De nos jours, le savoir-faire ne suffit plus à assurer à un vin l’exclusivité de sa technique, à empêcher qu’il puisse être imité. C’est donc plus que jamais à la notion d’origine territoriale qu’il faut faire appel si on veut affirmer et protéger sa spécificité, étant entendu que la qualité doit en être maintenue intégralement afin qu’il reste digne d’une appellation consacrée officiellement. C’est pourquoi la nécessité est apparue d’établir pour les vins d’excellente réputation une législation définissant pour chacun d’eux des conditions particulières de provenance et de production. L’acceptation des règles ainsi établies fait bénéficier le vin d’une appellation d’origine exclusive, qui le protège contre les concurrents qui voudraient essayer de se couvrir de son nom.
Dans la pratique, l’appellation d’origine résulte de l’établissement d’une réglementation visant à déterminer ce qui est autorisé et proscrit dans la production du vin et dans celle du raisin dont il provient, avec la volonté de toujours donner le pas à la qualité sur la quantité. Et c’est dans cet esprit que la France a élaboré péniblement et lentement à travers le temps une législation viti-vinicole de protection des appellations d’origine, l’une des plus complètes du monde [1].
En outre, sous peine d’être diminuée dans sa portée, et même d’être suspectée dans sa raison d’être, l’appellation doit faire l’objet d’un contrôle permanent. Cette garantie permet de justifier la protection qu’elle confère, et c’est en bonne logique qu’a été placée dans le cadre de la répression des fraudes la Loi du 1er août 1905, premier essai de délimitation des régions viticoles pouvant prétendre à des appellations d’origine. Celles-ci sont donc, par définition, des appellations d’origine contrôlée ou, selon le sigle couramment utilisé, des A.O.C. Ce sont les producteurs qui proposent les grandes lignes de la réglementation de leur appellation, car la politique française en la matière est fondée sur le volontariat des professionnels de la région concernée. Mais les modalités en sont établies, puis soumises à la décision du gouvernement, par l’Institut national de l’Origine et de la Qualité, l’ I.N.A.O.
Cet organisme, au sein duquel sont représentés les professionnels, dépend du ministère de l’Agriculture et est chargé de déterminer après avis des intéressés les conditions de production auxquelles devra satisfaire le vin de chacune des appellations contrôlées. Il a pour mission d’étudier et de proposer toutes mesures de nature à favoriser l’amélioration des vins à A.O.C. ainsi que celles destinées à assurer la régulation du marché, et de participer à leur application. Il est aussi habilité à assurer la défense des A.O.C. et, en cas de besoin, il peut à cet effet agir en justice. Il comporte un comité national, composé de représentants des professions viticoles et de l’Administration, dont le président est nommé pour trois ans par le ministre de l’Agriculture, et des comités régionaux, ainsi que des services d’exécution comprenant un organe central à Paris et des services extérieurs en province.
Le Comité régional Champagne de l’ I.N.A.O. est composé de dix-huit membres, dont six de la Propriété, six du Négoce et six de l’Administration. Son président, choisi parmi les producteurs, est nommé par le ministre de l’Agriculture. Le Service régional de l’ I.N.A.O en Champagne siège dans des bureaux proches du C.I.V.C. Il est dirigé par un ingénieur conseiller technique, assisté d’adjoints techniques.
L’histoire du champagne a fait ressortir le rôle déterminant joué dans la naissance même de son appellation d’origine, puis dans son développement, par les professions qui en assurent la production, ce qui a eu pour effet de la faire reconnaître comme telle avant même sa création officielle par le Décret du 29 juin 1936, qui n’a fait que confirmer les règles générales établies progressivement depuis 1905. En 1970, ont été mis en vigueur les premiers règlements européens, modifiés depuis à plusieurs reprises ; ils ont nécessité des ajustements de la législation française, mais le statut particulier du champagne n’en a été que peu affecté.
La France a classé ses vins en plusieurs catégories, en fonction de leur niveau respectif de qualité, de réglementation et de contrôle. Les vins à A.O.C. constituent la première de ces catégories dans l’échelle des valeurs. En Champagne, il existe trois appellations d’origine contrôlée : l’A.O.C. Champagne ; l’A.O.C. Coteaux champenois, vin rouge, rosé ou blanc, tranquille, issu des mêmes raisins que le champagne ; l’A.O.C. Rosé des Riceys, vin rosé, tranquille, provenant exclusivement de la commune des Riceys, située dans l’Aube.
En se basant sur des principes analogues, l’Union européenne a établi un autre classement, selon lequel les vins à Appellation d’Origine Protégée (AOP) sont aussi au sommet de la hiérarchie, le champagne se situant dans cette catégorie.
Dans le cadre de l’appellation d’origine contrôlée champagne, ont été définis l’aire de production, l’encépagement, les moyens d’une politique de régularisation de la production viticole, les normes de la qualité et, en fonction de celles-ci, les modalités de la production des raisins, du pressurage et de l’élaboration du champagne ; ont aussi été prescrites certaines règles relatives à la présentation du champagne sur le marché, les modalités du contrôle de l’appellation et de la qualité ainsi que des mesures destinées à assurer leur sauvegarde. Tous ces points sont examinés ci-dessous, à l’exception du contrôle qui, pour en faciliter la compréhension, ne le sera que lorsque auront été précisées les conditions techniques de la culture de la vigne et celles de la production et du commerce du vin. Les conditions de production sont compilées dans le cahier des charges de l’appellation et les règles de contrôle dans le plan d’inspection.
En 1868, le docteur Guyot définissait déjà les éléments essentiels de ce qui est aujourd’hui, dans le domaine des raisins, l’appellation d’origine champagne. Voici, en effet, ce qu’il écrivait dans son Etude des vignobles de France : Parmi les vins distingués et précieux des meilleurs vignobles de France, le vin blanc mousseux de Champagne est, sans contredit, le plus brillant. Personne n’imitera le vin de Champagne s’il n’emprunte les fins cépages, le climat et le sol de la Marne, et personne n’en ressentira tous les bienfaits si ce vin n’est pas un produit de ces trois conditions.
