chandon en 1899, elles sont hiératiques et ne portent même pas la coupe à leurs lèvres mais elles la tiennent sur le coeur, comme le fait celle que Campan a créée dans le même style pour Canard-Duchêne. Solennelle aussi est la femme en rouge, largement décolletée, que Dumas a représentée de profil pour Jules Mumm et Cie mais qui, elle, boit le champagne de sa coupe.

Dans la cohorte des vierges sages du XXe siècle trône l’élégante en robe du soir de « L’Instant Taittinger » de Patrick Arlet dont le motif, la femme vue au travers de la flûte pétillante, a servi à la décoration du flacon que la maison Taittinger a fait faire pour l’an 2000 ; il est la parfaite identification de la femme avec le champagne. Dans cette catégorie il faut citer aussi pour Joseph Perrier une colombine jaune sur fond rouge, tenant une flûte d’une main et son masque de l’autre, pour De Castellane la jolie femme de Mario qui, verre en main, se retourne, et celle de Gastou, vue de dos, avec une robe aux bretelles rouges croisées, symbole de la marque, tenant derrière elle une flûte dans une main gantée de bleu, pour Chanoine un page du sexe féminin, en costume XVIIIe, une main élevant une coupe et l’autre soutenant un flacon plus haut que lui, pour Mercier « La Femme en bleu » de Camps, au regard provoquant, coupe tenue dans les deux mains, et « 

L’Europe » de Bellanger, une tête féminine dont la chevelure est retenue par un foulard décoré avec les drapeaux de tous les pays de la Communauté Européenne, pour Moët & Chandon une buveuse de Chem, de 1928, de couleur orange et d’un style très dépouillé, pour Pommery une femme datant des années dix-neuf cent dix habillée d’une longue tunique à volutes et adossée à une coupe géante remplie de champagne, idée dont on a vu plus haut qu’elle a été reprise en 1986 pour le bas-relief commémorant le 150e anniversaire de la maison.

Les affiches paisibles peuvent être bucoliques comme celle que le champagne Hau a fait faire à l’Anglais Walter Crane : pieds nus au milieu de vignes imposantes couvertes de raisins, une femme en toge tient d’une main une amphore qu’elle porte sur l’épaule et de l’autre elle tend une coupe dont la couleur ambrée est celle de l’ensemble de la composition. Elles peuvent être poétiques comme celle que Georges Redon a exécutée en 1898 pour Piper-Heidsieck, représentant une élégante trinquant avec un angelot. Elles peuvent au contraire être de mauvais goût comme celle diffusée en 1900 par Michel Lévy et Fils pour sa marque « Champagne de la Jarretière » dans un cabinet particulier, une élégante d’une main tient une coupe et de l’autre relève ses jupons pour qu’un vieux beau à monocle, à genoux devant elle, puisse attacher une jarretière à un de ses mollets ; et sur l’affiche on lit « Messieurs !! voulez-vous conquérir les cœurs ! Offrez le Champagne de la Jarretière. Exigez la superbe Paire de Jarretières avec chaque bouteille » !

