Le culte de Saint Vincent semble remonter en France à une date fort ancienne.
Très célèbre dans les Gaules, dès avant l’époque Mérovingienne, le jeune diacre de Saragosse, mort en martyr à Valence en l’an 304, était honoré, chez les Burgondes, de la même façon que Saint Martin de Tours, chez les Francs : comme patron national.
Saint Loup, l’illustre Evêque de Troyes, qui sauva les Gallo-Romains de la barbarie d’Attila et qui, selon l’histoire, s’attira par sa chanté et son courage, tous les respects et la reconnaissance universelle, contribua vraisemblablement à faire pénétrer de Bourgogne en Champagne, le culte de Saint Vincent auprès des vignerons groupés alors en corporations.
Au Vème siècle, à Châlons, Saint Alpin dédia à Saint Vincent un oratoire qu’il fit construire non loin de la rivière qui coulait au pied des remparts de la ville, sur l’emplacement même d’un temple païen consacré aux Sibylles.
Ce modeste sanctuaire fut remplacé vers l’an 625 par une basilique placée sous le vocable de Saint Etienne, mais conservant néanmoins Saint Vincent comme patron secondaire.
Cette église devait devenir par la suite la Cathédrale de Châlons-sur-Marne.
A Reims, près de l’ancienne porte Mars, et fort probablement au temps de Saint Rémi, on érigea, sous le vocable de Saint Vincent, une chapelle qui tombant en ruines dût être détruite sous l’épiscopat de Mgr l’Archevêque Maurice Le Tellier (entre 1671 et 1710).
A Troyes, on vénéra jusqu’à la Révolution, des reliques du corps du Saint Diacre de Saragosse, en l’Eglise Notre-Dame, en l’Eglise Saint-Aventin (une côte), en l’Eglise Saint-Denis, à l’Abbaye de Saint-Loup (une partie du chef), au Couvent des Carmélites et à la Collégiale de Saint-Etienne (un ossement du bras).
La Cathédrale de Châlons-sur-Marne posséda jadis un bras du martyr de Valence que certains prétendaient lui avoir été offert par Childebert, fils de Clovis et Roi de Paris, à son retour d’une expédition contre les Visigoths d’Espagne (la présence de cette relique est signalée dans un Ordo datant du XIIIe siècle ainsi que dans 2 inventaires des trésors de la Cathédrale de Châlons établis le premier en 1410 et le deuxième au XVe siècle).
En l’Eglise de Pocancy se trouve un morceau considérable du crâne de Saint Vincent. Cette relique fut donnée le 27 janvier 1701, par Mgr Gaspard, Cardinal de Carpège, Vicaire-général du Pape Clément XI, à une noble dame du pays, Marie Larcher de Pocancy, aussi distinguée pour sa grande piété, que par son dévouement pour les pauvres. Mgr J. B. Louis Gaston de Noailles, Comte de Châlons, Pair de France, accompagné du prieur de Saint-Marc, M. Joseph Lemaure, Docteur en Sorbonne, fît la première translation des reliques de Saint Vincent le 10 octobre de la même année 1701. Elles furent retirées d’une châsse en bois recouverte de papier marbré pour être placées dans une autre châsse plus décente. Le 2 juin 1747, Mgr Claude-Antoine de Choiseul-Baupré, Comte de Châlons, Pair de France, se rendant à Jalons, accompagné de deux anciens curés de Pocancy : MM. Claude Fréminet, Docteur en Sorbonne, Chanoine théologal de l’église cathédrale et promoteur général du diocèse, et Léon-François Maupas, aussi Chanoine de la Cathédrale, passa par cette paroisse pour y faire sa visite et reconnaître la relique de Saint Vincent. Un procès-verbal en date de ce jour, signé de l’Evêque, des Chanoines sus-nommés et contresigné du secrétaire de Mgr constate que la relique est en bon état et permet de l’exposer à la vénération des fidèles.
