UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les particularités œnologiques du champagne

1. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMPAGNE

Le vin est un véritable laboratoire de biochimie. Il comporte plusieurs centaines de constituants, dont beaucoup sont d’ailleurs encore mal connus. Il ne peut être question de donner ici la composition complète et détaillée du champagne, elle remplirait à elle seule un volume ; il convient cependant de mentionner l’essentiel de ses caractéristiques.

* A. CONSTITUTION GÉNÉRALE

Il faut en moyenne 1,150 kg de raisins pour faire une bouteille de champagne, mais jusqu’à près de 1,500 kg s’il s’agit d’un vin dans lequel entre exclusivement de la cuvée. Au stade du pressurage on trouve dans le moût 70 à 80 % d’eau, 17 à 20 % de sucres et 5 à 10 % de substances diverses. Le champagne, comme tous les vins, est une solution hydro-alcoolique, mais avec des constituants qui lui sont propres, soit en nature, soit en quantité.
Dans un litre de champagne terminé, on trouve environ, pour l’essentiel : 93 g d’alcools ; 1 à 36 g de sucres (glucose et lévulose) ; 4 à 10 g d’acidité totale (exprimée en grammes d’acide sulfurique) ; 5 à 8 litres dissous de gaz carbonique ; 16 à 22 g d’extrait sec8, dont 2 g d’origine minérale (environ 200 à 600 mg de potassium, 20 à 60 mg de calcium, 10 mg de magnésium, 4 mg de fer, et de très petites quantités de cuivre, de zinc et de manganèse), des tanins en quantité infime, très peu de matières pectiques et de gommes ; 200 à 700 mg de matières azotées, dont de nombreux acides aminés ; comme dans tous les vins une dizaine de vitamines, pour la plupart du groupe B, dont par ordre d’importance la nicotinamide, l’acide pantothénique, la pyridoxine et la riboflavine ; une douzaine d’esters qui participent à l’arôme secondaire9 ; 40 à 60 mg d’anhydride sulfureux, antiseptique, dont 37 à 55 mg combiné et 3 à 5 mg libre. La densité du champagne (rapport de la masse de son volume à 20° à la masse du même volume d’eau à la même température) oscille entre 990 et 1005, selon son titre alcoométrique et son dosage en sucre.

B. LES ALCOOLS

Le titre alcoométrique du champagne est habituellement voisin de 12 %. Il est inférieur à celui des vins de Bourgogne qui varie généralement pour les grands crus entre 12,5 % et 13,5 %, mais supérieur à celui des vins de table français dont le titre moyen est de 11 %. C’est l’éthanol (alcool éthylique) qui représente l’essentiel des alcools du champagne. C’est un constituant fondamental car il apporte la vinosité, le corps, et de plus il joue un rôle capital dans la conservation du vin.
De nombreux autres alcools existent en petite quantité dans le champagne. Le plus important d’entre eux est le glycérol qui, par sa saveur sucrée, apporte au vin du moelleux. Il y en a d’autant plus que le moût est originellement plus sucré. Dans le champagne la teneur en glycérol est d’environ un dixième de celle de l’ensemble de ses alcools. On y trouve aussi un peu de butylène glycol qui contribue également au moelleux, et des quantités très faibles de propanol et de butanol. Le champagne a seulement en moyenne 50 mg par litre de méthanol, alors que certains vins rouges en ont normalement jusqu’à 200 mg. Cet alcool n’est autre que l’alcool de bois. Nocif en quantités importantes, il provient des matières solides de la vendange, des pellicules en particulier, ainsi que d’orne hydrolyse des pectines des membranes intercellulaires de la pulpe. Or celles-ci sont peu affectées par le pressurage champenois qui, en outre, comme on l’a vu, n’entame pas les pellicules. Le champagne est le seul vin dont les raisins ne sont jamais foulés exception faite de certains rosés, qu’il s’agisse de leur transport ou de leur pressurage, et ce dernier est particulièrement rapide ; il a de ce fait la macération la plus faible qui soit. Cela a permis à P. Françot et à P. Geoffroy d’écrire dans le Vigneron champenois d’octobre 1956 que des essais nombreux et variés permettent d’affirmer que les vins blancs de cuvée de Champagne représentent dans la gamme des vins mondiaux ceux dont la teneur en méthanol est la plus faible. On doit noter que le méthanol se trouve en quantité légèrement plus élevée dans les tailles que dans la cuvée, et qu’il y en a davantage dans le champagne rosé mais encore très peu par rapport aux vins rouges.

