UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La Femme & le Champagne

Séduction

La femme boit du champagne parce qu’il lui est agréable et utile, nous venons de le voir, et qu’une alliance indéfectible les réunit. Voici ce que disait Madame Bollinger, une de ces grandes dames productrices de champagne dont nous aurons l’occasion de reparler : « Je bois du champagne lorsque je suis heureuse et lorsque je suis triste. Quelquefois j’en bois quand je suis seule. Quand j’ai de la compagnie, je le considère comme indispensable... Sinon je n’y touche jamais, sauf lorsque j’ai soif ».

Véritable « pick-me up », le champagne dispense à la femme ses effets bienfaisants. La finesse et la fraîcheur de ce breuvage privilégié des moments heureux en font le vin du plaisir qui est pour elle un enchantement. Dans leur « Journal », les Goncourt écrivent qu’au cours d’un dîner une certaine Madame de Senville « qui a bu trois grands verres de champagne n’y tient plus ; il faut qu’elle chante ». Le champagne idéalise la femme. La Philine de Goethe, personnage des « Année d’apprentissage de Wilhelm Meister », « sablait avec une grâce parfaite l’écume d’un verre de champagne ». Le bonheur qu’il lui donne dure aussi longtemps qu’elle lui reste fidèle. Jorge Amado a dit que « le bonheur se conserve dans le champagne, dont l’extase est la mesure la plus longue du plaisir ».

Les buveuses de champagne se rencontrent aujourd’hui dans tous les milieux. Son prix ne permet pas à toutes les femmes d’en profiter mais quelle joie lorsqu’un heureux concours de circonstances donne à celle qui en est privée la possibilité de le goûter. Faisons à nouveau appel à Jorge Amado. Dans son livre « Tereza Batista » l’héroïne, Tereza, est une fille pauvre de 16 ans. Après avoir atteint le fond du désespoir avec un sadique à qui elle avait été vendue, elle est aimée d’un sexagénaire aisé et attentionné. Celui-ci débouche un jour une bouteille de champagne : « En entendant le bruit du bouchon et en le voyant sauter en l’air, Tereza rit et battit des mains, avec une joie d’enfant. Elle découvrit la saveur du champagne, pour elle inédite ».

Les femmes, on l’a vu, boivent généralement le champagne en quantité raisonnable et ce n’est qu’exceptionnellement que l’on rencontre des buveuses incorrigibles comme l’Américaine dont Maurice de Waleffe parle dans ses « Mémoires 1900-1939 », une Miss America qu’il a vue à l’œuvre alors qu’il présidait à Deauville le jury de l’élection de Miss Univers : « Ma belle amazone buvait toute la journée. Elle avalait une demi-bouteille de champagne en se levant en guise de café au lait. Cocktail-champagne à 11 heures. Lunch au champagne. Goûter au champagne. Re-cocktail-champagne avant le dîner au champagne, et champagne en dansant toute la soirée. Après quoi, aussi calme que si elle eût avalé de l’eau de Seltz, en se retirant pour la nuit, elle me demandait modestement : - Puis-je faire monter une bouteille dans ma chambre, pour si j’avais soif la nuit ? » Les femmes d’un bon milieu boivent modérément car elles comprennent fort bien que ce n’est pas la quantité de champagne ingérée qui en fait le plaisir. De même, elles savent qu’elles ont dans leur verre un très grand vin et qu’il serait dommage de le boire comme de l’eau. Les plus avisées le savourent à petites gorgées, le dégustent. C’est une marque de savoir-vivre. En outre c’est faire preuve d’hédonisme qu’être attentif aux sublimes émotions que leur transmettent leurs sens excités par cette merveille qu’est le vin de Champagne.

En raison de l’intuition empirique qui lui est propre, la femme a des talents particuliers de dégustatrice. Qu’elle prenne le temps d’examiner la limpidité du champagne qui lui est présenté, sa brillance, sa couleur, qui peut être jaune pâle, jaune-vert, jaune clair, paille, dorée, or gris ou, pour des vins âgés, ambrée, pour le rosé d’un carmin plus ou moins vif. Puisqu’il s’agit d’un vin effervescent, elle jugera les bulles, dont la finesse, la vivacité et la régularité sont, avec la tenue du cordon de mousse, le signe d’un grand champagne. Elle humera ensuite le liquide sans précipitation et en prendra une gorgée qu’elle gardera quelque temps dans sa bouche. Elle déterminera ainsi les qualités de son bouquet et de son goût et, avec un peu d’expérience, elle percevra des notes fruitées, fleuries, boisées ou épicées, les différences entre les champagnes jeunes et anciens, entre ceux qui sont issus de raisins blancs ou de raisins noirs. Ayant ainsi noté ses impressions d’ensemble et ses préférences, elle pourra parler savamment du champagne avec ses amies qui, avec elles, se laisseront séduire par le vin du bonheur.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, en dehors des tête-à-tête amoureux, le champagne n’était bu que dans les grandes occasions car il était très onéreux. En 1850, il coûtait le même prix que le Château-Margaux, le Haut-Brion ou le Clos-Vougeot qui, aujourd’hui, sont quatre fois plus chers que lui. Son prix étant devenu raisonnable, il est devenu en tout pays le vin de la célébration et toute femme a dans sa vie de multiples occasions de fêter avec lui un évènement heureux. Au premier rang se placent les célébrations familiales, les réussites scolaires et universitaires, sensibles au cœur de la femme et dont le caractère heureux s’exprime si bien avec le champagne de la bouteille ouverte pour la circonstance. Elle préside aussi aux retrouvailles et lorsque le fils prodigue rentre au bercail ce n’est pas en tuant le cochon que ses parents l’accueillent mais avec le verre pétillant que lui tend sa mère.

