Mettre une bouteille de champagne dans un seau portant le nom d’une marque concurrente. C’est un manque de tact qui se passe de commentaires.
Refroidir le champagne à l’excès. Si le champagne ne doit pas être tiède il doit encore moins être glacé ; donc ne pas remplir de glace seau à rafraîchir sans y verser en même temps de l’eau. À l’inverse, il faut éviter de garnir le seau insuffisamment, ce qui aurait pour résultat de ne refroidir que la partie inférieure de la bouteille.
Mettre deux bouteilles dans un seau qui n’est conçu que pour une seule dans ce cas, une des bouteilles reste partiellement en dehors de l’eau et n’est pas convenablement rafraîchie. Si on ne dispose pas d’un seau assez large, il est préférable de laisser provisoirement la deuxième bouteille au frigidaire, ou dans un récipient isotherme si elle a été préalablement refroidie.
Glacer les verres avant d’y verser le champagne, en y faisant tourner des glaçons ou de la glace pilée. II en résulte des anomalies dans le dégagement du gaz et dans le caractère organoleptique du vin.
Cacher l’étiquette en emmaillotant la bouteille comme un nouveau-né. Cette pratique condamnable, on a expliqué pourquoi, a pris naissance dans les établissements de nuit où le prestige de la bouteille servie n’est pas toujours en rapport avec son prix. Beaucoup de gens croient que cela se fait parce qu’ils le voient faire à la télévision, dont les réalisateurs sont contraints de cacher la marque. Le mieux est de se passer de serviette pour le service. Dans ce cas, toutefois, bien essuyer la bouteille que l’on sort du seau afin que de belles épaules nues ne soient pas incommodées par des gouttes d’eau glacée.
Retourner la bouteille de champagne dans le seau, goulot en bas, quand elle est vide. Cette habitude vient également des boîtes de nuit. Elle est aussi observée dans des music-halls car elle simplifie le service pendant le spectacle. Mais au restaurant elle déclasse immanquablement un établissement. Elle est à proscrire absolument car c’est un manque de respect pour une bouteille prestigieuse et, en outre, un manque de tact envers le consommateur que l’on semble vouloir pousser à la consommation. On veut espérer qu’aucun sommelier digne de ce nom ne s’abaisse à de pareils errements, mais même si le service du vin est fait par un serveur, il lui appartient de surveiller le niveau de la bouteille et, lorsque celle-ci est vide, d’en avertir discrètement le client en lui demandant quelles sont ses intentions, au besoin en le conseillant pour un nouveau choix.
Il convient de lutter contre toute tentative de retour du service du champagne en carafe comme il s’en produit périodiquement. On en a vu l’illogisme et les dangers. Et de toute manière, comme écrit fort justement Maurice Des Ombiaux, on ne décante pas le champagne, - à quoi servirait d’habiller la bouteille, de la casquer d’or et d’argent comme un chevalier, de lui coller sur la panse une étiquette magnifique, si c’était pour la faire disparaître, avant de s’être montrée à table, dans les oubliettes de l’office [1].
L’ennemi numéro 1 du champagne, c’est ainsi qu’il faut appeler le bâtonnet ou fouet que certains ignorants agitent dans leur verre pour faire partir le gaz carbonique que l’on s’est donné tant de mal à produire et à conserver. On ne voit pas pour quelle raison on devrait s’en débarrasser prématurément puisqu’il fait partie du plaisir de la dégustation et que du point de vue médical il est bénéfique. On note d’ailleurs que ce sont souvent les utilisateurs de cet outil destructeur qui, le lendemain, prendront sans sourciller une boisson gazeuse gorgée de gaz carbonique. On voit aussi des personnes qui, pour obtenir le même résultat, prennent deux verres et versent alternativement le champagne de l’un dans l’autre, cuisine qui manque totalement d’élégance, bien qu’elle ait été pratiquée par Sacha Guitry, et qu’il convient de prohiber.
Le batteur à champagne est, pour sa part, un instrument de torture qui détruit en 30 secondes le travail de 3 ans et ruine les qualités du vin. Voici ce que dit avec beaucoup de pertinence le Larousse des vins à ce sujet : Champagne (batteur à), instrument barbare né dans l’esprit inventif d’un ennemi du champagne. Tenter de supprimer les bulles légères de ce vin spirituel revient à essayer de lui enlever tout son esprit et son élégance. Le champagne ainsi maltraité prend immédiatement un goût d’évent désagréable. Le breuvage n’est plus du champagne et n’est pas du vin ; ce n’est plus qu’une tisane qui désole le palais et l’estomac.
Le champagne n’est pas un masochiste. Il n’aime à être ni battu, ni fouetté, et tous les connaisseurs sans exception condamnent les batteurs et fouets dont il est menacé. Il semble que l’origine de ces instruments remonte aux Années folles et voici ce qu’écrivait en 1925 dans Le Gotha des vins en France Maurice Des Ombiaux : Vous voyez dans les restaurants de nuit et autres dancings des êtres à visage blafard qui battent le beau vin doré et mousseux avec de petits bâtons appelés mosers. Ce ne sont pas des amateurs de champagne, ils ne le boivent que par snobisme. Les snobs dernier cri tirent de leur étui à cigarettes un petit balai d’or ou de platine, ou d’argent massif avec quoi ils agitent le vin qu’on a eu tant de peine à cultiver et à conserver dans la bouteille. En Belgique, on appelle le batteur à champagne le... bâton des putains, et il est vrai que certaines professionnelles s’en servent régulièrement. Et comble de l’horreur, on a vu un jour une jeune femme battre son champagne avec... une de ses épingles à cheveux !
Qu’il soit en matière plastique ou en métal précieux, qu’on le nomme moser (ou mosser) ou swizzle stick, qu’il soit simple ou sophistiqué, cela ne change rien à l’affaire : le batteur à champagne est une hérésie et même s’il est en or, il proclame l’ignorance d’un convive, a écrit George Prade dans le numéro de décembre 1978 de la revue suisse Plaisirs. S’il survit encore, peut-être faut-il en chercher l’explication, en dehors de la fidélité de quelques snobs attardés, dans sa présence dans certaines boutiques de cadeaux et sur les listes de mariage.
Il est heureusement en voie d’extinction en France. Au Centre international des arts de la table on n’en trouve pratiquement plus, et rue Paradis, haut lieu parisien du service de table, les rares magasins qui tiennent cet article en vendent très peu. Encore faudrait-il que les barmen s’abstiennent de le proposer à leurs clients, ou même d’en orner leur bar, comme cela se fait parfois. Tous les amateurs de champagne doivent se liguer pour arriver à la disparition totale de ce dangereux importun.
[1] OMBIAUX (Maurice Des). Le Vin. Paris, 1928.