Mgr de Prilly, le 4 mai 1827, en présence du Maire, de l’adjoint et des paroissiens, visita la relique de Saint Vincent, de Pocancy, et ratifia toutes les permissions de ses vénérables prédécesseurs. Enfin, le 18 avril 1866, Mgr René Guillaume Meignan, Evêque de Châlons, ayant à ses côtés M. le Chanoine Deschamps, son Vicaire-général, M. le Doyen de Vertus, l’Abbé Thibault et les Curés du voisinage, prit connaissance de toutes les pièces authentiques et après avoir appelé autour de lui le Conseil de Fabrique et tous les dignitaires du pays, se conformant en tout aux règles de l’Eglise, tira respectueusement l’ancienne châsse pour la placer dans la châsse nouvelle en cuivre verni.
En l’Eglise de Saint-Loup de Châlons existent encore actuellement des reliques, du vénéré patron des vignerons, enfermées dans un très beau buste de bois argenté et provenant du monastère de Saint-Denis d’où, en 1792, elles furent sauvées de la profanation par une religieuse Mme Marie-Louise de Beaujeu.
L’Eglise de Vitry-le-François posséda jusqu’en 1921 une très importante relique du Saint qui lui fut donnée en 1823 par l’ancien prieur de l’abbaye de Saint-Thomas-le-Martyr, du Mont aux Malades près de Rouen, que la Révolution avait contraint de se réfugier à Vitry-le-François. Lorsque survint la dernière guerre, cette relique, composée d’un avant-bras du côté gauche avec radius et cubitus sectionnés au-dessous de l’articulation du coude, des os du carpe, du métacarpe et des phalanges, encore assez fortement unis entre eux par des ligaments et des débris de muscles et des tendons très bien conservés et momifiés, au point de former un tout presque complet, se trouvait toujours dans le magnifique reliquaire en argent en forme de bras dans lequel elle avait été enchâssée vers l’an 1600 et où elle avait été visitée en 1621 par Mgr d’Hacqueville, Evêque de Soissons, prieur commandataire de l’Abbaye du Mont aux Malades, et le 3 août 1739 par l’Abbé Louis Rosé, Vicaire général de l’Archevêque de Rouen (i).
Au mois d’août 1914, M. l’Abbé Nottin, Curé-Archiprètre de Vitry-le-François, à l’approche des armées allemandes et sous la menace d’une occupation imminente, brisa les sceaux du reliquaire pour en extraire la relique et la soustraire ainsi aux profanations possibles. Il la garda par devers lui et après la Victoire de la Marne, la replaça dans son reliquaire où le 21 décembre 1920, Mgr Tissier, Evêque de Châlons vint la reconnaître officiellement.
Le 8 janvier 1921, Mgr Tissier, en présence de MM. les Abbés Rousselot et Hurault, ses Vicaires généraux, de M. l’Abbé Harrer, son Secrétaire général, et avec le concours de M. le Docteur Aumont, fit trois parts de cette relique. Le cubitus fut séparé du radius puis sectionné en deux parties : l’une, antérieure, destinée à rester en l’Eglise de Vitry-le-François fut replacée dans le bras d’argent, l’autre, postérieure, réservée pour le trésor de la Cathédrale de Châlons. Le radius et le reste de la relique furent renfermés dans un sachet de soie rouge pour être remis à Monseigneur l’Archevêque de Rouen.
Le 13 janvier 1921, cette partie de la relique fut confiée à Mgr Nottin par Mgr Tissier, avec mandat de la porter à Mgr l’Archevêque de Rouen pour le trésor de l’Eglise paroissiale de Saint Vincent de Rouen. Mgr Nottin s’acquitta de sa mission et de grandes fêtes furent célébrées en Normandie pour recevoir la précieuse relique.
Le 18 avril 1866, lors de la translation de la relique de Pocancy, Mgr Meignan, Evêque de Châlons, autorisa M. l’Abbé Dolorosoy, curé de la dite paroisse, à distraire une partie du précieux dépôt en faveur de l’Eglise de Vertus.