Sur les affiches de la seconde catégorie la femme est plus frivole, active, parfois excitée. Pour De Venoge Henrion a fait sortir d’une bouteille une fée échevelée, cheveux et vêtements animés par le souffle de la comète de 1911 qu’avait célébrée le monde viticole. Pour Pommery, Mauzan dépeint une cavalière tenant une coupe dont le champagne ne se renverse pas car le cheval est... en bois, d’ailleurs de couleur rouge. Pour Joseph-Perrier, Léon d’Ylen a créé en 1921 une affiche pétillante avec une jeune écervelée sautant sur un pied, bouteille dans une main et coupe dans l’autre, environnée par des raisins blancs qui forment sa coiffure et envahissent l’affiche. Pour la même marque, sur une affiche de Stail, les raisins forment une énorme grappe d’où sort une femme carnavalesque et voluptueuse brandissant une énorme bouteille. Une affiche anonyme de la maison Binet Fils & Cie est analogue à celle d’Ylen : les raisins servent de jupe à une bacchante qui fait de l’équilibre sur une caisse partant le nom de la marque en tenant d’une main une bouteille et de l’autre une coupe pleine ; le moins que l’on puisse dire est que cela demande beaucoup d’adresse mais c’est gai et charmant ! Sur une affiche de la maison Perrier-Jouët une autre bacchante brandit coupe de champagne et grappes de raisins ; en recueille-t-elle le jus dans la coupe ? Pour le champagne Saint Marceaux, Erik a dépeint deux jolies jeunes femmes, adorables de gaieté, élevant dans les airs une énorme coupe d’un champagne pétillant tandis que Cappiello a créé en 1902 pour Delbeck une affiche représentant une femme ayant déjà trop bu et débauchant une nouvelle bouteille dans un déluge de mousse. Et quelle vivacité gracieuse dans l’affiche que ce grand artiste a faite pour promouvoir le « Pur Champagne » de l’Association de Vignerons de Damery, groupement viticole précurseur des coopératives du vignoble champenois ; elle représente une élégante de la Belle Epoque vêtue de rouge, robe et coiffure, riant en se retournant pour faire admirer la bouteille et la flûte mousseuse ; c’est un chef d’œuvre !

Quelques affiches de la Belle Epoque avaient un caractère libertin qui n’était pas étranger à l’idée que dans cette période débridée on se faisait souvent du champagne. La maison rémoise Henri Abelé en a donné témoignage. Pour fêter l’an 1900 elle a fait faire une affiche comportant sous le titre BONNE ANNEE 1900 une baignoire occupée par une cocotte, nue mais ayant cependant gardé son chapeau à plumes, levant sa flûte mousseuse, un vieux beau versant le contenu d’une bouteille de champagne dans ladite baignoire, laquelle, à voir la couleur du liquide qui l’occupe est apparemment remplie avec le vin de la joie !

Des affiches réunissent le champagne et la femme sans pour autant faire la promotion d’une marque de champagne mais pour la publicité d’un produit du commerce ou d’un établissement. C’est souvent le cas pour les music-halls. Sur une affiche de Millière de 1899 pour le Divan Japonais on voyait une jeune femme qui, perchée sur les épaules d’un viveur, se versait du champagne dans son décolleté généreux. Crozet a fait en 1984 une affiche pétillante pour le Paradis Latin : une femme nue bondissait sur des talons hauts au travers d’une myriade de bulles au milieu desquelles était inscrit « Champagne » en grandes majuscules.

Dans les années dix-neuf cent soixante-dix, an a vu sur les abribus, pour une réclame de montre de luxe, une femme avec une robe du soir au dos décolleté jusqu’à la raie des fesses et des gants rouges, allongée sur le côté, prenant appui sur son bras gauche et tenant dans sa main droite une flûte pétillante.
Il existe même une affiche américaine de 1978 intitulée « Champagne bubbles » que l’on doit à Charles White III et qui a pour seul objet de faire la promotion du champagne, dont on vaudrait être sûr qu’il ne s’agit pas de l’ersatz d’outre-Atlantique. C’est en tout cas un merveilleux symbole du bonheur que le champagne peut procurer à la femme et, par bulles interposées, à l’homme qu’elle aime. On y voit en effet s’évader des gratte-ciels de Manhattan une femme en robe du soir et son compagnon en smoking juchés sur le flanc d’une énorme bouteille de champagne qui pourrait faire penser, en mains confortable, au projectile du roman de Jules Verne, « De la terre à la lune » ; les amoureux s’embrassent et ils volent ainsi au milieu d’une multitude de bulles de toutes tailles.

