UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Les arts de l’effervescence - Champagne !

De l’art du champagne !

Par David CHATILLON,

Selon Le Petit Robert, « l’art est une activité humaine, le produit de cette activité ou l’idée que l’on s’en fait, consistant à arranger entre eux divers éléments s’adressant délibérément aux sens, aux émotions et à l’intellect ».
Ne peut-on dire du Champagne qu’il est un art ?

Palais du champagne élevé par les Maisons de champagne pour l'Exposition Universelle de 1937. Le Palais du champagne à l’Exposition universelle de 1937
Edifié par le Syndicat du commerce des vins de Champagne devenu L’Union des maisons de champagne - Huile sur toile

Il est en effet une expression de l’activité humaine. Plus que partout ailleurs, la culture de la vigne en Champagne relève d’un défi que l’homme s’est lancé dès l’époque romaine. La région se situe à la limite septentrionale au-delà de laquelle les conditions climatiques rendent impossible cette culture.

Ce sol et ce climat qui confèrent aux raisins leurs caractéristiques uniques exigent du vigneron un patient et délicat labeur. Sa satisfaction n’en est que plus grande lorsque ses raisins basculent sur le pressoir ; c’est à ce moment précis que les maisons en prennent possession, le plus souvent dans le cadre de partenariats très anciens et durables.

La maîtrise de l’élaboration de ce vin extravagant relève du génie humain. Si le rôle des Maisons de Champagne ne ressemble pas à celui des autres négociants en vins, c’est un peu à cause de toute cette trame qui, pour conduire à son achèvement la bouteille de Champagne, met en œuvre, dans les vastes berceaux creusés à même la craie de Reims et d’Epernay, une technique longue et minutieuse, secondée d’ailleurs dans chacune de ses démarches par une expérience accumulée au fil des générations. Mais ce savoir-faire n’éclipse à aucun moment l’art propre du négociant, qui est en quelque sorte de faire connaître, de faire apprécier et enfin de faire désirer la qualité de ses vins dans le monde. La notoriété et le prestige du Champagne sont aussi le fruit de ce talent commercial et de cet esprit d’entreprise, autres traits de cette activité humaine.

Parmi les étapes nécessaires à l’élaboration des vins de Champagne, il en est une très importante car elle est à la fois la synthèse de toutes celles qui précèdent et l’expression d’un choix irréversible : assemblage. La pratique de cet art a été formalisée puis perfectionnée à partir de la fin du XVIIe siècle, et c’est à cette grande avancée que reste attaché le nom de dom Pierre Pérignon. Toute bouteille est issue d’un alliage, d’une synthèse originale des vins de plusieurs crus, années et cépages différents, qui apportent chacun leur caractère. Qu’on se représente un tout, à la fois différent des parties et qualitativement supérieur à la somme des parties composantes, et l’on aura trouvé la clef de cette charade que constitue une cuvée champenoise. Dans cette subtile architecture de qualités, chaque maison apporte ses recettes, ses traditions, ses trouvailles : autant de marques qui ont chacune leur personnalité et qui présentent au connaisseur une gamme étendue de variations sur un certain nombre de thèmes. Le chef de caves, qui est le maître de cet art, compose son œuvre à partir de la palette de vins dont il dispose. L’assemblage met en Jeu le rapport de l’homme, qui crée, et de la nature,
qui lui donne matière à création. Toutefois, comme le musicien, le chef de caves se doit de jouer une partition : cette partition, c’est le goût caractéristique de sa marque que les amateurs doivent retrouver, année après année. Son talent réside dans l’art de recréer ce style à partir des vins dont il doit imaginer d’abord l’association puis l’évolution dans le temps jusqu’au moment ultime où deux, trois, dix ou vingt ans après, il viendra combler l’attente du consommateur. La signature de la marque est caractéristique des vins de Champagne. Ainsi, dès le XVIIIe siècle, les maisons ont substitué leur marque au nom des crus. Pour le bourgogne, on parle de Nuits-Saint-Georges ou de Gevrey-Chambertin ; pour le Champagne, le connaisseur ne demande pas de l’Avize ou du Cramant, mais il choisit l’une de ces marques célèbres qui portent, chacune avec sa tonalité, le sceau de la qualité champenoise.

Une autre étape exige de l’élaborateur un savoir-faire unique : la prise de mousse. L’effervescence des vins de Champagne connaît un rapide succès à Versailles et dans les grandes cours européennes dans la première moitié du XVIIIe siècle lorsque les premières maisons se créent. Celles-ci ne maîtrisent pas encore tous les mécanismes de la seconde fermentation. De quelle audace font preuve ces négociants qui décident d’investir dans une industrie dont le processus est aussi aléatoire !

