UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Avenue de Champagne - Epernay

Maisons de Maîtres et Maisons de champagne

A l’origine du commerce des vins de Champagne, incluant plus tard les vins mousseux, le souci était tout à la fois de stocker les tonneaux de vin et plus tard les bouteilles dans des conditions de conservation adaptées, et d’assurer leur expédition, avec facilité d’accès pour les véhicules de transport.

On peut supposer qu’au début, des bâtiments commerciaux furent édifiés. Et probablement des celliers, car il semble que les caves soient plus tardives. Pourtant, au XVIIIe siècle, lors du creusement des caves, spécialement au faubourg de la Folie, le commerce des vins de Champagne, et surtout des vins mousseux, se transportera en cet endroit. Et les maisons de Champagne s’élèveront progressivement au-dessus des caves.

Dans cette emprise, hors la ville ancienne, dans le haut moyen-âge, il existait vraisemblablement de riches propriétés qui donnèrent à ce lieu sa désignation cadastrale : " la Folie ". On peut se demander d’ailleurs si la désignation des "châteaux" des négociants de Champagne n’est pas une réactualisation du mythique château initial d’Epernay, édifié en ce parage ?

Cette voie s’appela aussi " le chemin de l’Hôpital " en souvenir d’un tel établissement, fondé en 1145 par Thibault II, comte de Champagne.

Une croix commémorative fut érigée après la destruction de cet hôpital, dit aussi hospice d’Orient. Elle marquait les limites de la ville à cet endroit, soit à l’intersection actuelle avec la rue dite précisément Croix de Bussy, sur le site d’une maison Chanoine, devenue propriété des frères Plomb.

Au XVI siècle on signale en cet espace, une grande propriété du maistre des Eaues et forestz de la montaigne de Rheims et d’Esparnay, Claude Pupin. Dans sa donation à la ville d’Epernay pour la fondation d’un collège, elle est décrite ainsi : Une maison, Jardin et accin, Le Lieu comme il se comporte, assis es faulxbourgs de la follye et porte de Chaalons, tenant A La Rue que Ledict Pupin a Ja donnée par Cydevant A Ladicte communauté.

Il semble qu’elle existait antérieurement puisqu’un état des rues d’Epernay de la fin du XVe siècle mentionne : la rue de la Folie, depuis la Porte Chaalons droite à la Croix Bussy - La rue dite du Me des Eaues va (de) celle de La Folie ou de la Galère en la rue du Pont à gauche. Vendue en 1618, elle devint la propriété de M. de Grimbert, notable local du XVIIe siècle, puis ensuite de la famille Moët, qui en fit l’actuelle orangerie.

On peut signaler en haut de cette rue de la Folie un hôtel à l’enseigne de la Croix d’Or, vendu en 1842 ainsi que celui « A la Ville de Metz », relais de poste où descendit le roi du Danemark le 10 décembre 1768, de passage dans la ville, et à qui on offrit un « Panier de 50 bouteilles de Vin Mousseux ».

Si l’on se réfère à diverses maisons de Champagne actuelles de la région, on note que les plus anciennes caves ne remontent pas en-deçà du XVIIIe siècle. Ce qui conforte notre propos sur l’établissement tardif des maisons de Champagne au faubourg de la Folie, à la fin du XVIIIe siècle, mais aussi par étapes successives, adaptées à l’environnement et au traitement en surface et en sous-sol (maisons de caractère, extension des caves, adjonctions de parties d’exploitation aux demeures). Ainsi, la maison de vins de Champagne (vins en gros) se transformera progressivement en maison de Champagne !

A titre d’exemple, en se référant à un document foncier de 1831 - l’état de section des propriétés bâties et non bâties, section D dite « de la Ville » - il ne se trouve alors au faubourg de la Folie, (qui s’arrête précisément vis-à-vis du chemin du Donjon, l’actuelle rue Croix de Bussy) que deux caves, celles de Chanoine Jean-Baptiste et Neuville-Rivolet Louis, Victor, négociants, comportant toutes deux une porte cochère ou batière (charretière) et détaillées ainsi : Chanoine Jean Baptiste, dit l’Aîné n° 464 Cave/Terre et Cave 71a 90 (future propriété de Charles Perrier) et Neuville-Rivolet n° 483 Cave/Terre et Cave 43a 10.

