UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La Femme & le Champagne

Histoire

Comme au siècle précédent, les grandes dames buvaient volontiers du champagne. Elles en faisaient même un usage louable car il était versé abondamment aux buffets des ventes de charité. Elles furent rejointes dans l’amour du vin de la joie par les bourgeoises dont il devint le breuvage traditionnel des fêtes de famille. Les unes comme les autres avaient parfois avec lui des idées d’indépendance. Il y était fait allusion dans une gravure de Daumier du « Charivari » représentant des buveuses de champagne avec comme légende : « Toast porté à l’émancipation des femmes par des femmes déjà furieusement émancipées ». On était en 1848 ! Les représentantes du beau sexe avaient surtout l’occasion, maintes fois répétée, de sabler le champagne dans les réceptions et les bals qui se multipliaient sous tous les régimes et tout particulièrement sous le second Empire. Elles en buvaient aussi, tout simplement, au restaurant, et pas seulement en France. Dans « Dinners and diners » Newnham-Davis écrivait ceci en 1899 : « A Londres, en commandant un petit dîner pour deux, on porte instinctivement son regard sur la page « champagnes » de la carte des vins. Les femmes pensent qu’un dîner n’est pas complet s’il y manque le champagne ».

Les actrices se distinguaient par leur amour du champagne. Il en était déjà ainsi au XVIIIe siècle, pour Adrienne Lecouvreur, champenoise et maîtresse du maréchal de Saxe, et aussi pour bien d’autres. Il est même arrivé à Mademoiselle La Guerre, cantatrice de grand talent, d’en boire trop. Alors qu’un soir elle jouait à l’Opéra le rôle de l’héroïne dans « Iphigénie en Tauride » de Piccini, elle entra en scène dans un état d’ivresse si manifeste que Monsieur de Cossé s’écria : « Ce n’est point Iphigénie en Tauride, mais Iphigénie en Champagne ! ».

Sans dépasser les limites de la bienséance, les actrices et les danseuses du XIXe siècle furent de bonnes buveuses de champagne, notamment la Malibran, la Cruvelli, Rachel et Mademoiselle Mars. Cette dernière était connue pour en offrir libéralement à ses admirateurs lors des soupers qu’elle donnait chez elle après les représentations, et à la fin de sa vie ses dîners se composaient seulement de bouillon et de champagne. La Malibran et Rachel, quant à elles, avaient un besoin impérieux de vin pétillant pour se donner du courage avant d’entrer en scène. Il convient de citer aussi Alice Ozy, maîtresse du duc d’Aumale et du peintre Chasseriau ; elle a été caricaturée par Roger de Beauvoir sous les traits d’une bacchante tenant d’une main une corne d’abondance et de l’autre une coupe de champagne, avec pour légende ce jeu de mots : « Ozy noçant les mains pleines ! ».

A l’époque romantique, de très jeunes femmes demandaient au champagne d’être la source du bonheur qu’elles cherchaient dans une vie légère. C’était les grisettes, de condition modeste, généralement ouvrières en confection, et les lorettes, de mœurs faciles, ainsi nommées parce qu’habitant souvent dans le quartier de la rue Notre-Dame de Lorette. Les unes et les autres étaient plus ou moins entretenues. Voici ce que l’on peut lire à propos des lorettes dans « La Physiologie du vin de Champagne », ouvrage attribué à Lurine et Bouvier et datant de 1841 « Les rues Bréda, Neuve-Saint-Georges et Notre-Dame de Lorette consomment du matin jusqu’au soir, et du soir au matin, des quantités démesurées de vin d’Aï : les Arthurs ont cessé d’envoyer des fleurs aux madones de ces jolis endroits : ils leur adressent des paniers de vin d’Epernay en guise de bouquets et de billets doux. L’on ne dit plus "Notre-Dame de Lorette" mais "Notre-Dame de Champagne" ! ».
Les grisettes ont inspiré plus tardivement, en 1875, une chanson à Louis Festeau, « Les grisettes en partie fine », aux nombreux couplets. Voici l’un d’eux, ainsi que le refrain :

Eh ! Vive le champagne !
Ca grise petit à petit,
Ah ! ma chère, c’est si gentil
De battre la campagne.
Dieu de Dieu, que l’homme est aimable,
Quand le champagne le conduit.

Lorettes et grisettes ne considéraient pas le champagne comme un vin de qualité mais comme un breuvage qui les amusait. Dans « Scènes de la vie de Bohème » de Murger, l’une d’elles dit à propos du réveillon de Noël : « Je ne craindrais pas du champagne. J’aime ça, ça fait du bruit ».

Durant tout le XIXe siècle ont fleuri aussi les demi-mondaines, dont le champagne était la boisson attitrée. Les écrivains ne se sont pas fait faute de les associer. Lorsque Balzac décrit dans « Splendeurs et misères des courtisanes » le baron de Nucingen installant Esther et lui faisant les honneurs de la salle à manger, celle-ci s’exclame : « Très bien, charmant ! Quel plaisir ce sera de boire ici du vin de Champagne ! ». Et que dire de « Nana », roman plein de champagne de Zola ! Voici par exemple comment l’auteur représente son héroïne assistant dans son landau aux courses de Longchamp : « Debout, elle s’était mise à verser des verres de champagne aux hommes qui la saluaient ».

