On rencontre des gens qui ont une suspicion de principe contre les champagnes autres que bruts sous le prétexte spécieux que le sucre peut servir à camoufler des petits vins. On pourrait leur rétorquer que si le résultat est bon, cela prouve simplement que le chef de cave a bien exercé son art. Il est vrai, comme le dit Maurice Hollande, que dans un vin brut, pas de tricherie possible. Le choix des crus, l’harmonie de leur mélange, les soins apportés au travail des vins sont les seuls éléments dont puisse jouer le producteur [1]. Mais il n’y a aucune raison de croire que ce dernier n’a pas le même souci pour ses secs et ses demi-secs, ce qui est confirmé le plus souvent par l’expérience ; et Cyril Ray a raison d’écrire : Le champagne très dosé n’est en aucun cas un produit inférieur [2].
Il peut arriver certaines années, lorsque le vin est riche et peu acide, que la plupart des producteurs ne le dosent pas. Ce fut le cas en 1964, mais c’est exceptionnel. Il existe par contre sur le marché quelques champagnes systématiquement préparés sans dosage, choisis en principe parmi des cuvées de faible acidité et d’âge déjà ancien. Destinés à quelques amateurs au goût orienté vers ce type de vin, ou vendus comme cuvées spéciales, ils sont étiquetés selon la fantaisie du producteur, brut de brut, brut extra, brut intégral, brut sauvage, brut zéro, extra-brut, ultra-brut, brut absolu...
Le sucre est mis dans la bouteille sous forme de liqueur de dosage, appelée aussi liqueur d’expédition, composée de vin de Champagne et de sucre. Au XIXe siècle, on l’a vu, on la préparait avec des vins vieux car on redoutait une troisième fermentation. On estime maintenant cette crainte non fondée et Salleron a en effet démontré que la forte proportion de sucre empêche les ferments d’être actifs. On préfère généralement prendre des vins de la cuvée pour ne pas rompre son équilibre par l’introduction de vins étrangers, suivant en cela Chappaz qui a écrit : L’idéal est à notre avis de préparer la liqueur d’expédition arec le même vin que celui qui emplit les bouteilles. Ainsi on est certain de ne rien modifier au bouquet futur du champagne, ni à sa constitution [3]. Le sucre est toujours de la meilleure qualité ; on emploie le plus souvent du sucre candi de canne, en maillette ou en chapelet. Il est interdit d’ajouter à la liqueur des ingrédients d’origines diverses, comme cela se faisait au siècle dernier. L’addition d’alcool, d’eau-de-vie ou d’esprit-de-cognac est seule autorisée dans des limites définies par les prescriptions communautaires ; encore cela se fait-il très peu.
La quantité de liqueur à incorporer est calculée par le chef de cave ; comme on vient de le voir, elle peut varier, tout en restant nécessairement dans le cadre de la réglementation. Celle-ci étant établie en grammes par litre, c’est sous cette forme que de plus en plus on énonce le dosage d’un champagne, ce qui est certainement plus précis que de donner, comme on le faisait auparavant, le pourcentage d’une liqueur dont on ignorait si elle était préparée à 625 grammes ou à 750 grammes de sucre par litre. A titre d’indication, le dosage conforme à la réglementation communautaire avec une liqueur à 625 grammes est approximativement le suivant : brut 2 % maximum ; extra-dry entre 1,5 et 2,5 % ; sec entre 2 et 4 % ; demi-sec entre 4 et 6 %.
Après la pose du bouchon, la liqueur est mélangée avec le vin par poignettage ou, sur chaîne, par agitateurs, et les bouteilles sont l’objet d’un contrôle par mirage. Entre le dégorgement et le dosage s’intercale le chopinage qui a pour but d’enlever de la bouteille le trop de vin, s’il y a lieu, ou de la compléter, si nécessaire, de manière qu’après l’introduction de la liqueur elle soit remplie à 75 centilitres.
Toutes les opérations qui viennent d’être décrites se font dans des chantiers de dégorgement manuels, analogues à ceux du XIXe siècle mais avec des machines perfectionnées, ou automatiquement sur la chaîne de dégorgement.