C. LES ACIDES

Les acides organiques sont les constituants essentiels du vin avec les alcools, avec lesquels ils se combinent pour donner naissance aux esters et aux parfums. Ils se divisent en acides fixes et acides volatils, l’ensemble exprimant l’acidité totale.
Les acides fixes du champagne sont l’acide tartrique, l’acide malique, l’acide citrique, l’acide lactique et l’acide succinique10. Les trois premiers proviennent du moût et les deux derniers des fermentations.
L’acide tartrique et ses dérivés conditionnent l’acidité du milieu. L’acide malique, nécessaire pour la fraîcheur du vin, est responsable, s’il est en quantité exagérée, de sa verdeur, de son goût acerbe et acide à l’excès. L’acide citrique, en très petite quantité dans le champagne, n’a pas d’influence marquée sur son caractère. L’acide lactique, moins agressif que l’acide malique, peut lui être partiellement substitué, on le sait, par la fermentation malolactique. L’acide succinique concourt à la saveur vineuse du champagne, c’est l’acide qui a le plus de goût.
Les acides volatils sont de différentes natures, mais c’est l’acide acétique qui constitue presque entièrement à lui seul l’acidité volatile. Celle-ci est indispensable à la stabilité du vin, à son bouquet, mais si elle est excessive elle devient un désordre ; elle est alors responsable de la saveur piquée des vins aigres ou en passe de le devenir.
La fraîcheur que l’on recherche dans le champagne nécessite une certaine acidité qui ne doit cependant pas être excessive, sous peine de donner un vin dur, aigrelet, désagréable à l’ingestion et à la digestion. Elle se traduit par un pH11 peu élevé, en général voisin de 3. L’acidité totale du champagne, presque entièrement constituée par l’acidité fixe, est d’environ 4 à 10 g/1. L’acidité volatile ne dépasse pas 0,4 g/l. L’acidité est plus faible dans les tailles que dans la cuvée et la différence se retrouve dans les vins terminés en fonction de leur constitution. L’acidité contribue à la conservation des vins. Avec le temps elle diminue faiblement et très lentement, mais elle se combine de plus en plus intimement avec les autres éléments du vin, devenant ainsi de moins en moins perceptible. Une cuvée qui paraît quelque peu agressive en fin de vinification exaltera les constituants aromatiques du vin et donnera un excellent champagne de longue garde.
Lorsque l’acidité est insuffisante, ou excessive, elle peut être modifiée, dans les limites fixées par la réglementation communautaire : acidification à l’acide tartrique ou désacidification au tartrate neutre de potassium ou au carbonate de calcium. La réglementation communautaire autorise aussi l’emploi du bicarbonate de potassium, utilisé dans la plupart des vignobles car il permet d’obtenir une désacidification plus rapide qu’avec les autres produits. Mais après expérimentation en Champagne, le bicarbonate de potassium a été déconseillé par la Commission technique du C.I.V.C. comme susceptible de transformer le caractère des vins. C’est un bon exemple de la prudence et de la conscience dont font preuve les professionnels champenois vis-à-vis de toute innovation technique.
Il est également possible d’ajouter aux vins de l’acide citrique à la dose limite de 0,5 g/l et sous réserve que sa teneur finale, compte tenu de celui qui est naturellement dans le vin, ne dépasse pas 1 g/l. Cette opération, qui intéresse le caractère organoleptique du vin, ne fait pas partie de l’acidification aux termes de la réglementation.

* D. LE GAZ CARBONIQUE

Le gaz carbonique joue un rôle dans la fermentation du champagne en accentuant le développement des arômes, et dans sa conservation par une action réductrice qui aide à sa stabilisation et par une action dissolvante très favorable au maintien de la transparence du vin  [1]. Il a en outre, à la dégustation, un effet multiplicateur sur ses caractères organoleptiques. Sa fonction essentielle reste cependant la formation de la mousse du champagne, qui, pour être suffisamment abondante, nécessite son parfait état d’équilibre avec le vin ainsi qu’une pression élevée. On a vu qu’à la fin de la deuxième fermentation la pression atteint normalement 5,5 à 6 atmosphères, à la température de 10° centigrades, et que, la pression diminuant d’environ une demi-atmosphère lors du dégorgement, au moment de l’expédition elle est de l’ordre de 5 à 5,5 atmosphères. Dans le cas où la fermentation malolactique se ferait en bouteilles, il en résulterait une augmentation de pression d’environ une demi-atmosphère.
La pression varie avec la température, augmentant avec la chaleur et diminuant avec le froid. En ce qui concerne le champagne, la variation est d’environ 1 atmosphère par 10° centigrades de différence. Dans certains cas, extrêmement rares, la chaleur peut faire éclater les bouteilles, mais seulement si celles-ci sont défectueuses puisque l’on sait qu’elles peuvent normalement supporter 12 atmosphères ; le fait s’est produit aux îles Fidji, quand ont éclaté 2 des 3 mathusalems commandés pour le couronnement d’un potentat local. La pression varie aussi avec l’altitude, plus vite au voisinage du sol que dans les couches d’air plus élevées. A 3 000 mètres, elle est diminuée d’un tiers ; à 2500 mètres, altitude de pressurisation des long-courriers, elle est de 4 atmosphères seulement pour un champagne dont la pression au niveau du sol, à 10° centigrades, serait de 5,5 atmosphères. Par contre, dans les profondeurs marines le poids de la mer s’ajoute à la pression atmosphérique.
Comment se forme la mousse au débouché de la bouteille ? A la pression de 5 atmosphères, le champagne contient en dissolution 5 fois son volume de gaz carbonique12. Le gaz, écrit Maumené, est retenu par la viscosité du liquide, et cette viscosité ne peut être vaincue que par des actions mécaniques assez violentes. C’est ainsi que si on frappe d’un coup sec et énergique le fût d’une bouteille qui vient d’être débouchée, le champagne s’élève en gerbe jusqu’au plafond. Mais on obtient aussi de façon plus modérée le dégagement du gaz carbonique en versant le champagne dans un verre, car la pression devient beaucoup plus faible par son égalisation avec l’air. Le gaz quitte de toutes parts le liquide, où sa dissolution était exagérée, on le voit paraître en bulles innombrables qui s’élèvent et on assiste à la production à la surface du verre, comme le décrit joliment Salleron, d’une couche crémeuse longtemps prolongée et qui se résout, enfin, en un anneau de perles s’égrenant le long de la circonférence de la flûte [2]. Il faut enfin noter, sur le plan de l’anecdote scientifique, que Maumené a établi que le dégagement de la mousse est favorisé par le son de certains instruments de musique, avec un effet très manifeste toutes les fois que les vibrations s’accordent avec celles que le verre peut produire.
Lorsque la température augmente, le gaz carbonique devient moins stable car, comme tous les gaz, il est moins soluble à chaud qu’à froid. Il a donc tendance à s’échapper plus vite, la réciproque étant vraie lorsque la température diminue : dans un seau à glace, une bouteille de champagne débouchée et non agitée retient son gaz. Il y a également une forte libération de la mousse en altitude, la baisse de pression rompant progressivement l’équilibre qui s’était formé dans la bouteille entre le viii et le gaz carbonique à la pression normale. C’est pour cela que la mousse est plus abondante lorsque les bouteilles de champagne sont débouchées dans un avion. Par contre, dans un bathyscaphe la pression accrue empêche le gaz carbonique de se libérer et le champagne ne mousse plus.
Une fois le champagne dans le verre, la formation des bulles exige au point de départ une surface active, particule ou paroi, germe ou rayure du verre  [3]. On verra au chapitre 14 que celui-ci, par sa constitution, sa forme et certaines particularités de son entretien, change parfois totalement les données de la formation de la mousse et du dégagement du gaz carbonique.

