Divers emplois de l’Appellation « Champagne » examinés au regard de la Loi de 1919
Des interprétations très diverses ont été émises en ce qui concerne Inapplication de l’appellation « Champagne » aux vins qui ont fait l’objet d’une déclaration contestée et pour lesquels une solution définitive n’est pas encore intervenue.
L’article 13 de la loi du 6 mai 1919 dit que l’expédition de régie indiquera l’appellation d’origine figurant
dans la déclaration de récolte ou celle plus générale résultant des usages locaux, loyaux et constants.
Le 6 janvier 1921, s’appuyant sur l’article 13 de la loi, le ministre de l’Agriculture demande à la Direction générale des Contributions Indirectes d’accorder sans réserve l’acquit « Champagne » aux producteurs et négociants qui voulaient vendre du vin sous cette appellation déclarée par eux. Mais un télégramme du 15 janvier ordonne de surseoir à cette mesure. Il en résulte un vif mécontentement dans les milieux viticoles de Bar-sur-Seine et de Bar-sur-Aube qui, par la voix du Président du Syndicat régional, s’élèvent contre cette dernière mesure. En août suivant, le Conseil général de l’Aube émet un vœu de protestation contre les mesures de la Régie qui, en dépit de la loi du 6 mai 1919 et des récents jugements de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine qui reconnurent aux vins de l’Aube l’appellation « Champagne », persiste à refuser aux vignerons de l’Aube l’acquit Champagne pour l’expédition de leurs produits, causant ainsi la mévente des vins de l’Aubois et l’effondrement de leurs cours au seul profit de la Marne et menaçant de provoquer le retour des troubles de 1911. Il invite le Gouvernement à mettre fin à cette persécution intolérable.
Le Conseil d’Etat est actuellement saisi d’un recours pour excès de pouvoir, formé par le Syndicat général des Vignerons de la Champagne délimitée, contre la lettre du ministre de l’Agriculture du 6 janvier 1921 qui fut rétractée aussitôt. Il s’agit en effet de savoir si en l’absence de décision définitive, l’article 13 doit s’appliquer et si on doit, en conséquence, autoriser l’a vente immédiate comme « Champagne », ou bien au contraire s’il ne faut pas déduire de l’article 17, que la vente n’est possible comme Champagne que le jour où la question est définitivement tranchée, soit par la prescription acquisitive d’un an, soit par une décision définitive. La question a déjà été examinée lors des débats parlementaires, mais toutes les précisions désirables n’ont pu cependant être obtenues.
Lors des débats au Sénat, le 14 novembre 1913, M. Clémente ! estimait qu’il serait nécessaire de faire dresser un procès-verbal à ceux qui demanderaient des acquits « Champagne » pour des vins n’appartenant pas à la région délimitée et que ce serait l’action judiciaire intentée à la suite de ce procès-verbal qui permettrait de décider du droit à l’appellation [1]. M. Paul Meunier s’éleva contre cette conception. « En effet, disait-il, il n’est pas possible d’écrire dans un texte législatif, on ne l’a jamais écrit et ce n’est pas soutenable que, pour bénéficier des dispositions d’une loi, des citoyens seront obligés de faire rendre d’abord des décisions de justice, qu’ils seront contraints d’engager des instances et des grands procès ».
C’est pour éviter de heurter ainsi le principe juridique et dans l’espoir de faciliter les solutions que fut inscrite dans la loi la disposition de la prescription annale en faveur des eaux-de-vie et vins mousseux, et chacun peut, comme avant les délimitations administratives, appliquer à ses produits l’appellation qui lui paraîtra la meilleure. M. Clémentel estimait un peu plus tard [2] que « les producteurs ou négociants » dont les droits seront contestés, jouiraient, au cours de ces instances, de la qualité de défendeurs. Pendant tout le temps que dureront ces instances, ils pourront continuer l’emploi de la dénomination litigieuse, quitte à subir ensuite, s’ils ont commis un abus, une condamnation sévère ».