Pour le baptême pourquoi, comme on le fit avec du jurançon pour Henri IV, ne mouillerait-on pas les lèvres du nouveau-né avec du champagne, le vin du bonheur ? Et que dire du mariage où les femmes particulièrement émues que sont la mariée et les mères des époux boivent ce vin à la fois solennel et rieur et, avec lui, trinquent à la santé de ceux qui leur sont chers. Quant au bal, il ne se conçoit pas sans le vin de la fête, qui rafraîchit et réconforte les danseuses qui, comme lui, sont animées par le mouvement perpétuel de la vie. Dans « Vin, amour et poésie » Louis Orizet écrit ces jolies lignes à propos de la danse et du vin de la joie : « Quel plus beau ballet n’enferme une flûte de champagne, bouillonnement d’espérance qui s’élance vers le ciel, bulles qui ne naissent que pour mourir d’amour, vin dont on voit battre le cœur. [...] Le champagne berce ses véhémences aromatiques sur la piste de cristal. [...] Tout procède du champagne dans la danse. Le jeu infiniment varié des lignes, des formes, des forces, des trajets et des vitesses, concourt à la réalisation d’équilibres parfaits ».

La femme peut aussi célébrer au champagne des évènements personnels. C’est ce que fera par exemple une femme de lettres à la sortie de ses livres. Et si l’un d’eux obtient le Prix Goncourt, il sera honoré au champagne blanc de blancs chez Drouant. Les occasions peuvent même être insolites. C’est ainsi que la presse a relaté qu’en fêtant ses 21 ans, Louise Brown a déclaré en levant son verre de champagne qu’elle était fière d’avoir été le premier bébé-éprouvette. Et si l’on en croit Philippe Solers, vérité ou fiction, une des héroïnes de son livre « femmes » a célébré au champagne l’arrivée des règles de sa fille « pour bien montrer à quel point on pouvait être fière d’être une femme ».

Dans la littérature encore, sinon dans la vie, des femmes font appel au champagne lors de la mort d’un parent ou d’un ami. Dans « Maxime ou la déchirure » de Flora Grouit, ayant perdu un père très aimé, Maxime se rend chez un ami et lui dit : « Viens ! On va boire du champagne. Il faut vivre pour consoler les morts d’être morts ». Quant à Jean-Edern Hallier, il prétend dans son « Journal intime 1986-1987 » qu’après la mort d’un chroniqueur mondain de « Libération » une de ses amies « arriva à l’incinération avec la bouteille de champagne qu’elle venait, en attendant la cérémonie, de boire à moitié, et voulut verser le reste sur le réceptacle des cendres, du champagne sur une vie champagnisée et entièrement consacrée à la mousse des choses ».

Plus joyeuses sont les célébrations de Noël et celles du Nouvel An, millénaire ou non, où le champagne est de rigueur, ce qui évite à la maîtresse de maison de se demander quel vin servir en pareille occasion.

En épiloguant sur l’utilisation féminine du champagne dans la célébration des évènements de la vie, on vient d’aborder une des fonctions essentielles de la femme, celle de maîtresse de maison, rôle dans lequel le champagne est le serviteur idéal. Il a sous ce rapport toutes les qualités. C’est un breuvage de prestige, qui témoigne de la position sociale et de l’aisance de la femme qui reçoit, la qualité choisie y jouant son rôle. Il est un élément majeur de l’art de vivre. Roi des festins, il est le plus convivial des vins, dispensant l’animation et la gaieté. Il est de digestion aisée. On sait, depuis le « Banquet » de Platon combien le vin délie les langues et à quel niveau peuvent s’élever grâce à lui les propos de table ; ce qui est vrai pour tous les jus de la treille l’est encore davantage pour le champagne. Avec lui, il ne reste plus à la maîtresse de maison qu’à diriger la conversation, ce qu’elle fera dès l’apéritif, dont la boisson ne saurait être que le champagne, qui donnera le ton et créera entre les invités une communication détendue. Mais, pour l’amour de Dieu, qu’elle s’interdise les mélanges, comme par exemple le « kir-royal » dont le cassis détruit les qualités du champagne, alors celui-ci est avant le repas dans les meilleures conditions pour être dégusté par les invités, surtout si personne ne fume.

La maîtresse de maison doit savoir qu’avec une bouteille de champagne on peut servir 5 verres remplis aux deux-tiers ou s’ils ne le sont qu’à la moitié. On peut utiliser les magnums, dont la contenance est de deux bouteilles et que l’on sert en le saisissant d’une main par le fond, le pouce introduit dans l’évasement et les autres doigts allongés sous la base du fût, l’autre main soutenant le goulot. Il existe des flacons d’une plus grande capacité mais ils sont d’un usage particulier et qui requiert l’intervention d’un homme expérimenté.

Si l’hôtesse juge trop onéreux le repas uniquement arrosé de champagne ou si elle souhaite offrir à ses invités un bordeaux ou un bourgogne de sa cave, qu’elle serve le champagne à l’apéritif, comme nous venons de le voir, mais pas à la fin du déjeuner ou du dîner car, ainsi que l’a écrit dans « Discours aux nuages » Georges Duhamel condamnant en 1934 cet usage alors trop répandu, « il ne signifie plus rien et tombe dans l’indifférence ». De toute façon, quand on a déjà beaucoup bu et mangé les sens sont émoussés et ne peuvent percevoir toutes les finesses d’un vin aussi délicat que le champagne. Les toasts peuvent très bien être portés avec le champagne de l’apéritif ou, pour les mariages, après le café, le jeune couple allant de place en place autour de la table, la flûte en main, échanger avec leurs proches des souhaits affectueux soulignés par le vin de l’amour.

Si cependant la maîtresse de maison opte pour un repas au champagne, ce sera le sommet du raffinement et, pour elle, une formule commode à plusieurs égards. Elle servira un grand vin. Il ne tachera pas sa nappe et elle n’aura pas à multiplier le nombre des verres ni à choisir entre un blanc ou un rouge, un bourgogne, un bordeaux ou un côtes-du-rhône. Ses invités n’auront pas à craindre le mal de tête qui peut provenir d’un panachage des vins.

Dans le repas au champagne idéal se succèdent différents types de champagne. Il revient alors à la maîtresse de maison, si l’homme de la maison ne s’en charge pas ou s’il n’y en a pas, d’harmoniser aux mieux l’accord des mets et des vins. Même si dans le film « O.K. patron » de Claude Vital, Jacques Dutronc affirme que « le champagne va avec tout », elle aura soin de proscrire de son menu ce qui nuit au champagne, essentiellement les salades (sauf si elles sont très peu vinaigrées), le melon, l’oignon et l’ail crus, les épices et le curry, les gibiers très faisandés, le chocolat et les glaces et sorbets. Pour les fromages, elle choisira de préférence ceux à pâtes dures et demi-dures, à pâtes fraîches ou molles de saveur peu prononcée, les cendrés, les fromages de chèvre dont l’accord avec le champagne est parfait.

