UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les aspects du vignoble champenois Coupe géologique du Bassin de Paris

Trop de gens ne se représentent la Champagne que par ses plaines monotones et ignorent que s’offre à eux, aux portes de Paris, dans un des beaux paysages de France, un magnifique vignoble dont Vizetelly a écrit qu’il peut, sans doute, se classer parmi les plus pittoresques des régions vinicoles de France les plus connues [1]
C’est sur les coteaux que s’étagent les vignes, en un long ruban de 200 kilomètres, d’une largeur variant d’une centaine de mètres à 2 kilomètres, rarement plus. Virgile avait raison d’écrire que la vigne se plaît sur des collines découvertes, denique apertos Bacchus amat colles. Cette situation lui est particulièrement favorable dans un climat septentrional, car elle se trouve ainsi ensoleillée et bien aérée sur des sols qui s’égouttent convenablement, tout en étant moins exposée qu’en plaine aux gelées printanières, et à l’humidité de la rosée ou du brouillard, facteur d’affections cryptogamiques.
Presque partout une zone boisée occupe la crête, réserve hygrométrique jouant au profit du vignoble qu’elle surplombe un rôle de régulation de l’humidité et de la température. Fréquemment, on trouve en bas de pente une rivière qui a la même fonction climatique, prévenant en particulier les brusques refroidissements nocturnes.
Généralement, les vignes sont orientées vers l’est ou le sud-est, mais il y en a dans toutes les expositions, sud notamment pour certains vignobles de la vallée de la Marne. On en trouve même sur des pentes nord, où elles sont dites à l’envers, et non pas des moindres puisqu’il s’agit entre autres des grands crus de Mailly et de Verzenay.
Cela peut sembler paradoxal, s’agissant d’un vignoble septentrional, mais s’explique si on considère qu’en l’occurrence la Montagne de Reims constitue pour l’ensemble de ces terroirs un abri contre les vents défavorables à la vigne et que, le relief de leurs côtes étant mamelonné, des parcelles se trouvent sur des versants est et ouest. En outre, et cela est vrai dans tous les cas, même avec une exposition nord les ceps bénéficient d’une insolation suffisante, les pentes étant assez modérées pour ne pas les priver des rayons du soleil, d’où qu’ils viennent. Il faut enfin rappeler que le réchauffement du terrain au cours des heures chaudes a une influence déterminante sur la végétation de la vigne, quelle que soit sa situation. Elle peut, comme l’a écrit le docteur Guyot, être établie à peu de chose près dans toutes les expositions et y donner de bons produits [2] pour autant, devrait-on ajouter, que toutes les conditions nécessaires à une complète maturité et à une bonne qualité soient par ailleurs réunies, comme c’est le cas en Champagne viticole. Nicolas Bidet, l’officier de la Maison du Roy, l’avait bien compris lorsqu’il écrivait en 1752 : Il sembleroit d’abord que l’exposition des Vignes au Midi seroit la plus avantageuse ; en général je la crois la plus favorable. Cependant l’expérience nous fait voir que dans des terrains qui ont la même exposition, on y recueille des Vins très-différents en bonté, qu’au contraire des terroirs exposés au Nord et au Levant produisent des Vins d’un goût plus parfait que d’autres qui ont l’exposition du Midi. D’où peut venir une différence si remarquable, si elle ne vient en tout ou en partie de la nature et de la qualité du terrain ?
Si les arbres sont les bienvenus sur le plateau qui domine le vignoble, dans la vigne même ils sont bannis car elle redoute leur ombre et craint leur concurrence dans le partage des ressources du sol. Aucun ornement ne vient donc rompre l’ordonnance des ceps qui, taillés tous à la même hauteur, sont alignés comme à la parade. Il n’en ressort cependant aucune impression de monotonie, les pièces de vigne étant toutes différentes. L’orientation de leurs lignes se modifie avec celle du terrain car elles sont généralement conduites dans le sens de la pente. Au voisinage des agglomérations les parcelles diminuent de taille et forment un patchwork dont les couleurs varient en fonction, pour chacune d’elles, de l’état sanitaire de la vigne, du mode d’entretien des sols et de leur stade d’occupation.
À travers les vignobles se déroule une route sinueuse. Ponctuée de calvaires, elle saute de croupe en croupe et traverse en zigzaguant des villages aux toits rouges ou bruns, resserrés sur un méplat du coteau ou dans un vallonnement ouvert sur la plaine ou la vallée, avec des rues étroites et en pente, des fontaines et des lavoirs alimentés par les sources issues des nombreuses résurgences du plateau calcaire. Comme le dit joliment Patrick Forbes, le village champenois donne presque toujours l’impression d’avoir mûri lentement, il semble se replier sur son propre petit monde, un monde consacr exclusivement aux raisins et au vin, comme il en fut ainsi pendant des siècles [3]. Les églises sont en général situées au cœur de l’agglomération mais il en est qui sont isolées au milieu des vignes, rencontre émouvante de la nature et de la pierre sculptée par l’homme à la gloire du Créateur. Elles sont le plus souvent gothiques car à quelques exceptions près, notamment dans la Côte des Blancs, la Champagne est gothique dans ses églises comme la Saintonge est romane, et on ne sait ce que l’on doit le plus admirer des ravissantes églises de village de la vallée de la Marne ou des imposantes abbatiales d’Orbais-l’Abbaye et d’Essômes.
De temps à autre, la route s’élargit et devient avenue pour suivre le tracé des anciennes fortifications d’un bourg au passé historique, ou se fondre dans les rues d’une des villes du vignoble, où parfois l’ardoise remplace la tuile, et dont plusieurs se targuent d’être la capitale du champagne. Aucune cependant ne peut faire valoir à ce titre des droits incontestables. Comme l’écrivait déjà Edme Baugier en 1721, il semble qu’il n’est pas aisé de déterminer laquelle des villes de Champagne en est la capitale [4], et ceci est vrai pour le champagne.
Troyes est le siège historique des comtes de Champagne, Châlons-sur-Marne est le chef-lieu de la région Champagne-Ardenne, après avoir été la résidence des intendants et gouverneurs de Champagne, Reims est la métropole judiciaire, universitaire et commerciale, Épernay est le cœur du vignoble champenois. En ce qui concerne la Champagne viticole, aucune de ces villes ne peut s’en dire la capitale. Quant à Bar-sur-Aube, c’est improprement que certains lui donnent le titre de capitale du champagne de l’Aube, car le champagne n’est ni de la Marne, ni de l’Aisne, ni de l’Aube ; il ne peut être que... de Champagne !

Notes

[1VIZETELLY (Henry). Facts about champagne and other sparkling aines. Londres, 1879.

[2GUYOT (Dr jules). Culture de la vigne et vinification. Paris, 1860.

[3FORBES (Patrick). Champagne. The usine, thé land and thé people. Londres, 1967.

[4BAUGIER (Frime). Mémoires historiques de la province de Champagne. Paris, 1721.