Il ne faudrait pas déduire de cette phrase que les vins qui sont l’objet de la contestation jouiront pratiquement du même régime que ceux qui ont un droit reconnu. M. Clémentel développe plus loin son idée : « Il ne suffira pas de dénommer un vin mousseux « Champagne » pour obliger la Régie à admettre ce vin au régime des chais séparés… Si vous ne pouvez pas vous appuyer sur "ne décision judiciaire, la Régie, elle, est dans l’impossibilité de vous autoriser à faire circuler du vin que vous nommerez « Champagne » [3]. La loi de 1911 a été abrogée, mais ses dispositions reprises dans la nouvelle loi et les magasins spéciaux prévus par l’article 17 répondent à cette idée d’isoler le vin qui revendique l’appellation « Champagne » jusqu’au moment où celle-ci lui aura été acquise d’une manière définitive.
Il faut reconnaître toutefois que le texte même de la loi permet de douter de la marche à suivre. L’article 11 précise comment doivent être faites les déclarations et 1’article 13, sans aucune restriction, décide que l’expédition de régie indiquera cette appellation. Si donc, un récoltant de l’Aube a déclaré son vin comme « Champagne », il semble, à s’en tenir à l’article 13, que la Régie devra, aussi bien à la sortie des pressoirs que des celliers et caves, indiquer l’appellation déclarée à la récolte. Mais lorsque nous lisons l’article 17 qui prévoit des mesures spéciales pour l’emmagasinage, la manipulation et la manutention dans les locaux séparés, il apparaît bien que la loi n’a pas voulu assimiler les vins n’ayant pas encore un droit certain à l’appellation, aux vins de l’ancienne zone délimitée ; ce droit, ils pourront l’avoir seulement au bout d’un an, si la déclaration n’est pas contestée ; si l’appellation est contestée, les mesures spéciales se prolongent jusqu’au moment du jugement définitif. Il n’apparaît donc pas possible au regard de l’article 17 de laisser l’appellation « Champagne » figurer sans réserve sur les titres de mouvement. - L’article 13 pose une règle générale, mais l’article 17 étant postérieur et fait spécialement pour les vins mousseux, doit servir à compléter et préciser le sens des articles antérieurs. Il était à craindre, avec les longs délais nécessités par les actions civiles qui peuvent être déférées à la Cour de Cassation, que les fraudeurs adroits fussent présumés de bonne foi tant qu’une décision définitive ne serait pas intervenue contre eux et qu’ils réussissent ainsi à jouir de l’impunité en faisant traîner le procès en longueur. La présomption de bonne foi peut être écartée par les Parquets, lorsqu’il est démontré d’une façon évidente que le défendeur savait pertinemment qu’il ne pouvait prétendre à l’appellation en question.
Pour les vins mousseux, les mesures prévues, l’emmagasinage dans les locaux séparés, permettent de se rendre compte si le déclarant entend se soumettre rigoureusement aux prescriptions de la loi ou s’aventurer à ses risques et périls. La circulaire du ministre de l’Agriculture, datée du 6 juin 1919, c’est-à-dire parue aussitôt après le vote de la loi, dit :
« Lorsque la question de propriété de l’appellation d’origine aura été définitivement résolue par la juridiction civile, s’il est passé outre ultérieurement à cette décision, des poursuites correctionnelles pourront être intentées contre les producteurs ou les commerçants visés, qui deviendront alors des délinquants et seront passibles des pénalités prévues.
II est donc entendu qu’après décision définitive, l’action correctionnelle seule s’impose et que, par contre, en déclarant, dans un délai de trois mois, leur intention de vendre ces vins sous l’appellation « Champagne », ils acquerront la faculté d’user de cette appellation sans risquer de poursuites correctionnelles. L’action civile seule pourra être engagée pour leur en faire interdire l’usage ». [4]
Cela veut-il dire que la simple déclaration permet de vendre sous l’appellation « Champagne », même en négligeant d’observer les prescriptions de l’article 17, et cela, sans être passible de l’action correctionnelle ? Une telle acception de la loi n’est pas admissible : son observation intégrale est en effet une condition primordiale et la bonne foi ne peut plus être invoquée par celui qui en viole une disposition quelconque, surtout lorsqu’un procès est intenté par ailleurs qui montre bien que le droit est litigieux.—L’exercice et la réussite de l’action civile n’est pas du tout une condition préalable de la poursuite correctionnelle ; celle-ci n’est soumise qu’à deux conditions : la preuve de l’existence du droit du demandeur et de la mauvaise foi du défendeur. S’il était permis d’écouler de vins de l’Aube comme « Champagne » avant que la Cour de Cassation ait tranché définitivement les litiges en cours, les mesures spéciales de l’article 17 de là loi n’auraient plus aucune raison d’être.