Ceci étant, dans un crescendo légèreté-vinosité la maîtresse de maison prendra pour l’apéritif un blanc de blancs (vin issu du Chardonnay), extra-brut ou brut, qui sera parfait pour l’accompagnement d’une entrée légère et des poissons, suivi par un champagne brut plus corsé dans lequel les raisins noirs entrent en majorité, millésimé ou non, pour les viandes et les gibiers, ces derniers allant parfaitement bien avec les millésimés anciens, de même que les fromages sur lesquels peut aussi être servi du champagne rosé. A noter que tous ces vins de Champagne peuvent être des « cuvées de prestige », breuvages de haut lignage soumis à une longue maturation, le plus souvent présentées dans des bouteilles de configuration particulière, reprenant pour nombre d’entre elles la forme des flacons champenois du XVIIe siècle.

Le dessert réclame impérativement le champagne sec, ou mieux, demi-sec. En effet le brut s’accorde mal aux plats sucrés. Dans son livre « Les Vins de France et d’ailleurs », Pierre Andrieu était déjà formel en 1939 : « Avec les entremets et desserts, servez du champagne demi-sec mais, pour l’amour de Dieu, pas de brut. Le sucre des aliments solides fait paraître acide le liquide et c’est désastreux ». Depuis, des déclarations analogues ont émané des grands gastronomes français et étrangers. Hugh Johnson, œnophile célèbre dans le monde entier, écrit ceci dans son livre « Wine » : « Avec un mets sucré le champagne peu dosé est au goût misérablement petit et acide mais le champagne sucré est parfait ». On peut d’ailleurs noter que ce dernier est souvent le préféré des femmes. Dans « Bel-Ami » de Maupassant, Mme de Marelle s’écrie : « Donnez à ces messieurs ce qu’ils voudront, quant à nous, du champagne doux ». A propos du demi-sec, il est bon de préciser qu’il accompagne fort bien le foie gras.

Pour des raisons pécuniaires ou si les convives sont en nombre réduit la femme qui a pris la charge du choix des vins pourra se limiter à un seul type de champagne, un brut, millésimé ou non, qui pourra être une cuvée spéciale. Mais dans ces conditions, comme pour les grandes tablées, il sera bon de terminer par un demi-sec ou, pour un couple en tête-à-tête et à défaut de demi-bouteille, par... un verre de sauternes.

La maîtresse de maison se basera sur les principes énoncés ci-dessus pour les soupers et collations diverses. Pour un brunch, par exemple, le brut dans toutes ses variétés fera généralement l’affaire ; mais on le remplacera par un demi-sec s’il est à dominante douce, comme cela se pratique à Haïti à l’Habitation Leclerc, hôtel de haute volée hanté par le souvenir de Pauline Bonaparte et du général Leclerc, son mari. Pour une réunion de femmes se tenant dans l’après-midi, le champagne remplacera avantageusement le thé ; et pour accompagner cakes et pâtisseries, il sera évidemment sec ou demi-sec.

Dans la soirée qui suivra un dîner, l’hôtesse aura à l’esprit l’aphorisme de Brillat-Savarin : « Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit ». Lorsque la soif se fera sentir, ou mieux un peu avant, elle offrira à ses invités le champagne de l’après-dîner, un brut d’une bonne marque, qui ranimera les conversations et sera l’agréable point d’orgue de la réception.

Le champagne est le vin idéal du pique-nique, réjouissance souvent appréciée du beau sexe. Des tableaux du XVIIIe siècle le prouvent et au XIXe la littérature en parle volontiers. Dans « Caprices et zigzags » Théophile Gautier écrit qu’aux courses d’Ascot « la table est mise sur le toit des voitures ; les bouchons de vin de Champagne bombardent le ciel ; c’est comme une fusillade ». Et voici ce que dit Brillat-Savarin dans le chapitre « Les dames » de la Méditation XV de « La Physiologie du goût » : « On n’a pas oublié le champagne fougueux qui s’agite sous la main de la beauté ; on s’assied sur la verdure, on mange, les bouchons volent, on cause, on rit, on plaisante en toute liberté ; car on a l’univers pour salon et le soleil pour lumière ». On pourrait aussi citer les pique-niques au champagne de « Nana » de Balzac et de « L’Education sentimentale » de Flaubert.

Il est normal que la femme procède à l’achat du champagne. Xénophon disait de l’Athénienne que son devoir de bonne épouse était d’avoir l’œil au pain et au vin de la maison. Aux Noces de Cana ce fut la Vierge Marie qui signala que le vin manquait. Dans « La Pourvoyeuse », le tableau que Chardin a peint en 1738, deux flacons, qui peuvent fort bien contenir du champagne, sont représentées à côté des diverses provisions que la jeune femme a rassemblées. Pendant longtemps, cependant, l’achat du vin a surtout été une affaire d’homme, mais aujourd’hui la femme en a sa part, en France notamment. D’une enquête de 1970, il ressort que pour 54 % des achats de champagne c’est la Française qui décide du choix de la marque.

Quel champagne achète-t-elle ? Comme l’a écrit très justement Joëlle Goron dans le numéro de décembre 1978 de « Cosmopolitan », « Il n’y a pas un meilleur champagne, il n’y a que des champagnes préférés ». Certaines jettent leur dévolu sur un blanc de blancs délicat et féminin, d’autres sur une cuvée de prestige de renom, la plupart étant fidèlement attachées à une étiquette. Les néophytes s’en remettront aux conseils des marchands de vins, ou d’amis éclairés qui les aideront à se retrouver dans la gamme si fournie des types de champagne et des marques.

