UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

L’historique du rôle du champagne dans la santé

En fait, c’est depuis que le champagne existe que sa salubrité est reconnue, ainsi que le rôle efficace qu’il peut jouer dans le maintien et le rétablissement de la santé. Avant même de mousser, les vins de Champagne étaient recommandés dans ce but ; on se souvient de Pardulle les conseillant à Hincmar au Moyen-Age. En 1674, voici ce que l’on pouvait lire dans L’Art de bien traiter à leur sujet : Voilà de la boisson que j’ordonnerais fort volontiers aux illustres friands, et toujours des plus gris, comme estant les plus courants, et les moins chargeant l’estomach, car quelque bon que soit le vin rouge, comme plus matériel à cause qu’il a cuvé plus longtemps, il n’est jamais si délicieux, ne se digère pas si promptement que les autres, et cause consequemment quantité d’ingestions et de maladies.

La notice sur les vins incluse dans Le Cuisinier Royal de Viard expliquait en 1698 que la nature, bonne mère, nous indique, en nous les inspirant, le moyen le plus propre à conserver par eux notre santé. Ainsi, le sanguin sent le besoin d’un vin léger, humectant : tel que le champagne ou le vin du Rhin. Saint-Evremond, un peu partial il est vrai, écrivait dans ses Pensées, Sentimens, Maximes sur la santé que les vins de Champagne sont les meilleurs  [1]. Et si dans la Querelle des vins les Bourguignons avaient cherché à discréditer les vins de Champagne, ceux-ci s’étaient facilement justifiés et les Écoles de Paris avaient pris leur défense en 1677 avec une thèse dont la conclusion était : Ergo Vinum Rhemense omnium saluberrimum (Le vin de Reims est donc le plus salubre de tous).

La dispute entre Bourguignons et Champenois ayant, comme on le sait, recommencé au XVIIIe siècle, Charles Coffin a exalté la salubrité du vin de Champagne par les vers de La Champagne vangée [2] que voici :

Sa céleste température
N’appesantit jamais le corps,
Jamais n’afflige la nature
Par de tumultueux efforts ;
Mais sans ravages, et sans peine

On sent couler de veine en veine
Le feu de ce jus amoureux,
Qui’ par ses vertus admirables,
De mille atteintes déplorables
Défend le Champenois heûreux.

Jacques de Reims, médecin du roi à Épernay, donnait le 14 mars 1730 les précisions suivantes à Claude-Adrien Helvétius, conseiller d’Etat, médecin ordinaire du roi et premier médecin de la reine, à propos d’une épidémie de cathares suffoquants survenue en Champagne et ayant entraîné apoplexies, paralysies et morts subites :

Presque tous les habitants, et particulièrement ceux de la Riviere de Marne, ont été attaquez de ces différents rhumes, sans qu’il en soit mort aucun, buvans à l’ordinaire leur vin blanc non mousseux, qui par sa chaleur tempérée, et sa grande légèreté a rendu au sang et aux humeurs leur première fluidité. On a remarqué dans la province que les particuliers qui ne boivent que du vin rouge, ont été beaucoup plus maltraittez, et qu’il en est mort plusieurs. Il est certain que le bon vin de Champagne blanc, non mousseux, bu avec modération dans sa maturité, et trempé avec plus ou moins d’eau, est la liqueur la plus propre pour conserver la santé, et le seul vin qui puisse être toléré, ou même conseillé dans plusieurs maladies.

Nous ne pouvons donc nous empecher de nous élever contre l’opinion de certains esprits qui affectent de les faire passer pour une liqueur dangereuse et capable de causer la pierre et la gravelle, la goutte et le rhumatisme. Ces sortes de maladies ne sont connues en Champagne que pour le désordre qu’elles causent chez nos voisins. On n y connoit de la goutte que le nom, et à peine scait-on ce que c’est que la pierre . Dans son Dictionnaire universel de commerce, Savary écrivait en 1742 : Ceux qui ont intérêt au débit des vins de Bourgogne ont affecté de publier que ceux de Champagne causoient la goutte : ce qui de notoriété publique est contraire à la vérité, n’y ayant que très peu de personnes malades de cette maladie dans toute l’étendue de cette Election, bien que les habitants soyent un peu trop attachés à boire du vin de leur païs avec excès. Des textes analogues figurent dans Manière de cultiver la vigne et de faire le vin en Champagne du chanoine Godinot et dans les Observations de Sir Edward Barry.