Il reste à évoquer la présence conjointe du champagne et de la femme dans le septième art. Depuis que le cinéma existe, et ensuite avec la télévision, le champagne est apparu à l’écran avec une fréquence incroyablement élevée au point de figurer dans plus de la moitié des films. Absent bien sûr de ceux relatant des évènements antérieurs au XVIIIe siècle, on le trouve partout ailleurs, très sauvent associé à la femme. En 1938 déjà, dans « L’Entraîneuse » d’Albert Valentin, Michèle Morgan sert dans un cabaret de Montparnasse le champagne avec beaucoup de grâce. Le champagne rejoint même la femme dans les westerns. Dans « Le Grand Sam », film de 1960 d’Henry Hataway, John Waine, chercheur d’or, rencontrant la jolie Capucine, lui offre une coupe en lui disant : « Du champagne, une boisson digne de toi ».

On voit dans certains films les femmes servir elles-mêmes les bouteilles de champagne. « Out of Africa », réalisé en 1985 par Sydney Pollack, commence par un déjeuner de chasse qui se déroule en 1914 au Danemark et ce sont des baronnes qui remplissent les verres des chasseurs, comme cela se faisait d’ailleurs parfois à l’époque. Elles ont font évidemment autant pour leurs coupes et dans la seconde partie du film, qui se passe au Kenya, au cours d’une soirée célébrant dans un club la victoire britannique de 1918 Méryl Streep, en dansant, tient sa coupe de champagne dans une main, enlaçant le beau Robert Redford de l’autre.

Des films montrent aussi des femmes aux prises avec des bouteilles de champagne, comme Marilyn Monroe qui, dans « Sept ans de réflexion » de Billy Wilder, aide Tom Eweil à dégager son doigt coincé dans le goulot de la bouteille qu’il a débouchée maladroitement.
Il arrive que dans un film, comme dans les romans policiers, une mauvaise femme mette un produit nocif dans un verre de champagne ; c’est ainsi que Marthe Keller, dans « Le Guépier » de Rager Pigaut, dépose un somnifère dans celui d’un homme d’affaires à qui elle veut subtiliser une valise contenant une grasse somme d’argent.

Des femmes boivent le champagne en solitaire, comme Joan Collins dans tous les épisodes de la série américaine « Dynasty » où d’ailleurs il est au générique. Cette habitude est peut-être regrettable mais elle ne devient répréhensible que si elles boivent trop et tombent dans l’affreuse ivresse. D’autres femmes, heureusement, trouvent dans le champagne plaisir et réconfort, comme c’est le cas dans « Femmes, femmes » de Paul Vecchiali où Hélène, qui a tout au long du film la bouteille de champagne à portée de la main, le boit en vaquant à ses occupations ménagères pour se donner du courage et en outre se défend grâce à lui contre la dépression qui la guette dans une vie manquée. Dans « La Truite » de Joseph Losey, qui se déroule au Japon, Isabelle Huppert et une Nipponne d’un certain âge demandent même au champagne de les aider à discourir sur l’amour et sur le sens du péché, bien approvisionnées avec deux bouteilles à leur portée sur une table basse
en laque Negoro.

Que de beaux tête-à-tête, verres de champagne en main, offre le septième art depuis celui sur lequel se termine le film muet de 1928 de Jean Renoir « Tire-au-flanc » ! Ingrid Bergman regardant amoureusement Humphrey Bogart dans « Casablanca », mais aussi Gary Grant dans « Les Enchaînés » et Yves Montand au cours du dîner au champagne de « Aimez-vous Brahms ». Et encore Meryl Streep et Robert de Niro dans « Falling in love », Katharine Hepburn et Spencer Stacy dans « Madame porte la culotte », et tant d’autres Le tête-à-tête champagnisé peut cependant, rarement il est vrai, tourner à l’aigre, comme dans « L’Africain » de Philippe de Broca où il déclanche une scène de ménage lorsque Philippe Noiret dit à Catherine Deneuve, à juste raison d’ailleurs mais avec colère : « Arrête de touiller tan champagne avec ta cuiller, ça m’a toujours énervé ».