On sait qu’aujourd’hui la Marne n’est plus le seul département habilité à produire du champagne ; il reste que celui-ci ne peut provenir que de la Champagne viticole, dont il convient de définir les limites car elle ne constitue qu’une très petite partie des 2 500 000 hectares de la province historique de Champagne. Mais on ne peut se contenter de délimiter une zone ; un des facteurs essentiels de l’originalité et de la qualité d’un vin est la notion de sol viticole. Ne peuvent donc être retenus que les terroirs aptes à produire des raisins donnant des vins dignes de l’appellation à laquelle ils peuvent prétendre. D’où la nécessité, non pas seulement de définir une limite géographique, mais de dresser la liste des communes viticoles et de choisir les aires de production répondant à ces conditions, avec une précision convenable et une parcimonie propre à assurer la qualité requise.
Comme on le sait, la délimitation viticole amorcée en 19082 a été établie par la Loi de 19273. Aux termes de cette loi, font partie de la zone délimitée Champagne les communes des départements de la Marne et de l’Aisne retenues par le Décret de 1908, auxquelles sont adjointes trois communes de l’Aube et, parmi les autres communes de l’ancienne province de Champagne et du canton de Bar-sur-Seine, celles pour lesquelles l’appellation d’origine champagne a été revendiquée dans une ou plusieurs déclarations de récolte faites de 1919 à 1924 inclus.
En définitive, sont comprises dans la zone délimitée Champagne (zone viticole B au regard de la réglementation communautaire européenne) :
- dans le département de la Marne, toutes les communes des arrondissements de Reims et d’Épernay, toutes celles de l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, sauf Sainte-Marie-à-Py et Somme-Suippe, et dans l’arrondissement de Vitry-le-François toutes les communes du canton de Vitry-le-François, 10 communes du canton d’Heiltz-le-Maurupt et 6 communes du canton de Saint-Remy-en-Bouzemont, soit ensemble 272 communes ;
- dans le département de l’Aisne, des communes des arrondissements de Château-Thierry (dans les cantons de Condé-en-Brie, Château-Thierry et Charly) et Soissons (dans les cantons de Braine et de Vailly), soit ensemble 58 communes ;
- dans le département de l’Aube, des communes des arrondissements de Troyes (dans les cantons de Troyes-Ouest, Les Riceys, Mussy-sur-Seine, Bar-sur-Seine et Essoyes), de Nogent-sur-Seine (dans les cantons de Villenauxe-la-Grande et Marcilly-le-Hayer) et de Bar-sur-Aube, Vendeuvre, Soulaines et Brienne-le-Château), soit ensemble 70 communes ;
- dans le département de la Haute-Marne, les 2 communes d’Argentolles4 et de Rizaucourt, et dans le département de Seine-et-Marne, les 5 communes de Citry, Méry-sur-Marne, Nanteuil-sur-Marne, Saâcy-sur-Marne et Saint-Aulde.
Ce sont donc finalement 407 communes qui constituent la Champagne viticole délimitée. La délimitation de 1927 précise pour chacune d’elles l’aire de production, définie par le Code du Vin comme la surface des communes ou parties de commune propres à produire le vin de l’appellation. La loi spécifie que dans les communes intéressées seuls les terrains plantés en vignes lors de sa promulgation ou qui y ont été consacrés avant l’invasion phylloxérique peuvent conférer à leurs vins le droit à l’appellation Champagne.
Le recensement de ces terrains a été effectué par des commissions communales. Elles ont interprété parfois la loi de façon trop restrictive, mais le plus souvent au contraire trop libérale, ce qui a eu pour effet de faire classer en 1928 plus de 46 000 hectares de terrains, dont certains avaient autrefois porté des vignes destinées exclusivement à faire du vin de table et non du champagne. Devant ces anomalies, les professionnels champenois firent voter en 1951 une loi5 donnant la possibilité à l’ I.N.A.O. de réviser la liste des terrains classés antérieurement, après avis du Syndicat général des vignerons de la Champagne délimitée. Pendant 25 ans une commission d’experts a donc revu en détail le classement de 1928, pour vérifier les critères juridiques (antériorité viticole) et les conditions techniques (sol et sous-sol, exposition, microclimat) dont la réunion est seule susceptible de satisfaire aux prescriptions de la loi de 1927, tout particulièrement dans le domaine de la qualité.
La révision a parfois conduit à classer certains terrains omis en 1927, mais elle a eu surtout pour effet de diminuer considérablement l’aire globale de production, qui est tombée de 46 000 à 34 000 hectares, et le nombre des communes bénéficiant effectivement de l’appellation, qui a été ramené de 407 à 302. Les 105 autres communes classées en 1927 sont suspendues de classement. Jusqu’à décision contraire, elles font toujours juridiquement partie de la zone délimitée, mais ne peuvent bénéficier de l’appellation et sont privées du droit de planter, si bien que l’on n’y trouve pas de vigne. Les territoires délimités susceptibles de produire le champagne ont été déclarés d’intérêt public par le ministère de l’Agriculture. La délimitation communale figure sur des plans cadastraux déposés en mairie7.
La notion d’encépagement a été introduite en même temps que celle de l’aire de production dans les conditions d’attribution de l’appellation d’origines8. Le vin tire du plant dont il provient un des éléments majeurs de sa spécificité, consacrée par l’appellation d’origine dans le cas du champagne. En outre, sa qualité en dépend étroitement. On pouvait donc seulement admettre les cépages donnant les meilleurs résultats dans les conditions géologiques et climatiques particulières à la Champagne. C’est pourquoi il a été spécifié que les seuls raisins propres à la champagnisation sont ceux qui proviennent des cépages suivants : l’Arbanne, le Chardonnay, le meunier, le Petit Meslier, le Pinot Blanc, le Pinot gris et le Pinot noir9. Ces cépages sont déjà familiers au lecteur, mais il convient de les examiner dans le cadre des dispositions de la loi en cause.
Comme on le sait, la presque totalité du vignoble champenois est plantée en Chardonnay, Pinot noir et Meunier, avec toutefois une restriction pour celui-ci, qui n’est pas autorisé dans les vins classés au-dessus de 95 % dans l’échelle des crus10. On y trouve les autres cépages, mais en très petite quantité (de l’ordre de quelques hectares).