Plus tard sont reconnues les propriétés bénéfiques pour la santé du gaz carbonique, alors appelé air fixe, lors d’une Question agitée dans les Écoles de la Faculté de médecine de Reims le 14 mai 1777 par M. Navier fils, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine en l’Université de Reims, de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Chalons-sur-Marne, sur l’usage du Vin de Champagne Mousseux contre les Fièvres putrides et autres Maladies de même nature, publiée à Paris en 1778, en latin et en français.

De tous les vins, écrit l’auteur, il n’en est point qui contienne moins de parties tartareuses que le Vin de Champagne ; il n’en est point par conséquent, qui soit moins propre à porter avec lui les germes douloureux de la goutte et de la gravelle. Il est également démontré qu’il n’en est point de moins incendiaire, puisque la partie spiritueuse s’y trouve moins abondante. Indépendamment de ces qualités précieuses, que le Vin Mousseux partage avec les autres Vins de Champagne, il contient de plus un principe particulier que les Chymistes appellent gas ou air fixe ; principe qui le caractérise essentiellement, principe reconnu aujourd’hui pour le plus puissant antiseptique qu’il y ait dans la nature et pour un dissolvant efficace des pierres humaines. Le jus délicieux des côteaux champenois réunit donc le double avantage, et de surpasser en agrément tous les autres Vins, ce qu’on ne peut lui contester, et d’être le plus propre à maintenir les lois pleines de sagesse, que l’Auteur de la nature a établies dans l’œconomie animale, pour la conservation de la santé et de la vie.

Vouloir démontrer ici que le Vin de Champagne a la propriété de diviser les humeurs épaissies, de lever les obstructions, de provoquer les urines, d’exciter l’expectoration, de remédier aux pâles couleurs, d’éloigner les assauts goutteux, de chasser les germes de la pierre et de la gravelle, ce seroit nous éloigner de notre objet. Conclure qu’il est le véritable antidote des Maladies putrides, est le seul but que nous nous sommes proposés. Laissons dans les Pharmacies ces médicaments insipides, laissons-y ces préparations rebutantes. Une liqueur qui sait autant flatter le palais, que conserver el rétablir la santé, mérite sans doute nos suffrages de préférence. On se garantira par son usage des Maladies Épidémiques dont on seroit menacé.

Au XIXe siècle, les bienfaits que l’on peut retirer du champagne pour la santé se confirment. En 1821, Joseph Roques, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, écrit que le champagne mousseux et tous les vins chargés d’acide carbonique réveillent l’action de l’estomac. Dans la première moitié du XIXe siècle, c’est le plus souvent en relation avec l’appareil digestif que le champagne est cité dans un contexte médical, et on lit avec amusement dans le Journal des Gourmands et des Belles de juin 1806 que le vin mousseux... épargne l’estomac et les pieds. Le Code gourmand affirme en 1830 qu’au souper le Bordeaux et l’Aï sont les seuls qui puissent vous procurer une digestion facile et un sommeil agréable. En 1856 encore, le docteur Véron, directeur de l’Opéra et de la Revue de Paris, gérant du Constitutionnel, amant de la tragédienne Rachel et... médecin, voit dans le champagne un précieux auxiliaire de digestion [3] .

À la fin du siècle, l’usage médical du champagne est entré dans les mœurs. On lit dans une notice de la maison de Saint-Morceaux, en 1880, qu’il est recommandé par les médecins français et surtout anglais dans certaines affections de l’estomac, et dans une autre, de la maison Louis Roederer, qu’il présente pour le fonctionnement normal de l’estomac de tels avantages que rien ne saurait le remplacer pour relever les forces dans la prostration, les fièvres adynamiques, la consomption, le traitement des vomissements incœrcibles, etc. Aussi a-t-il donné les meilleurs résultats dans le choléra.