Dans ce document il est recensé 39 propriétés de 33 propriétaires, soit 29 maisons d’habitation et un bâtiment d’exploitation, le reste étant composé de jardins, terres (nues ou plantées), clos ou non et d’un « canal » (le plan d’eau de la propriété Moët).

A cette époque les négociants qui sont installés au faubourg ont pour nom : Marthe Louis ; Biston d’Anthenay Remy (dont la demeure deviendra celle de Papelart-Perrier) ; Perrier-Jouette (sic) ; la veuve du conventionnel François, Joseph Blanc ; Cousin-Joly, future propriété Moët & Chandon ; Gibrien-Chedel - future propriété Moët & Chandon ; Gibrien-Chedel ; Perruchot Dominique d’Avize... Toutes les maisons comportent entre 20 à 66 portes et fenêtres, la plus importante appartenant à la famille Moët. Tout le haut du faubourg était constitué des jardins de Moët Jean-Rémy, mais aussi Pagnier-Lafont, commis de roulage, Rivaux-Vallery ou encore la veuve Maillet de Bouzy...

La caractéristique de la rue du Commerce est ce mélange de styles et de dates de construction qui se retrouvera jusqu’à nos jours.

L’hôtel Auban-Moët construit en 1857-1858 pour le négociant Camille, Jacques, Victor Auban, d’origine varoise et son épouse Sidonie, Rachel Moët, est peut-être une extension de la propriété existante du beau-père Victor Moët (emplacement de l’office de tourisme actuel d’Epernay). Sans beaucoup de certitude sur le(s) architecte(s) de l’immeuble et du parc, on sait que les dépendances (orangerie, écuries, remises...) furent conçues, après la guerre de 1870 par l’architecte Alphonse Gosset (qui réalisa le théâtre de Reims).

On découvre après ces édifices, la maison Moët et Chandon dont Vizetelly écrit : Moët et Chandon ont leurs centres à Epernay dans un vaste château - en cette rue des châteaux appelée la rue du Commerce, mais plus connue sous le nom de faubourg de la Folie - que l’on franchit par des portes enfer, et qui comprend d’agréables jardins, se dressant vers la rivière de Marne, qui par son orangerie, son plan d’eau et ses bâtiments est d’inspiration premier Empire. Puis les bâtiments Perrier, dont le premier, précédant le château Perrier, semble une gentilhommière de style napoléonien.

Après divers immeubles, qui ne rappellent aucun souvenir des demeures d’autrefois, et notamment celles des frères de Maigret, le Lycée Léon Bourgeois (ancien Collège "Champagne"), inauguré le 1er juillet 1923 et réalisé par l’architecte du collège de Châlons-sur-Marne, Henri Piquart, également architecte des bâtiments de commerce de Moët et Chandon, au bas de l’avenue de Champagne. Voisin, l’hôtel Gallice, immeuble "fin de siècle", avec le haut des fenêtres en chapeau de gendarme (bombé), construit par l’architecte Charles Blondel, ancien prix de Rome pour le négociant en vins de Champagne Marcel Gallice et son épouse Louise Varin, en 1898-1899. Si l’extérieur est moins austère que l’hôtel Auban-Moët - on signalera un griffon qui soutient le balcon, au-dessus de la marquise, avec le chiffre de Marcel Gallice, reproduit sur la porte d’entrée en fer forgé -l’intérieur est plus dans un agencement de fin de siècle, avec une prédominance du bois, dont une impressionnante cheminée en chêne massif, sculptée avec force.

L’entrée est monumentale aussi, mais elle est plus chaleureuse, contrairement au hall de l’hôtel Auban-Moët, trop à l’antique et trop froid. Mais, le plus beau fleuron de cet immeuble demeure son parc, magnifiquement agencé et qui est surtout le seul exemple survivant de ces parcs qui descendaient jusqu’à la voie ferrée, avec un plan d’eau et un jardin d’hiver. On ne sait pas trop qui l’agença mais Marcel Gallice dût apporter une attention vigilante à ce parc puisqu’il fît venir un faux à ses frais, au début du siècle, faux qui demeure - on retrouve cet arbre mystérieux dans le parc du château Perrier et dans celui de l’hôtel de ville.