Il reste à parler du Gamay, dont le maintien en Champagne a fait l’objet d’une autorisation temporaire limitée à l’Aube. Ce plant a toujours fait l’objet de vives critiques dans la Marne, et aussi ailleurs ; une ordonnance royale de 1395 avait même décrété son arrachage comme plant très mauvais et déloyal, moult nuisible à la nature humaine [2]. En fait, comme tous les cépages, il réussit plus ou moins bien selon les conditions locales. En France, il ne produit des vins de grands crus que dans le Beaujolais ou le Mâconnais, où il a trouvé le climat et le sol spécial pour affiner ses produits et en faire un cépage noble [3].
Mais de toute façon, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur le Gamay, son caractère diffère trop de celui des autres cépages champenois pour pouvoir entrer dans les cuvées sans en modifier la nature. Or, comme l’écrit fort justement Georges Chappaz, il y aurait un danger très grand à modifier l’édifice délicat constitué par cette réunion du sol, du climat, des cépages, des procédés de vinification et de culture d’où est sorti le grand champagne. Il a donc été décidé par l’Administration, en accord avec les professionnels champenois, que le Gamay devrait disparaître de la Champagne viticole. Pour tenir compte des intérêts des vignerons de l’Aube, son département d’élection, la loi de 1927 a prévu toutefois qu’à titre transitoire, pendant une période de dix-huit ans, les vins de Gamay pourraient conserver le droit à l’appellation champagne, mais seulement s’ils provenaient de vignes plantées à la date de la promulgation de la loi. En raison de la guerre, le délai a été prolongé jusqu’au 27 juillet 1952, d’abord tacitement, puis en application de la Loi du 20 mai 1949 sur l’encépagement aubois. À partir de cette date, des dérogations individuelles ont été accordées par l’ I.N.A.O. dans des conditions restrictives aboutissant à l’exclusion progressive du bénéfice de l’appellation des vins issus du Gamay.
Il est intéressant de constater à cette occasion qu’en se privant volontairement d’un cépage qui leur assurait un bon rendement, une fois encore les Champenois ont donné la priorité à la qualité et au sérieux de leur appellation. Mais en même temps ils l’ont valorisée en renforçant la personnalité d’un vin issu de trois cépages seulement, les mieux adaptés au terroir, alors qu’il en va tout autrement dans les autres vignobles ; en Bordelais, par exemple, on compte parfois 15 cépages différents pour une seule appellation.
Les modes de culture de la vigne ont une influence certaine sur la qualité des raisins. La législation de l’appellation d’origine contrôlée champagne en a tenu compte, en précisant les règles ci-après.
Il a été institué une densité minimale de plantation dans le but de limiter la vigueur de chaque pied, et donc sa production, ce qui dans les conditions climatiques de la Champagne est un facteur de qualité. L’augmentation du nombre des ceps qui en résulte par rapport à une vigne plantée à larges intervalles compense partiellement seulement la perte quantitative.
Les dispositions suivantes ont été édictées : écartement de 1,50 mètre au maximum entre les rangs ; distance de 0,90 mètre à 1,50 mètre entre les souches sur le rang ; somme de l’écartement et de la distance inférieure à 2,50 mètres. Elles ne s’appliquent qu’aux vignes plantées postérieurement au décret, mais elles correspondent en fait aux règles traditionnelles de plantation suivies en Champagne depuis l’abandon de la vigne en foule.
Les systèmes de taille pratiqués en Champagne ont été choisis en vue d’obtenir la qualité la meilleure tout en tenant compte du rapport fertilité-vigueur observé dans les conditions locales pour les cépages considérés. Seules sont autorisées11 la taille en Chablis, la taille en Cordon, la taille Guyot et la taille Vallée de la Marne.
Les tailles en Chablis, en Cordon et Guyot sont applicables à tous les cépages autorisés et dans toute l’étendue de la Champagne viticole. La taille Guyot et Vallée de la Marne n’est autorisée qu’avec le Meunier. La réglementation a fixé pour chaque système de taille des prescriptions de détail que l’on trouvera plus loin.
L’incision annulaire consiste à enlever un anneau d’écorce de 3 mm de largeur environ à la base des rameaux fructifères, sur les sarments de l’année ou sur ceux de l’année précédente. De la sorte, la sève élaborée ne peut, en descendant, franchir cette solution de continuité et elle alimente davantage les raisins. L’incision annulaire fait grossir ces derniers, mais elle épuise les ceps et a un effet néfaste sur la qualité des vins en raison de l’accroissement exagéré de la fertilité de la vigne qui en résulte. C’est pourquoi le droit à l’appellation champagne est limité aux vins provenant des vignes n’ayant pas subi, même partiellement, l’incision annulaire ou autre procédé similaire 12.
En vue d’empêcher une augmentation abusive de la récolte par des arrosages gorgeant d’eau le raisin au moment de la maturité, ce qui nuirait à sa qualité, les professionnels champenois ont fait interdire l’irrigation des vignes pendant la période définie comme celle de la végétation13. Par irrigation, il faut entendre non seulement tout apport direct d’eau sur le sol, mais aussi l’aspersion, autorisée cependant pour la lutte antigel. La période définie comme celle de la végétation s’étend du 1er avril au 31 octobre. La Champagne s’est, là encore, privée volontairement de la possibilité d’une augmentation importante de la récolte en refusant, pour sauvegarder la qualité, d’imiter d’autres vignobles où on a l’habitude d’arroser dès la floraison.
Les jeunes vignes sont pleines de vigueur mais n’ont pas toujours la qualité requise pour faire de bons vins. C’est pourquoi il a été décidé que le droit à l’appellation champagne est limité aux vins provenant de vignes en production, comptées à partir de la troisième feuille14, autrement dit à partir de la 3e année de la vigne. En Champagne, c’est généralement le stade de la première fructification, mais il arrive que l’on puisse avoir quelques raisins dès la seconde année.
La culture de la vigne s’étant déroulée sous le signe de la qualité, il convient qu’il en soit de même pour la vendange et le pressurage.
a. Fixation du titre alcoométrique minimum15
Il est avant tout indispensable de n’admettre au pressoir que des raisins aptes à donner aux vins un titre alcoométrique suffisant pour garantir leur bonne constitution. Cela dépend essentiellement de leur maturité dans les conditions particulières de la vendange. Il est donc de bonne politique de fixer à l’avance un minimum assez élevé, pour que le vigneron soit incité à attendre une maturité convenable de sa récolte avant de la vendanger. On peut ajouter que cette mesure constitue un garde-fou contre la tentation de la recherche d’un rendement trop élevé par une culture intensive, ce qui aurait pour résultat d’abaisser le titre alcoométrique. C’est pourquoi aux termes du Décret-loi du 28 septembre 1935, le droit à l’appellation champagne est limité aux vins provenant de moûts présentant un degré alcoolique minimum fixé chaque campagne.