Dans beaucoup de films l’homme se sert du champagne pour tenter, généralement avec succès, de faire tomber dans ses bras la femme qu’il désire. C’est le cas dans « Les grandes manoeuvres » de René Clair où Gérard Philippe, lieutenant de cavalerie, après avoir hésité se décide à faire apporter par son ordonnance le champagne qui l’aidera à séduire Michèle Morgan. Parfois, cependant, la morale s’oppose à l’intrigue ; ainsi dans « Brève rencontre » de David Lean en dépit du champagne les héros ne succombent pas à la tentation de l’infidélité à l’égard de leurs conjoints. Il arrive aussi que le champagne se range du côté de la sagesse et de la charité ; dans « Juste avant la nuit » de Claude Chabrol, recevant la visite de sa belle-mère qu’elle n’aime guère Stéphane Audran, dans un bon mouvement, l’accueille avec une bouteille du vin de la conciliation.

Les dialogues mettant en jeu dans les films la femme et le champagne sont nombreux et souvent merveilleux ; en voici trois exemples, parmi les plus connus. En 1939, dans « Ninotchka », Ernst Lubitsch raconte l’histoire d’une fonctionnaire soviétique, Nina, jouée par Greta Garbo. Elle est envoyée à Paris pour contrôler trois représentants de la chambre de commerce de Moscou qui goûtent un peu trop aux joies de la vie parisienne que, champagne aidant, leur dévoile Léon d’Algout (Melvyn Douglas). Celui-ci et Nina s’ éprennent l’un de l’autre et le champagne offert par Léon joue un rôle dans leur amour. « Du champagne ! s’écrie-t-elle, je n’en ai jamais bu ! » Elle trempe ses lèvres dans sa coupe et un ineffable sourire éclaire son visage. « C’est bon ! ». Un peu plus tard, dans la chambre d’hôtel où Léon a ramené Nina un peu grise, elle s’exclame : « J’ai trahi l’idéal russe. On devrait me fusiller ! » Léon l’adosse au mur, lui bande les yeux et débouche une bouteille de champagne. A la détonation du bouchon Nina se laisse glisser au plancher dans une pose dramatique et s’écrie : « Maintenant j’ai expié, je suis heureuse ! »

En 1958, dans la comédie musicale « La Belle de Moscou » de Rouben Mamoulian, Cyd Charisse boit elle aussi du champagne pour la première fois. Elle dit à Fred Astaire : « Je viens de faire une grande découverte, le champagne est plus agréable que le lait des vaches ». Le jour suivant, Fred Astaire lui dit : « Vous êtes plus jolie après boire ; le champagne a l’air de vous réussir ».

En 1963, dans « La Panthère rose » de Blake Edwards voici un dialogue entre Sir Charles (David Niven) et la princesse Dala (Claudia Cardinale) : Sir Charles : « Voulez-vous du champagne ? » — La princesse : « Je vous ai dit que je ne bois pas d’alcool ». — Sir Charles : « Le champagne n’est pas de l’alcool. C’est un vin spirituel éminemment favorable au développement de l’amitié ». Elle se laisse convaincre, un premier baiser s’ensuit et Sir Charles constate que « le champagne rapproche les extrêmes ». Le pouvoir euphorique du champagne s’est encore exercé sur la femme qui, la suite du film le prouve, lui en est reconnaissante.

Films et téléfilms démontrent ainsi abondamment les relations intimes qui existent entre le champagne et les femmes. Celles-ci ont célébré son triomphe dans une scène qui, tirée du film « Les Hommes préfèrent les blondes » de Howard Hawks, a servi à illustrer la jaquette du livre de Bénédict Beaugé, « Champagne, images et imaginaire ». C’est une superbe allégorie, représentant Marilyn Monroe et Jane Russel, debout sur un bar, brandissant chacune sa flûte de champagne avec un sourire radieux.