Après la rue d’Alsace, après des hôtels particuliers édifiés au XIXe siècle, dont l’hôtel de Billy, l’empire Mercier, avec son fameux château de Pékin, ses deux tours et sa vigne vierge. Rappelons que ce château bien dégradé de nos jours, se voyait aussi de la voie ferrée, puisqu’à l’époque, il n’y avait pas d’autres constructions sur cette élévation. Plus loin, se trouve le cimetière des Juifs, lieudit « Croix des Bouchers », acquis en 1878.

De ce côté impair, en 1884, fut édifiée l’Enceinte des Expositions, située en haut de la rue du Commerce dans un grand terrain appartenant à M. Bourre-Godart et s’étendant sur 250 mètres jusqu’au chemin de fer dans le cadre du concours régional et agricole. Louis-Modeste Petit écrit que c’est un entrepreneur d’Auch qui établit des constructions couvrant environ 5 500 m2. Six grandes halles avaient été construites, ainsi qu’un café-restaurant, dans cette vaste enceinte d’où la vue plonge sur la riante vallée de la Marne, qu’elle domine, vis-à-vis des riches coteaux champenois. C’est là qu’avaient été installées, dès le 1er juin, l’Exposition industrielle, viticole et vinicole, l’Exposition scolaire, l’Exposition forestière et l’Exposition d’horticulture, organisée par la Société de ce nom, sous l’habile direction de M. Gaston Chandon, son dévoué président.

Et Petit poursuit : On entrait dans le vaste quadrilatère, formant l’enceinte des Expositions, par des portiques décoratifs du meilleur effet, avec pavillons de chaque côté, et l’on trouvait là tout ce qui était nécessaire aux nombreux visiteurs qui allaient s’y succéder pendant plus de deux mois : buffet-restaurant, café, bureau de poste et télégraphe, de correspondances, éclairage électrique, salle de lectures et conférences, etc.

Nul doute que le Champagne y coulait à flot, ne serait-ce que par la proximité des maisons ! Mais cela signifie aussi que la partie haute de la rue du Commerce, demeurait, malgré l’implantation d’établissements tels Mercier ou la Brasserie-Malterie « La Champagne », une zone encore peu construite.

Encore que le recensement de 1891 indique qu’il se trouve 18 maisons du côté impair (n° 5 à 43) et 10 maisons du côté pair (du n° 4 à 28 bis). Parmi les habitants, on remarque un certain nombre de personnes travaillant chez Eugène Mercier, et notamment son bras droit Paul Jobert, employé de commerce demeurant au n° 39 bis, immédiatement après son patron, qualifié de négociant en vins ; avec ses six enfants, dont l’aîné Joseph Emile, âgé de 23 ans, exerce la même fonction que son père, au n° 39. Mais, on note aussi des tonneliers, des cavistes, des négociants en vins, comme Victor Paul Laherte au n° 41, et Pissard Louis Henri au n° 26, ou en bouchons tel l’espagnol Ros Jean Narcisse au n° 8, des employés de commerce (dont un Anglais du nom de Lewens Henry Francis), des domestiques, un architecte, deux magistrats et enfin des brasseurs avec Victor Schiff, 40 ans, au n°11, Adany Nicolas, 37 ans au n°17 et surtout Marie Eugénie Sommereisen, veuve Mosser, 46 ans, au n° 12, qui emploie 3 garçons brasseurs, un Luxembourgeois, un Allemand et un Français. Cette activité se poursuivra au XXe siècle. Une liste professionnelle parue dans l’Almanach Matot-Braine de 1909-1910 indique Brasseurs : Mosser frères, Brasserie strasbourgeoise, rue du Commerce à Pékin et dans la liste nominative, de la rue du Commerce, on retrouve au n° 64 : « Mosser frères, brasseur s ».