Dans la pratique, l’ I.N.A.O., depuis 1979, fixe chaque année avant les vendanges deux limites, la richesse minimum en sucre des vendanges, exprimée en grammes de sucre par litre de moût provenant d’un lot unitaire de vendanges (par exemple la charge du pressoir), et le titre alcoométrique naturel minimum des moûts, correspondant au titre moyen des moûts d’une même exploitation. Le titre alcoométrique naturel minimum ne peut être inférieur à celui des AOP, de la zone B, fixé généralement à 7,5 %.
b. Précautions particulières pour la cueillette
Afin d’assurer le respect des règles traditionnelles du pressurage champenois, il est spécifié que les vins doivent être vinifiés, conformément aux usages locaux, à partir de raisins transportés entiers jusqu’aux installations de pressurage16 . Cette mesure a été prise en 1979 à la demande des professionnels champenois, en vue d’exclure l’usage de la machine à vendanger, tout au moins telle que celle-ci se présentait à l’époque. Cela prouve encore une fois combien, face aux progrès de la technique, on attache d’importance en Champagne à la protection de la qualité.
c. Rendement limite à l’hectare
Dès le début du régime des appellations d’origine en France, la limitation du rendement à l’hectare en tant que facteur de qualité est apparue essentielle. On sait en effet que, d’une manière générale, le rendement excessif d’une vigne nuit à sa qualité ; or, il n’y a pas de grand vin sans une matière première de choix. Le frère Pierre l’avait déjà compris lorsqu’il écrivait au début du XVIIIe siècle : Il faut mépriser cette quantité qui ne fait que du vin très commun, et viser toujours à la qualité qui fait bien plus d’honneur et de profit [4]. Les avis sur ce point n’ont pas changé et Jacques Puisais, président de l’Union nationale des œnologues, écrivait dans le Journal du Vin de novembre 1978 que l’œnologie a dénoncé les rendements trop élevés.
D’après la législation, le droit à l’appellation d’origine champagne ne peut être conféré qu’aux vins obtenus dans la limite du rendement fixé chaque année en fonction de la qualité et de la quantité de la récolte. Il ne peut toutefois être supérieur à 15 500 kg/ha. La limite du rendement annuel autorisé s’apprécie par exploitation.
À titre d’exemple, si le rendement annuel est fixé à 9 000 kg/ha, et si un vigneron exploite une propriété constituée de deux pièces de vignes de chacune 1 ha et qu’il récolte 8 000 kg dans l’une et 10 000 kg dans l’autre, il est en conformité avec la loi puisque la moyenne pour son exploitation est de 9 000 kg/ha. Si, cependant, il a pris une vigne en métayage, celle-ci constitue une seconde exploitation dont la récolte n’est pas prise en considération dans le calcul du rendement de l’exploitation principale.
Il est heureux que la législation ait prévu ces dispositions. 7 500 kilos à l’hectare représentaient en 1935 une forte récolte, mais avec les progrès techniques les rendements ont depuis beaucoup augmenté, tout en restant dans des limites respectant la qualité grâce aux règles imposées pour les pratiques culturales. Il faut savoir, d’autre part, que si la limitation du rendement à l’hectare était à l’origine une mesure de sauvegarde de la qualité, on s’est vite aperçu qu’elle pouvait concourir efficacement au maintien de l’équilibre économique d’une région viticole et qu’il convenait, dans la pratique, de tenir compte des particularités biologiques de l’année en cours, mais aussi de l’importance des expéditions et du niveau des réserves en caves.
Chaque année, le Bureau exécutif du C.I.V.C. détermine avant les vendanges le rendement souhaitable, compte tenu des promesses de la récolte et de la conjoncture économique. Elle adresse ses propositions à l’ I.N.A.O., qui les transmet avec son avis au ministre de l’Agriculture, qui statue par arrêté ministériel. Toutes les quantités récoltées au-delà du rendement autorisé sont obligatoirement envoyées en distillerie.
Ces conditions sont contraignantes d’autant qu’une obligation réglementaire impose de vendanger totalement les vignes. Si elle est efficace à long terme, la règle du rendement maximum à l’hectare est parfois difficile à admettre. Pour un vigneron, être contraint à ne pas vendanger des grappes souvent splendides peut être considéré comme une atteinte à sa dignité, et comme un malthusianisme d’autant plus malheureux qu’il risque l’année suivante de se trouver devant une récolte insuffisante. Un palliatif a heureusement été trouvé à partir de 1982, sous forme d’un blocage partiel et temporaire des moûts et des vins de vendange. Depuis la récolte 2007 les quantités récoltées entre le rendement disponible et le rendement maximum annuel sont placées en réserve qualitative individuelle dans la limite de 8 000 kg/ha. Cette réserve est un gage de qualité car elle permet aux Vignerons de "prendre des risques" dans ses vignes (taille courte, ébourgeonnement, etc.). En cas d’incidents climatiques, fréquents dans le vignoble septentrional champenois, ils savent pouvoir compter sur leur réserve.
d. Interdiction des pressoirs continus
Selon les usages locaux, loyaux et constants, le pressoir champenois doit être, on le sait, d’un modèle tel qu’il puisse convenir pour mener à bien la tâche difficile qui consiste à transformer en un vin blanc des raisins noirs. Pour cette raison, le C.I.V.C. a proscrit l’utilisation des pressoirs continus pour l’élaboration des vins à A.O.C. Champagne.
e. Limitation du rendement au pressurage
Malgré toutes les précautions prises pour obtenir un moût non taché, on ne peut empêcher qu’il le devienne à la fin du pressurage des raisins noirs. Dans tous les cas, le jus qui s’écoule le dernier a longtemps cheminé au contact des peaux, des pépins et des rafles et se charge de tanins et de matières organiques et minérales qui lui confèrent une certaine âpreté. C’est pourquoi on a toujours considéré que l’on ne devait pas utiliser pour faire du champagne le moût de fin de pressurage. Respectueux de cette tradition, le législateur, à la suite d’un accord intervenu en 1931 entre les parties intéressées, a décidé que l’appellation Champagne ne pourrait être attribuée à une quantité de vin supérieure à un hectolitre par 150 kilogrammes de vendanges18. Aujourd’hui, cette règle est encore renforcée : 160 hg de raisins ne peuvent donner que 102 l de moûts.