A l’époque, souvent la prise de mousse échoue faute de sucre. Plus souvent encore, les bouteilles explosent. Il faudra plus d’un siècle et les efforts de nombreuses maisons pour mettre au point des techniques spécifiques : bouchage en liège avec ficelle en lin puis en fer, sélection des bouteilles les plus résistantes, variation de la date de tirage en bouteille en fonction des années, ajout de sucre dans le vin déjà en bouteille, utilisation de caves à température stable pour améliorer la conservation, remuage et élimination du dépôt par la technique du dégorgement, etc. Une fois encore, l’intelligence et la main de l’homme permettent de sublimer ce que la nature lui donne d’observer.

Ernest Kalas. Façade en plan coupé, Syndicat du commerce des vins de champagne, Exposition Universelle de 1900

L’art du Champagne se manifeste par cette quête perpétuelle de la qualité. Il exprime également le concept de terroir trop souvent assimilé, à tort, au seul milieu naturel. Or le terroir, c’est la rencontre d’une terre, d’un sous-sol, d’un climat et du travail de l’homme. En ce sens, le champagne est un grand vin de terroir.
On dit plus haut de l’art qu’il s’adresse délibérément aux sens, aux émotions et à l’intellect. Le Champagne interpelle les cinq sens. Il peut se prévaloir de posséder une composante sonore. Après a légère explosion de l ouverture, on entend au moment du versement que le vin crépite. que effervescence est un frisson. Pour les yeux, le liquide versé s’agite. Les bulles sont un fin cordon de perles folles... Dans la littérature, on dit qu’elles sont petites, argentées ou quelles se brisent en or. La mousse est élégante, agencée en une collerette de perles fines. Après la vue, le nez est immédiatement sollicité : on respire le vin, on le hume pour apprécier la qualité de son bouquet et son intensité. Dans le palais, les perles cristallines explosent, exaltant leurs saveurs acidulées, des goûts forts et suaves, parfumés de fleurs blanches, de fruits mûrs, de bois exotiques... Elles sont comme les membres d’un orchestre symphonique jouant des moments forts, puis lents et doux, achevés dans le calme et l’harmonie.

Le Champagne est au cœur des émotions. On dit « Champagne » et c’est comme la métamorphose du moment présent en un événement. Depuis le XVIIIe siècle, les maisons l’ont hissé au rang de vin de la fête et de la célébration ; vin magique, boisson bénéfique, porte-bonheur, il accompagne les étapes importantes et les principaux événements de la vie. Rite d’initiation aux plaisirs de l’existence, gage donné à la chance. Parce qu’il pétille, parce qu’il mousse,
parce qu’il est gai, le vin de Champagne est de tradition associe aux réussites et aux succès, aux victoires et aux exploits. Quand on boit du Champagne, on est poussé à la frivolité, une philosophie souriante, la bagatelle. On choisit des thèmes de même nature que le Champagne : la légèreté, [’effervescence.
L’esprit mousse et pétille. Les mots sont des bulles, la conversation s’envole. Moment exquis.
 [1]

Le spectacle du Champagne et de ses bulles n’est-il pas la plus belle métaphore de la créativité ? Emmanuel Kant définit l’objet artistique comme « la capacité d’une œuvre à faire oublier sa matérialité, les artefacts de sa genèse, pour ne laisser subsister que l’idée, l’émotion ». Ainsi en est-il du divin breuvage.

Le Champagne s’adresse enfin à l’intellect. Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues (1850) écrit : « C’est par lui que les idées françaises se sont répandues en Europe. » Dans Le Mondain (1736), Voltaire l’évoque aussi en ces termes : « De ce vin frais l’écume pétillante, de nos Français est l’image brillante. » Le champagne est ainsi plus qu’un vin ; il est le symbole de l’esprit français que l’on assimile volontiers aux idées des Lumières.

Puisqu’il s’adresse aux sens, aux émotions et à l’intellect, le Champagne peut être considéré comme un art. Rien d’étonnant au fait qu’il ait inspiré tant d’auteurs et d’artistes et que les maisons de Champagne aient été de tout temps de grands mécènes. Cette exposition est l’occasion pour le visiteur et pour le lecteur d’en prendre la mesure et de partager le plaisir d’un moment délicieux.

Ernest Kalas - Façade en plan coupé, Syndicat du commerce des vins de champagne. Exposition universelle de 1900. Aquarelle 50x65 cm, Reims bibliothèque municipale.

Jean Goulden - Le Pressoir, la Vendange, la Mise en fût Maquettes pour le grand coffret pour le jubilé de l’accession au trône du roi George V et de la reine Mary

Notes

[1Bernard Pivot, Dictionnaire amoureux du vin, Plon, Paris, 2006.