En redescendant par le côté pair, et toujours dans le voisinage de Pékin, c’est l’espace Mercier, où se trouve le fameux foudre de l’exposition universelle de 1889, auparavant installé de l’autre côté de la rue, et en sous-sol, partie des caves Mercier, avec des hauts-reliefs sculptés par Gustave Navlet, artiste châlonnais, auteur aussi des sculptures du foudre. Rappelons à propos de cet établissement, le terrible incendie du 25 juillet 1912 dans les celliers et ateliers Mercier, de l’autre côté de la rue, où deux brancardiers, un brigadier de police et un ouvrier de la maison, périrent dans le sinistre, causé, semble-t-il, par une maladresse.

Le pavillon Mercier, construit en 1904, et en partie détruit lors de l’incendie, fut transformé dans sa partie basse, en hôpital durant la Grande Guerre et en atelier d’armes durant l’autre guerre. Après 1960, il servit, et sert encore, de lieu de réception. Comble du sort, le 26 mai 1925, un autre incendie se déclare aux établissements Mercier entraînant la mort de deux personnes.

Puis, après les établissements Jung, distributeur de boissons, se rencontre la fabrique d’accessoires pour le bouchage des vins mousseux fondée en 1847 par Jean Nicolas Lemaire, dynamisé par son fils Marie Hippolyte Victor (1844-1897), ancien élève de l’Ecole Centrale et inventeur. On peut supposer qu’à sa mort, sa veuve se transporta au haut de la rue du Commerce et poursuivit l’oeuvre industrielle sous l’appellation « Veuve Victor Lemaire ». Son fils, René Lemaire, continuera l’exploitation sous l’appelation qu’on voit encore en façade « Usine de construction mécanique, veuve Lemaire et fils ». En 1909-1910, cet établissement était recensé ainsi : Lemaire (Veuve Victor) et fils, constructeurs-mécaniciens, n° 50 rue du Commerce, c’est-à-dire voisin de Maurice Pol-Roger.

Plus bas, à l’angle de la rue Godart-Roger, une demeure altière, avec tourelle, ancienne propriété de Pol-Roger. Ensuite, on aborde les maisons de Champagne, actuellement existantes mais qui ont succédé à de plus anciennes ou qui ont évolué sur les mêmes sites. L’actuelle maison Boizel est une adaptation d’un bâtiment plus ancien très Second Empire (la date de fondation se voit encore au fronton : 1858), en retrait de l’avenue. Puis, Vranken Demoiselle et son entourage, ancienne propriété de Louis Frédéric et Hugues Remy Plomb, négociants mais antérieurement tonneliers et employés, recensés en 1868 au n° 34 de la rue du Commerce. Les caves des frères Chanoine (Jean-Baptiste et Jean-Louis) se trouvaient en 1820 en cet endroit, propriété alors d’un certain Mathieu. Puis, les « grandes maisons » tant par l’ancienneté que par le style. Pol-Roger d’abord, qui prend sur l’avenue et sur la rue Henri le Large. Les bâtiments les plus anciens, que l’on date des années 1870, se trouvent dans les rues le Large et de Bernon. Une partie des caves fut creusée en 1898 ; une autre en 1900, qui s’écroula dans la nuit du 22 au 23 février, ainsi que s’en fit l’écho "Le Monde Illustré" dans son édition du 3 mars. Lors de la guerre 1914-1918, les celliers n° 21 furent bombardés, le 11 décembre 1917, entraînant de grands dégâts et le 6 juin 1918, ce fut au tour de la rincerie d’être soufflée par un obus.

Les mitrailleurs contre-avions, installés sur le toit de l’établissement Pol-Roger (auparavant ils se tenaient dans la tour de l’Union Champenoise) furent tués le même jour. Sur l’avenue se développent les bâtiments à deux étages carrés, reconstruits après-guerre sur les plans de l’architecte Fernand Gallot, dans les années 1930-1931, en meulière et briques claires, d’allure austère, malgré les quatre mascarons apposés au mur du premier bâtiment. Plus bas, la demeure familiale de Maurice Pol-Roger, endommagée lors du premier conflit mondial. Louis Lepage raconte en témoin oculaire comment le maire-négociant (il était à la tête de la ville depuis 1912) faillit être tué par un obus de 240, en juillet 1918, au moment où il gravissait les marches de la tourelle. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 21 au 22, une bombe de 100 kilos va détériorer une bonne partie de la maison du 48 de la rue du Commerce. Restaurée, elle demeure aujourd’hui semblable à son apparence d’hier.