Le pressoir champenois type étant chargé d’un marc de 4 000 kilos de raisins, on en extrait donc au maximum 2 550 litres destinés à donner le vin à appellation. Le surplus, la rebêche, est exclu de l’appellation et, selon les usages champenois, reste la propriété du récoltant, même lorsque ce dernier vend sa récolte au kilo. La rebêche peut être utilisée pour faire de l’alcool, de l’eau-de-vie, du vinaigre, ou être conservée pour la consommation familiale sous forme de vin de rebêche19.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’expression méthode champenoise n’a pas pour objet de définir l’élaboration du champagne telle qu’elle se déroule selon les lois et règlements en vigueur, et dont elle ne recouvre que quelques aspects. À la fin du XIXe siècle, certains fabricants de vins mousseux, pour valoriser leurs produits, imaginèrent de faire figurer sur leurs étiquettes la mention méthode champenoise. Pour mettre fin à l’usage souvent excessif et injustifié qui était fait de cette expression, la Loi du 6 mai 1919 a autorisé la dénomination méthode champenoise pour les vins, autres que les vins de Champagne, rendus mousseux par fermentation naturelle en bouteille. Il s’agit bien d’une mesure ayant pour objet les mousseux et non le champagne, et rien n’indique dans la législation qu’il y ait identité entre la méthode champenoise et les procédés d’élaboration de ce dernier. Cette expression n’a d’ailleurs jamais figuré sur ses étiquettes et les Champenois ne l’ont jamais revendiquée. Elle indique seulement que le vin a subi en bouteille la deuxième fermentation mais elle n’apporte pas l’assurance que le fractionnement des moûts a été pratiqué lors du pressurage, ni que les règles très contraignantes de la production champenoise ont été observées, en particulier en ce qui concerne les délais de vieillissement. Découlant des usages locaux, loyaux et constants, imposés par la législation, ces règles sont exposées ci-après.
a. La deuxième fermentation en bouteille
L’obligation de la deuxième fermentation en bouteille est la règle majeure de la législation de l’élaboration du champagne. La loi a en effet codifié les pratiques remontant à la fin du XVIIe siècle en spécifiant que l’appellation d’origine champagne n’est applicable qu’aux vins rendus mousseux par fermentation en bouteille 20
D’après les usages locaux, loyaux et constants, mais sans qu’ici la loi intervienne, la seule manière d’éliminer le dépôt est le dégorgement, le champagne restant donc dans sa bouteille d’origine jusque sur la table du consommateur. Il n’est fait exception que pour les contenants d’une capacité inférieure à la demi-bouteille et supérieure au jéroboam pour lesquels le transvasement est autorisé en raison des difficultés de manipulation qu’ils présentent au remuage, mais sous réserve que le vin à transvaser ait été entièrement élaboré selon les règles de l’AOC et que les matériels de transvasement utilisés ne comportent aucun dispositif de filtration et soient approuvés par le C.I.V.C. (Vignerons et Maisons de Champagne).
b. Le titre alcoométrique minimum
Le cahier des charges de l’appellation stipule que le titre alcoométrique des cuvées destinées à l’élaboration des champagnes, ne peut être inférieur à 9 %. Lorsque au sortir du pressoir on constate que la richesse en sucre du moût ne permettra pas d’atteindre ce chiffre, il est possible de remonter le titre alcoométrique par chaptalisation. Par contre le vinage, qui consiste à rehausser le titre alcoométrique d’un vin par addition d’alcool, est interdit, sauf dans la liqueur d’expédition. Toutes les liqueurs et dissolutions employées dans l’élaboration du champagne sont à base de vin de même appellation et le mouillage (addition d’eau) est interdit.
c. La chaptalisation
La chaptalisation a pour objet d’enrichir les moûts en y ajoutant du sucre qui sera transformé en alcool durant la première fermentation, en même temps que le sucre naturel des raisins, augmentant ainsi le titre alcoométrique. La réglementation admet la chaptalisation pour le champagne sur autorisation donnée par arrêté du ministre de l’Agriculture, pratiquement chaque année.
La chaptalisation peut s’effectuer par addition de saccharose ou l’utilisation de moûts de raisins concentrés. La saccharose est soumise à une limitation quantitative et généralement fixée à 3,360 kilos de sucre par hectolitre de moût. En outre, le sucre ajouté ne doit pas excéder une certaine quantité par hectare de vigne en production 23, fixée depuis 1980 à 300 kilos.
d. La modification de l’acidité
Une certaine acidité est nécessaire au champagne si on veut en maintenir le caractère. On peut, s’il le faut, acidifier les moûts et vins utilisés pour sa préparation, dans une limite de 1 g 50 par litre24. Les années au cours desquelles les conditions climatiques ont été exceptionnelles, cette limite, sur décision communautaire, peut être élevée jusqu’à 2 g 50 par litre, sous réserve que l’acidité naturelle des produits ne soit pas inférieure à 3 g par litre. Lorsque, par contre, une année confère aux vins une acidité excessive, les moûts et vins peuvent être l’objet d’une désacidification, sans qu’une limite soit fixée pour cette opération. Comme il est logique, l’acidification et la désacidification s’excluent mutuellement25.
e. Le champagne millésimé
Conséquence heureuse d’une année particulièrement favorable sur le plan de la qualité, le champagne millésimé est un vin dont le caractère d’exception justifie une réglementation spéciale26. Il doit titrer au moins 11 % lorsqu’il est terminé et provenir de disponibilités existantes en vins de l’année considérée. En outre, le vin de Champagne vendu avec millésime ne peut dépasser 80 % des quantités des vins de l’année en cause, achetées ou récoltées par le négociant ou vigneron expéditeur, ce qui oblige à conserver une réserve suffisante de vin des bonnes années en vue d’élever la qualité des assemblages. En réalité les producteurs, allant plus loin dans l’esprit de la loi, en gardent une proportion nettement plus importante comme vins de réserve. Enfin, le champagne millésimé ne peut être mis sur le marché que trois ans au moins après la vendange (voir ci-après § j).