2. LES DIFFÉRENCES DE NATURE ENTRE LE CHAMPAGNE ET LES AUTRES VINS MOUSSEUX

Les vins mousseux, champagne compris, ont une seule chose en commun, le gaz carbonique. Ils présentent par contre de nombreuses différences qui sont toutes, est-il besoin de le dire ? à l’avantage du roi des vins. Alexis Lichine a proclamé que le champagne est évidemment de loin et de beaucoup le meilleur vin blanc mousseux  [4] et Michael Broadbent précisait, dans le numéro de novembre 1980 de The Connoisseur, que seulement un très petit nombre de bons vins mousseux commençaient à rivaliser avec la qualité d’un champagne non millésimé décent, aucun d’entre eux n’égalant la finesse d’un classique champagne millésimé.
N’est pas champagne qui veut et, pour bien le comprendre, il est nécessaire de passer rapidement en revue les différentes méthodes d’élaboration des autres vins mousseux qui sont les suivantes :
Méthode rurale. Partant du moût non fermenté ou mi-fermenté, la prise de mousse a lieu en bouteilles sans adjonction de liqueur de tirage. Le dépôt est éliminé généralement par filtration ou transvasement, parfois par dégorgement ; il arrive aussi qu’il soit conservé dans la bouteille. On n’utilise pas de liqueur d’expédition.
Méthode champenoise. C’est la deuxième fermentation dans la bouteille avec séjour minimum sur lies de neuf mois et dégorgement, rien de plus, rien de moins en ce qui concerne la définition ; les mousseux méthode champenoise sont donc astreints à l’observation d’une partie seulement de la réglementation à laquelle est soumise la production du champagne.
Système transfert. Le vin est fermenté en bouteilles puis le dépôt est éliminé par filtration stérilisante et transvasé dans d’autres bouteilles.
Méthode Charmat. La seconde fermentation se fait dans des cuves métalliques fermées, de grande capacité, d’où le nom de méthode cuve close donné au procédé. Le vin est ensuite filtré, transvasé dans une autre cuve puis mis en bouteilles une fois terminé. Cette technique peut être utilisée en continu dans des usines entièrement automatisées pouvant produire jusqu’à 100 millions de bouteilles par an.
Gazéification. La mousse est obtenue par une simple addition au vin de gaz carbonique industriel, selon un procédé de fabrication analogue à celui de la limonade.
Indépendamment du fait que les trois derniers procédés ont l’inconvénient de faire subir au vin des manipulations énergiques auxquelles il n’a rien à gagner, il existe entre le champagne et tous les autres vins mousseux des différences qui sont les suivantes :
1. Ce n’est pas le même vin de base, ce n’est donc pas le même vin mousseux. Cela peut sembler une lapalissade, mais c’est essentiel et on l’oublie trop souvent. Un vin de Bordeaux méthode champenoise est un bordeaux, un champagne est un champagne. La prise de mousse convient merveilleusement aux vins de Champagne, tout en finesse et en subtilité, avec des parfums discrets et délicats, tandis que des vins aux arômes puissants donnent des mousseux souvent lourds et grossiers.
Dans la grande majorité des cas, les vins utilisés pour faire les mousseux sont de petit mérite. En Champagne, on a toujours pris ce qu’il y avait de meilleur pour faire le champagne puisque dès l’origine les vins gris qui lui étaient destinés étaient faits avec les cépages les plus fins, et considérés comme le nec plus ultra des vins de Champagne. On peut lire dans le Vigneron champenois de 1878 : La Champagne viticole, lors de bonnes vendanges, ne fait pas de vin rouge. Le vin blanc dit de cuvée est destiné à faire le mousseux. Et a contrario on voit dans les notes de Malavois de la Ganne qu’en 1738 certains vins n’avaient à cause de la sécheresse acquis que de la verdeur, ce qui a obligé à ne faire à Epernay que du vin rouge. Ailleurs, mis à part quelques rares crus de méthode rurale comme Limoux, Die ou autrefois Asti, quand on a commencé à faire du mousseux, c’était généralement pour tirer parti de vins qui se vendaient mal parce que de qualité insuffisante. Dans certains cas, une partie des vins destinés à devenir mousseux peuvent être issus de moûts concentrés ou être de provenance étrangère, alors que le champagne est produit à 100 % avec des vins de Champagne. Un sekt allemand dit d’origine peut être légalement fait avec seulement 85 % de vins de sa région d’origine.
2. La prise de mousse du champagne se fait toujours lentement. Tandis que dans les caves champenoises la prise de mousse dure deux à trois mois, pour les mousseux elle est plus rapide, car elle est faite à température plus élevée. Par voie de conséquence les bulles du champagne sont plus fines et leur dégagement persiste plus longtemps dans le verre, car la combinaison du gaz carbonique et du vin est plus intime, et cela même si des progrès sont survenus depuis que Trimm écrivait, en 1866, que les mousseux autres que le champagne se caractérisent par la disparition immédiate de la mousse, qui a l’air de se sauver du vase comme un complice terrifié [5]. Certains mousseux de qualité sont parvenus à une honorable finesse de bulle, mais on en trouve encore beaucoup dont la mousse est formée de ces yeux de crapaud que l’on redoutait tant autrefois en Champagne, lorsque la maîtrise de la deuxième fermentation n’avait pas encore été atteinte, et qui, dans les années dix-huit cent dix, faisait écrire à M. Bohne, dans une lettre à Mme Clicquot : Chose terrible qui se lève et se couche avec moi, les yeux de crappeaux. J’aime les grands yeux partout excepté dans le vin de Champagne. Veuille le ciel nous préserver de leurs effets destructeurs [CARAMAN CHIMAY (Princesse de.). Madame veuve Clicquot Ponsardin.Sa vie, son temps. Reoms, 1956.]]. Le bruit produit par le dégagement des bulles dans le verre est beaucoup plus léger avec le champagne qu’avec d’autres vins mousseux et l’expérience prouve que l’on peut, simplement en portant son verre à l’oreille, distinguer la mousse du champagne de celle d’un mousseux cuve close ou, a fortiori, gazéifié.
3. Le vieillissement sur lies du champagne est prolongé alors que celui des mousseux est court ou même inexistant. Le champagne reste pratiquement sur lies 2 à 5 ans et même davantage. Pour les vins mousseux de qualité, la réglementation communautaire n’impose qu’un séjour sur lies de 4 mois, réduit à 21 jours pour ceux qui sont produits en cuves closes munies d’un dispositif d’agitation ; et dans la pratique les durées dépassent rarement les minima imposés. Quant aux vins mousseux n’ayant pas de qualification, aucune obligation n’est prévue en ce qui concerne le séjour sur lie. Il en résulte que la restitution par les levures au vin des matières azotées, arômes, vitamines, qu’elles lui avaient empruntées en début de fermentation, dure longtemps dans le champagne, dont elle assure une augmentation sensible de la qualité, alors que pour les autres mousseux elle est abrégée, voire nulle.
En conclusion, comme l’indique l’Encyclopedia Britannica, le champagne, quand il est bon, est certainement meilleur que tout autre vin mousseux peut espérer l’être ; il demande davantage de soins, il estf ait avec de meilleures grappes, de mélanges de vins plus délicats et mieux appropriés à la prise de mousse.

