Œuvre d’Eric Glâtre de 2001
(actualisation UMC)
Grâce à un apport en capital de 47.366 francs fait par sa mère et à la caution que celle-ci donne pour garantir d’éventuelles dettes, Pol Roger peut officiellement constituer la maison de négoce en vins de Champagne Pol Rogeret Cie.
Au cours de ses premières années d’activité, Pol Roger*consacre toute son énergie à élaborer des vins de qualité, à des prix raisonnables, expédiés avec soin et accompagnés de recommandations pour la consommation. De solides principes commerciaux encore en usage aujourd’hui.
En dehors de la clientèle française et interna tionale qu’il se constitue peu à peu, Pol Roger produit des vins « tranquilles », des vins « sur lattes », et des vins dégorgés et dosés, pour le compte d’autres maisons de Champagne.
Organisation d’un comité militant pour la réélection du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte. Une campagne de pétitions initiée par les préfets bonapartistes réclame à cet effet une révision de la Constitution, ce que l’Assemblée législative refuse.
Devenu un excellent propagandiste du vin mousseux de Champagne, le futur Napoléon III, apparaît sur un dessin du Charivari, déguisé pour le bal costumé, et abordé par une danseuse qui lui dit : « Dis donc, beau masque, on dit que tu aimes à faire boire du champagne… en aurais-tu par hasard une bouteille sur toi ? »
Destitution du général Changarnier, alors qu’il a donné son appui au général Neumayer, limogé par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, pour avoir empêché certains régiments de crier « Vive l’Empereur ! », lors d’une revue militaire au camp de Satory le 10 octobre précédent.
Charles Camille Heidsieck, fils de Charles-Henri Heidsieck, qui était lui-même, comme son frère Henri Jean François Christian Heidsieck, neveu et associé de Florens-Louis Heidsieck, fonde la maison de négoce en vins de Champagne Charles Heidsieck, avec son beau-frère Ernest Henriot.
Fondation de la Compagnie des Messageries maritimes.
On est très content en Champagne de toute cette « propagande », même si ce n’est que dans l’imagination de Vernier, toujours lui, qu’a lieu dans le Charivari la remise au prince Louis-Napoléon Bonaparte « d’une épée offerte au nom de tous les marchands de vins de Champagne reconnaissants ».
Dans le Charivari, on fait dire au général d’Hautpoul, dans la soi-disant proclamation de sa prise de fonction comme gouverneur de l’Algérie : « Nous trouverons un Satory dans la Mitidja. J’arrive escorté de plusieurs navires chargés de caisses de champagne ».
Dans le Charivari, deux autres dessins de Vernier représentent l’un Louis-Napoléon Bonaparte en grand uniforme, tenant une bouteille de vin mousseux de Champagne et servant les soldats, l’autre un cuirassier ivre, avec une bouteille de vin mousseux de Champagne, salué par le prince-président qui, passant la revue, s’exclame en le voyant : « Honneur au courage malheureux ! ».
Pierre Edouard Renard-Chanoine est maire d’Épernay.
Dans le Charivari, sur une caricature de Vernier, au cours d’un banquet, un gradé, flûte en main, regarde le prince à travers une bouteille de vin mousseux de Champagne et voit... Napoléon Ier !
Dans le Charivari, Taxile Delors publie un article sur l’Empire Jacquesson, où on lit :
« C’est ici qu’éclate au grand jour la mission providentielle de Jacquesson.
« Il met le vin de Champagne à deux francs la bouteille. […] Le vin de Champagne […] verse maintenant dans la tête du piou-piou l’ivresse politique, […], nous aurons bientôt un César au vin de Champagne. […]
« L’empire est tiré, il faut le boire. Garçon faites sauter le bouchon ! ».
Cherchant à affermir son pouvoir personnel et à s’attacher l’armée, Louis-Napoléon Bonaparte entreprend une campagne de propagande sous forme de revues militaires passées à Versailles, plus précisément au camp de Satory, chacune des parades étant précédées d’une abondante distribution de vin mousseux de Champagne à la troupe, ainsi que le relate la presse de l’époque.
Le prince-président espère par là devenir aussi populaire auprès de l’armée que l’était son oncle et vaincre l’hostilité de certains officiers et sous-officiers ayant servi en Algérie.
Il n’y réussit que partiellement et cette initiative n’est pas du goût de tous le monde, mais elle a au moins le mérite de faire beaucoup parler du vin mousseux de Champagne.
Vote d’une loi restreignant le suffrage universel.
Vote de la loi Falloux, qui autorise l’enseignement confessionnel et congréganiste dans le primaire et le secondaire.
Avec le remariage de la veuve de Henri Jean François Christian Heidsieck avec Henri-Guillaume Piper, la maison Veuve Heidsieck devient « H. Piper et Cie », tout en continuant à vendre ses vins de Champagne sous le nom de « Veuve Heidsieck », puis de « Piper-Heidsieck ».
Délivrance d’un brevet royal signé de S.M. le Roi de Hollande confirmant à la maison Veuve Henriot Aîné le titre de « Fournisseur officiel de la Cour », privilège renouvelé par S.A.R. le Prince Frédéric de Hollande en 1881.
Première apparition de l’oïdium dans le vignoble de la Marne.
Les ressources de la Champagne en vins de bonne qualité mousseuse ne sont pas encore épuisées lorsque les producteurs, dans la deuxième moitié du siècle, se tournent vers d’autres régions viticoles susceptibles de les approvisionner à meilleur compte, avec des vins provenant de climats plus propices à la culture de la vigne (Bourgogne, Anjou, Midi, etc.) et dont le transport est moins onéreux depuis l’apparition du chemin de fer.