f. Le champagne rosé
On sait que le champagne rosé est produit de très longue date, et que pendant longtemps la méthode pour l’obtenir a consisté à colorer les vins blancs avec la teinte de Fismes. Cette pratique est désormais strictement interdite27. Deux méthodes sont admises. On peut vinifier des moûts en rosé comme cela se fait pour les autres vins rosés de France, par fermentation partielle des raisins, égrappés ou non, avant pressurage, le soutirage s’effectuant dès que la teinte rosée est atteinte. On peut aussi faire un coupage de vin rouge et de vin blanc, soumis à réglementation28, et qui s’opère par addition à ce dernier, au moment du tirage, de 10 à 20 % de vin à appellation Champagne vinifié en rouge, celui-ci pouvant aussi être incorporé à la liqueur de tirage : dans l’éventualité ou la teinte rosée du vin serait trop claire après prise de mousse, l’adjonction de vins rouge à la liqueur d’expédition est autorisé.
g. La liqueur de tirage
En Champagne, la liqueur de tirage, traditionnellement composée de levures, sucre et vin, est conforme à la réglementation communautaire29. Celle-ci stipule par ailleurs que l’adjonction de la liqueur de tirage ne peut entraîner une augmentation du titre alcoométrique total de la cuvée de plus de 1,5 % ; cela correspond à environ 27 grammes de sucre par litre de vin, supérieur à ce qui est habituellement utilisé en Champagne. Bien entendu, le vin qui sert à la composition de la liqueur de tirage doit bénéficier de l’appellation Champagne.
h. La pression minimum dans la bouteille
D’après la réglementation communautaire30, le champagne doit accuser, à la température de 20°, une pression minimum de 3 atmosphères et demie, ce chiffre étant réduit à 3 pour les récipients d’une capacité inférieure à 25 centilitres. En fait, cette règle n’intéresse que le champagne crémant, dont la pression ne peut donc plus descendre au-dessous de 3 atmosphères et demie, les autres types de champagne ayant toujours, comme on le sait, 5 à 6 atmosphères de pression. Aucune réglementation ne fixe un maximum de pression à ne pas dépasser.
i. Le pourcentage utilisable des vins ayant droit à l’appellation
Les lies, les bas vins de dégorgement, ne rentrent évidemment pas dans la fabrication du champagne. Afin d’empêcher que soient substitués à ces produits des vins sans appellation, les vins ayant droit à l’appellation champagne, autres que ceux logés en bouteilles et complètement manutentionnés, sont couverts seulement à 98,50 % de leur volume par ladite appellation31.
j. Les délais à respecter pour l’élaboration et le vieillissement
Pour qu’un champagne soit bien élaboré, il faut que sa prise de mousse soit complète. Pour qu’il puisse développer toutes ses qualités, il convient de lui assurer ensuite un certain délai de vieillissement en bouteille chez le producteur. Il est donc stipulé que la durée de la fermentation en bouteille et de la présence sur les lies ne peut être inférieure à 3 mois ; autrement dit, il doit s’écouler un minimum de 3 mois entre la date du tirage et celle du dégorgement. Il est en outre arrêté que les vins de Champagne, sauf pour les transferts de négociant-manipulant à négociant-manipulant, ne peuvent sortir du magasin séparé ou des celliers des propriétaires récoltants que 15 mois au minimum après leur tirage33. Toutefois, pour le champagne expédié avec revendication d’un millésime, la sortie du magasin ne peut s’effectuer que trois ans au moins après la vendange à laquelle correspond ce millésime34.
k. La liqueur d’expédition
Comme la liqueur de tirage, la liqueur d’expédition est, dans sa composition traditionnelle, conforme aux prescriptions communautaires 35. Elle peut comporter de l’alcool ou de l’eau-de-vie, sous réserve qu’il s’agisse d’alcool neutre d’origine vinique, ou d’eau-de-vie de vin titrant entre 52 % et 80 %, ou d’esprit-de-cognac titrant entre 80 % et 85 %. Dans tous les cas, l’adjonction de la liqueur d’expédition ne doit pas augmenter de plus de 0,5 % le titre alcoométrique du vin.
La réglementation communautaire a fixé les quantités de sucre résiduel que le champagne doit contenir en fonction des qualificatifs de dosage qui lui sont attribués. Elles sont arrêtées comme suit : extra-brut, inférieur à 6 grammes par litre, brut, moins de 12 grammes par litre ; extra-dry, entre 12 et 17 grammes par litre ; sec, entre 17 et 32 grammes par litre ; demi-sec, entre 32 et 50 grammes par litre ; doux (qui pratiquement n’existe plus), au-delà de 50 grammes par litre.
l. Le titre alcoométrique minimum du champagne prêt à être livré à la consommation
la réglementation communautaire36 fixe à 10% le titre alcoometrique minimum des V.M.Q.P.R.D. livrés à la consommation ; c’est donc le cas pour le champagne. Mais si celui-ci est millésime, il tombe sous le coup de la règlementation nationnal37, qui, on l’a vu, lui fixe un titre minimum de 11%.
m. Le titre alcoométrique maximum
Dans le cadre de la réglementation communautaire, les vins à appellation d’origine admis à la chaptalisation ne doivent pas dépasser, une fois terminés, un titre appelé titre alcoométrique acquis maximum. Faisant partie de cette catégorie, le champagne doit titrer après prise de mousse en dessous du maximum fixé à 13%.
a. Les limites géographiques de la manipulation
Le Décret du 17 décembre 1908, premier texte ayant défini les limites de la Champagne viticole, posait déjà comme principe que l’appellation régionale champagne devait être exclusivement réservée aux vins manipulés entièrement sur les territoires délimités, et cela pour faire obstacle aux fraudeurs dont on se rappelle les méfaits. Les textes ultérieurs ont confirmé cette prescription capitale et le dernier en date stipule que l’appellation champagne n’est attribuée qu’aux vins entièrement manipulés dans les limites de la Champagne viticole40. Par analogie, est interdit l’envoi de raisins, de moûts, de vins non mousseux, en cercles ou en bouteilles, sous le bénéfice de l’appellation champagne, à un destinataire autre qu’un négociant-manipulant de l’aire délimitée41.
b. Les conditions d’emmagasinement ; le magasin séparé
Dans le même esprit de lutte contre la fraude, on se souvient des problèmes qu’avait soulevés la question des magasins séparés, finalement réglée par la Loi du 10 février 1919, modifiée par la Loi du 6 mai 1919. Aux termes de cette dernière loi, les récoltants ou fabricants ayant le droit de donner à leurs vins mousseux l’appellation d’origine champagne doivent emmagasiner, manipuler et complètement manutentionner leurs vendanges et leurs vins dans des locaux séparés, sans aucune communication autre que par la voie publique avec tous locaux contenant des vendanges ou des vins auxquels ne s’applique pas l’appellation d’origine champagne.