Un procès sur ce thème a été porté devant le Tribunal correctionnel de Reims et se trouve actuellement pendant devant la Cour d’Appel de Paris. — Un négociant de l’Aube, R..., possédant un établissement à Reims, effectuait des ventes de vins de l’Aube comme « Champagne ». Un constat ayant été dressé immédiatement, le Ministère public intenta des poursuites auxquelles se joignit, comme partie civile, le Syndicat général des Vignerons de la Champagne délimitée. Le défenseur de ce négociant excipa de la compétence du Tribunal Civil : user d’un droit contesté, dit-il, ne constitue pas un délit ; et il demanda la remise de l’affaire jusqu’à ce que la juridiction civile eût reconnu le bien ou mal fondé de la revendication des vignerons de l’Aube, car il y avait là une question civile préjudicielle à l’action pénale.
Cependant, la remise ne pouvait guère se justifier : ou bien l’inculpé n’a pas commis de délit, et il est juste de le disculper tout de suite, ou bien il en a commis et ce qui était punissable à l’époque, ne peut être innocenté rétroactivement par une décision ultérieure d’une autre juridiction. Du reste, la partie civile supposa de la façon la plus formelle à toute remise, il ressort en effet, déclara son avocat [5], tant du texte de la loi du 6 mai 1919 que des travaux préparatoires de ladite loi, que la contestation provoquée par l’usage d’une appellation d’origine sera jugée par les Tribunaux compétents ; les Tribunaux civils si aucune intention coupable, aucune manœuvre frauduleuse ne sont relevées, les Tribunaux correctionnels dans le cas contraire [6], — On ne peut établir aucun lien juridique entre les déclarants de bonne foi qui se sont conformés aux prescriptions de la loi et le négociant de mauvaise foi qui y a contrevenu sciemment.
« Accorder la remise aboutirait à laisser libre cours à la fraude pendant une période pour laquelle la loi a précisément prescrit tout un ensemble de mesures visiblement destinées à empêcher les abus tout en réservant les droits de chacun.
Ce que nous contestons actuellement, ce n’est pas le droit d’avoir pris le nom de « Champagne », c’est d’avoir fait frauduleusement usage de ce nom, ce qui est interdit par la loi pour des vins qui doivent rester enfermés jusqu’au jugement définitif de la juridiction civile, être sortis conformément au droit que donne l’article 20 de la loi de 1919, ou, s’ils sont livrés à la consommation, ne peuvent l’être que sous la désignation « vin mousseux » ou encore « Champagne 2e Zone ». [7]
Le Tribunal donna pleinement raison à la partie civile sur la demande de remise, car « la poursuite correctionnelle est en l’espèce absolument indépendante de l’instance civile engagée et non encore solutionnée ». [8]
Ce jugement fût frappé d’appel, mais, comme R... n’en continuait pas moins à vendre ses vins de l’Aube sous L4Appellation « Champagne », le Syndicat des Vignerons fit intenter une nouvelle action basée sur ces nouvelles ventes. L’inculpé invoqua alors le texte de l’article 1er de la loi de 1919 : il est possible de demander au Tribunal « d’interdire l’usage » de l’appellation abusivement prise. Il paraît donc que tant que l’interdiction n’a pas été prononcée par les juges civils, la juridiction pénale ne peut intervenir.
Nous ne pensons pas que cette interprétation littérale soit exacte, car elle est contraire au sens général de la loi. Lorsque la mauvaise foi apparaît, c’est l’action correctionnelle qui doit être intentée. — II est certain que le consommateur qui achète le « Champagne » vendu par R... croit acheter du vin de la Marne et non pas de l’Aube, puisque les vins de l’Aube sont conservés dans des locaux séparés ou vendus comme « Champagne 2e zone », par tous les autres négociants observateurs des prescriptions légales.