Vizetelly, dans sa visite des caves de la rue du Commerce, décrit ainsi cette maison : "A l’issue de la rue du Commerce, dans une rue prolongée, se dresse un château de brigues rouges, ayant vue, d’un côté, sur un grand parc, et de l’autre sur une vaste cour, bornée de celliers, de remises à chevaux, de hangars pour les bouteilles, toute une construction moderne, sorte de fourmilière à grande échelle".

Cet ensemble constitue les établissements de MM. Pol-Roger et Cie, installés depuis longtemps à Epernay et connus dans la région pour leurs importants achats, lors de la période des vendanges...

Après avoir franchi un important portail, on entre dans la grande cour de la Maison qui, avec le départ et l’arrivée des chariots - les uns chargés de vins en fûts ou de nouvelles bouteilles, les autres de caisses de Champagne - ressemble plutôt à une scène animée.

A l’ombre du toit du vaste cellier, contre le mur de droite, un groupe de "Sparnaciennes" - c’est ainsi qu’on appelle les habitantes d’Epernay - est occupé à laver des bouteilles, pour le tirage qui va suivre. Les constructions voisines, plus conséquentes, ne sont pas dénuées de prétentions architecturales.

Le grand cellier, d’une surface de près de 7 800 m2, est réputé pour être la plus importante construction du genre dans la Champagne. Edifiée entièrement en fer, pierre et brique, son allure est une merveille de légèreté. La toiture, rangées d’arches de briques, recouvre l’espace des opérations de manipulation du Champagne. Ici, une chaîne sans fin, de conception nouvelle, emplit le vin dans les bouteilles, par un système d’abaissement et de relèvement très rapide, avant de les destiner vers les celliers ou les caves, hautes et spacieuses excavations à deux niveaux, le plus bas s’accédant par une volée de 170 marches... ". A la suite de ce descriptif, on trouve une gravure, intitulée : « Courtyard of Messrs. Pol-Roger and Co’s establishement at Epernay » avec des bâtiments de la seconde moitié du XIXe siècle, qui se trouvaient - et se trouvent encore, modifiés- dans la rue de Bernon.

Apparaissent ensuite les bâtiments du Champagne de Venoge. On évoque à l’origine un hôtel particulier, construit vers 1810. La maison de Champagne Piper, qui y succéda, aurait fait creuser des caves pour son commerce.

Ce n’est qu’à la fin du siècle dernier que la maison de Champagne de Venoge s’installera dans ces locaux, sans en modifier profondément l’aspect. Ainsi, sur la gravure de la rue du Commerce, parue dans l’ouvrage de Vizetelly, on distingue nettement les deux oculi de chaque aile des bâtiments avants, qui font penser à de véritables rosaces. L’élégance de cet immeuble est composé d’un bâtiment principal à étage carré, comprenant une porte monumentale en bois massif, ornée à son sommet d’une figure à l’antique, probablement Bacchus, et de deux avant-corps, où des grappes de raisin sont sculptées sur chaque pignon. Il est possible que ces témoignages sculptés aient une relation avec l’activité viticole du premier propriétaire (un marchand de vins en gros peut-être) ou aient été rapportés après l’endommagement partiel de l’établissement, surtout des dépendances .

On rappellera que la maison de Venoge comprend au 1er étage du bâtiment principal (un ancien cellier, dit-on) une large salle dite « des princes », qui possède une étonnante charpente en lamelle verrouillé, édifiée selon la méthode du colonel Emy. Puis, on poursuit par les établissements Perrier-Jouet, d’inspiration toute napoléonienne, ne serait-ce que par la fondation de la maison de Champagne (1813) mais aussi par les décorations des pignons : boules, sphinges dans le style « retour d’Egypt e ». On observera au demeurant que le deuxième établissement Perrier, qui fait vis-à-vis de celui décoré dans le style Belle Epoque (de l’autre côté de la rue) était précisément l’établissement du Champagne Henri Gallice (qui a occupé le château Perrier de son oncle Charles) ainsi qu’en témoigne une carte postale intitulée : sortie des ouvriers des caves de la maison Gallice. Ou encore la liste des professionnels sparnaciens en 1909-1910 : n° 22 rue du Commerce - Gallice et Cie, successeurs de Perrier-Jouët et Cie, vins de Champagne (bureaux et caves).