On doit savoir que de mauvaises conditions de conservation peuvent rendre médiocre un excellent champagne qui, comme la femme, doit être préservé des injures du temps. D’une manière générale, ce sont les hommes qui sont les responsables de la cave, mais il y a des femmes seules et il est bon qu’elles connaissent les règles à suivre pour maintenir en bonne condition leur champagne. Les bouteilles doivent avant tout être couchées, pour que le bouchon reste constamment en contact avec le vin. Etant donné qu’elles ont séjourné chez le producteur le temps nécessaire à la complète évolution du vin il n’est pas nécessaire de le faire vieillir dans sa cave. Celle-ci doit être à une température fraîche et constante, 10 à 12 degrés centigrades, 15 au maximum, à l’abri des courants d’air, des trépidations et, surtout, de la lumière dont les rayons ultraviolets créent dans le champagne des perturbations organiques avec les mauvaises odeurs qui en résultent et que l’on appelle le « goût de lumière ». Le champagne n’est jamais mauvais à la production mais il le devient s’il est mal conservé.

Faute d’une bonne cave, ou tout au moins d’une armoire à vins réfrigérée, il vaut mieux acheter son champagne au fur et à mesure des besoins. Quand on le reçoit directement du producteur, il est bon de le laisser reposer quelques jours mais si nécessaire on peut le boire sans attendre car le champagne voyage bien.

Disposant du champagne qui lui est nécessaire, la maîtresse de maison en fera ou en dirigera le service selon les règles du bon usage.

On le fera d’abord rafraîchir dans un seau à champagne, qui participera à la distinction de la réception, ou, s’il y a plusieurs bouteilles à la fois, dans un rafraîchissoir qui a grande allure. Pour qu’il soit à la température optimum de service, entre 6 et 9 degrés centigrades, on remplira les récipients d’eau froide contenant pour la moitié de leur volume des glaçons en suspension. Dans ces conditions, pour le champagne sortant de la cave, l’opération durera environ 40 minutes. On peut aussi sortir la bouteille du réfrigérateur. C’est moins élégant que l’usage du seau à glace mais cela permet d’avoir toujours du champagne au frais à offrir en cas de visite inopinée. Il suffit de le mettre dans un récipient isotherme à la sortie du réfrigérateur. Le champagne ne doit jamais être trop froid, « frappé » comme on le faisait au XIXe siècle quand Madame Bovary, à qui on venait d’en offrir, « frissonna de toute sa peau en sentant le froid dans sa bouche ». Outre cet effet désagréable, la dégustation est impossible car les températures trop froides anesthésient les papilles. Il s’agira ensuite d’ouvrir la ou les bouteilles de champagne. Nous avons vu dans la femme & champagne : histoire, avec les poèmes de L’Attaignant, de Bernis et de Voltaire, qu’au XVIIIe siècle c’était le plus souvent le rôle des femmes, qui s’en acquittaient en faisant sauter le bouchon. Cela se pratiquait encore au XIXe siècle, comme on peut le constater sur l’imagerie de l’époque. Mais de nos jours, si la maîtresse de maison n’a pas trouvé un galant homme pour remplir cet office qui normalement n’est plus affaire de femme, elle débouchera en douceur, en évitant la détonation bruyante qui est encore la joie des participants aux fêtes paysannes. Pour ce faire il lui suffit de savoir qu’il faut enlever le muselet qui entraînera avec lui la partie supérieure de l’habillage, mais qu’il est prudent, après en avoir détordu l’anneau et écarté les branches, d’ausculter le bouchon pour s’assurer qu’il est fermement fixé dans le goulot et qu’il ne s’envolera pas de lui-même une fois libéré. Si l’on s’aperçoit qu’il a tendance à s’échapper il vaut mieux en conserver le contrôle en le laissant recouvert de son muselet jusqu’au débouchage. Dans tous les cas, on saisira ensuite la bouteille d’une main, en l’inclinant de 35 à 45 degrés, et l’autre main le bouchon en le logeant dans le pli du pouce, que l’on place par-dessus, fermement par sécurité, l’index entourant sa partie libre et les autres doigts repliés autour du col de la bouteille. Il n’y a plus qu’à tourner doucement celle-ci jusqu’à sa séparation d’avec le bouchon, en laissant fuser le gaz jusqu’à ouverture complète de la bouteille. Le seul bruit autorisé est le soupir de satisfaction du vin retrouvant enfin l’air libre après des années de claustration.

Le champagne se sert sans précipitation pour éviter que la mousse ne déborde du verre. Si l’on a plusieurs personnes à servir, il vaut mieux verser d’abord dans chaque verre une petite quantité de champagne puis recommencer une ou deux fois jusqu’à ce que tous les verres soient emplis aux deux-tiers, quantité raisonnable.
La coupe est à proscrire car la mousse s’y forme mal, le bouquet se disperse et la hauteur est trop faible pour que l’on puisse admirer l’ascension des bulles. De plus, si elle est tenue par un Latin, elle l’empêche de parler car il ne peut plus se servir de sa main pour souligner son discours sans que le champagne se répande sur sa manchette ! La maîtresse de maison optera donc pour la flûte ou pour le verre à champagne.

La flûte a pour elle sa beauté, son élégance aristocratique, son usage traditionnel. Dans « Les Diaboliques », Barbey d’Aurevilly a vanté « ce verre élancé et svelte de nos ancêtres, qui est le vrai verre du champagne, celui-là qu’on appelle une “flûte” peut-être à cause des célestes mélodies qu’il vous verse souvent au cœur ». La flûte est propice à l’examen visuel du champagne en raison de sa hauteur. Elle l’est également à sa dégustation, pour autant qu’elle soit suffisamment ouverte pour que l’on puisse y loger son nez. Le verre à champagne est constitué par un récipient en forme d’œuf tronqué à une extrémité, supporté par une jambe pleine allongée. Il tient assez de champagne pour que, même rempli aux deux tiers, on puisse admirer pleinement la mousse et le ballet des bulles. Par la forme légèrement resserrée de son ouverture il est techniquement propre à une bonne dégustation du champagne.

La flûte et le verre à champagne ont tous deux l’avantage de mettre en valeur la main de la femme dont les doigts encerclent, comme il convient, la jambe et non le calice. C’est élégant et distingué, avec une courbure du poignet gracieuse et pleine de charme. Et ainsi elle tiendra divinement le verre dans lequel bouillonnera le liquide de joie qui réjouira l’odorat et le goût, mais aussi l’ouïe car si on le porte à l’oreille on croira entendre le murmure de la mer baignant la grève.