Remise d’une partie du crâne de Saint Vincent fut donc faite à M. le Chanoine Thibault, Curé-doyen de Vertus par M. le Curé de Pocancy qui voulut bien y joindre un certificat, en bonne et due forme, Mgr Meignan daigna par une ordonnance du 4 septembre 1866 autoriser l’exposition de la dite relique dans l’Eglise paroissiale de Vertus.
Cette même relique déposée dans une châsse magnifique en cuivre verni en style du XIe siècle fut exposée pour la première fois à la vénération des fidèles le mardi 22 janvier 1867 en la fête de Saint Vincent.
Plusieurs paroisses du vignoble champenois conservent précieusement dans un petit reliquaire quelques parcelles d’os provenant pour la plupart des reliques dont nous avons parlé précédemment et recueillies au moment des différentes translations dont celles-ci furent l’objet.
Enfin l’Eglise Saint-Pierre-Saint-Paul d’Epernay, s’enorgueillit de posséder une magnifique châsse, contenant une importante relique du Saint Patron des Vignerons. Cette dernière qui lui fut donnée par S. E. le Cardinal Langénieux, Archevêque de Kams, à la demande de M. le Comte Gaston Chandon de Briailles, a été, conformément au désir du très regretté Comte Jean Chandon-Moët, installée définitivement dans la chapelle du Sacré-Cœur de la dite Eglise, le dimanche 27 janvier 1935 à l’issue d’une messe solennelle célébrée en l’honneur de Saint Vincent, sous la présidence de son Excellence Mgr Tissier, Evêque de Châlons, en présence d’une délégation de toutes les Confréries de Champagne, accompagnées de leur bâton.
Pour quelle raison Saint Vincent fut-il choisi comme patron par les vignerons ?
Certains prétendent qu’un vulgaire jeu de mot sur la première syllabe du nom du saint est à l’origine de ce choix, d’autres pensent qu’il faut voir là une allusion à la fonction du diacre qui, à l’autel, verse le vin du sacrifice.
Monseigneur Hurault dans son ouvrage sur Saint Vincent (i) donne une explication qui paraît moins arbitraire.
" Le culte de Saint Vincent, dit-il, avait pris dans la Bourgogne du haut moyen âge, les proportions d’un culte national. Il serait assez naturel que, dans cette province renommée par son vin, le patron du pays devenant aussi celui de l’industrie locale, ait été regardé pour la première fois comme le protecteur des vignes et des viticulteurs. "
Quoiqu’il en soit, d’anciennes images montrent le martyr entouré de pampres ou porteur d’un raisin, d’une serpette ou d’un broc à vin et dans un missel de Constance datant de 1504, on peut lire ce proverbe qui associe le nom de Saint Vincent à la culture de la vigne : Vincenti festo si sol radiât, memor esto. Tunc magnum fac vas, quia vitis dabit tibi uvas (Si le soleil brille à la Saint Vincent, prépare de grands tonneaux car la vigne te donnera beaucoup de raisin).
Monseigneur Hurault dans l’ouvrage dont nous venons de parler, décrit comme suit, les cérémonies auxquelles donnait lieu, en la Cathédrale de Châlons, la célébration de la fête du vénéré Patron des Vignerons.
Cette solennité débutait le 21 janvier par la sonnerie de toutes les cloches. Avant les premières Vêpres, un prêtre en chape précédé de la croix, des cierges et de l’encens se rendait à l’endroit où, à gauche du sanctuaire, étaient enfermées les châsses. Il prenait le bras de Saint Vincent, le plaçait sur l’autel, pendant que le choeur chantait l’antienne du saint martyr ; puis il bénissait l’assemblée avec la relique.
L’Evêque entonnait alors les Vêpres et cela devant une assemblée superbe. Lui-même siégeait sur son trône entouré des abbés de tous les monastères du diocèse, sauf celui des Trois-Fontaines ; il pouvait reconnaître par conséquent ceux de Saint-Pierre, Montier-en-Der, Saint-Urbain, Moirement, Montier-en-Argonne, Toussaints, Saint-Memmie, etc. Aux chanoines et aux chapelains de la Cathédrale s’étaient joints les chanoines des églises suffragantes de N. D. en Vaux et de la Trinité. Dans le choeur chantaient donc une centaine de clercs, et dans le sanctuaire, autour des candélabres et des rétables d’or, frôlant de leurs chapes les courtines de l’autel et de leurs pieds, les pierres tombales des anciens évêques, marchaient gravement les prêtres et les ministres vêtus de lin, de soie et de tissus brodés.
