Les documents signalent la présence d’une sonnerie dans la cathédrale dès le XIVème siècle. L’horloge que nous voyons est plus récente (XVème) et n’est en place que depuis le XVIIème. En tournée pastorale dans les Ardennes en avril 1645, l’archevêque de Reims Léonor d’Etampes de Valençay, accompagné de quelques chanoines, s’arrêta à la Chartreuse du Mont-Dieu. C’est là qu’ils découvrirent cette horloge de belle taille, inutilisée parce que les religieux n’avaient pas les moyens de la réparer. Le chapitre de Reims en fit alors l’acquisition pour la somme de 1 000 livres. Son arrivée dans notre ville attira de nombreux curieux.
Il dut y avoir d’abord une restauration sommaire puis le 20 mars 1668 fut conclu un marché avec le serrurier Jean Leblanc pour l’établissement d’un nouveau mécanisme. Il en coûta 300 livres pour les trois mouvements nécessaires aux minutes, aux sonneries et à la lune. Le chanoine délégué à la surveillance des travaux n’était autre que François Maucroix (chanoine de 1646 à 1708), l’ami de La Fontaine et de bien d’autres poètes pas toujours très catholiques. Je ne sais s’il aimait entendre cette horloge à matines... depuis que je suis tombé par hasard sur ces cinq vers "Belle chanoinesse De Saint-Augustin Vous vous levez trop matin. Un peu de paresse Repose le teint."
L’horloge fonctionna bien pendant plus d’un siècle. En 1775, année du sacre de Louis XVI, l’horloger Homs la répara pour 500 livres. La Révolution l’épargna. En 1873, il fut demandé à l’horloger beauvaisien Vérité, créateur de l’extraordinaire horloge astronomique de cette ville, de remplacer complètement le mécanisme, couplé avec celui du carillon . L’ancien fut démonté et transféré dans les greniers de l’Hôpital Saint-Marcoul où il disparut pendant la Première Guerre Mondiale. L’horloge n’eut pas trop à souffrir du conflit ; au printemps 1918, on mit en lieu sûr le mécanisme et l’essentiel de la boiserie, ne laissant sur place que l’encorbellement et les deux côtés plats. Le coffre fut réparé pour les fêtes de 1938 et un mécanisme moderne, avec des poids remontant automatiquement par des contacts électriques, a été réalisé par la maison Ungerer de Strasbourg, celle-là même qui fit la réparation en 1988 (avec un mécanisme désormais indépendant du carillon ).
Les strasbourgeois sont des connaisseurs en matière astronomique et notre horloge est une horloge astronomique. Au-dessus du cadran, une sphère mobile, à moitié peinte en bleu nuit semé d’étoiles, à moitié argentée avec l’image d’un visage, indique les phases de la lune. L’année lunaire est déterminante pour le calendrier liturgique, le comput ecclésiastique, puisqu’on célèbre Pâques le dimanche qui suit la pleine lune après l’équinoxe de printemps. La date de Pâques fixe l’entrée en Carême d’une part, l’Ascension et la Pentecôte d’autre part, c’est dire son importance pour la vie de l’Eglise. Le buffet de l’horloge, orné de trilobes et de quadrilobes, surmonté de gâbles entourés de clochetons, appartient au style gothique rayonnant (hauteur 11m33 ; largeur 3m33).
"La musique ne cesse ni de jour ni de nuit à la cathédrale, car à chaque heure, à chaque demi-heure, un carillon sème dans l’atmosphère des airs sacrés ; avant que l’heure ne sonne, il annonce toutes les divisions de l’heure avec la voix argentine de ses petites clochettes, comme un portail tout fleuri d’ornements annonce et devance une cathédrale, comme une brillante colonnade précède un palais" ; ainsi s’exprimait l’archéologue Didron dans la Chronique de Champagne de 1838.
Depuis, les insomniaques de notre société stressée ont eu raison du carillon qui doit se taire la nuit. Grâce au Mécénat des Vignerons et Maisons de Champagne qui lui a rendu la voix, il continue à nous dire, chaque jour, que le temps appartient à Dieu, nous rappelle par ses hymnes le calendrier liturgique et invite les fidèles Rémois à s’associer à la prière célébrée dans la cathédrale.
D’après le chanoine Coquault, il y avait au XVIIème siècle un carillon d’intérieur, vraisemblablement associé à l’horloge. Il aurait été supprimé vers 1750 et mis à l’extérieur où il n’y avait qu’une cloche, Jacquette, pour donner l’heure et sonner l’ouverture et la fermeture des portes du cloître. En 1754 une nouvelle cloche fut fondue pour les heures, Jeanne-Françoise, du nom de Jean-François Rogier, lieutenant des habitants. Forte cloche d’1m33 de diamètre, elle devait être entendue jusqu’aux extrémités des faubourgs, de même que la cloche des demies, plus petite mais d’un son très perçant. D’autres clochettes constituaient un carillon installé dans la tour sud au-dessus des bourdons ; les poids pendaient entre les contreforts. Après l’abandon d’un projet de transfert dans le clocher à l’ange, le carillon fut installé en 1772, moyennant plus de 4 000 livres, à la croisée du transept, à la place d’une fleur de lys qui ne fut jamais refaite après l’incendie de 1481. La grosse cloche est encore aujourd’hui surmontée d’une boule de plomb vraisemblablement destinée, à l’origine, à porter une fleur de lys.
La Révolution détruisit ces symboles de l’Ancien Régime mais respecta le carillon au prix, certainement, d’un changement de répertoire... Des retaurations du XIXème siècle, il faut surtout retenir l’intervention de Vérité en 1873 qui mit le mécanisme du carillon en communication avec l’horloge intérieure. Le carillon ne survécut pas à la catastrophe du 19 septembre 1914 et ce que nous entendons actuellement est une reconstitution due à la générosité de John Rockefeller et à l’ingéniosité de la maison Ungerer. La grosse cloche des heures qui a gardé le nom de Jeanne-Françoise, est à peine plus petite que l’ancienne : 1m20 de diamètre, 1200 kg. Elle donne le mi. Sa petite sœur Clotilde donne à la demie le mi à l’octave (0,68 m, 200 kg).
La générosité de John Rockefeller