La maîtresse de maison doit s’assurer que les verres dont elle se sert pour le champagne sont favorables à la formation des bulles. Leur paroi intérieure ne doit pas être trop lisse car le gaz carbonique a besoin, pour se dégager, des aspérités microscopiques d’un verre normal. Elle devra aussi prescrire les détergents car ils sont la cause d’anomalies dans l’effervescence, ou tout au moins d’assurer que le rinçage est parfait. Une fois nettoyés, les verres seront rangés debout, recouverts d’un linge, faute de quoi ils prendraient l’odeur du matériau sur lequel ils reposent ou de son revêtement. Si toutes ces précautions sont prises, l’hôtesse et ses invités auront la joie de contempler le spectacle féérique de l’ascension rapide et continue des bulles qui viendront éclater à la surface, symbole de vie et de bonheur, et de boire un nectar.
Toute femme appelée à servir ou à faire servir le champagne doit avoir à l’esprit les erreurs à éviter car elles seraient des atteintes au bon usage du roi des vins. Voici les principales, malheureusement trop courantes :

  • Dissimuler l’étiquette, qui est la signature du producteur, en emmaillotant la bouteille comme un nouveau-né.
  • Retourner la bouteille dans le seau à champagne quand elle est vide car c’est un manque de respect pour un vin prestigieux ; le ferait-on pour une Romanée-Conti ?
  • Glacer les verres avant d’y verser le champagne en y faisant tourner des glaçons ou en les remplissant de glace pilée ; il en résulte des anomalies dans le dégagement du gaz et dans les caractères du vin.
  • Battre le champagne dans le verre avec un moser (ou même, cela s’est vu, avec une épingle à cheveux). On détruit ainsi en quelques secondes des bulles qui résultent d’un travail de plusieurs années. Et même si l’instrument de torture est en or, il proclame la bêtise de son utilisateur et son indifférence pour les qualités du champagne qu’il ne boit que par snobisme, même si Sirnone de Beauvoir ne semblait pas s’en offusquer quand, dans « Les Mandarins » elle écrivait : « Elle battait son champagne en silence ». Le verre à champagne n’est pas une baratte !

Quand une femme aura bu du champagne pour son plaisir ou en aura offert à ses hôtes, la bouteille qui ne serait pas terminée sera coiffée d’un « bouchon-stoppeur » et mise au frigidaire, d’où elle l’extraira quand bon lui semblera pour la terminer car son contenu aura conservé ses qualités, ou pour utiliser celui-ci en cuisine.

La femme, pour ses besoins personnels ou pour ses hôtes, a en effet la possibilité de faire avec le champagne une cuisine excellente. Seuls certains vins conviennent à la cuisson, ceux qu’elle ne fait pas brunir parce qu’ils sont suffisamment acides. Le champagne est de ceux-là et il n’offre pas en cuisine de difficulté particulière. Avec lui on peut mariner, braiser, faire cuire un homard qui nage ainsi dans le bonheur. Il est merveilleux pour la sauce au champagne, car il lui transmet sa légèreté et son délicat bouquet, et pour les déglaçages dans lesquels il conserve une partie de son effervescence. Son emploi n’est pas exagérément onéreux car il s’agit de l’utiliser à bon escient dans les préparations et non pas de les inonder. Il est l’ingrédient indispensable de la Haute-Cuisine mais aussi le magicien d’une gastronomie plus simple. Et dans tous les cas les mets au champagne seront accompagnés à table, comme il se doit, par du champagne versé dans les verres, celui qui leur convient le mieux.

La maîtresse de maison qui offrira à ses hôtes des plats au champagne ne fera que suivre la tradition. En 1712 déjà, le grand Massialot donnait dans son « Cuisinier royal et bourgeois » des recettes de « filets de saumon au vin de Champagne » « écrevices au vin de Champagne » champagne effervescent s’entend3. En 1746, Menon avait introduit quelques recettes au champagne dans « La Cuisinière bourgeoise » mais en 1755, dans son ouvrage « Les Soupers de la Cour » ce fut un festival. Sur les 1082 recettes de viandes, poissons, volailles, terrines et sauces, 246 comportaient du champagne, soit près d’une sur quatre, dans des mets aux noms poétiques, comme « Les crêtes de coq en pagode au vin de Champagne », ou les « Côtelettes de mouton à l’amoureuse » qui étaient « mouillées avec un verre de champagne ».

Au XIXe siècle, Carême, un des maîtres de l’art culinaire, faisait un usage constant du champagne, qu’il considérait comme nécessaire au succès des recettes de son invention. Parlant de sa « Carpe à la Chambord Royale », il écrivait dans « L’Art de la cuisine française au XIXe siècle » que « la sauce au vin de Champagne en rehausse la succulence ».

Et pour en rester à la cuisine domestique, on peut citer les bécasses au champagne et au foie gras que l’épouse d’Emile Zola, d’après une recette qu’elle avait rapportée de Belgique, servit en 1894 aux frères Goncourt qui le rapportent dans leur « Journal ».

Avec de tels exemples, auxquels s’ajoutent les recettes des livres de cuisine femme d’aujourd’hui est bien armée pour donner à ses invités des plats au champagne délicieux.

Le champagne a ses rites. La femme a le droit de les ignorer ou d’y souscrire. Dans la deuxième éventualité, elle peut faire boire dans un de ses souliers celui qu’y a versé un galant. Cela se faisait chez Maxim’s dans les années 1900, et aussi en Angleterre où cette coutume serait née au XVIIIe siècle. Le roi Edouard VII était un fervent admirateur du champagne et des danseuses de Covent-Garden ; le champagne dans le chausson de danse était le trait d’union. Ce rite était admis par les « Usages du monde » de la baronne Staffe et le héros de « La Promesse de l’aube » de Romain Gary, dans sa jeunesse, se promettait de « boire du champagne dans les souliers des belles dames ». Moins dommageable pour le champagne est l’habitude qu’ont certaines femmes de tremper un doigt dans leur verre de champagne et de mouiller avec le liquide pétillant la tempe ou, zone érogène, le revers de l’oreille, d’elles-mêmes ou de ceux ou celles qui leur sont chers, s’imaginant disposer ainsi d’un porte-bonheur conjurant le mauvais sort. Dans le même esprit, depuis la Belle Epoque les amoureux boivent notamment « La Cuisine au champagne » de Lise Bésème-Pia, le champagne en entrelaçant ceux de leurs bras qui tiennent le verre. Et en Russie, on voyait autrefois la femme aimée recevoir sur sa chevelure de la mousse de champagne répandue par son galant. Heureuse habitude, enfin, celle qu’ont certaines femmes de donner une bouteille d’une grande marque dans son étui à l’homme aimé qui lui a offert des fleurs.