Légalement, rien ne s’oppose à cette politique qui, cependant, « nuit à la réputation des vins de Champagne et constitue une supercherie très répréhensible sur la nature, l’origine et la qualité de la marchandise livrée ».
Jusqu’au Second Empire, le mot « champagne » ne figure généralement pas sur l’étiquette. On utilise le nom d’un cru prestigieux « Ay » ou « Aï », ou même « Aÿ », « Sillery », « Verzenay », « Bouzy », suivi de « mousseux » ou de « grand-mousseux », comme par exemple « Sillery mousseux ». On trouve même « Aï Royal Fleur de Sillery mousseux ».
C’est une étrange habitude, si on pense que le contenu de la bouteille n’a le plus souvent rien à voir avec le terroir en question et qu’il peut être à la limite, comme on vient de le voir, du vin provenant de l’Anjou ou du Midi.
Les vins rouges tranquilles constituent encore les 2/3 de la production vinicole champenoise, et on en exporte toujours, notamment en Belgique et dans les provinces rhénanes. Mais leur déclin va s’accentuer rapidement.
Désormais, le vigneron champenois a deux possibilités de céder sa récolte. Dans son Etude des Vignobles de France pour servir à l’enseignement mutuel de la viticul ture et de la vinification françaises, le Dr Jules Guyot les décrit ainsi :
« 1. Vendre du raisin de choix, en caques ou en paniers ; la livraison s’en fait à la vigne même, aux agents des maisons de commerce, elle se fait au poids, ce qui est de beaucoup préférable, et non sujet aux variantes et aux fraudes de la vente en volume.
« 2. Pressurer soi-même les raisins, débourber les moûts, les mettre en barrique, y laisser faire les vins, ouiller, coller, soutirer et soigner, puis attendre le meilleur moment pour vendre ».
Il ajoute cependant que « quelques-uns se risquent à faire un tirage, pour le céder tôt ou tard aux grandes maisons, qui dégorgent, opérent et vendent ».
Début de l’utilisation d’une sorte de muselière en fil de fer appelée « agrafe de tirage », posée par une machine à agrafer. C’est l’origine du muselet utilisé aujourd’hui pour le bouchon d’expédition.
En pays anglo-saxons, et plus particulièrement en Angleterre, il se crée une demande pour le vin mousseux de Champagne « sec », peut-être parce que le vin mousseux de Champagne s’y boit tout au long du repas.
Dans ses Confessions - Souvenirs d’un demi-siècle, Arsène Houssaye, alors directeur de la Comédie-Française, se souvient des « Entr’ actes de la Comédie de Molière », fort arrosés en vin mousseux de Champagne :
« Dumas […] dit qu’il ferait les « Entr’actes de la Comédie de Molière » en une nuit, pourvu que je fusse là avec Meurice et Verteuil. […] Nous commençâmes la fête à huit heures du soir, il y eut un souper à minuit. Dumas avait d’abord demandé des femmes, mais les fem mes ne vinrent pas. Le souper n’en fut pas moins gai, le vin de Champagne raviva la verve. A peine à table, c’était à qui trouverai une scène ou un mot. Verteuil avait son encrier à côté de sa coupe de vin de Champagne ; il lui arriva plus d’une fois de tremper sa plume dans la coupe, mais il ne lui arriva point de prendre son encrier pour y boire. ».
M. Belin, banquier, est maire de Reims.
Introduction de la peigneuse Heilmann à Reims.
Conflit entre les maisons Jacquesson et Fils et Moët & Chandon portant sur l’origine des vins mousseux de Champagne et la bonne foi commerciale.
Alors qu’à l’époque, la bouteille de vin mousseux de Champagne de bonne marque, cuvée normale, se vend ordinairement 3,50 francs, la maison Jacquesson et Fils, suivi par quelques autres négociants, décide de la vendre 2,25 francs.
La maison Moët & Chandon fait publier dans la plupart des grands journeaux un avertisse ment ainsi rédigé : « Les prétendus vins de Champagne à 2 francs ne serviront qu’à faire mieux ressortir la qualité des vins vrais des bonnes maisons, comme celle entre autres de MM. Moët & Chandon ».
Adolphe Jacquesson riposte par le biais d’un article d’une demi-page dans le Charivari du 12 janvier 1850. Il y reprend toute l’affaire, affirme acheter et vendre plus de trois fois autant de vrais vins de Champagne que la maison Moët & Chandon, et explique l’écart entre les prix de vente des deux maisons par les bénéfices exagérés de MM. Moët & Chandon et de leurs agents.
Arguant d’une différence d’origine des vins, la maison Moët & Chandon réplique dans le même journal, dont les rédacteurs, dans cette dispute, trouvent matière à chroniques savoureuses.
A cette occasion, Victor Fièvet rapporte dans son Histoire de la ville d’Épernay, depuis sa fondation jusqu’à nos jours, que « le champagne se mit à couler à pleins bords aux pieds de Louis Bonaparte ; Avize, Oger, Le Mesnil, Épernay, Sillery, Ay, Mareuil, Dizy, Pierry et Hautvillers offrirent à l’illustre visiteur la fine fleur de leurs bouteilles mousseuses. »
Après avoir visité les caves de la maison Moët & Chandon, conduit par le premier magistrat de la ville et le maître de céans, « le Président daigna dire […] : « Trois choses essentielles ont manqué au génie et à la gloire de mon oncle. Il n’a pas connu l’éclairage au gaz ; il a repoussé l’application de la vapeur ; il a dédaigné le vin de Champagne. »