Par un privilège spécial qui rappelait une coutume de fête de Saint Etienne, c’est aux diacres, chanoines ou chapelains qu’il appartenait, à toutes les heures canoniales, d’entonner les hymnes et les antiennes (i).
Ne célébraient-ils pas la fête d’un de leurs plus glorieux patrons ?
Pendant l’invitatoire des Matines, au pied du grand candélabre sur lequel quinze cierges brûlaient, deux diacres, ornés de chapes précieuses, chantaient ces jolies allitérations : Victorem summum collaudantes adonmus, qui Vincenti sao palmam contulit oternam Vincentio. (Adorons le vainqueur suprême qui remit une palme éternelle à son victorieux Vincent.)
La liturgie se déroulait ensuite et on lisait en neuf leçons la " passion " du martyr. Puis venaient les Laudes, puis les petites heures, puis la messe pontificale.
C’est alors que se déployaient les pompes les plus augustes. L’Abbé de l’Isle (Toussaints) arrivait en procession à la tête de tous ses chanoines réguliers ; à ce moment, le clergé, toujours processionnellement, se rendait au palais de l’Evêque, et, tandis que le cortège traversait la place dite aujourd’hui du Vieil Evêché, pour entrer dans la basilique, chanoines, moines et clercs, précédant le prélat, alternaient les versets de l’hymne de Vincent. L’Evêque se parait à son trône des ornements pontificaux, célébrait la Messe solennelle puis, du haut du jubé peut-être, bénissait le peuple avec le bras du martyr.
A ce moment, quand l’Assemblée allait se disperser, toutes les cloches se mettaient en branle et la gloire de Vincent le Vainqueur s’épandait en ondes sonores le long de la vallée de la Marne.
La Fête continuait par les secondes Vêpres et se prolongeait au cours d’une octave solennelle (i).
M. l’Abbé Welche a rappelé, il y a quelques années, dans la Semaine Religieuse du diocèse de Châlons-sur-Marne, la façon dont les Confrères de Sainte-Menehould, qui possédaient en commun une vigne et une maison aux assemblées, fêtaient jadis le Patron de leur corporation.
A la messe de Saint Vincent, le 22 janvier, tout était suprêmement édifiant.
Les Dames-vigneronnes n’étaient pas admises.
On bénissait, après le Credo, trois couronnes d’un pain doré qui fleurait bon. Le cierge était une torche monumentale, de dix-sept pieds, enveloppée de cire colorée et sculptée.
Le bedeau revêtait pour la circonstance une robe toute farcie de pampres, de raisins, serpettes et autres attributs viticoles d’un effet superbement bachique.
Durant l’office, les vignerons étaient plus silencieux que les moines de Moircmont, sages comme de petits saints. Mais une fois le portail franchi, la réaction était explosive et l’humour français pétillait dans quelque refrain comme celui-ci :
" Changer en vin votre rivière ! Que ce changement serait bon ! Souvent j’y ferais un plongeon. "
Les Confrères étaient de fiers lurons qui savaient leurs prérogatives. Ils connaissaient mieux que chanoines leur place aux processions. Et si quelque malheureux compatriote oubliait, à leur détriment, le code des préséances, de la main libre qui ne portait pas de cierge, ils le rouaient de coups, en moins d’un psaume, et sans s’arrêter de chanter les louanges de Dieu.
Dans l’ensemble du vignoble champenois la fête de Saint Vincent est célébrée régulièrement le 22 janvier. Dans certaines localités importantes, à Epernay par exemple, sa célébration est parfois reportée, pour plus de commodité, au dimanche qui suit cette date.
Aux vignerons se joignent généralement : tonneliers, vanniers, et représentants des différentes corporations intéressées de près ou de loin au travail de la vigne, tous groupés dans la plupart des localités en confréries.
