UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

La protection des vins de champagne par l’appellation Roger Hodez

§ III - La vigne et le travail du vin

La vigne champenoise offre des caractères tout spéciaux quant au choix minutieux des cépages et au mode de culture ; c’est dans ces conditions spéciales, grâce à la nature du sol qui le nourrit et à la situation climatérique que le cep de vigne produit le raisin convenable. La vigne champenoise en effet n’est pas plantée en Champagne dans n’importe quel terrain, comme cela est possible en certaines régions vinicoles ; on la rencontre sur les flancs des coteaux dont le sol crétacé, de formation secondaire, est apte à fournir à la vigne son aliment. Le sol argileux des plateaux ou la craie de la plaine champenoise ne conviennent pas à la culture de la vigne qui est donc nettement circonscrite à certaines zones.

Le fabricant de vin de Champagne, appelé dans le langage usuel négociant, achète le raisin au kilogramme, pour autant que la récolte de ses propres vignes ne lui suffit pas [1] et, après une cueillette et un épluchage soigneux, le déverse dans les pressoirs spéciaux, d’où le jus ou moût obtenu est aussitôt séparé des marcs, car la plus grande partie des raisins de Champagne étant noirs, le contact des marcs avec le jus laisserait à ce dernier une coloration que l’usage auquel on le destine ne permet pas. Le moût mis dans des tonneaux et rentré dans les celliers du négociant y subit la première fermentation.

Après les premiers froids le vin devenant limpide, un soutirage permet de séparer le vin de la lie et le négociant peut songer à composer la cuvée : il mélange entre eux, dans de grands foudres, différents crûs de vins nouveaux auxquels il ajoute en général des vins de réserve d’antérieures années afin de combiner les différents crûs pour obtenir un tout homogène et harmonieux, possédant le bouquet désirable et répondant au type de vin recherché. Cette phase de la fabrication exige évidemment de la part de celui qui la dirige une connaissance parfaite de la vinification et une très longue expérience.

Au printemps, le fabricant songe à la mise en bouteille : au moyen d’appareils spéciaux, il évalue exactement la quantité de sucre naturel restée dans le vin et il ajoute éventuellement la quantité de sucre candi nécessaire pour obtenir une seconde fermentation normale. Il procède ensuite au tirage. La bouteille reste alors couchée horizontalement pendant que s’effectue la seconde fermentation par laquelle les sucres se transforment en alcool et en gaz acide carbonique lequel, ne pouvant s’échapper, reste en dissolution dans le vin dont il forme la mousse.

Mais la fermentation a donné lieu à un dépôt qu’il s’agira d’extraire. Dans ce but, lorsque le vin semble arrivé à maturité, la bouteille est placée inclinée, la pointe en bas dans un pupitre, où chaque jour pendant deux mois environ, elle sera remuée légèrement par un spécialiste de façon à laisser accumuler le dépôt dans le col, sur le bouchon. Elle est ensuite dégorgée, c’est-à-dire débouchée de telle sorte que le bouchon s’échappe en emportant le dépôt qui s’y est aggloméré. A cette phase, le sucre est complètement transformé et le vin est dit brut : c’est alors qu’on introduit une certaine quantité d’une liqueur formée de sucre candi dissous dans un vin de Champagne de qualité exceptionnelle. La dose de liqueur variera suivant le type de vin que l’on désire obtenir, doux ou sec.

Après un repos de quelques mois, parfois d’un an, nécessaire pour obtenir le mariage parfait de la liqueur avec le vin, et pour s’assurer de la qualité irréprochable du produit, la bouteille, après un dernier examen, est reconnue propre à la vente : il s’est écoulé alors en moyenne cinq ans depuis la récolte et même plus lorsqu’il s’agit de vins d’années de choix dont la qualité s’accroît notablement en vieillissant. La bouteille est enfin revêtue de l’habillage élégant qui est connu de tous, puis emballée soigneusement et expédiée chez les clients ou dans les dépôts disséminés sur tous les points du globe.

De cette étude sommaire de l’origine du vin de Champagne et de sa fabrication, il apparaît nettement qu’il s’agit d’un vin ayant à l’état naturel des qualités spéciales et un bouquet qu’il doit au sol et au climat de la région productrice ainsi qu’au mode de culture. A la vendange, le raisin soigneusement épluché est l’objet d’un pressurage spécial ; il subit ensuite une fabrication délicate applicable, il est vrai, à d’autres vins, mais effectuée en Champagne dans des conditions traditionnelles et meilleures que partout ailleurs par un personnel recruté de père en fils, possédant le doigté et l’expérience nécessaires. Le vin de Champagne correspond à des qualités obtenues avec les plus grandes difficultés et à grands frais ; il est donc nécessaire de protéger le mot qui sert à le désigner.

Notes

[1La plupart des grandes maisons de vins de Champagne possèdent des vignobles importants, mais en général dans une proportion inférieure à leurs besoins de fabrication.