Mondaines et demi-mondaines sablaient le champagne dans les grands restaurants de toutes les capitales européennes. Elles en fréquentaient parfois les « cabinets particuliers », avec leur amant ou avec leur mari quand elles voulaient abriter leur bonheur des regards indiscrets. Voici ce qu’écrivait en 1823 dans son « Code gourmand » Horace Raisson, parlant de ces lieux intimes : « Le Café de Paris a reçu vos ordres dès le matin. Madame arrive, et trouve un élégant couvert tout dressé ; gardez-vous, à moins d’une demande expresse, de faire mettre sur la table un autre vin que le champagne ! C’est celui des dames, et surtout des amants ».

Tout en bas de l’échelle sociale féminine se trouvaient les filles des maisons closes. Elles se faisaient offrir du champagne par leurs clients et étaient tarifées par la sous-maîtresse en fonction du nombre de bouteilles payées. Dans la seconde partie du siècle, il en était de même dans certain établissements de nuit. Ces professionnelles buvaient avec les clients mais il leur arrivait souvent de vider subrepticement leur coupe dans le seau à champagne pour augmenter la consommation.

Le début du XXe siècle a marqué une étape importante dans l’historique des relations entre les femmes et le champagne, la Belle Epoque, dont le roi des vins et le beau sexe réunis ont été le label. On n’y buvait pas le champagne parce que l’on voulait se désaltérer ou déguster un grand vin mais parce qu’il était le révélateur du plaisir de vivre. On assistait à une débauche féminine de champagne, en France mais aussi à l’étranger, dans une société cosmopolite se retrouvant aussi bien au derby d’Epsom qu’à Venise où Gabriel-Louis Pringuet avait un jour comme voisine, a-t-il écrit, « une princesse Ruspoli que le champagne rendait d’une verve étourdissante ». Quand les hommes buvaient du bordeaux ou du bourgogne, c’était entre eux. Lorsque des dames étaient invitées, c’était le champagne qu’ils commandaient.
Les demi-mondaines étaient toujours aussi attachées au breuvage pétillant dont elles ne pouvaient se passer. Elles tenaient le haut du pavé. Liane de Pougy- Emilienne d’Alençon, Cléo de Mérode, Caroline Otéro sablaient le champagne que leur offraient les aristocrates en renom, les grands-ducs, au bar des Folies-Bergère, haut-lieu de l’amour vénal, et chez Maxim’s, le temple du champagne. Certaines allaient même finir entre elles la nuit au champagne dans les guinguettes des Champs-Elysées. Blanche d’Attigny resta même deux jours de suite au Petit Moulin Rouge à en boire pour se consoler de n’avoir pas été reçue par un souverain oriental venu à Paris.

Les grandes dames de la Belle Epoque allaient aussi chez Maxim’s mais elles ont vidé de nombreux verres de champagne dans les grandes soirées mondaines qui se multipliaient, comme le Bal Second Empire de la duchesse de Gramont, le Bal des Pierreries de la princesse de Broglie et les fêtes données par Boni de Castellane.
Si le XXe siècle a commencé dans la joie, il s’est hélas poursuivi dans les guerres ! Le flot du champagne s’est tari mais les femmes lui sont restées fidèles. Les « marraines de guerre » en offraient à leurs filleuls ; la couverture du numéro du 1er avril 1916 de « La Vie Parisienne » représentait « la bonne marraine et ses deux filleuls sablant le champagne ». Dans le numéro du 26 août de la même revue, deux jeunes femmes bombardaient avec des bouchons de champagne un lieutenant en permission. Quant aux victoires de 1918 et de 1945, elles ont été célébrées au champagne et les femmes n’ont pas été les dernières à fêter avec lui les soldats français et alliés.

Dans les périodes de paix, la vie mondaine reprenait son cours. Dans les « Années folles », qui suivirent la Grande Guerre, le champagne recommença à arroser pour les femmes les nuits parisiennes. Les hommes, même s’ils s’adonnaient entre eux au whisky, leur en offraient toujours chez Maxim’s, mais aussi au Fouquet’s et dans les boîtes de nuit de Montparnasse. Les grandes réceptions se déroulaient de nouveau, avec les Bals des Petits Lits Blancs et les fêtes données par la princesse Murat, la duchesse de Doudeauville, le marquis de Cuevas et, comme avant la guerre, Boni de Castellane. Il en était de même sur la Riviera. Alfred Capus écrivait : « A Monte-Carlo, le casino est une merveille car y dominent le jeu, les femmes et le champagne ». Dans toute l’Europe et aux Etats-Unis la liesse était revenue et les femmes avaient retrouvé le champagne avec bonheur. On les voyait dans les établissements présentant des spectacles, avec au bar et sur les tables les seaux à glace, comme à Paris le Lido et le Crazy-Horse, venus concurrencer le Moulin-Rouge et les Folies-Bergère.
Les pensionnaires des maisons closes faisaient toujours, et de plus en plus, consommer le champagne, aussi longtemps tout au moins que ces lieux n’ont pas été supprimés par la Loi, qui les avait longtemps tolérés alors que la morale les réprouvait. Au Sphinx, établissement célèbre de Montparnasse, certaines ne « montaient » pas, trouvant plus lucratifs leurs gains sur le nombre de bouteilles de champagne de leurs clients. Certains soirs, les ventes d’une maison se montaient à un millier, et il y en avait où pour augmenter la consommation on installait le client à un guéridon de style Louis XVI cerclé d’une élégante rainure ; la fille faisait semblant de boire et y versait le champagne de son verre, qui s’écoulait par un petit orifice situé sous le guéridon, d’où il terminait sa course dans une vasque. Monsieur constatait bientôt que la bouteille était vide et il en demandait une autre.