3. LES CARACTÈRES ORGANOLEPTIQUES DU CHAMPAGNE

Bien qu’il y ait, comme on le sait, plusieurs catégories de champagne, on se plaît à leur reconnaître, à la dégustation et à l’analyse, des caractéristiques organoleptiques communes. On peut les définir comme suit, avec l’aide de citations empruntées à une étude de P. Françot et P. Geoffroy, déjà citée, parue en octobre 1956 dans le Vigneron champenois.

A. CARACTÉRISTIQUES VISUELLES

a. La limpidité

Le champagne est d’une limpidité irréprochable. Lorsqu’il est parfaitement élaboré, ce qui est le cas le plus fréquent, il présente même une transparence cristalline.

b. La couleur

La teinte champagne se situe dans la gamme des jaunes avec des nuances variables. A l’origine, la cuvée de Pinot noir est jaune d’or, celle de Meunier présente un léger fond rosé et celle du Chardonnay est jaune verdâtre. Ces couleurs s’estompent et s’harmonisent dans les opérations d’assemblage et de vinification ; le résultat diffère donc selon les champagnes, et cela d’autant plus que la mode influence, comme pour les autres vins, le choix de l’élaborateur. Maurice Constantin-Weyer l’avait très bien vu en 1932 lorsqu’il écrivait : On peut discuter à l’infini de l’œil du vin de Champagne, entendez par là de sa couleur. De l’ambre à l’or pâle, les robes du champagne lui sont imposées par la mode  [6]. En fin d’élaboration, les champagnes sont dans leurs ensembles plus clairs aujourd’hui qu’autrefois. L’âge a pour effet de les foncer en les rapprochant graduellement du jaune doré pour le champagne de Pinot noir, de la même couleur mais plus accusée pour celui fait de Meunier, du vert jaune pour le blanc de blancs. Le champagne rosé est en général rose orangé.