Tout à fait respectable est le rite du baptême des navires au champagne, qui est généralement le privilège de la femme. Encore faut-il qu’elle s’en acquitte au mieux. En Angleterre, au XVIIIe siècle, une princesse de Hanovre, au lieu d’atteindre avec la bouteille de champagne le bateau qu’elle baptisait, blessa un spectateur, qui attaqua en justice l’Amirauté. Aucun incident regrettable, par contre, ne marqua le baptême du transatlantique « France » par Madame de Gaulle en février 1962. C’est dans le même esprit qu’aujourd’hui, pour lancer une création, on demande à une marraine de la baptiser au champagne, qu’il s’agisse d’un avion, d’une automobile, d’un disque, d’une rose, en l’aspergeant symboliquement au cours d’une réception dont les invités font une débauche de champagne.

Sans que ce soit à proprement parler un rite, des femmes utilisent parfois le champagne pour des douches ou des bains, ce qui déplaît fortement aux amateurs de champagne, même si les responsables du sacrilège sont aimables et jolies ! Cette pratique est ancienne si l’on en croit l’anecdote racontée par Pierre Andrieu dans sa « Petite Histoire du champagne et de sa province ». Voici ce qu’il écrit : « Sous le Directoire, un général, dont la chronique tait le nom, revient brusquement un jour à Paris. Il est marié, et aussitôt entré dans son appartement, réclame sa femme, jeune, jolie et... qui n’aime guère l’eau. Il apprend par la soubrette que Madame prend un bain de champagne et en même temps que la réserve de la cave s’épuise. Il pénètre dans la salle de bains avec l’intention de tancer sévèrement la jeune femme, mais devant le tableau charmant de la générale allongée dans un liquide jaune pâle tout crépitant de bulles d’or, il hoche la tête, souriant, et dit : — Eh, Madame, je le savais gourmand, mais je ne le croyais pas ivrogne ! ». Toujours est-il que bien des femmes ont pris ce que Bernard-Henry Lévy appelle dans « Le Diable en têt » « un vrai bain surréaliste ». Parmi les plus célèbres, Sarah Bernhardt, qui avait d’autant plus de facilité à remplir sa baignoire qu’elle était l’amie d’un négociant champenois, et Marilyn Monroe, qui a utilisé un beau matin 350 bouteilles d’un champagne de grande marque pour remplir ce qui était presqu’une piscine. En bas de l’échelle les pensionnaires du Chabanais se plongeaient dans une baignoire de cuivre rouge que le prince de Galles, le futur roi Edouard VII, faisait remplir de champagne, et au Brésil, à Manaus, lors du boom de l’hévéa, des filles venues du faubourg Saint-Denis se lavaient au champagne dans des baignoires de cristal.

Le phénomène du bain de champagne inspire les écrivains contemporains. Le bain de la marquise de Cécil Saint-Laurent, dans « Hortense 14-18 », est un chef d’œuvre. Voici la fin du récit : « Il aida Aurore à sortir de la baignoire et se mit à l’essuyer. Elle protestait. Elle souhaitait qu’il épongeât à peine son corps avec la serviette afin qu’une trace de champagne y demeurât. Même elle l’arrêta assez vite, l’entraîna vers le salon et se laissa tomber sur la fourrure qui leur avait déjà servi de couche. - Est-ce que je sens le champagne ? »

Mikkail Boulgakov, dans « Le Maître et Marguerite », fait une admirable description d’une piscine mousseuse à l’usage des dames : « Marguerite se trouva devant un bassin de dimensions prodigieuses, entouré d’une colonnade. Une cataracte rosée jaillissait de la gueule d’un gigantesque Neptune noir, et l’odeur capiteuse du champagne montait du bassin. Là, régnait une folle gaieté, libre de toute contrainte. Des dames, en riant, plongeaient comme des mouettes. Des colonnes de liquide mousseux rejaillissaient. Le fond de cristal du bassin était éclairé par-dessous et la lumière qui traversait la masse du vin permettait d’y voir les corps argentés des nageuses qui ressortaient de là complètement ivres ».

A vrai dire, la femme peut se champagniser sans se plonger entièrement dans une baignoire ou dans une piscine. En 1800, pour ses « Contes gais et badins », Vasselier a écrit un poème intitulé « Le Bidet ». Voici ce que l’on peut y lire à propos de l’achat de deux cents bouteilles de champagne qu’un financier trouvait exagéré :

Nous n’avons jamais bu tant !
—  Oh ! Non, Monsieur ; mais le restant
est pour le bidet de Madame.

Un bidet associé à la toilette au champagne était déjà apparu au siècle précédent dans « Les Cent Vingt journées de Sodome » du marquis de Sade. Il écrivait ceci : « La sœur de la Duclos était nue sur un grand bidet rempli de vin de Champagne et là notre homme, armé d’une grosse éponge, la nettoyait, l’inondait ». Dans les années 1970 enfin, la presse internationale a montré des photos du buste nu de Raquel Welch avec comme légende : « Sa poitrine vaut cent millions ; elle la frictionne tous les jours au champagne ».

Malgré son caractère pervers aux yeux des amateurs du vin des rois, le bain ou la toilette au champagne est un intéressant témoignage des liens qui l’unissent à la femme. On n’a jamais entendu parler d’un homme se lavant au champagne ou s’y baignant !