Ces confréries, ayant à leur tête un bureau tantôt élu, tantôt acclamé à mains levées, possèdent presque toutes un bâton surmonté de la statue du saint, le tout en bois sculpté et doré. Certains de ces bâtons sont de véritables ouvres d’art.
Plusieurs communes, au lieu de bâton, ont en leur Eglise une statue de Saint Vincent qui était jadis portée solennellement à dos d’homme à travers les rues du village. Cette statue est tantôt en bois comme à Damery, Fleury-la-Rivière, le Mesnil-sur-Oger, Sézanne, etc., tantôt en pierre comme à Cormoyeux, Verzenay, Vinay, etc. Dans quelques paroisses, à défaut de bâton ou de statue, ou en plus de ces emblèmes, il existe une bannière due à la générosité d’un riche viticulteur ou tapissée par les jeunes vigneronnes de la localité. D’autres communes enfin possèdent, en leur église, une chapelle consacrée à Saint Vincent ou plus simplement une statue fixe, une peinture ou un vitrail représentant le vénéré patron des vignerons.
Dans certains villages du vignoble champenois il existe, en outre, au-dessus ou sur le côté de la porte d’entrée d’anciennes demeures antérieures à la période révolutionnaire, une petite niche abritant une statue de Saint Vincent, en pierre ou en bois, souvent fort curieuse, au bras de laquelle de vieux vignerons ont conservé la coutume d’attacher chaque année, soit le 15 août, avant le passage de la procession, en l’honneur de la Très Sainte Vierge Marie, instituée par le roi Louis XIII, une grappe de pinot hâtif, soit à la veille des vendanges, le plus beau raisin de leurs vignes.
Jadis, la fête de Saint Vincent était précédée, la veille, de sonneries de cloches, de feux de joie, de salves de canon, de coups de fusil tirés par les jeunes gens, de cortèges accompagnés de joueurs de violon et bien entendu de dégustations du vin nouveau.
Le jour de la fête, les confrères se réunissaient sur la place principale du village, et se rendaient en cortège chez le vigneron, détenteur du bâton depuis la fête précédente et qui bien souvent devait prendre à sa charge tous les frais des réjouissances (i).
Musique en tête, le bâton, porté par le confrère désigné pour en assurer la garde pendant une nouvelle année, entouré de deux aides appelés selon les localités : syndics, marguilliers, procureux, etc. et suivi des Membres de la Confrérie, était conduit à l’Eglise où était célébrée une Messe solennelle agrémentée de chants, au cours de laquelle le pasteur faisait un sermon de circonstance et bénissait les brioches que les confrères devaient se partager ensuite.
Parfois aussi, le prêtre procédait durant l’office à la bénédiction du vin de messe préparé lors des dernières vendanges par un ou plusieurs confrères spécialement choisis, ou d’un tonnelet, rempli de vin de la dernière récolte et placé sur un plateau orné de lierre, de houx, de ceps, d’instruments viticoles et porté par quatre jeunes vignerons.
A Chigny-les-Roses, il était et il est toujours d’usage que durant l’office, le célébrant, au moment de l’offertoire, aille avec son calice tirer lui-même le vin nécessaire au saint sacrifice de la Messe, à un tonneau installé dans le choeur.
A Hautvillers, il était de coutume au moment de l’élévation de l’hostie et du calice de tirer deux coups de canon.
A l’issue de la cérémonie religieuse, le cortège se reformait et se rendait soit chez le nouveau détenteur du bâton, soit à la salle municipale où était servi un vin d’honneur. Le soir avait lieu, soit un banquet, soit un bal, soit encore un concert. Le lendemain un service funèbre était parfois célébré en l’Eglise du village à la mémoire des vignerons décédés depuis la fête précédente.
Dans l’Aube, il était d’usage, après la cérémonie religieuse, de mettre le bâton de la Confrérie aux enchères et la famille adjudicataire était chargée d’en assurer la garde pendant un an.