Enfin, on arrive à l’empire Moët et Chandon, gravement touché par la guerre 1914-1918 avec la ruine de l’hôtel Raoul Chandon, l’endommagement de l’orangerie et surtout la mise hors d’usage des celliers Chandon après leur incendie, à la suite du bombardement dans la nuit du 19 au 20 juillet 1918. Louis Lepage écrit à ce propos : Les vastes celliers Chandon se mettent à flamber. Un rideau de flammes s’étend de la rue du Commerce à la rue de Bernon et à la rue du Donjon. L’incendie prend des proportions formidables. Les pompiers de Paris, ceux de Reims se dévouent magnifiquement, mais inutilement. Il n’y a pas d’eau à proximité pour lutter efficacement contre le feu....

Il existe d’ailleurs des photographies montrant la fameuse porte Moët avec une voûte moulurée et l’emblématique monogramme M.C., dont il ne subsiste que la façade, avec autour des ruines et des charpentes éventrées. La reconstruction de ces locaux industriels fut faite dans un style 1920, qui s’apparente à celui de Pol-Roger, dans son austérité industrielle.

Mais, dans l’espace Moët et Chandon, se trouvaient diverses maisons de Champagne avant-guerre. Ainsi, Perrier Céleste Veuve Papelard au n° 22 (en 1891), Veuve Eugène Chanoine, rentière, au n° 14 (en 1909-1910) ; Chanoine Frères, négociant en vins de Champagne ; Chanoine Henri, associé négociant en vins de Champagne ; Chausson Albin, négociant en vins de Champagne.

Or, quand on sait qu’en 1855 les frères Chanoine cèdent leurs fonds à Armand et Eugène Chanoine, la localisation des frères Chanoine et leurs successeurs est bien dans ce voisinage de la maison d’un négociant de Pierry, surnommé Robert le Diable, qui mélangea le premier du Cramant à du Epernay. Avec les bombardements de 1918, la boucle est bouclée : les établissements Chanoine sont impraticables. La maison Moët et Chandon utilisera ces destructions pour s’étendre, tout en se restructurant, comme les autres maisons de Champagne, qui effaceront progressivement les traces de la guerre.

Puis, en se dirigeant vers la place de la République, se trouve l’ancienne maison d’Edouard Fleuricourt, n° 4 en 1909-1910, ancien maire d’Epernay -vraisemblablement le laboratoire d’analyses médicales actuel, et un établissement bancaire, qui a succédé au château Gérard, du nom de son propriétaire, Charles Gérard, banquier, négociant en vins de Champagne et maire d’Epernay (1879-1889) qui se fît édifier un immeuble néo-Renaissance, dans les années 1880. Auparavant, Charles Gérard tenait une manufacture de chapellerie (casquettes) dans la rue du Collège, à l’emplacement du vieux Collège (actuel lycée professionnel privé). Mais, par suite d’exiguïté de locaux, il se transporta rue du Commerce. On dit aussi qu’il fît faillite, avec son associé, et se reconvertit dans le commerce du vin de Champagne. Ce château, le dernier de la rue du Commerce, sera démoli dans les années 1970.

Ainsi, après sa désignation de 1925, l’avenue de Champagne constituée, siècle après siècle, autour du commerce des vins de Champagne, s’affirmera comme telle. Les récentes constructions et/ou réaménagements (Champagne Esterlin, Champagne Besserat de Bellefon, installé dans une ancienne clinique privée, Champagne Boizel.) confirmeront cette artère par destination : la voie royale de la "capitale du Champagne".

Textes C. Durepaire, S. Limoges et F. Leroy publiés par l’ORCCA et présentés avec leur aimable autorisation.