Le Tribunal Correctionnel de Reims ayant également refusé la remise, R... fit appel et les deux affaires vinrent devant la Cour de Paris le 2 janvier 1923. L’arrêt rendu le 18 janvier, tout en écartant l’exception d’incompétence de la juridiction pénale, accepta de surseoir à statuer jusqu’au moment où le droit à l’appellation
« Champagne » aurait été déterminé par la juridiction civile et l’affaire fût renvoyée au 5 juin pour être plaidée au fond [9]. La question a perdu évidemment de son intérêt immédiat qui était d’empêcher d’une façon absolue l’emploi de l’appellation « Champagne » avant la décision définitive sur les instances civiles engagées. Il n’en reste pas moins que la responsabilité pénale de ceux qui en font usage est toujours engagée, malgré le sursis à statuer admis par la Cour d’Appel.
Un étiquetage assez curieux fut employé pendant quelque temps par un négociant de la Marne. Ses vins de l’Aube, conservés dans un magasin séparé, étant inscrits à un compte « Champagne- Appellation Réservée », il tenta d’en faire l’expédition sous cette dénomination. Mais le Service de la Répression des Fraudes, estimant à juste titre que cette dénomination fallacieuse était de nature à tromper certainement l’acheteur, en interdit formellement l’usage.
Aussi vit-on apparaître ensuite une autre étiquette qui, cette fois, ne peut plus encourir le même reproche. Un médaillon porte : « AUBE ET MARNE, Appellation Réservée » et l’étiquette principale renferme la mention suivante : « Vin reconnu CHAMPAGNE par les Tribunaux de 1’instance. Cuvée spéciale d’AUBE ET MARNE.
APPELLATION RÉSERVÉE ».
Pratiquement, nous considérons surtout cette étiquette comme une curiosité et nous ne pensons pas que ce vin soit susceptible de porter préjudice au véritable « Vin de Champagne », car le consommateur au courant de la question comprendra tout de suite ce dont il s’agit ; quant au non-connaisseur ou à l’étranger, la longue mention d’origine, incompréhensible pour lui, ne l’incitera pas a faire confiance à ce produit. Mais en dehors de ces considérations pratiques, si nous examinons cette étiquette en nous référant à la loi, il ne semble pas possible de l’admettre sans la mention « Vin Mousseux » ou « Champagne 2e Zone ». Tout vin mousseux doit porter une indication. Peut-elle être dans l’espèce Champagne ? Nous pensons que non, contrairement à l’opinion soutenue par R... devant le Tribunal Correctionnel. Dans ce cas, l’étiquette doit obligatoirement porter, soit « Champagne 2e Zone », soit « Vin Mousseux », en caractères très apparents, la loi n’ayant pas prévu d’autre mention possible en l’espèce. Que la note explicative subsiste, cela paraît admissible, mais il ne faudrait pas cependant que le mot « Champagne » qui y est compris prit une importance exagérée qui vint contrebalancer celle de la désignation légale.
Est-il possible de faire du « vin de Champagne gazéifié » et comment peut-on rappeler [10]. C’est là une des questions qui s’est posée peu après la mise en vigueur de la loi du 6 mai 1919. Le texte de la loi ne prévoit pas formellement le cas ; rien ne semble donc interdire à un fabricant de gazéifier un vin de la Champagne délimitée en se soumettant aux règles édictées par la loi, quant aux comptes de régie et aux locaux séparés. Pourrait-il le vendre ensuite simplement sous l’appellation « Champagne » ou devrait-il dire « Champagne gazéifié » ?