Dans la pratique, le magasin séparé champagne est dénommé magasin spécial ou encore magasin numéro un par opposition au magasin contenant des autres vins et dénommé magasin numéro deux. L’introduction dans un magasin champagne de vins autres que ceux bénéficiant de l’appellation d’origine champagne aurait pour conséquence la perte du droit à l’appellation pour la totalité des vins détenus dans ledit magasin. Une tolérance est cependant admise pour les coteaux champenois (sous certaines conditions) et pour les vins de boisson destinés à la consommation du producteur et de son personnel.
c. L’interdiction de la fabrication en Champagne viticole de vins mousseux autres que le champagne
On a vu le tort que causait au champagne au XIXe siècle, et encore au lendemain de la première guerre mondiale, la production de vins mousseux élaborés dans la Marne à partir de vins étrangers. Dans la seule année 1929 il s’en était vendu près de 8 millions de bouteilles. La Loi du 20 mars 1934 a mis fin à cette situation par une décision que la Loi du 23 mai 1977 a rendu plus explicite par le texte suivant : À l’intérieur de la Champagne viticole délimitée, toute fabrication de vins mousseux autres que ceux pouvant prétendre à l’appellation champagne est interdite. La Loi du 20 mars 1934 a proscrit en outre la vente de vins mousseux accompagnés d’un nom de commune comprise dans la Champagne viticole délimitée.
a. Dispense de la référence à l’appellation d’origine
Légalement, les vins à A.O.C. ne devraient pas être vendus sans que figure sur l’étiquette la mention appellation contrôlée 42. Mais l’administration fiscale et l’ I.N.A.O. ne l’ont jamais exigé pour le champagne. En 1936, lorsque fut prise cette décision, en raison de la crise mondiale des quantités considérables de bouteilles de champagne se trouvaient dans les caves des producteurs ou chez les revendeurs, en France et à l’étranger. En mettant la mesure en cause à exécution, on aurait donné, jusqu’à disparition complète des stocks, une plus-value injustifiée aux vins postérieurs à juin 1936. Après tout, le champagne était contrôlé bien avant cette époque et s’identifiait plus que tout autre vin avec le concept de l’appellation. Cette position a été confirmée par la réglementation communautaire43, qui a décidé que, pour la France, les mentions spécifiques traditionnelles devant être utilisées, étaient appellation d’origine contrôlée, appellation contrôlée ou champagne, reconnaissant ainsi que le mot champagne se suffit à lui-même.
b. Mention obligatoire du mot champagne
Dans un but d’identification, mais aussi de défense contre la fraude, la dénomination champagne doit obligatoirement figurer sur les étiquettes en caractère très apparents44, ainsi que sur les caisses et emballages et sur les titres de mouvement délivrés par la régie. Elle doit aussi être inscrite sur la partie du bouchon contenue dans le col de la bouteille45.
Il est précisé, en ce qui concerne les caractères, que les dimensions aussi bien en hauteur qu’en largeur ne doivent pas être inférieures à la moitié des caractères les plus apparents de la marque. Il est indiqué que ces derniers ne sont pas les majuscules initiales, mais bien les caractères de la marque qui se trouvent en majorité46.
c. Mention obligatoire du numéro d’immatriculation
Les étiquettes, comme d’ailleurs les papiers commerciaux, doivent comporter le numéro d’immatriculation du producteur, donné par le C.I.V.C. pour la délivrance des cartes professionnelles47. L’immatriculation comporte un numéro d’ordre à plusieurs chiffres, précédés d’un groupe de deux lettres qui peut être l’un des suivants : N.M., pour négociant-manipulant, désignant une marque de négociant-manipulant ; M.A., pour marque d’acheteur auxiliaire, désignant une marque n’appartenant pas à l’élaborateur ; R.M., pour récoltant-manipulant ; C.M., pour coopérative de manipulation et R.C. pour récoltant coopérateur.
d. Mention obligatoire du nom ou de la marque de l’expéditeur et de l’adresse
D’après la réglementation de l’appellation d’origine, le nom ou la marque de l’expéditeur doit figurer sur l’étiquette48 et, d’après celle relative à l’étiquetage des boissons, le nom, la raison sociale et l’adresse de la personne responsable soit de la fabrication, soit du conditionnement, soit de la commercialisation de la marchandise49, doivent aussi s’y trouver. L’indication du nom et de l’adresse de la raison sociale ou de la marque de l’expéditeur, complétée par le numéro d’immatriculation du C.I.V.C., répond à ces prescriptions. Il est d’autre part précisé que toute adresse comprenant le nom d’une localité non comprise dans l’aire de la Champagne viticole délimitée ne peut figurer que sur une contre-étiquette portant la mention Adresse commerciale : X négociant à Y. Cette contre-étiquette ne doit mentionner en aucun cas le mot champagne50 .
e. Mention obligatoire de la quantité de vin contenue dans la bouteille
Le volume net du vin contenu dans la bouteille doit figurer en centilitres sur l’étiquette51 avec des caractères d’au moins 4 millimètres de haut. Certains pays exigent que le titre alcoométrique soit également mentionné sur l’étiquette.
f. Mention obligatoire du millésime
Le millésime, s’il y a lieu, doit figurer obligatoirement sur le bouchon et sur l’étiquette ou la collerette, ou sur toute autre pièce d’habillage, à l’exception de toute vignette passe-partout ne portant pas le nom du manipulant ou de la marque, ainsi que son numéro d’immatriculation52.
g. Mention éventuelle crémant
Comme on le sait, le mot crémant est employé de longue date pour désigner le champagne demi-mousse et lui seul. Mais depuis 1975, une regrettable mesure53 a mis un terme à cette exclusivité : le mot crémant peut toujours être utilisé pour le champagne mais son usage est élargi à d’autres vins mousseux à appellation d’origine. Outre que cette innovation illogique est de nature à abuser le consommateur sur le plan de l’appellation, elle est déroutante car si le crémant champenois, conformément à la tradition, a une pression moins forte que celle des autres champagnes, 3,5 à 4 atmosphères seulement, les crémants de Loire, crémants d’Alsace, crémants de Bourgogne, ont généralement une pression de 5 à 6 atmosphères.