c. La tenue de mousse

La tenue de mousse a une importance beaucoup plus grande que la couleur pour les professionnels et les adeptes du champagne. Celui-ci, comme on a déjà eu l’occasion de le noter, a normalement une mousse généreuse, extrêmement fine, avec formation dans le verre de véritables petits chapelets de bulles très ténues, dont l’ascension relativement lente se renouvelle sans cesse.
Une mousse prompte à s’apaiser, aux bulles trop clairsemées, est le signe d’un champagne qui, pour une raison d’âge ou de conservation, a perdu une bonne partie de son gaz carbonique, comme l’indique aussi l’absence du cordon de mousse. Celui-ci doit se former en collier le long de la paroi du verre, pour autant que le champagne n’y a pas été versé de trop haut, et y subsister longtemps, sans toutefois y demeurer définitivement, ce qui serait le signe d’une anomalie due au verre. Une mousse trop abondante est généralement le fait d’un vin manquant de distinction, de qualité. Il faut savoir que c’est le pétillement, et non la débauche de mousse, qui caractérise le champagne ; comme le note fort justement Emile Peynaud, on juge la qualité d’un vin mousseux à la finesse et à la persistance du dégagement, à la tenue du cordon (481).

B. CARACTÉRISTIQUES ODORANTES

a. Les arômes

L’arôme, que l’on appelle souvent en Champagne le parfum, est influencé par tous les facteurs qui président à la naissance du raisin et à l’élaboration du vin, mais il dépend surtout de la nature du ou des cépages. Les vins de Chardonnay présentent un arôme discret, spécifique ; on dit que les blancs de blancs chardonnent. Le Pinot noir imprime à ses vins un parfum plus charpenté, plus vieux. Quant aux vins de Meunier, leur arôme est plus fruité mais s’estompe avec le temps.

b. Le bouquet

Les arômes disparaissent généralement après plusieurs années pour laisser place au bouquet, arômes et bouquet coexistant pendant quelque temps. Dans les vins d’assemblage, les arômes se fondent dans le bouquet qui, dans le champagne, se trouve donc être une caractéristique essentielle de la marque. Alors que les arômes du champagne diminuent progressivement à la faveur du vieillissement, pour le bouquet, fruit de nombreuses et complexes réactions chimiques internes, on assiste à son développement régulier aboutissant à un optimum au bout d’un nombre d’années variable selon la nature des vins, au-delà duquel il s’amenuise progressivement jusqu’au moment où on considère que le vin est passé. Le beau bouquet d’un champagne à son apogée est parfois qualifié par des dégustateurs anglo-saxons de bouquet de levure (yeasty bouquet), ce qu’ils expriment comme un hommage à l’excellence du vin. C’est incompréhensible pour les Champenois, pour qui ce terme est péjoratif car, pour eux, le goût de ferment est un défaut provenant d’un éclatement des cellules de levures, d’ailleurs rarissime dans les champagnes mis sur le marché.

c. La fraîcheur d’odorat

Parler comme on le fait souvent de la « légèreté » du champagne pour en exprimer la fraîcheur est critiquable. On dit d’un vin qu’il est « léger » parce qu’il est peu chargé en alcool, ce qui n’est pas le cas du champagne, alors que la fraîcheur est relative à l’acidité. Elle est le propre de tout bon champagne, mais la sensation de fraîcheur que l’on détecte au nez lors de la dégustation d’un champagne relativement jeune diminue très sensiblement au cours du vieillissement. Les champagnes deviennent en général plus vineux et moins frais à l’odorat en vieillissant. C’est la conséquence de la lente oxydation des substances volatiles responsables de la fraîcheur d’odorat, mais aussi de la disparition progressive du gaz carbonique alors que celui-ci, par sa présence, a la propriété d’exalter les odeurs.

C. CARACTÉRISTIQUES SAPIDES


a. La fraîcheur de goût

Tous les professionnels, comme tous les connaisseurs, sont d’accord pour affirmer que la fraîcheur de goût, corollaire de l’acidité comme la fraîcheur d’odorat, est une caractéristique essentielle du champagne et la condition indispensable à l’épanouissement des qualités qui font l’agrément de ce type de vin mousseux. Cet harmonieux équilibre qui existe entre les différents constituants de l’acidité totale tend à se rompre lorsque le champagne prend de l’âge, et la sensation de fraîcheur s’en trouve atténuée, comme c’est le cas pour la fraîcheur d’odorat. L’assouplissement des champagnes qui en résulte rend ces vins plus ronds à la dégustation, ce qui, dans certains cas, les fait Préférer par certains amateurs de vieux champagnes. A la limite, le champagne perd toute nervosité et on dit qu’il devient plat. Cette diminution de la fraîcheur par le vieillissement est, bien entendu, un avantage pour des vins trop acides quand ils sont jeunes. Comme l’écrivait Saint-Evremond le 29 août 1701 à Lord Galloway, il faut du vert aux vins de Reims ; mais un vert qui se tourne en sève quand il est mûr [7].

b. La finesse

Les conditions naturelles de production et les conditions techniques d’élaboration contribuent à assurer au champagne des caractères de finesse tout à fait particuliers.
Heureuse harmonie de l’équilibre de ses éléments constitutifs, cette finesse lui confère une grande distinction de goût, encore accrue lorsque le Chardonnay entre dans sa composition et que les tailles en sont exclues.