Les cabarets et night-clubs profitèrent de la fermeture des maisons closes et, après la dernière guerre, devinrent en vogue. Les dames avaient l’avantage de pouvoir y aller entre amies et en couple et d’y boire du champagne. Quant aux entraîneuses, elles poussaient à la consommation des messieurs isolés et tiraient de ce travail « au bouchon » un bénéfice analogue à celui des pensionnaires des maisons closes, versant discrètement comme elles le contenu de leur verre dans le seau à glace.

Le champagne, au fil des jours du XXe siècle, est devenu accessible à tous. Les femmes l’offrent dans tous les milieux et à toute occasion, pour des réceptions huppées ou modestes, pour un mariage distingué comme pour le baptême du petit-fils de la concierge, et elles en partagent une demi-bouteille quand elles se rendent visite. Et ce qui est vrai en France l’est aussi dans les pays étrangers, en Grande-Bretagne surtout, à la cour de la reine d’Angleterre mais aussi dans la bonne société. Dans « Gentlemen I give you wine », Warner Allen écrit : « Quand il vous revient la dure tâche de réunir les dames qui s’attendent à ce que vos efforts pour les divertir les rendent heureuses le champagne créera l’atmosphère que vous attendez ».

Comme aux siècles précédents actrices et danseuses sont des fidèles du champagne. Elles en prennent souvent un verre à l’entracte afin de se donner du courage pour la suite du spectacle. Après avoir vidé une coupe Yvonne Printemps chantait comme un rossignol ! Elles boivent d’ailleurs du champagne chez elles et en toute circonstance.
La vie de Sarah Bernhardt s’est déroulée sous le signe du champagne dont elle absorbait des quantités incroyables. Dans la loge de son théâtre il y avait une baignoire où rafraîchissaient les bouteilles. Elle y faisait venir Maurice Rostand enfant et elle lui donnait pour le goûter des choux à la crème et du champagne. Dans ses souvenirs Escoffier a raconté qu’elle lui avait confié devoir son extraordinaire énergie à « la volonté, soutenue par un excellent champagne », qu’elle en prenait une demi-bouteille à chaque repas et que « l’effet de la mousse champenoise réagissait sur elle d’une façon merveilleuse ».

Le goût pour le champagne a gagné bien vite les stars du cinéma international. Pour le tournage de ses films, Marlène Dietrich l’exigeait par contrat. Dans un « Abécédaire » qu’elle a écrit en 1988 on trouve ce beau passage à la gloire de son vin préféré : « En tant que symbole, il a un pouvoir extraordinaire. Il vous donne l’impression que c’est dimanche et que les jours meilleurs sont très proches. Si vous arrivez à obtenir un Dom Pérignon bien glacé dans un très beau verre à la terrasse d’un restaurant parisien avec vue sur les arbres sous un soleil de la mi-automne, vous vous sentirez la personne la plus « luxurious » du monde, même si vous avez l’habitude de boire du champagne ».

Quant à Marylin Monroe, selon son biographe George Barris, « elle ne buvait que du champagne, qu’elle respirait le nez dans le verre, comme si c’était de l’oxygène ». Et Hans Jorgen Lembourne, pour sa part, a écrit que lui ayant à sa demande apporté du champagne dans sa chambre, « elle leva la flûte couverte de buée avec assurance et élégance ».

Au cours du XXe siècle la femme a beaucoup changé. Ses robes ont raccourci, sa coiffure a été modifiée, elle a obtenu le droit de vote et pris sa place dans la vie professionnelle et dans les sphères gouvernementales. Dans « L’Un est l’autre », Elisabeth Badinter a écrit qu’aujourd’hui « hommes et femmes sont en train de modifier en profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes et de l’Autre ». C’est parfaitement juste, mais quels qu’aient pu être les changements survenus dans la vie de la femme, elle a conservé avec le champagne des relations privilégiées. Et comme en 1999 les expéditions ont été de l’ordre de 330 millions de bouteilles, contre un peu moins de 30 millions en 1899, les dames ont maintenant largement de quoi satisfaire leur goût pour le vin pétillant !