h. Mentions éventuelles blanc de blancs et blanc de noirs
La dénomination blanc de blancs a son origine en Champagne, où elle a été utilisée pour éviter la confusion entre les vins blancs faits uniquement avec des raisins blancs et les vins blancs de raisins noirs particuliers à la province. Actuellement, cette expression désigne aussi bien un vin tranquille qu’un vin mousseux, de Champagne ou d’ailleurs, à condition qu’il provienne de cépages blancs. Le champagne ne peut donc être désigné comme blanc de blancs que s’il est fait exclusivement avec du Chardonnay, cette obligation s’appliquant également aux liqueurs de tirage et d’expédition entrant dans sa composition.
La dénomination blanc de noirs est réservée aux vins blancs issus des seuls cépages noirs à jus blancs et vinifiés en blanc. Le champagne ne peut donc être désigné comme blanc de noirs que si les raisins de Pinot noir et (ou) de Meunier sont seuls à entrer dans sa composition, liqueurs comprises.
i. Mentions éventuelles grand cru et premier cru
L’utilisation sur les étiquettes de l’expression grand cru est réservée au champagne provenant exclusivement de communes classées à 100 %. Il en est de même pour premier cru en ce qui concerne les communes classées de 100 à 90 % inclusivement54. On peut remarquer que les crus à 100 % sont donc à la fois des grands crus et des premiers crus. La mention cru classé est interdite en Champagne car les conditions de la réglementation en la matière n’y sont pas remplies.
j. Mentions diverses
Les mots tels que clos, château, domaine, côte, sont autorisés à la condition qu’ils proviennent d’une exploitation exactement qualifiée par eux55, ce qui est très rare en Champagne, en raison de la constitution du vignoble d’une part, de la pratique de l’assemblage d’autre part. Les expressions propriétaire à..., viticulteur à..., ou expressions analogues, ne peuvent être utilisées que par les récoltants vendant exclusivement le champagne provenant de leur récolte56, le lieu de l’exploitation suivant l’expression en cause devant être celui de l’exploitation viticole principale ; les récoltants retirant d’une coopérative leurs vins en cercles ou en bouteilles ne peuvent donc pas faire usage de cette faculté. L’adresse mentionnée sur l’étiquette ou les papiers commerciaux ne peut indiquer en regard du nom de la commune d’origine celui d’une localité plus connue des consommateurs, par exemple sous la forme de locutions telles que près Reims, ou près Épernay. La réglementation des appellations d’origine interdisant l’emploi sur les étiquettes et autres documents de désignations géographiques autres que celles de l’appellation et du cru, on ne peut pas y faire figurer Montagne de Reims, Côte des Blancs ou des expressions analogues.
Au terme de cette étude, on ne peut qu’éprouver une réelle admiration pour cette législation omniprésente et toute puissante, pour ce foisonnement de prescriptions et d’interdits au service exclusif de la qualité et du respect de l’appellation d’origine et, par voie de conséquence, du consommateur. Comment aussi ne pas apprécier également sa précision ! Aux Etats-Unis, pour qu’un vin soit étiqueté Sauvignon, il suffit qu’il provienne pour 55 % de ce cépage ; sur l’étiquette d’une bouteille de champagne, tout ce qui est écrit est le reflet exact de la vérité.
Certes, l’appellation d’origine est contraignante par les règles qui la régissent, les limitations qu’elle impose, les contrôles qu’elle entraîne. Cependant les professionnels, qui ont été les premiers à la réclamer, y restent très attachés et, tout compte fait, elle leur est bénéfique. Liée directement à l’économie particulière de la région, l’appellation est associée à l’idée de propriété individuelle et collective. Dès lors qu’elle est reconnue, elle devient un droit de propriété imprescriptible qui s’exprime, en particulier, par la valeur ajoutée au produit qu’elle recouvre. Elle garantit au champagne le caractère spécifique qui découle de l’observation de sa réglementation, lui assurant ainsi une exclusivité protégée par l’interdiction légale qu’elle fait à ses concurrents d’en porter le nom.
L’intérêt commercial de l’appellation est bien connu. Un nombre sans cesse croissant de vignobles se sont pliés aux règles sévères qu’elle suppose, de telle sorte qu’en France la production des vins à A.O.C. est passée de 1946 à 2006 de 5 à 24 millions d’hectolitres, alors que celle des autres vins tendait à diminuer. La notion d’appellation satisfait en effet les consommateurs exigeants, et ils sont de plus en plus nombreux. Pour eux, elle a valeur d’exception ; de plus, elle les rassure sur le double plan de la qualité et de l’authenticité. Cela est encore plus vrai pour le champagne que pour les autres vins car il a la chance d’être de loin la plus importante des appellations d’origine d’une province qui n’en compte que 3, dont une, le Rosé des Riceys, n’a qu’une place très restreinte au niveau des expéditions. En Bourgogne, il y a plus de 100 appellations, en Bordelais plus de 50, avec en outre une importante production de vins de consommation courante qui n’existe pas en Champagne. Une telle dispersion égare les buveurs de bonne volonté, diminue l’effort commercial [5], et il est hors de doute que l’appellation perd sa valeur en se multipliant.
L’appellation champagne est donc pour les producteurs un précieux atout sur le plan économique. Elle a participé dans une large mesure au succès du champagne depuis la première guerre mondiale. Législation et réglementation ont permis à la Champagne de vivre et de se développer. Elles ont contribué à la qualité du champagne, à son prestige, appuyé sur l’alliance de l’appellation et de la marque [6].
[1] QUITTANSON (Ch.) et R. VANHOUTTE. La Protection des appellations d’origine et le commerce des vins et eaux-de-vie. Montpellier, 1963.
[2] MOLLAT (M). Genèse médiévale de la France moderne. Paris, 1970.
[3] CHAPPAZ (Georges). Le Vignoble et le vin de Champagne. Paris, 1951.
[4] PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.
[5] PEYNAUD (Emile). Le Goût du vin. Paris, 1980.
[6] BERGEOT (Paul). La Coupe est pleine. Paris, 1980.