c. Le fruité

Le fruité du champagne, lié à la saveur spécifique des cépages, a la particularité d’être suffisamment discret pour ne pas trancher sur les autres caractères organoleptiques comme c’est le cas pour certains vins mousseux d’autres régions. Le fruité correspond dans un certain sens, sur le plan du goût, au parfum des cépages ressenti à l’odorat. Il est normal, par conséquent, qu’il diminue progressivement en fonction du vieillissement et qu’il disparaisse totalement au bout d’un temps variable.

d. Le corps

Le corps, qui pour la plupart des vins, et surtout pour les vins rouges, relève du titre alcoolique et de la teneur en extrait sec, est relativement estompé dans le cas des champagnes par leur fraîcheur caractéristique et leur faible teneur en extrait sec, à telle enseigne qu’ils sont souvent considérés comme des vins légers, alors qu’ils atteignent et dépassent même un titre alcoométrique de 12 %. La diminution de fraîcheur de goût entraîne une augmentation apparente du corps dans la dégustation des champagnes vieux, qui paraissent pour cela plus charnus et plus charpentés.

e. La persistance du goût

Comme tous les vins, qui peuvent être plus ou moins longs en bouche, les champagnes, selon leur constitution et leur vieillissement, ont à la dégustation une saveur qui peut se prolonger ou disparaître assez rapidement. La seconde tendance est surtout propre aux vins issus du Meunier, qui explosent dans la bouche mais ne durent pas.

f. L’influence du dosage

L’addition de la liqueur d’expédition a pour effet de donner au champagne un certain degré de douceur dont le caractère sucré est ressenti d’autant plus à la dégustation que le dosage est plus important.

4. LES ALTÉRATIONS DU CHAMPAGNE

Pendant la première phase de son existence, c’est-à-dire jusqu’au tirage, le champagne peut être sujet à des maladies d’origine microbienne ou enzymatique, à des modifications d’odeur et de goût, à des accidents d’origine chimique. Il en est ainsi pour tous les vins et il suffit de se reporter à un traité d’œnologie pour en connaître les particularités. Mais il convient de noter qu’en Champagne, grâce aux précautions multiples apportées aux vendanges et aux soins appliqués à la conservation des vins, ces accidents sont en général peu fréquents, et cela d’autant plus que la constitution chimique du vin de cuvée et son importante acidité s’opposent naturellement au développement de certaines bactéries. On ne traitera donc ici que des altérations dont le champagne peut être l’objet après tirage.

A. MALADIES

Après sa prise de mousse, le champagne est dans d’excellentes conditions pour résister aux maladies puisque le gaz carbonique ajoute son action à son acidité naturelle pour l’en protéger.

B. ACTION DU FROID

Le champagne terminé n’est influencé par le froid qu’à des températures se situant largement au-dessous de 0° centigrade. Le degré de congélation d’un vin dépend de son titre alcoométrique. Il est de — 7° pour un vin de 12 %, ce qui est le titre habituel du champagne ; compte tenu des soins qui sont apportés à son emballage, à son transport et à sa conservation, celui-ci gèle extrêmement rarement, ce qui est heureux car en gelant il risquerait de perdre une partie de ses qualités organoleptiques.
On verra cependant, en passant en revue les accidents dont il est menacé, qu’il peut être dans certains cas le siège de précipitations tartriques génératrices de cristaux insolubles lorsqu’il est exposé au froid.

C. ACTION DE LA CHALEUR

Comme on vient de le voir en examinant les particularités du gaz carbonique, la chaleur engendre une surpression à l’intérieur de la bouteille. Le bouchon en est la victime : prisonnier du muselet, le liège se comprime, la base de la tête se sépare légèrement du col de la bouteille, les cellules de la jupe perdent leur élasticité par suite de la compression prolongée, l’étanchéité n’est plus assurée. Un autre effet néfaste de la chaleur sur le champagne terminé concerne directement les constituants du vin, en particulier les matières colorantes et aromatiques, très sensibles aux phénomènes oxydatifs, eux-mêmes favorisés par une température élevée. Visuellement, on constate que la teinte vire peu à peu au jaune ambré, alors que gustativement la saveur perd toute subtilité.

* D. ACCIDENTS

Des accidents imprévisibles peuvent prendre naissance au cours de l’élaboration du champagne pour des causes purement occasionnelles. Celles-ci peuvent provenir d’une erreur technique ou d’un manque de soin. Mais c’est très rare car, comme l’indiquait en 1892 une notice de la maison Louis Roederer, il est facile de comprendre que le moindre oubli, le moindre défaut de propreté, la moindre fausse manœuvre peut occasionner des pertes considérables ou quelquefois compromettre la réputation de la maison.
Malgré toutes les précautions prises par les professionnels, ils peuvent être victimes de défectuosités des matériels employés, tels que les tuyauteries ou les bouteilles. Maumené raconte que dans les années dix-huit cent soixante-dix une verrerie, créée pour fabriquer du verre par un procédé nouveau, livra au commerce des bouteilles chargées de sulfures alcalins ; toute une cuvée fut perdue par les suites de l’action réciproque du vin et des sulfures ; les acides du vin dégageant de l’acide sulfhydrique, en pareil cas, et changeant le champagne en eau de Barèges . Ce genre d’accident est devenu exceptionnel en raison des progrès de la technique et, de toute façon, le champagne défectueux n’est pas mis sur le marché, malgré la perte que cela représente pour le producteur, ou, si le désordre se produit après livraison, les bouteilles sont reprises. On se conforme ainsi à une tradition de qualité illustrée par le numéro du 12 décembre 1900 du Vigneron champenois qui faisait état d’une circulaire de la maison Pommery proposant de reprendre les vins déjà expédiés de l’année 1895, car ils ne paraissaient pas se tenir en excellente condition, et annonçant sa décision d’annuler les réserves de vins de ladite année.
Deux accidents peuvent survenir à la fin de l’élaboration du champagne et même lorsque celle-ci est terminée. Il s’agit du gerbage et de la formation de vin-pierre.
Le gerbage se traduit au dégorgement par une vidange instantanée du liquide qui peut atteindre les deux tiers de la bouteille, que l’on appelle alors une gerbeuse. L’accident est lié à la présence sur les parois internes de la bouteille de microcristaux de tartre se formant dans des conditions particulières par précipitation des sels de tartre et rompant la stabilité du vin. Le phénomène peut se produire fortuitement, pour les mêmes raisons, après expédition de la bouteille dont le vin, au débouchage, fuse comme un geyser.