Ces documents emploient sans aucun doute un ton de propagande, et les médecins français du XIXe siècle ont peu écrit sur le champagne. Mais une fois encore, comme c’est l’habitude avec tout ce qui a trait à ce grand vin, les Anglais sont en pointe. Vizetelly note que pour le docteur Druitt, aussi distingué par ses études sur le vin que par sa position de médecin, le bon champagne est un « véritable stimulant pour le corps comme pour l’esprit, rapide, volatile, passager et sans effets nocifs ». Parmi les maladies qui peuvent en bénéficier, remarque-t-il, on trouve les névralgies, les accès intermittents de souffrance aiguë intéressant certains nerfs.

Énumérer les cas dans lesquels le champagne peut rendre service équivaudrait à donner une nosologie complète. Rien ne réconforte et repose mieux l’estomac, ou n’est un meilleur antidote des nausées [4].

Dès le début du XIXe siècle, cependant, le docteur Loebenstein-Loebel avait publié en allemand et en français l’usage thérapeutique des vins de Champagne. Professeur en médecine à Iéna, conseiller sanitaire du Grand-Duc de Weimar, donc personnalité importante du monde médical germanique, il y écrivait notamment :

Le vin de Champagne produit un excellent effet sur la digestion : bu mousseux, il dé compose les acidités dans les premières voies, il rend le ton à ces organes, et ramène le calme et la gaité chez les malades tristes et hypocondres. Nous l’employons utilement dans les maladies suivantes :

1° Dans les vomissements idiopathiques dépendant d’une affection nerveuse de l’estomac et du canal intestinal, lorsque l’irritabilité est à un tel point que l’estomac rejette tous les médicaments, en quelque petite dose qu’ils soient administrés. Dans cette catastrophe si importante nous donnions, toutes les demi-heures ou toutes les heures, un quart ou la moitié d’un verre du meilleur champagne, en augmentant progressivement de deux en deux heures, jusqu’à concurrence d’un verre entier. Outre ce procédé nous faisions mêler la teinture de cannelle et de girofle avec le vin de Champagne, pour en imprégner un morceau de flanelle, que nous faisions appliquer sur le scrobicule du cœur. C’est par moyen simple que nous sommes souvent parvenus à écarter les vomissements spasmodiques les plus opiniâtres.

2° Dans les vomissements symptomatiques des femmes enceintes, lorsqu’ils deviennent affaiblissants et continus, et que l’avortement est à craindre, l’usage intérieur et extérieur du champagne nous a été d’un grand secours.

3° Dans les affections calculeuses des reins, souvent même dans les douleurs du calcul de la vessie, nous obtînmes, après l’usage de champagne, une diminution des douleurs, et des urines plus copieuses. Mais dans ces maladies il faut l’administrer à fortes doses : on peut commencer par un verre à la fois, que l’on répète quatre à cinq fois par jour, et on peut aller jusqu’à trois verres par dose.

4° Dans les affections goutteuses chroniques, compliquées de maux d’estomac, comme par exemple dans la goutte des pieds, ou le podagra, nous avons employé le champagne avec beaucoup de succès.

Le docteur Loebenstein-Loebel précise qu’il a guéri définitivement, par un traitement de 3 verres de champagne au dîner et 1 au souper, un gentilhomme âgé de 50 ans qui, tous les trois ans, était attaqué alternativement ou de la goutte, ou de calculs des reins, et il conclut : Il faut, en traitant ces maladies, faire usage des meilleures qualités du vin de Champagne.

À la fin du XIXe siècle, le champagne a donc sa place dans la pharmacopée. On le trouve même dans celle des forces armées de divers pays, et on l’y trouvera encore au XXe siècle, comme on l’a vu à propos de la première guerre mondiale, lorsque dans leurs prospectus, des maisons de champagne se diront fournisseurs des hôpitaux civils militaires. Il existe au National Army Museum de Londres deux demi-bouteilles de champagne, portant leurs étiquettes, en anglais : Sélectionné par le ministère de la Guerre de Sa Majesté pour les hôpitaux et pour les soldats ailes et blessés dans la guerre des Boers. Et des rapports ont été faits par des médecins militaires reconnaissant les bienfaits de traitements au champagne.