Il est tout d’abord facile de se rendre compte, à la simple lecture de la loi du 6 mai 1919, qu’en ce qui concerne les vins mousseux, les articles 20 et 21 ne prévoient que les dénominations : « Champagne », « Vin mousseux » (pour ceux qui ne portent pas d’appellation d’origine) ou « Vin mousseux gazéifié ». Une loi seule pourrait en créer d’autres [11]. La question revient donc à examiner si le vin originaire de Champagne, rendu mousseux par la gazéification partielle ou totale, a droit à l’appellation « Champagne ». D’accord avec le Service de la répression des Fraudes (1), nous répondons catégoriquement non. Le vin de Champagne, en effet, n’est pas un vin quelconque, originaire d’une certaine région, c’est un vin mousseux spécial préparé suivant une méthode déterminée et conformément à des usages locaux, loyaux et constants, or le vin gazéifié à l’acide carbonique ne répond pas à ces conditions et ne peut donc prétendre à l’appellation « Champagne ».
L’article 5 de la loi du 22 juillet 1927, par sa définition du Vin de Champagne, exclut l’hypothèse de l’emploi de l’appellation « Champagne » pour du vin gazéifié, ainsi que pour du vin produit en cuve close.
Il résulte de commentaires ministériels qu’on ne peut donner à ces produits une désignation dans laquelle entrerait le mot « Champagne ».
Est-il possible de fabriquer du vin de Champagne en dehors de la Champagne ? La question peut sembler bizarre et oiseuse à ceux qui ont étudié la jurisprudence relative au vin de Champagne et les lois et décrets réglementant le droit à l’appellation ; et cependant elle a été soulevée dernièrement, au grand étonnement des intéressés. C’est qu’en effet la loi du 6 mai 1919, fixant les règles qui doivent présider à la délimitation nouvelle, a bien prescrit dans son article 16 l’emmagasinage dans des locaux séparés, mais n’a pas reproduit littéralement l’obligation de manutentionner entièrement en Champagne pour avoir droit à la dénomination. Or les textes antérieurs relatifs à la délimitation se sont trouvés expressément abrogés par l’article 24. Etant donné le silence de la loi nouvelle, les services de l’Administration des Contributions Indirectes se déclarent dans l’impossibilité de refuser l’ouverture d’un magasin séparé et l’acquit Champagne à des vins produits en Champagne et transportés hors de cette région pour y être manipulés et emmagasinés. Ils conviennent toutefois que le bénéfice de la présomption légale prévue par l’article 24 ne pourrait être invoqué [12].
D’après l’article 16 de la loi, l’autorisation d’ouvrir un magasin séparé ne peut être donnée qu’aux récoltants et fabricants ayant le droit de conférer à leurs vins mousseux l’appellation d’origine « Champagne ». Or, pour déterminer quels sont ces vins, il faut se reporter à l’article 1 de la loi : les conditions exigées sont l’origine et la conformité aux usages locaux, loyaux et constants. Le produit en question satisfait à la première condition ; la deuxième est-elle remplie ? L’examen des usages nous donnera la réponse : d’après les usages locaux, loyaux et constants, le mot « Champagne » est indicatif à la fois du lieu de production et de fabrication de certains vins mousseux spécialement connus sous cette qualification et on ne peut loyalement appliquer cette désignation qu’au vin mousseux spécial récolté et fabriqué dans la région de Champagne dans des conditions qui peuvent donner toute garantie au consommateur tant sur l’origine et les qualités du vin que sur la fabrication soignée par une main-d’œuvre spécialisée. Une jurisprudence constante a consacré ces usages ; le décret de délimitation de 1908 et la loi du 10 février 1911 n’ont fait que les confirmer :
« L’appellation régionale « Champagne » est exclusivement réservée aux vins récoltés et manipulés entièrement sur les territoires ci-après délimités (Décret du 17 déc. 1908, article I).
Pour bénéficier de la dénomination de « Champagne », les vins mousseux devront provenir des vendanges et vins qui auront été récoltés dans la Champagne délimitée et auront été « dans cette même région » emmagasinés, manipulés, et complètement manutentionnés dans des locaux séparés... » (Loi du 10 février 1911, article 2).