La gravelle, ou vin-pierre13, est un ensemble de cristaux, de même nature que ceux du gerbage mais beaucoup plus gros, de dimensions analogues à celles des brillants de joaillerie. La vin-pierre se forme sur les parois des cuves et des fûts, mais aussi sur celle des bouteilles lorsque la stabilisation physico-chimique n’a pas été assurée en exposant le vin, lors de son élaboration, à une température correspondant à son maximum d’insolubilité. Si cela n’a pas été fait, des précipitations tartriques peuvent se déclencher inopinément sous l’effet du froid, aux environs de - 4° centigrades, notamment au cours des transports, l’action de l’agitation mécanique s’ajoutant à celle du froid pour favoriser la formation des cristaux. Ceux-ci sont extrêmement durs et susceptibles de casser une dent. Mais le caractère organoleptique du vin n’est pas modifié, exception faite de l’effet, peu perceptible, d’une légère diminution de l’acidité.

*E. GOÛTS ANORMAUX

Le champagne a des arômes discrets, et en petite quantité, si bien qu’il est plus facilement marqué que des vins plus fruités par les goûts et odeurs accidentels dont certains, provenant de causes internes ou externes, peuvent l’affecter alors qu’il est déjà sur le marché.

a. Le goût d’évent

Le goût d’évent provient d’un excès d’éthanal, composé d’oxydation de l’alcool éthylique. Il donne au vin une odeur et un goût de pomme mâchée. Il est rare, mais sans remède.

b. Le goût de bouchon


Le goût de bouchon
, appelé aussi en Champagne goût de champignon, se traduit par une faible odeur de moisi. Il peut provenir de parasites vivant dans l’écorce des chênes, d’odeurs extérieures transmises par le liège, qui retient les odeurs, d’un développement microbien ou de moisissures dont le bouchon est le siège. Le goût de bouchon est sans remède, mais en raison des progrès importants des techniques de fabrication, de sélection et de conservation des bouchons, il a déjà été noté qu’il est devenu extrêmement rare. Neuf fois sur dix, ce que l’on croit être un goût de bouchon est le goût de lumière dont il va être parlé.

e. Le goût de réduction

Le goût de réduction résulte essentiellement de l’action réductrice 14 des levures sur l’anhydride sulfureux du vin, avec dégagement de composés sulfurés dont les plus représentatifs sont l’hydrogène sulfuré et les alcools sulfurés (mercaptans). Avec des nuances qui le font appeler goût de réduit, goût de mercaptan, le goût de réduction se traduit par une odeur soufrée toujours désagréable, allant du renfermé au relent de serpillère mal rincée, en passant par une légère puanteur à caractère alliacé rappelant parfois la sueur. Contrairement à ce qui se passe pour le goût d’évent, certains goûts de réduction sont susceptibles de s’atténuer par aération et même de disparaître s’ils ne sont pas trop affirmés. Il n’est pas rare de voir un champagne perdant son goût de réduction après avoir été pendant cinq minutes dans le verre, surtout si on agite quelque peu celui-ci.

d. Le goût de lumière

Le goût de lumière est une forme particulière du goût de réduction. C’est celle que l’on rencontre de loin le plus fréquemment car elle est liée aux conditions de conservation du champagne, avant et après la vente. Particulièrement tenace, il a pour origine l’action du rayonnement lumineux de longueurs d’onde voisines de celles des ultraviolets, que la lumière soit naturelle ou artificielle. Le rayonnement, qui se trouve d’ailleurs accru par la chaleur, crée des perturbations dans la structure chimique des constituants azotés, vitaminiques et sulfurés, avec formation, notamment, de mercaptans et de disulfures aux odeurs nauséabondes. La lumière est plus nocive pour les vins blancs que pour les vins rouges, dont les matières colorantes forment écran, et le champagne est encore plus atteint par le rayonnement que les autres vins blancs en raison de sa richesse en acides aminés.
La lumière a sur le champagne une action incroyablement rapide lorsqu’elle est de forte intensité, et le soleil et le néon sont à cet égard particulièrement redoutables. Un quart d’heure au soleil, quelques heures sous une rampe de néon, suffisent pour que se forment les réactions chimiques nuisibles et les mauvaises odeurs correspondantes. Mais une plus longue exposition à des intensités moindres, et même au clair de lune, sont également gravement préjudiciables à la qualité du champagne. Les effets de la lumière dépendent de la durée de l’exposition et de l’intensité lumineuse ; dix minutes en plein soleil ont le même résultat que trois ans sous une lampe à incandescence de 60 watts.
Le phénomène n’est pas nouveau. En décrivant la cave idéale, A. B. de Périgord écrivait en 1825 : Le jour doit en être sévèrement banni ; le soleil est mortel pour la cave [8]. Une amélioration s’était produite dans le dernier quart du XIXe siècle lorsque l’on avait fait entrer dans la composition du verre des bouteilles le manganèse, qui arrêtait à 95 % les rayons ultraviolets. Mais le minerai venait de Tunisie, du Maroc, de Madagascar, et quand ces pays ont cessé d’être unis économiquement à la France il est devenu hors de prix et la coloration au fer-manganèse a dû être remplacée depuis la fin des années cinquante par la coloration au chrome-nickel-cobalt, le pouvoir filtrant du verre vis-à-vis des rayons ultraviolets descendant de ce fait à 60 %.