À l’époque, pour annoncer les effets heureux que l’on peut attendre du champagne, il est parfois étiqueté Clos de Jouvence, Champagne hygiénique, Tisane des convalescents, etc., et il lui arrive même de se recommander des autorités médicales. À l’intention des diabétiques, à une époque où le dosage est encore très important, on produit quelques champagnes très secs comme, en 1889, le Grand Vin sans sucre de Laurent-Perrier, à usage médical, destiné principalement aux goutteux. En Angleterre, on trouve dès 1865 un Krug extra-dry for invalids. Mais on va plus loin, on se met à fabriquer des médicaments au champagne ; autrement dit, on introduit dans la bouteille avant la vente, probablement avec la liqueur d’expédition, un produit à usage médical.

On trouve ainsi, parmi les marques déposées en 1898, un Champagne quinine, un Champagne au quinquina, un Champagne bipepsine, un Champagne pepsine S.L.F. du Docteur Seuvre, vendus en pharmacie.

La pepsine est l’enzyme contenue dans le suc gastrique elle est utilisée médicalement pour suppléer à l’insuffisance de celui-ci dans les dyspepsies. Et comme tout le monde est d’accord sur l’action bienfaisante du champagne, pourquoi ne pas lui incorporer de la pepsine pour faire d’une pierre deux coups ? C’est ce qu’explique une plaquette éditée vers 1896 par la maison de champagne Choubry frères, d’Avize, pour faire connaître le Champagne eupeptique qu’elle a mis au point avec le pharmacien Charles Rémy.

Sous le titre Les Dyspepsies et le Champagne Eupeptique, un certain docteur Goureau, de Paris, y précise ce qui suit : Le champagne eupeptique de Choubry frères contient un gramme de pepsine par flûte, soit par dix centilitres de vin. Il contient de faire remarquer cette forte proportion de médicament actif afin d’éviter l’abus ; aussi la dose d’une flûte après chaque repas est-elle grandement suffisante pour un adulte. Il est à noter que, malgré cette quantité relativement considérable de pepsine, le goût du champagne n’est nullement altéré ; ce n’est pas un médicament qu’on boit, semble-t-il, c’est du vin de Champagne, de goût très franc, ayant conservé toute sa fraîcheur. Ajoutons que la conservation de la pepsine dans ce vin de Champagne est pour ainsi dire indéfinie, grâce à l’alcool et à l’acide carbonique. Il est remarquable, du reste, que cette absorption artificielle de la pepsine provoque la sécrétion du même ferment par les glandes de l’estomac, de sorte que la médication est non seulement palliative, mais vraiment curative. Suivent plusieurs attestations de médecins sur les excellents résultats qu’ils ont obtenus avec le Champagne eupectique administré aux enfants, adultes et vieillards, l’une d’elles précisant même que cette préparation a été la mieux supportée chez une dame de 60 ans atteinte d’un cancer de l’intestin ; alors que l’alimentation était impossible par la bouche, le champagne eupeptique pouvait encore être donné à petites doses par les voies supérieures, sans être rendu.

Il faut aussi signaler le champagne oxygéné dont la maison Paul Couvreur et Fils d’Ay se fait une spécialité au début du XXe siècle ; il est présenté comme remplaçant avantageusement l’emploi thérapeutique de l’oxygène en inhalations. Coquelin aîné, le créateur du rôle de Cyrano de Bergerac, lui a rendu un hommage reproduit par une carte postale de la Collection artistique du champagne oxygéné : Après un travail incessant, je suis encore solide ; j’ai bu du champagne oxygéné ; merci à Monsieur Paul Couvreur.

Le champagne a donc été reconnu pendant des siècles, et il l’est encore aujourd’hui, comme salutaire et médicamenteux. Il le doit non seulement à ses vertus préventives et curatives, mais aussi au fait qu’il est dans le domaine de la santé d’un emploi quasi universel.

Notes

[1Saint-Evremond. Œuvres de Monsieur de Saint-Evremond, avec la vie de l’auteur, éd.. Des Maizeaux. Amsterdam, 1726.

[2Recueil de poésies latines et françaises sur les Vins de Champagne et de Bourgogne. Paris, 1712.

[3VÉRON (Dr L.). Mémoires d’un bourgeois de Paris. Paris, 1857.

[4VIZETELLY (Henry). Facts about champagne and other sparkling aines. Londres, 1879.