Si donc les usages locaux, loyaux et constants ne permettent pas de fabriquer le vin de Champagne hors de la Champagne, il n’est pas permis de donner cette appellation au vin transporté hors de la Champagne pour y être manutentionné et l’Administration est donc fondée à refuser l’ouverture d’un magasin séparé et la délivrance d’acquits « Champagne ». Celui qui vendrait comme « Champagne » un vin fabriqué dans de telles conditions, non seulement s’exposerait à l’action prévue par l’article 1 de la loi de 1919, mais encore tomberait sous le coup de la loi du 1er août 1905 pour tromperie sur la nature, l’espèce ou l’origine du produit. La loi de 1919 s’en est remis aux usages : les usages refusent le nom de « Champagne » au produit qui n’a pas été manipulé et entièrement manutentionné en Champagne.
Comment devra-t-on désigner un tel produit ? La loi française ne laisse aucun doute à ce sujet : le vin doit porter les mots « Vin mousseux ». Quant à reprendre dans le libellé de l’étiquette le mot « Champagne », cela ne semble pas possible, car ce serait conquérir d’une manière détournée l’appellation refusée.
— Fabrication hors Champagne ? — La nouvelle définition du Vin de Champagne dans la loi du 27 juillet 1927 supprime toute controverse et interdit complètement l’emploi de l’appellation « Champagne » pour un vin mousseux fabriqué avec des raisins de cette région, mais en dehors de la zone délimitée.
Les circonstances économiques ont amené ces dernières années les Champenois à écouler une partie de leurs vins en non-mousseux. Il semble alors nécessaire de faire connaître au public quel produit on lui offre, sans cependant rendre la confusion possible avec le vin mousseux de Champagne en en prenant le nom. Désireux de concilier tous les intérêts en jeu, le Service de la Répression des Fraudes a fait connaître qu’à son avis, les vins non-mousseux pourraient être présentés sous le nom de « Vin de la Champagne ». Cette solution est évidemment ingénieuse et nous espérons qu’elle sera satisfaisante en pratique ; en effet, le Champenois ne cherchera vraisemblablement pas à faire naître de confusion entre le vin non mousseux qu’il vend aujourd’hui et le vin mousseux qu’il offrira peut-être demain.
Mais il n’est pas possible de considérer cette désignation de « Vin de la Champagne » comme définitive et comme pouvant ; être employée dans tous les cas : la différence entre « Vin de la Champagne » et « Vin de Champagne » est tellement minime que l’initié seul peut la percevoir ; en tous cas, c’est certainement une nuance
qui échappera à l’étranger. La difficulté est certes beaucoup plus grande que celle qu’ont eu a résoudre les fabricants de vins mousseux de d’Anjou, de la Moselle ou d’autres pays pour désigner leurs vins sans emprunter
le mot Champagne.
— L’article 7 de la loi du 22 juillet 1927 permet aux vins non mousseux et non destinés à la fabrication du Vin de Champagne de circuler en dehors de la zone de production avec la mention « Vin originaire de la Champagne viticole », mais ils ne pourraient conserver cette désignation s’ils étaient par la suite rendus mousseux.
Le vin mousseux ordinaire fabriqué en Champagne
Les Champenois se trouvent bien gênés pour dénommer tout ce qui n’est pas « Champagne ». Comment
le négociant en vins mousseux de Reims ou d’Epernay devra-t-il mentionner son adresse sur l’étiquette ? Il est toujours à craindre que malgré la mention obligatoire « Vin mousseux » l’apparition des mots « Reims, Epernay » etc. permette à bien des acheteurs de croire qu’ils se trouvent en présence d’un vin y origine champenoise, l’article 12 du décret du 3 septembre 1907 a essayé de remédier a cet inconvénient, en exigeant dans les cas semblables que ces noms soient précédés d’une locution telle que « propriétaire à..., négociant à..., viticulteur à... etc. ». Nous craignons fort que cette mesure ne soit pas pleinement efficace ; en effet, qui n’est pas au courant de la réglementation française, ne comprendra pas le sens exact que comporte l’adjonction d’une telle mention, et la confusion avec le vin de Champagne restera parfois possible. En réalité, bien que la question ait été controversée, nous croyons que cette obligation inefficace instituée par l’article 12 du décret de 1907 a été abolie par la loi de 1919 : en effet, celle-ci a abrogé les règlements d’administration publique ayant statué en vertu de la loi de 1905 sur les mesures à prendre en ce qui concerne les appellations régionales ; or c’est bien dans cette catégorie que rentre le règlement de 1907. Mais le décret du 19 août 1921, dans son article 12, a supprimé toute discussion en reproduisant cette obligation.