Les goûts de lumière, par leur fréquence, sont une menace pour la réputation du champagne qui va de pair avec sa qualité irréprochable. On s’efforce donc de trouver des solutions pour y remédier. Le remplacement de la couleur verte de la bouteille par une teinte feuille morte ou marron n’apporterait que peu d’amélioration et heurterait les habitudes du consommateur. On a expérimenté un modèle de bouteille dite anti- uv, mais son adoption généralisée se heurte à un coût de production élevé, dû à une demande supplémentaire d’énergie et de matières rares ; de plus, elle ne permet pas l’utilisation de calcin, débris de verre d’origine ménagère qu’en vertu d’accords avec les pouvoirs publics les verriers se sont engagés à recycler dans leurs fours. Les recherches continuent donc dans diverses directions.

F. OXYDATION ET MODIFICATIONS DUES À L’ÂGE ET À LA CONSERVATION

Pasteur a dit que la cause essentielle du vieillissement du vin est l’oxygène de l’air  [9]. Bien que le liège du bouchon soit rigoureusement imperméable, l’oxydation se produit très lentement lorsque le champagne vieillit, par l’action de l’oxygène renfermé dans la chambre à air de la bouteille. Pour cette raison, c’est dans le magnum qu’il se conserve le mieux, car c’est avec lui que le vin occupe le volume le plus important par rapport à la chambre à air et, de ce fait, subit le moins les effets de l’oxydation. Celle-ci peut se produire beaucoup plus vite sous l’effet de la chaleur, qui la favorise, ou lorsque le bouchon ne remplit plus son office parce que les conditions de conservation sont mauvaises.
Le champagne qui a vieilli soit sous l’effet de l’âge, soit accidentellement, a pris une teinte jaune ambré et sa saveur rappelle celle du vin de Madère ; c’est le goût de madérisation, encore appelé goût de renard ou saveur de queue de renard, dû essentiellement à l’oxydation mais aussi, dans une moindre mesure, à la réduction. On dit que le champagne est madérisé ou qu’il renarde. Le goût de madérisation est un défaut, mais c’est un défaut aimable qu’apprécient certains amateurs. Mentionnant une vente de vins aux enchères, Michel Piot, dans l’Agenda gourmand du Figaro du 24 novembre 1981, parlait plaisamment de vieux millésimes de champagne qui doivent « renarder » de façon charmante pour les amateurs.
Le champagne mis sur le marché diffère, dans son évolution, des vins tranquilles. Le choc oxydatif du dégorgement, on l’a vu, a parachevé la maturité déjà assurée chez le producteur, et l’oxydation n’a plus que des effets négatifs puisque les lies ont été évacuées. Le champagne n’a donc rien à gagner dans la cave du consommateur où il ne peut que se dégrader par le jeu des phénomènes d’oxydoréduction.
Venant de voir combien ces actions peuvent être nuisibles, on pourrait penser que le champagne est fragile. En réalité, il ne l’est pas organiquement, car ses alcools et acides lui donnent une robuste charpente et, de plus, le gaz carbonique est un élément stabilisateur qui le protège contre les excès d’oxydation et lui permet en particulier de bien supporter les transports. On n’a jamais vu du champagne tourner en vinaigre ! Le champagne ne devient fragile que s’il est mal conservé, ce qui arrive malheureusement trop souvent ; on en reparlera au chapitre 14. On prétend parfois qu’il est moins bon lorsqu’il est bu hors de sa région d’origine. Cela n’a jamais été scientifiquement démontré. Si la bouteille a été bien conservée après avoir été bien transportée, il s’agit d’une illusion d’ordre psychologique.

Notes

[1MAUMENE (E_l). Traité théorique et pratique du travail des vins, leur fabrication, leurs maladies. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1873

[2SALLERON (J.). Etudes sur le vin mousseux. Paris, 1886

[3PEYNAUD (Emile). Le goût du vin. Paris,1980.

[4LICHINE (Alexis). Encyclopedie des vins et des alcools de tous les pays. Paris, 1980.

[5TRIMM (Thimothée).Physiologie du vin de Champagne. Paris s.d. (préface datée de 1866)

[6CONSTANTIN-WEYER . L’ame du vin. Paris, 4932.

[7SAINT-EVREMON Œuvre de monsieur de Saint-evremond, avec la vie de l’auteur. Ed des maizeaux. Amsterdam, 1723

[8PERIGORD (A.B. de) Nouvel Almanach des gourmants dédié au ventre. Paris 1825

[9PASTER (Louis.) Etudes sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et le vieillir. Paris, 1873.