Le champagne est excellent pour la santé. Son titre alcoométrique est voisin de 12 %, raisonnable et peu différent de celui des autres vins français. Il faut cependant préciser que du point de vue médical pour les boissons de même titre alcoométrique la toxicité varie avec la composition du produit, fonction de son élaboration. Par sa pureté le champagne est scientifiquement et médicalement reconnu comme la plus salubre des boissons alcooliques.

Le champagne n’a jamais été impliqué dans l’éthylisme. En 1906, le périodique « L’Assiette au Beurre » a publié un numéro spécial sur l’alcoolisme. A une époque où il était pourtant en vogue, le champagne ne figurait ni dans les textes, ni dans les dessins humoristiques. Et ceci est vrai tout particulièrement pour la femme. Dans l’ouvrage scientifique « Les femmes et l’alcool » de Michèle Costa-Magna, paru en 1981, toutes les femmes alcooliques interrogées et soignées affirment devoir leur déchéance au whisky, à la vodka, au cognac, au vin rouge, à la bière, mais aucune ne cite le champagne. On note par contre dans le même ouvrage qu’une ancienne alcoolique, complètement guérie, s’est mise à l’eau mais boit cependant un verre de champagne pour fêter un évènement sans pour autant reprendre ses mauvaises habitudes. On y cite également la thèse du médecin canadien alcoologue Guy Marcous qui incite ses malades encore alcooliques à boire un verre de champagne, mais un seul, dans certaines occasions. Il est certain que comme pour toutes les boissons alcooliques la consommation abusive du champagne, mais elle seule, est dangereuse. Bu en quantité raisonnable, ses vertus thérapeutiques ont toujours été reconnues et mises à profit, pour les femmes encore plus que pour les hommes.

Depuis qu’il existe, le champagne a été considéré comme bon pour la santé par la vox populi comme dans la littérature générale et médicale. En 1778, Jean-Claude Navier, docteur-régent de la faculté de Médecine de Reims, a défendu devant les écoles de ladite faculté une « Question sur l’usage du vin de Champagne mousseux contre les fièvres putrides et autres maladies de même nature ». On y lit notamment ceci : « Le vin de Champagne a la propriété de diviser les humeurs épaisses, de lever les obstructions, de provoquer les urines, d’exciter 1’expectoration, de remédier aux pâles couleurs, d’éloigner les assauts goutteux, et de chasser les germes de la pierre et de la gravelle, de garantir contre les maladies épidémiques ». En 1821, le docteur Joseph Roques a écrit dans sa « Photographie médicale » que « le champagne mousseux réveille l’action de l’estomac, excite les facultés mentales ». En 1850, dans une thèse soutenue devant la faculté de Médecine de Paris on affirmait à nouveau que « les vins de Champagne mousseux sont diurétiques, apéritifs et stimulants ».

A l’étranger les opinions étaient les mêmes. Sir Duff Cooper a raconté dans « Old Men forget » que son père, médecin, le voyant prendre un quelconque tonique avait dit : « Ce dont ce garçon a besoin, c’est d’une pinte de champagne ». En 1817, le docteur Loebenstein-Loebel, conseiller sanitaire du duc de Weimar, prescrivait dans ses ouvrages le champagne « dans les difficultés digestives, les vomissements idiopathiques provenant d’une affectio nerveuse de l’estomac et du canal intestinal, dans les calculs des reins et de la vessie, dans les affections goutteuses chroniques » et, nous en reparlerons, il en faisait donner aux femmes enceintes. La même année, dans « La Maison déserte », Hoffmann faisait écho au professeur en affirmant que contre la migraine « rien n’est plus efficace que l’esprit subtil et joyeux qui pétille dans la mousse de ce poétique breuvage », précisant bien que c’était du champagne dont il s’agissait ; et dans « Les Mystères », quelques années plus tard, il écrivait que le champagne est « une médecine salutaire », assurant une « nuit fort tranquille et sans aucun mauvais rêve ». Lors d’une épidémie de choléra survenue en Chine, le bulletin « Chine et Belgique » du mois de mars 1909 a affirmé dans un article que « le vin avait été en première ligne pour combattre le choléra, notamment le vin de Champagne ». Pour la fièvre typhoïde, le « Larousse médical » de 1920 devait d’ailleurs préciser que le champagne en « détruisait le bacille en dix minutes ».

Aujourd’hui, la Faculté admet sans discussion les nombreuses vertus thérapeutiques du champagne. Les médecins en font un usage raisonné et efficace et, transposant le proverbe anglais « An apple a day keeps the doctor away » (Une pomme par jour tient éloigné le médecin), on pourrait dire qu’un peu de champagne chaque jour dispense de soins médicaux. Il est recommandé pour son action favorable sur les systèmes circulatoires et digestifs, sur les reins et les poumons, sur le système nerveux. Son effet bienfaisant sur l’état général est particulièrement appréciable, selon l’avis autorisé du docteur Monceaux qui écrivait ce qui suit, en décembre 1954, dans la « Revue Diététique et Nutrition » dont il était le rédacteur en chef : « Cette action est rapide et bien connue par l’euphorie qui en résulte. Elle est due tout d’abord à l’alcool, même à petite dose. Cet effet tonique sera renforcé par les sucres, les sels minéraux. Les sucres relèvent la glycémie, les sels de potassium portent leurs effets sur les fibres musculaires dont ils favorisent la contraction et la tonicité. Quant au gaz carbonique, il tend à s’opposer à l’alcalose. La résultante de cette synergie n’est pas un coup de fouet brutal et passager mais un puissant ensemble qui viendra au secours des défaillances physiologiques de toute nature. Sous cette forme, le champagne vient renforcer les défenses naturelles ».

Tout ceci a été confirmé en 1988 par le docteur Maury dans son ouvrage « La Médecine par le vin » et davantage encore en 1990 par les docteurs Tran Ky et Drouard dans leur livre « Les Vertus thérapeutiques du champagne ». Selon eux celles-ci s’appliquent dans de nombreux cas, l’aérophagie, les allergies alimentaires, les ballonnements, la flatulence et l’indigestion, la constipation, les crises de foie, les méfaits de la drogue, les intoxications (tabagie, abus de tranquillisants et de somnifères), la migraine, l’obésité et la cellulite, la perte d’appétit, le rétrécissement artériel dû à l’artériosclérose, l’inhibition du désir, la gérontologie.