Pour parer au danger de confusion qu’elle laisse cependant subsister, les intéressés étudient actuellement un projet d’inscription d’une mention « Vin non garanti d’origine », sur les étiquettes, factures, annonces, etc., qui se rapportent à un vin n’ayant pas droit à l’appellation « Champagne » et qui cependant porteraient l’inscription d’un nom de localité ou de cru champenois. L’étude des dispositions à adopter pour éviter d’une façon absolue toute possibilité de confusion entre le vin ayant droit à l’appellation « Champagne » et celui qui n’y a pas droit, est une tâche très ardue, si l’on veut respecter les droits de chacun et se garder de porter préjudice à des intérêts légitimes. C’est un des motifs pour lesquels la législation ne peut pas toujours suivre immédiatement les suggestions qui lui sont faites dans cet ordre d’idées, même lorsqu’elles apparaissent d’une valeur incontestable.
[1] J. 0. du 15-11-13. Sénat, séance du 14.
[2] Voir CLÉMENTEL, op. cit., p. 287.
[3] Ibid., p. 294 et 295.
[4] Recueil des textes, etc. Fasc. I., p. 29 et 32.
[5] Conclusions de Me MARCHANDEAU. Voir Eclaireur de l’Est du 30 mars 1922.
[6] Rapport JENOUVRIER, p. 38.
[7] Plaidoirie de Me MARCHAND EAU.
[8] Trib. Corr. de Reims, 1er avril 1922.
[9] Voir Presse rémoise des 19 et 20 janv. 1923.
[10] Les « Vins mousseux gagnés », aux termes de la réglementation française, sont les vins dont l’effervescence a été obtenue même partiellement, par addition d’acide carbonique ne provenant pas de leur propre fermentation et ils doivent porter cette dénomination sur l’étiquette (Loi du 6 mai 1919, art. 21).
[11] Le Service de la Répression des Fraudes, revenant récemment sur l’interprétation qu’il avait donnée antérieure ment, relativement à l’aromatisation des vins mousseux (voir infra, p. 191), a été d’avis qu’ils ne pouvaient porter la mention « Vin mousseux, mais « vin mousseux aromatisé », sans que cette mention soit obligatoire, car l’aromatisation serait considérée maintenant comme faisant perdre au produit la qualité de vin pour le transformer en dilution alcoolique, ce qui l’exonérerait des obligations d’étiquetage imposées aux vins. Nous ne pouvons cependant admettre qu’une simple décision administrative ait eu pour effet de créer, en dehors de la loi, une 4e mention d’étiquetage, aussi ne nous paraît-il pas possible, de donner à cette décision purement pratique la valeur d’un précédent, pour instaurer une mention « Champagne gazéifié ».
(1) Lettre du Service de la Répression des Fraudes, du 10 nov. 1919, au Directeur de la Station œnologique de Champagne, Vigneron de la Champagne » (Epernay) du 25-10-19).
[12] Cette interprétation a trouvé sa première expression dans la circulaire n° 1149, de la Direction Générale des Contributions Indirectes, en date du 1er avril 1920 (voir Recueil des principaux textes, etc., p. 10-IV : « Or, il convient d’observer que les décrets des 17 déc. 1908 et 25 mai 1909 imposaient l’obligation de manutentionner le Champagne et de distiller les vins, sur le territoire délimité : la présomption légale ne saurait donc être invoquée si cette condition n’est pas remplie.
La situation serait la même en ce qui concerne les vins auxquels le producteur entendrait appliquer l’appellation Champagne. Si, bien que récoltés dans la région délimitée par le décret du 17 déc. 1908, ces vins n’avaient pas été manutentionnés dans cette même région, l’emploi de ladite appellation serait soumis aux prescriptions d’emmagasinage séparé, édictées par l’article 17 de la loi ».