UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les expéditions

1. IMPORTANCE DES EXPÉDITIONS

Le chiffre d’affaires du champagne, hors taxes et départ des celliers, était en 1981 évalué à 6,5 milliards de francs, soit 15 % du chiffre d’affaires des vins et spiritueux français et 2,5 % de celui de l’agro-alimentaire. C’est important, sans être cependant du niveau de celui des grandes industries et même de certains autres produits agricoles, et c’est l’illustration du contraste qui a toujours existé entre le prestige immense du champagne et l’importance relativement limitée de son assise économique. En 1983, ses expéditions se sont élevées à 159 487 663 bouteilles dont pour le marché français 109 854 865 bouteilles, et pour l’exportation 49 632 798 bouteilles, soit respectivement 70 % et 30 % de l’activité totale. Tous marchés confondus, les expéditions ont été pour 64,2 % le fait du Négoce et pour 35,8 % celui des récoltants-manipulants et des coopératives, ces dernières comptant pour environ 15 % dans les expéditions du Vignoble.
Par rapport aux autres régions vinicoles françaises, le champagne se situait en valeur au premier rang, devançant les vins de Bordeaux et le cognac, dont les volumes produits étaient pourtant plus importants.

2. FLUCTUATIONS DES EXPÉDITIONS - L’OFFRE ET LA DEMANDE - LES STOCKS

La courbe des expéditions des XIXe et XXe siècles, on le sait, a été ascendante et souvent même en forte accélération, mais elle a présenté quelques régressions, dont certaines ont été sensibles. Comme tout produit de consommation, le champagne obéit en effet à la loi de l’offre et de la demande. Grâce à la situation de monopole mondial qui le caractérise, la demande est en général bien orientée et toute idée de saturation des besoins est à écarter, cela d’autant plus qu’un nombre toujours croissant de consommateurs, au fur et à mesure de l’élévation du pouvoir d’achat, devraient accéder à ce qui est désormais un produit de confort. Mais, de ce fait même, le champagne a perdu en partie le caractère invulnérable qui était le sien lorsqu’il était encore une marchandise de luxe. Il est devenu plus sensible aux soubresauts de l’économie et lorsque celle-ci est en crise, que des mesures sont prises par les gouvernements pour rétablir les balances commerciales ou tenter de juguler l’inflation, les ventes de champagne baissent, quitte à repartir de plus belle lorsque l’alerte est passée.
Comme l’écrit Doutrelant, quand l’économie mondiale prend froid, le champagne s’enrhume. Lorsqu’elle se porte bien, le champagne enfle [1].
En ce qui concerne l’offre, les données du problème contiennent à moyen terme une inconnue, l’importance des récoltes. On a déjà eu l’occasion de le noter, notamment à propos des contrats interprofessionnels, la production du champagne est directement liée à celle de sa matière première, le raisin. C’est une évidence, mais qu’il faut avoir toujours à l’esprit pour les implications commerciales qu’elle comporte. En outre, si en économie agricole le producteur est rarement le maître de sa production, aux limitations qui sont le fait de la nature s’ajoutent pour le champagne celles qu’impose la réglementation de l’appellation et qui ont trait à l’aire de production et au rendement. D’où la difficulté qu’il éprouve parfois, en raison de ses exigences de qualité et de spécificité, à s’intégrer dans l’économie actuelle où règne la productivité. Les récoltes insuffisantes sont les plus fréquentes ; dans les vingt années des décennies soixante et soixante-dix on n’a connu que trois récoltes réellement excédentaires. Mais lorsque le raisin abonde le spectre de la pléthore apparaît très vite. Si bien que l’économie champenoise est presque toujours sur la corde raide.
Quand la pénurie s’installe, il appartient à l’interprofession de la gérer de manière que chacun en subisse le moins possible le contrecoup. Mais les répercussions sont toujours sérieuses pour le Négoce, du fait de la proportion croissante des raisins conservés par la Propriété, malgré le prix rémunérateur qui résulte du contrat interprofessionnel. Si la récolte est déficitaire, les sorties du Négoce en bouteilles de la campagne écoulée ne peuvent être remplacées intégralement en matière première, et il s’en faut parfois de beaucoup. A titre d’exemple, en 1980 et 1981 elles n’ont été couvertes qu’à 56 % et 45 %. Une succession de récoltes insuffisantes porte donc un coup très dur à la Champagne viticole car les déficits se cumulent. Saint Remi n’est plus là pour changer l’eau en vin et l’équilibre toujours fragile des stocks nécessaires pour assurer les sorties est rompu.
Il y a entre les réserves et les expéditions une relation fondamentale qui découle des nécessités de l’élaboration même du champagne mais aussi d’un simple souci de qualité. On estime que pour que celle-ci soit intégralement maintenue le volume des vins disponibles doit représenter en fin de campagne trois fois les expéditions des douze mois précédents. C’est ce que l’on exprime en disant que la Champagne doit toujours avoir trois ans de stocks. C’est en effet un minimum, car si le niveau baissait au-dessous de cette limite, étant donné que les millésimes continuent à être vendus dans tous les cas au moins trois ans après les vendanges et souvent plus tard, et que par ailleurs certains producteurs prudents conservent leurs vins de réserve plus de trois années, parfois cinq ou six, on verrait sur le marché des champagnes trop jeunes, ce qui irait à l’encontre de la politique de qualité traditionnelle.
En sens contraire, il faut éviter que les stocks ne deviennent trop importants. On dit qu’ils sont la richesse du producteur, mais c’est une richesse qui coûte cher car le poids financier est pesant, et il peut le devenir d’une manière insupportable en période d’encadrement du crédit et de loyer de l’argent élevé. Lorsqu’il y a expansion, le producteur doit faire du stock. Puisque trois années de cave sont nécessaires, pour chaque bouteille de champagne vendue en sus des quantités qu’il expédie en période normale, il lui faut en mettre trois autres en réserve. C’est une règle d’or mais elle est financièrement très lourde à supporter puisqu’elle implique un développement des stocks trois fois plus important que celui des ventes. Et en période de récession, la règle joue en sens inverse. Si les mécanismes s’accentuent, on peut passer de deux ans de stocks à six ans en un rien de temps, et réciproquement. On voit donc, en définitive, que les fluctuations des ventes sont inévitables et qu’elles s’expliquent davantage par les variations de l’offre que par celles de la demande, encore que ces dernières puissent jouer sévèrement, on l’a vu, en cas de crise ou d’augmentation exagérée des prix de vente.
Lorsque les producteurs ont des stocks trop importants, ou encore s’ils ont des besoins de trésorerie, ils cherchent à développer les ventes par tous les moyens, y compris la baisse des prix et les rabais. Si au contraire les réserves atteignent le niveau limite inférieur, et a fortiori si elles tombent au-dessous, il faut maîtriser l’expansion pour maintenir la qualité tout en préservant la rentabilité des exploitations. C’est ce qui se passe notamment quand les expéditions se sont accrues très rapidement sur une période donnée, comme ce fut le cas de 1975 à 1978 avec un rythme annuel d’augmentation supérieur à 12 % en moyenne (64 % pour les quatre années), rythme ne pouvant être tenu indéfiniment faute d’approvisionnements suffisants. On doit alors élever les prix et restreindre les ventes en calmant les agents et en pratiquant un contingentement qui a pour effet de ne satisfaire qu’une partie de la demande. On pouvait ainsi lire en mars 1981 la phrase suivante dans la lettre accompagnant le prix courant d’un négociant : Nous vous serions reconnaissants de limiter vos demandes à 70 % de vos commandes habituelles.
Le jeu est délicat. La difficulté est de savoir à partir de quel niveau une dissuasion modérée est susceptible de se transformer en désaffection, risquant de compromettre la reprise lorsque la production le permettra. Chaque producteur essaie de résoudre au mieux son problème, qui n’est jamais identique à ceux de ses collègues car interviennent le niveau des stocks, la solidité de l’entreprise, les besoins de trésorerie et les sources de financement, les particularités de la clientèle, les impératifs commerciaux. Parmi ces derniers figure pour les exportateurs la nécessité de ne pas compromettre les positions acquises sur des marchés souvent fragiles, en laissant se substituer à leur marque les champagnes de leurs concurrents ou des produits de remplacement élaborés par les viticultures locales ou étrangères.
Les renversements de tendance sont rarement suivis d’effets immédiats car souvent des achats de précaution augmentent les expéditions au moment où on souhaite les freiner et lorsque l’on veut les relancer les acheteurs restent fréquemment dans l’expectative avec l’espoir de bénéficier ultérieurement de prix plus avantageux. Ces phénomènes sont amplifiés par une certaine dramatisation. Si les prix augmentent, on oublie de faire la part de l’inflation, on cite des chiffres extrêmes et non des moyennes. Et comme le champagne est facilement le point de mire de la presse, celle-ci anticipe l’événement en titrant par exemple à la suite d’une mauvaise récolte : Petite vendange, champagne encore plus rare et plus cher, ou : Le champagne devrait augmenter de 20 %, même s’il y a quatre ans de stocks dans les celliers. Ce n’est pas nouveau ; dans le Charivari du 8 octobre 1880, la légende d’un croquis de Henriot, Les Vendanges, était la suivante : Pas fameuse la vendange ! C’est pour cela, mon petit oncle, que vous devriez m’augmenter ma pension. Le champagne coûtera si cher à Paris, cette année !

