UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La protection des vins de champagne par l’appellation Roger Hodez

Préface

R. DEMOGUE
Professeur à la Faculté de Droit de l’Université de Paris

Depuis plus d’un siècle, l’unité de législation a été établie en France. Cependant ça et là des institutions particulières ont subsisté. En même temps qu’elles évoquent le pittoresque de quelque province avec ses traditions, ses modes de culture, ses industries séculaires, elles appellent Inattention du juriste, car il n’est de question locale dont la bonne solution ne contribue à la prospérité générale. Il faut régler les problèmes anciens ou récents qu’elles soulèvent en gravant d’un trait sûr des usages parfois un peu estompés, en interprétant d’après les nécessités pratiques les clauses habituelles. Parfois, et c’est le cas ici, il faut déterminer d’abord la nature de l’appellation de l’objet vendu, préciser qu’il ne s’agit pas d’une simple dénomination générique rappelant une lointaine origine, simple étymologie en quelque sorte, mais d’une désignation devant garantir la provenance d’un produit, les qualités qu’il peut tenir du sol, du climat, d’une main d’œuvre mieux exercée, de toute une technique se développant par un mutuel enseignement et par l’émulation. Il faut ensuite faire le tour des conditions exigées pour que l’appellation régionale soit loyale et fixer la frontière de chacune d’elles.

L’exacte solution de ces questions contribue à assurer à certaines régions un monopole véritable, mais dans des conditions où il est parfaitement légitime. La défense des intérêts spéciaux aux habitants d’un territoire déterminé s’harmonise de la façon la plus heureuse avec l’intérêt général, même pris de la façon la plus large pour y comprendre l’avantage de ceux qui sont au-delà de nos frontières. En se protégeant contre l’usurpation d’une dénomination, l’industrie régionale cherche à défendre un des principes qui font honneur au commerce français : celui de la loyauté du produit fabriqué. Il importe que le consommateur, qu’il s’agisse d’un objet quelconque, soit exactement renseigné sur ce qu’il achète, sur les qualités qu’il peut en attendre, par suite sur le prix que l’on peut raisonnablement lui demander. Un nom d’origine est une sorte de pavillon. Il ne doit couvrir que les marchandises ayant droit à sa protection.

Que ce soit par ignorance, par indifférence ou par économie, tel consommateur peut se contenter d’un produit quelconque, c’est son droit. Personne n’est obligé de n’acheter que des produits de choix. De même un spectateur est libre de préférer les drames de l’Ambigu aux comédies de M. de Fiers. Mais celui qui par goût, voire même par snobisme, se pique de prendre en chaque chose ou en telle chose ce qui se fait de mieux, ne doit pas être déçu par des ressemblances. Dans nos civilisations qui tiennent à être raffinées, le premier souci ne doit-il pas être celui de l’ordre, par suite celui de faire discerner les produits qui, par leur fini, leur perfection dûs à des causes complexes, se séparent des produits courants, sans parler des mauvais ?

Ce terrain de la loyauté du commerce, où les intérêts du producteur et du consommateur sont identiques, semblerait des plus faciles à défendre, si autour des produits incontestablement bien qualifiés, il n’y avait comme un halo brumeux formé par d’autres dont la dénomination est délicate à trouver, si autour des étiquettes précises et franches, il n’y avait une zone neutre de désignations vagues et trompeuses. Ici commence pour le juge l’embarras et l’hésitation.

De ces problèmes très nombreux des appellations traditionnelles, M. Hodez a examiné celui qui, en dehors des manifestations violentes qu’il a suscitées, a donné lieu au plus grand nombre de textes et de décisions judiciaires. Son livre, en même temps qu’il est une sorte d’épisode d’histoire contemporaine, témoigne au point de vue juridique du soin avec lequel il a utilisé les nombreux documents que ses fonctions mettaient à sa disposition. Les lecteurs apprécieront combien il a su en présenter la masse abondante de façon méthodique et claire. Il n’y a pas de juriste ayant besoin de s’initier aux multiples problèmes, aux nombreux précédents auxquels a donné lieu l’appellation Champagne qui n’ait intérêt à consulter cette étude très complète.