Beaucoup de ces troubles combattus par le champagne intéressent tout particulièrement la femme, la migraine et la cellulite, bien sûr, mais elle est aussi spécialement concernée par l’effet bienfaisant du champagne en matière de gérontologie. Dès le XVIIe siècle, il était considéré comme permettant aux femmes de vivre longtemps et agréablement. Dans « Le Philosophe soi-disant » Marmontel dépeint un coureur de dot qui « calculait combien une femme de cinquante ans pouvait vivre encore, en sablant tous les soirs sa bouteille de vin de Champagne », et dans « les Folies amoureuses » Regnard met en scène une certaine Agathe qui s’écrie :

Oui vraiment, du champagne encor, sans qu’il en reste.
On peut voir dans ma bouche encor toutes mes dents,
J’ai pourtant, voyez-vous ! Quatre-vingt-dix-huit ans.

Auparavant elle avait précisé que sa ration quotidienne était de deux bouteilles de champagne. Aujourd’hui, le meilleur témoignage de l’effet bienfaisant du champagne sur les femmes âgées est donné par la reine-mère d’Angleterre, grande consommatrice du vin des rois et centenaire.

Les vertus thérapeutiques du champagne influant favorablement sur la santé de la femme, il est normal qu’elle conserve pendant longtemps une peau lisse et un visage au teint de lys et de rose. Mais les raisins eux-mêmes ont des effets heureux sur la peau ; leurs poly phénols sont de véritables merveilles de la nature. Voici ce que l’on pouvait lire à leur sujet, sous la plume de Clara Lenzi, en octobre 1999, dans un hebdomadaire : « Les polyphénols extraits des pépins de raisins stimulent la micro-circulation du sang et de la lymphe, améliorent la résistance des vaisseaux sanguins, la nutrition et l’oxygénation de l’épiderme et l’élimination des toxines. Ils sont beaucoup plus puissants que les vitamines C et E pour lutter contre les radicaux libres, qui détruisent les structures de la peau et la font flétrir prématurément. Antyoxidants efficaces, ils protègent les fibres d’élastine et de collagène qui composent les tissus de soutien de la peau et lui donnent un aspect lisse et frais. Ils agissent enfin comme un carburant en fournissant aux cellules l’énergie indispensable à leur renouvellement ». On fait même avec les pépins des cosmétiques, des produits de beauté anti-rides et anti-âge. Voilà donc encore des avantages que la femme doit, sinon directement au champagne, tout au moins aux raisins dont il est issu, avantages inappréciables car rien n’est plus émouvant que la peau lisse d’une jeune et jolie femme non fardée.

Mais c’est bien le champagne lui-même qui, serviteur de la femme, lui réserve des vertus thérapeutiques adaptées à sa constitution. Elle en use même dès sa jeunesse. La chlorose, en effet, qui guettait autrefois avant leur mariage les filles sentimentales de bonne famille, était alors combattue par l’ingestion d’aliments tièdes accompagnés de champagne. A la fin du XIXe siècle, on a découvert qu’elle était due à une carence de fer, qui provoquait la pâleur de ces jeunes personnes. Et comme le champagne possède une teneur appréciable en ions ferriques, le médecin leur prescrit maintenant de boire une flûte par repas, ce qui équivaut à 0,4 mg de fer, quantité largement suffisante pour couvrir leurs besoins journaliers et leur donner des couleurs.

Aux femmes qui ont des écoulements menstruels douloureux ou trop abondants, on conseille de prendre un peu de champagne car ses ions de calcium et de potassium et les vitamines B qu’il apporte calment la plupart des symptômes indésirables.

Par ses qualités gustatives, toniques, diététiques, le champagne est considéré comme susceptible de soutenir la femme qui attend un enfant et notamment de calmer les nausées. A mal d’amour, amoureux remède ! En 1852 déjà, dans le numéro du 1er mai du « Charivari », à propos d’une pénurie momentanée de champagne, on lisait : « Plus d’un épicier ne consent à en vendre qu’une seule bouteille à une même personne ; pour en obtenir deux, il faut certifier que c’est pour une malade ou pour une dame dans une situation intéressante ». Voici ce qu’écrivait à ce sujet le docteur Loebenstein-Loebel, déjà cité : « Dans les vomissements symptomatiques de champagne des femmes enceintes, lorsqu’ils deviennent affaiblissants et continus, et que l’avortement est à craindre, l’usage du champagne nous a été d’un grand secours ». Plus récemment, dans « En attendant le médecin », le docteur fête, il est aussi, incontestablement, le bienfaiteur de la Pierre Fournier l’a confirmé en écrivant que le champagne aidait les femmes « au cours de leur grossesse à lutter contre les nausées, contre lesquelles il constitue le meilleur et le plus agréable remède ». On doit savoir, cependant, qu’au début de la grossesse, période critique, le champagne ne peut être donné qu’en très petite quantité et avec l’accord du médecin.

Le champagne est également là pour les accouchements. Dans « L’Utilisation du champagne dans les suites opératoires » le docteur Guénard le recommande « pendant le travail pour combattre la soif et faciliter les efforts, dans les suites immédiates pour remonter l’accouchée, sauf dans le cas où elle nourrit son enfant ». Le docteur A. Siguret, qui fut moniteur d’accouchement de la faculté de Médecine de Paris a publié une excellent plaquette médicale intitulée Effets du champagne sur l’accouchement » et dans certaines maternités le champagne a sa place dans la pharmacopée. Il a toujours été utilisé pour les opérés, comme un reconstituant idéal, facile à digérer et dont la seule apparition déclenche un choc psychologique favorable. Rien de plus normal qu’il le soit aussi, dans les mêmes conditions, pour les accouchées. C’est bien comme cela que l’entend la journaliste Claire Gallois qui, dans un article de « Votre Cave » a fait cette confidence « Attendant un bébé et ressentant les premières douleurs, j’ai arrêté le taxi qui m’emmenait à la clinique devant la boutique d’un marchand de vin pour y acheter une caisse de champagne ».

Le vin doré et pétillant n’est pas seulement le dieu de la fête, il est aussi, incontestablement, le bienfaiteur de la femme.