3. RÉPARTITION PAR TYPES ET PAR CONTENANTS

En ce qui concerne le fractionnement des expéditions selon le dosage, les types de champagne et les catégories de bouteilles, les statistiques disponibles portent seulement sur les exportations. Pour ce secteur, en 1982, la part du brut se montait à 83,6 % (contre 73,4 % en 1978). L’extra-dry, qui se rencontrait à peu près exclusivement sur les marchés des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, le sec et le demi-sec représentaient respectivement 8,5 %, 3 % et 4,9 % du marché, ces trois catégories en représentant donc à elles trois 16,4. On peut estimer que pour la France la proportion de brut était sensiblement plus élevée, les amateurs de champagnes dosés se situant surtout à l’étranger.
Toujours pour les seules exportations, en 1982, les millésimés ont constitué 13,8 des envois, dont 39,4 pour le 1975 et 46,8 pour le 1976, le 1973 et les millésimes antérieurs comptant pour 13,8 %. Ces chiffres devraient correspondre à peu près à la répartition en France des champagnes millésimés et sans année. Par rapport au total des exportations, la proportion des cuvées spéciales se montait à 7,8 % des bruts ; celle des crémants et rosés était nettement plus faible.
En ce qui concerne enfin les contenants, en 1982, les exportations ont donné la répartition suivante : bouteilles, 90,3 % ; demies, 4,3% ; quarts, 3,2 % ; bouteilles de grande contenance (de magnum à salmanazar), 2,2 %. La bouteille comptait pour 87 % de la production totale des verreries.

Notes

[1DOUTRELANT (Pierre-Marie). Les bons vins et les autres. Paris, 1976.