Cette coutume est toujours suivie à Troyes par la Confrérie du quartier de Croncels-Trévois qui, d’après nos recherches, serait la seule dans le département de l’Aube à continuer à célébrer chaque année avec quelque éclat la fête de Saint Vincent en l’Eglise Notre-Dame de Trévois.
De nos jours, les fêtes dont nous venons de parler subsistent encore dans la plupart des communes viticoles de la Marne ; à Epernay notamment, où le groupement des vignerons est considéré dans l’ensemble du vignoble champenois comme une sorte d’archiconfrérie, elles revêtent toujours un éclat particulier.
A l’issue de la grand’messe au cours de laquelle les artistes de la Société des Amis de la Musique Religieuse interprètent généralement quelques morceaux écrits par Hardouin, auteur champenois du XVIIIe siècle, les confrères précédés par la Fanfare de la Corporation des Ouvriers Cavistes et Tonneliers se rendent dans une salle où ont été dressées des tables garnies d’appétissantes brioches et de vénérables bouteilles de champagne casquées d’or ou d’argent. Tandis que le vin pétille et mousse dans les flûtes, le Maire de la Ville d’Epernay, prenant le premier la parole, vante les bienfaits des groupements corporatifs qui, depuis le moyen âge et à travers bien des vicissitudes, ont toujours existé dans la cité sparnacienne, entretenant entre patrons et ouvriers de solides liens de sympathie, d’amitié et d’affection.
Ensuite, il est d’usage que le Président, après avoir adressé un souvenir ému à la mémoire des confrères disparus, et avoir félicité toutes les personnes présentes des événements heureux survenus dans leur famille ou des distinctions honorifiques dont elles ont été l’objet depuis la dernière Saint Vincent, fasse un exposé de la situation du commerce des vins de Champagne à la prospérité duquel toute l’assistance porte tant d’intérêt et tire des événements en cours des conclusions pratiques à l’usage des viticulteurs.
Enfin, l’un des Vice-présidents rappelle ce que fut l’année viticole écoulée avec toutes ses espérances et parfois aussi toutes ses désillusions, et donne aux vignerons des conseils appropriés aux circonstances pour l’année qui commence.
Cette réunion est généralement suivie d’un déjeûner, présidé bien souvent par Son Excellence Monseigneur l’Evêque de Châlons, et auquel assistent les représentants des différentes confréries voisines.
En certaines localités, les confréries avaient jadis l’usage de faire dire une messe la veille des vendanges, pour attirer les bénédictions du Ciel sur ce travail et de faire célébrer une cérémonie en leur Eglise, une fois la cueillette des raisins terminée, pour le Dieu de la récolte qu’il leur avait accordée. Cette coutume a aujourd’hui presque complètement disparu et nous ne connaissons que la confrérie de Vertus qui continue à la respecter.
En dehors de la fête de leur vénéré patron, les membres des Confréries de Saint Vincent ne se groupaient autrefois autour de leur bâton ou de leur bannière que pour assister aux obsèques d’un des leurs.
En 1932, à l’occasion des fêtes mémorables qui eurent lieu pour commémorer le 250e anniversaire de la découverte de la mousse par Dom Pérignon, toutes les Confréries champenoises se rendirent à Hautvillers pour participer aux manifestations qui se déroulèrent, en présence de nombreuses et très hautes personnalités françaises et étrangères, dans le parc de l’antique Abbaye fondée en l’an 650 par Saint Nivard (neveu du Roi Dagobert) qui devait devenir par la suite le berceau du Champagne. En 1935, les Confréries de Champagne vinrent à Epernay, accompagnées de leurs emblèmes, pour assister à la cérémonie qui eut lieu en l’Eglise Saint-Pierre-Saint-Paul sous la présidence de Son Excellence Monseigneur Tissier, Evêque de Châlons, à l’occasion de l’installation de la châsse que nous avons relatée précédemment.
Puissent, les continuateurs de l’œuvre de Dom Pérignon, confraternellement unis sous l’égide de Saint Vincent, conserver toujours au fond de leur oeuvre, l’amour de leur vigne et de leur métier, et travailler sans cesse à maintenir et à accroître le bon renom de la viticulture champenoise.